Chapitre 8
Le ventre de la jeune femme cria famine.
« Désolée, s'excusa cette dernière, gênée.
– Ne le sois pas. Rentrons et allons manger quelque chose. »
Elle acquiesça, puis se redressa. Cirus en fit de même, le dos endolori par le sol dur.
Une fois debout, le jeune homme siffla au druin, qui vint à lui rapidement. Ils montèrent sur la bête comme la première fois et prirent le même chemin pour rentrer chez lui. Une fois arrivés, ils pénétrèrent à l'intérieur et Cirus invita Mélia à s'attabler.
La pauvre jeune femme était toute déboussolée. Son horloge interne était déréglée. La faim se pointait, tout comme le sommeil sans qu'elle ne pût les contrôler. Théoriquement, si elle était restée sur Terre, il y a bien longtemps qu'elle aurait déjà été dans les bras de Morphée.
Il déposa sur la table un panier de fruits étranges, de couleurs et de formes singulières. Elle porta son dévolu sur une curiosité bleue. Le fruit à l'allure de poire avait une peau fine, légèrement colorée de reflets noirs. Tout en croquant dans le fruit, elle demanda :
« Vous ne mangez que ce genre de petites collations ?
– Non, nous avons trois repas par jour. Mais les journées étant plutôt longues, nous sommes habitués à nous sustenter de petits encas. »
Le jus du fruit âcre qu'elle venait de goûter lui coulait sur les doigts, mais elle avait tellement faim, qu'elle n'avait pas rechigné à en prendre une autre bouchée. Cirus s'amusa d'elle, tout en continuant :
« Lorsque l'étoile lumineuse se lève, nous mangeons un copieux repas. Un deuxième est de rigueur une dizaine d'heures plus tard. Et, juste avant que la nuit ne se pointe, nous en prenons un troisième, plus léger. »
Elle avala le jus bleuté.
« D'ailleurs, reprit-il, la nuit ne devrait pas tarder. Je vais préparer le repas. Si tu veux, tu peux lire un cube. Il y a sûrement des choses qui pourraient t'intéresser. »
Elle comprit immédiatement qu'il fit référence au genre de tablette noire qu'elle avait déjà essayé de lire.
« Je préférerais t'aider, avoua-t-elle. Je ne suis pas très habile avec ces trucs, et puis je ne veux pas abuser de ta gentillesse.
‒ Très bien, comme tu préfères. »
Il se leva de sa chaise, et se rendit près des meubles de cuisine juste derrière lui. De là, il prit un chiffon d'un banal décevant et le tendit à la demoiselle, tout en demandant :
« Alors ce garja ? »
Elle avait dévoré tout le fruit, et se surprit à voir qu'il ne disposait d'aucune graine ni d'aucun noyau ‒ à moins que dans la précipitation, elle les eût avalés avec tout le reste. Elle essuya ses mains avec le chiffon, mais celles-ci gardèrent des traces tenaces d'un genre bleuté.
« Salissant, mais très rassasiant, répondit-elle. Son jus est très agréable par ce temps.
– La majore partie de nos fruits et légumes sont juteux et désaltérants, ce qui explique qu'on ne boit pas d'eau durant les repas, contrairement à d'autres peuples. »
À peine eut-il fini sa phrase, qu'il s'esclaffa tout en la dévisageant :
« Tu as vraiment choisi le pire fruit !
– Hein ? Ne me dis pas que j'en ai sur le visage ? »
Le fou rire du jeune homme fut une réponse suffisante. Elle rougit immédiatement.
Après s'être calmé, il ouvrit la porte de la salle d'eau, afin qu'elle puisse se nettoyer proprement. Pendant ce temps, il commença la préparation du repas.
Une fois dans la pièce, le petit bac se remplit quand elle s'en approcha et qu'elle y déposa sa main, comme lui avait conseillé Cirus. L'eau semblait venir du bas, au niveau du pied du petit bassin. Elle se débarbouilla, en s'observant dans le long miroir à côté. Une fois terminée, elle soupira. Combien de temps devrait-elle rester ici ? Ce monde avait l'air bien fabuleux, mais l'inquiétude et la peur de l'inconnu l'empêchait d'en profiter au mieux.
Les taches bleues qu'elle avait sur le bas du visage s'effacèrent rapidement. Mélia sortit donc de la salle d'eau pour rejoindre Cirus dans la pièce principale.
« Tu m'as dit que tu ne mangeais pas de viande, hésita-t-il, c'est cela ?
‒ Oui, mais ne te préoccupe pas pour moi, je trierai dans mon assiette si nécessaire.
‒ Je compte faire une soupe au lait de porvor. Elle est souvent accompagnée de viande de calee, mais on peut très bien faire sans. Ce sera tout aussi bon, et tu n'auras pas à te soucier de quoi que ce soit. »
Son sourire chaleureux et compatissant la fit rougir instantanément. Elle ancra son regard dans le sien, et cru chavirer. Elle appréciait vraiment ce jeune homme, et voir l'attention qu'il lui portait, ne la rendait pas indifférente à son charme ‒ au contraire.
« Si tu veux m'aider, reprit-il en se remettant à la tâche, tu peux t'occuper de laver les plantes et les champignons qui sont dans ce petit panier. »
Elle acquiesça. Un autre bac ‒ déjà rempli d'eau ‒ se trouvait non loin du panier. Elle prit les plantes, longues et gluantes comme des algues, et les émergeas dans l'eau. Frottant au mieux, elle ressortit ces dernières et fit de même avec les champignons. Ceux-ci étaient longs et blancs. Leur tête était aussi petite que celle d'une aiguille. Tous accrochés les uns aux autres, Cirus lui demanda de les séparer, tout en les lavant.
Pendant ce temps, il préparait le lait, qu'il réchauffait dans un petit faitout. Ce dernier semblait se réchauffer par lui-même, à moins que le plan de travail y fût pour quelque chose. Le jeune homme y ajouta les épices au lait épaissi. Pendant que le tout mijotait, il prépara une autre casserole dans laquelle il versa une sauce brune. Il y plongea ensuite ce qu'avait lavé Mélia et laissa le tout s'imprégner de la sauce tout en dorant tranquillement.
La jeune femme fut invitée à mettre la table en attendant. Elle plaça deux cuillères en bois banales et des serviettes de table. Quand les végétaux terminèrent leur cuisson, Cirus les ajouta au lait, puis dressa les assiettes. Les portions étaient assez importantes. L'odeur qui s'échappait était appétissante et raviva la faim de la jeune femme, curieuse de goûter à ce plat. Tous deux s'installèrent à table afin de déguster ce dernier repas de la journée.
La soupe de lait de porvor était épaisse et d'un blanc jauni. Elle avait l'aspect d'une crème et était assez acide en goût. Les plantes et les champignons, émergés dans le mélange, se mâchaient bien et apportaient de la texture au repas.
« Qu'en penses-tu ? demanda le jeune homme.
‒ C'est plutôt bon. Elle ne manque pas de goût, et malgré la chaleur elle reste agréable. »
Il lui sourit, ravi. Une fois qu'ils eussent terminé le repas, ils débarrassèrent la table.
La vaisselle fut déposée dans un grand récipient à même le meuble de cuisine. Celui-ci se ferma automatiquement, matérialisant une grande plaque étanche sur son dessus. Un système similaire à celui des portes de maisons alosiennes. Apparemment, la vaisselle se faisait seule et se rangeait d'elle-même dans les tiroirs des meubles, via un circuit invisible. « Très pratique ! », pensa l'invitée.
Une fois tous rangés, Cirus lança à la jeune femme :
« Demain matin, j'essayerai de reprendre contact avec les reflets, afin que tu puisses repartir chez toi. Pour l'instant, nous ne pouvons qu'attendre. Je te laisse mon lit pour ce soir.
‒ Pas la peine. Ne te sens pas obligé de faire cela. Je peux m'accommoder d'un simple sofa, ou du fauteuil là-bas, finit-elle par pointer.
‒ Pas de soucis, vraiment, insista-t-il. J'ai bien peur que le sofa ne soit pas l'idéal pour une si longue nuit. Tu peux aller te rafraîchir dans la salle de bain avec ce que t'a passé Belorie. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à m'appeler.
‒ Très bien, merci. »
Elle se dirigea vers le sac que lui avait donné la femme et qu'elle avait laissé là.
« Une dernière chose, parla Cirus, pour ouvrir ou fermer la pièce, il faut appuyer sur la partie la plus claire du mur.
‒ Entendu. »
Maintenant qu'il l'eut dit, Mélia vit cette marque plus claire, près de l'ouverture de la salle d'eau. Elle y entra facilement et sans hésitation, encore suprise par cette magie si naturelle.
Le ciel avait déjà laissé tomber son voile sombre sur toute la ville, et la population s'était terrée pour la plupart à l'intérieur. Le jour et la nuit étaient drastiquement différents. Alors que les rues fussent animées et colorées il y a peu, elles étaient à présent désertes et calmes.
Mélia voulut prendre un bain, exténuée. Elle se dirigea vers le grand bac au milieu de la pièce, qui se remplit une fois qu'elle posa sa main sur sa surface. L'eau était à parfaite température. Sur le dessus du bassin trônaient des savons de couleurs divers et parfumés. La jeune femme se dévêtit et entreprit de reposer ses muscles endoloris dans l'eau claire.
Quelque temps plus tard, elle sortit de la salle, vêtue d'une robe de chambre fine et opaque que lui avait donnée Belorie. Elle avait également préféré lâcher ses cheveux pour dormir. Même la nuit, le temps était chaud et agréable, ce pour quoi les vêtements étaient plutôt fins, en général. La jeune femme monta les escaliers et se rendit à l'étage. Cirus préparait le sofa qui se trouvait dans la pièce, afin d'y dormir.
Les lumières extérieures traversaient les fenêtres sans rideaux. Le calme appelait le sommeil.
« Tout s'est bien passé ? demanda le jeune homme, une fois qu'elle l'eut rejoint.
‒ Oui. Vos technologies sont vraiment fascinantes et tellement plus pratiques que ce dont j'ai l'habitude.
‒ L'inverse serait un comble. Pour un pays de magiciens, je veux dire.
‒ C'est pas faux », sourit-elle.
Elle vint déposer ses affaires près du lit, puis demanda :
« Tu as besoin d'aide ?
‒ Non, tout est bon. J'ai changé les draps, tu peux t'y enfiler. La nuit sera longue, mais si jamais tu as besoin de quoi que ce soit...
‒ Oui, je n'hésiterais pas », coupa-t-elle.
Ils s'échangèrent un sourire, et elle zieuta à nouveau la pièce.
« Il n'y a aucun moyen de fermer les volets ? interrogea-t-elle. Je n'arrive pas à dormir avec une source de lumière, même faible comme celle venant de l'extérieur.
‒ Nous n'avons pas... de volets... hésita-t-il, ou qu'importe ce que cela pourrait être. Nous avons un poudreur du soir pour apporter l'obscurité nécessaire. Je vais me préparer en bas et lorsque j'aurais fini, je ferais disparaître les lumières de la pièce.
‒ Très bien. »
Il lui sourit avant de descendre les escaliers, juste derrière elle. S'enfilant sous les draps, elle inspira profondément. Elle avait hâte de rentrer, mais elle espérait pouvoir revenir sur Edhira un jour. Elle savait qu'elle avait bien des choses encore à voir. Bien que sa présence puisse être risquée pour Cirus et elle-même, elle espérait que le jeune homme accepterait de l'y emmener à nouveau.
Exténuée, elle ferma rapidement les yeux. Le lit était confortable, bien qu'il fût à même le sol. Les draps étaient fins et dispersés sans maintien. Elle tenta de s'endormir, repensant à cette journée incroyable. Mais elle avait presque peur de se réveiller le lendemain au manoir. Peur que tout cela ne soit qu'un rêve.
Un bruit derrière elle la ramena à la réalité. Elle se redressa pour voir d'où cela venait. Cirus était apparu derrière le paravent.
« Désolée, je t'ai réveillée ?
‒ Pas vraiment. Je ne m'étais pas encore endormie.
– Tant mieux alors. »
Il se dirigea vers un pot métallique ‒ celui-là même qu'ils avaient traversé pour arriver sur Edhira, puis l'ouvrit. Il saisit ensuite une poignée de poudre contenue à l'intérieur et souffla dans sa main pour diffuser les particules. La seconde d'après elles absorbèrent toutes les lumières de la pièce, pour la plonger dans le noir complet.
« Demain matin, parla Cirus, la poudre ne fera plus effet. »
Elle entendit le jeune homme s'installer dans le sofa non loin. Elle fit de même, se couchant à nouveau de tout son long. Ils se souhaitèrent bonne nuit, et la minute d'après elle s'était déjà endormie.
Habituée à se lever tôt, cela ne l'aurait pas étonnée de se réveiller en pleine nuit, mais elle était si fatiguée, que les dix heures de noir total ne seraient finalement pas de trop. Pourtant, les choses en avaient décidé autrement. Elle avait ouvert les yeux, alors que le noir envahissait toujours la pièce. Des bruits incessants, provenant de l'extérieur, l'avaient réveillée. Elle ne savait pas quelle heure il était, ni si elle avait pu dormir longtemps, ou seulement quelques instants. Les bruits étaient semblables à des voix chahutant dans la pénombre. Finalement, la nuit ne semblait pas aussi calme qu'à son départ.
Mélia tenta de fermer les yeux et de se rendormir. Ce qu'elle parvint de longues minutes plus tard. Elle ne se réveillera alors que le lendemain matin, une fois la nuit dissipée, ainsi que ses mystères.
Car oui, certains secrets ne se dévoilent qu'une fois tout le monde endormi.
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