Ibiza, 2 juillet 2016

Aujourd'hui, Marileah passe la journée avec moi à l'hôtel. Nous n'avons pas prévu de bouger mais bien d'immortaliser chaque moment de notre journée pour nos fans.

Je profite de notre tête à tête sur ma terrasse durant le petit déjeuner pour poser une question qui me tracasse :

— Tu penses qu'influenceur ce n'est pas un vrai métier ?

— Au contraire ! Et ça ne s'improvise pas ! rétorque Marileah.

— Ce n'est pas ce que pensent certains...

— Ce que les gens ne comprennent pas, du moins nos détracteurs, c'est que le boulot ne s'arrête pas une fois qu'on a réussi à amasser les followers. Si tu n'as aucune interaction avec ta communauté, ils iront très vite voir ailleurs. Il y a des milliers d'influenceurs dans le monde. Et pour te démarquer, il faut être créatif. Regarde, Terrence a bossé sur son modèle plusieurs années et sa technique fonctionne. Tu en es la preuve. Tu as eu des commentaires négatifs récemment ?

— On peut dire ça. Cela m'a amené à réfléchir sur ma situation actuelle.

Marileah pose une main sur mon épaule et me dévisage avec compassion :

— Tu sais, il y a des jaloux partout. Contrairement à ce qu'ils disent, être influenceur, c'est beaucoup plus que des produits gratuits ou dormir sur un transat H24. Certaines photos me demandent plusieurs heures de travail. Sans oublier que nous devons gérer notre planning de publications. Alors oui, dans un premier temps, tes revenus dépendront essentiellement de tes partenariats rémunérés. Et c'est cette activité qui t'ouvrira d'autres portes.

— Si seulement cela pouvait être mieux compris. J'ai l'impression d'être un imposteur.

— Respire, Lucas ! l ne faut pas que tu doutes. Des crétins, tu en rencontreras tous les jours. Oublie-les. Reste concentré sur toi et tout ira bien.

— Je sais. Disons que...je ne pensais pas être aussi touché.

— Est-ce que tu envisages d'arrêter ? Tu ne te sens plus à l'aise dans le job ? C'est à cause de ce que Terrence a demandé à notre sujet ?

— Oh non, pas du tout ! J'aime ce que je fais et je garde à l'esprit le but que je me suis fixé. Tu as raison, je dois juste penser à moi et à ce que Terrence attend de nous.

Je décide de rejeter très loin les paroles d'Alessio. Je profite de ma journée avec Marileah. Nous réalisons quelques selfies dans la piscine, nous postons une story pendant notre passage au spa de l'hôtel et nous passons ensuite deux bonnes heures à trier et choisir les photos que nous publierons dans les prochains jours.

Le soir venu, après le départ de mon amie, je consulte le net et cherche des articles sur le métier d'influenceur. C'est alors que je tombe sur un blog qui a fait des gens comme moi sa cible prioritaire. Il critique une jeune fille de dix-neuf ans dont le feed est constitué exclusivement de photos d'elle en petite tenue. Ensuite il se moque d'un gars qui détaille sur son compte chaque journée qu'il passe dans des parcs d'attraction. Il prétend que nous autres les influenceurs, si nous voulons briller aux yeux des autres c'est en publiant tout et n'importe quoi. Il attaque notre métier en indiquant que ce que nous montrons n'est pas la réalité et que notre vie ne ressemble pas à ce que nous publions.

Il termine en prétendant que raconter son quotidien, tout le monde peut le faire et que, si nous avons choisi ce job, c'est parce que nous étions incapables de nous dégoter un vrai métier.

Contrairement à ce qu'il avance, je n'ai pas le sentiment de produire du contenu de « merde » ni de jouer à un jeu malsain. Et encore moins de tout faire pour provoquer des bad buzz. C'est même ma hantise. Je n'ai pas non plus le sentiment d'être quelqu'un d'ultra narcissique et immoral. Par contre, j'ai bien en tête que mes jours dans le métier sont comptés. Tout comme dans le mannequinat. Les agences de marketing d'influence comme celles de mannequins n'embauchent que des jeunes. Passé trente ans, nous devenons nettement moins intéressants. J'en ai toujours eu conscience et c'est pourquoi j'ai tout fait pour obtenir un bon diplôme. Pour avoir de quoi me retourner le jour où tout sera terminé pour moi.

Avant de me coucher, je consulte mes statistiques. Plus de quatre cents personnes se sont abonnés à mon compte aujourd'hui. Sans doute grâce à la dernière photo postée par Marileah qui nous montrait en train de siroter un cocktail au bord de la piscine.

Cerise sur le gâteau : je découvre que mon compte vient d'être certifié. J'ai le réflexe de chercher dans mes contacts le nom d'Alessio pour lui annoncer la bonne nouvelle mais je renonce au dernier moment. Il s'en fiche. Et il déteste ce que je fais. 

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