Chapitre 3

Le soir même, sa tante ne l'avait pas épargnée. Elle avait houspillé Mélia dès son arrivée dans le salon. La demoiselle s'était fendue en excuses, mais cela ne semblait pas avoir eu d'impact sur les braillements de madame. Léandre s'amusait devant ce spectacle, humiliant de plus belle sa cousine.

« J'en ai assez de votre incapacité ! s'exclama Valéria. Je suis constamment obligée de vous reprendre, et cela en devient insupportable. Étant donné que vous vous comportez comme une enfant, je vais prendre les mesures adéquates. Vous êtes privée de repas pour ce soir. Partez dans votre chambre, que je ne vous revois plus jusqu'au lendemain. »

Mélia ravala difficilement sa salive, et quitta le salon sans attendre. Cette vie de soumission était insupportable, pourtant elle se sentait idiote de s'en plaindre. Elle avait eu la chance qu'on lui offre le gîte et le couvert. Elle n'aurait pas survécu, une fois seule dans cet hiver infernal.

Devant la porte de sa chambre, elle soupira. Ses yeux fixèrent alors la poignée qu'elle s'apprêtait à tourner, mais elle stoppa son geste en plein élan. La porte était curieusement entrouverte.

Mélia inspira profondément avant de pousser légèrement cette dernière. Une fois l'ouverture assez grande elle zieuta aux alentours, manquant un soubresaut lorsqu'elle l'aperçut.

« Que faites-vous encore ici ? s'indigna-t-elle. Je vous avais pourtant dit de ne pas revenir ! »

Mélia entra dans la pièce ‒ à peine rassurée ‒ et ferma la porte derrière elle.

« Je n'avais pas eu l'occasion de vous annoncer que ma seule porte de sortie se trouvait ici même, répondit le visiteur, serein.

‒ Pardon ?

‒ Votre miroir, reprit-il. C'est la seule porte entre votre monde et le mien, du moins pour l'instant. »

Mélia laissa un silence s'installer avant de répondre, pantoise :

« De quoi parlez-vous ?

‒ Je vous l'ai dit ce matin. Je suis venu dans votre monde grâce au miroir. C'est aussi mon seul moyen pour repartir.

‒ Eh bien, allez-y et ne revenez pas. Je pourrais d'ailleurs le briser pour ne plus entendre parler de vous.

‒ Non, je vous en prie ! »

Il l'avait presque crié.

« Chut ! Moins de bruit, chuchota-t-elle. Je ne voudrais pas que ma tante et mon oncle nous entendent.

‒ Écoutez, dit-il en s'approchant d'elle, je vous l'ai dit, mais nous cherchons votre civilisation depuis plusieurs années maintenant. Vous n'imaginez pas la chance que j'ai eue en tombant dessus, et je ne peux pas me permettre de la perdre. Laissez-moi juste le temps de faire une clé et d'ouvrir un autre chemin entre la Terre et Edhira. »

Si tous les mots avaient bien un sens, dans la tête de Mélia, aucune de ses phrases ne fut intelligible. La demoiselle était effarée, incapable de lui répondre.

« Voilà ce que je vous propose, continua-t-il, ne touchez pas au miroir jusqu'à ce que je revienne avec une clé. Je pourrais alors relier d'autres reflets d'ici à mon monde, et ensuite je ne vous embêterais plus. »

Mélia ne put qu'acquiescer de manière automatique. Le jeune homme lui sourit en réponse, et laissa échapper un soupire de soulagement. Il n'attendit pas plus longtemps et se rendit vers le miroir.

« Attendez ! » se surprit-elle à crier.

Le visiteur se tourna, attendant qu'elle poursuive :

« Comment est votre monde ? »

Cette fois, ce fut lui qui resta pantois. Il réfléchit. Non pas qu'il ne savait quoi répondre, mais il y avait tant de choses à dire.

« Eh bien... hésita-t-il, c'est assez semblable à la Terre, mais il n'y a pas de saisons comme ici, donc la faune et la flore diffèrent assez de ce que j'ai pu voir chez vous. Le fonctionnement de nos civilisations humaines est assez différent du vôtre, également. Nous avons six peuples et chacun arbore des aptitudes et des caractéristiques physiques qui dépendent de leur milieu de vie. Je ne vous parle même pas de nos Dieux et Déesses, ainsi que de leurs correspondants royaux. »

Elle voulait vraiment y croire. Croire que dans sa chambre se trouvait une échappatoire. Mais n'était-ce pas là les prémices douloureuses d'une folie naissante ? A moins qu'en réalité, cette folie était la solution à ses maux.

« Des civilisations humaines ? demanda-t-elle, entraînée par la curiosité et l'espoir.

‒ Ce serait trop long à vous expliquer, mais sachez juste que nous avons des ancêtres en commun. C'est ce qui fait que vous et moi nous nous ressemblions autant physiquement. »

Elle haussa un sourcil.

« C'est un peu gros comme mensonge...

‒ J'ai répondu à vos questions, libre à vous de me croire. »

Il sourit à sa moue décontenancée.

« Je ne m'attends pas à ce que vous me croyiez, renchérit-il. Je souhaite simplement que vous ne détruisiez pas votre miroir. »

Elle acquiesça et il lui sourit avant de basculer dans son reflet. La seconde d'après il avait déjà complètement disparu.

Quel étrange personnage... Quelle étrange discussion...

Les jours suivants, Mélia n'avait plus entendu parler du jeune homme. Tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à cette rencontre ne semblait à présent plus qu'un rêve.

Le ciel avait laissé tomber son drap blanc pendant une nuit, recouvrant le sol de neige immaculée. La jeune femme s'était donc préparée le lendemain en conséquence, enfilant une robe d'hiver et des collants de saison. Le temps était glacial aujourd'hui, et les prévisions n'allaient pas s'améliorer dans les jours à venir.

Une fois prête, elle descendit directement à la cuisine. Cela faisait un moment qu'elle n'osait plus s'admirer dans le miroir en se préparant, trop peur que quelque chose ‒ ou quelqu'un ‒ ne l'observe derrière.

« Amélia, parla sa tante tout en sirotant sa tasse de café, vous tombez bien. Je veux que les enfants puissent se reposer jusqu'à neuf heures, au plus tard. Ensuite, vous déposerez Léandre à la salle de tennis pour dix heures et Adrina à son cours de danse pour dix heures trente. Vous avez bien compris ?

‒ Oui, ma tante.

‒ Bien, vous ferez la vaisselle avant de partir également. »

Affamée, la jeune femme se prit d'abord de quoi petit déjeuné. Une tasse de café au lait et des tartines de confitures. Un repas qui la sustenta efficacement pour le moment. Suite à cela, elle s'empressa de faire la vaisselle de la veille et celle de ce matin. Neuf heures sonnèrent et Mélia se rendit dans la chambre des enfants pour les réveiller.

Bien que plutôt ruinée, la famille Brownhill préférait miser leur argent sur les apparats. Il était essentiel pour eux qu'ils puissent toujours être en vogue, qu'ils aient les derniers produits tendances et qu'ils organisent des fêtes réputées auprès des gens de leur milieu. Cela, peu importe si le lendemain en était difficile.

Elle habilla les enfants en conséquence et leur fit enfiler les manteaux d'hiver à fourrure. Mélia détestait cette mode. Elle avait de l'empathie pour ces pauvres bêtes, au point où elle avait même changé son alimentation en réponse.

Une fois dehors, les petits grelottèrent. Heureusement pour la jeune femme, ils n'étaient pas très turbulents ce matin. La neige au sol et les flocons qui tombaient happaient assez leur concentration pour qu'ils avancent assidûment.

Mélia déposa le jeune Léandre comme convenu, et se dirigea vers la salle de danse pour y conduire la petite de sept ans. Une fois cette dernière récupérée par le professeur de danse, la demoiselle se permit à errer aux alentours. Les mains gantées dans les poches, elle marquait le sol enneigé de ses longues bottes lacées.

Elle s'écarta un peu du chemin pour pénétrer la rue marchande. Elle n'avait pas d'argent de poche et ne pouvait rien s'acheter, mais elle aimait lorgner les nouveautés. Sur sa gauche, un joli magasin aux armatures en bois présentait dans sa vitrine de vieux objets et des livres bien singuliers. L'endroit chaleureux semblait l'appeler. La jeune femme y pénétra, laissant sonner le carillon à l'entrée.

Les étagères étaient toutes remplies d'antiquités et d'objets étranges. Certaines croulaient sous la charge de toutes ces babioles.

« Puis-je vous aider ? » interrogea le vieux propriétaire.

Mélia se tourna vers la voix, presque surprise.

« Pas vraiment, je regarde simplement », dit-elle en souriant.

Elle continua à faire le tour, cette fois sous le regard curieux du vendeur.

« J'ai quelques objets qui pourraient vous intéresser. Tenez, par exemple... »

Le vieil homme sortit de derrière son comptoir et se dirigea dans l'un des rayons. De là, il attrapa une petite boîte posée sur l'une des étagères et l'ouvrit devant les yeux intrigués de la jeune femme.

« Voyez-vous, présenta-t-il, ceci est une vieille montre à gousset. Depuis que je l'ai, elle ne s'est jamais arrêtée. C'est un vieil objet de la guerre et je sais qu'elle plaît à la gent masculine. Vous avez peut-être quelqu'un à qui l'offrir? Vous pouvez également très bien la garder, elle irait parfaitement à une jeune femme discrète comme vous. »

Le monologue du vieil homme la fit sourire. Malheureusement, elle n'avait pas de quoi s'acheter l'objet.

« Je suis navrée, dit-elle, mais je ne pense pas pouvoir me l'offrir.

‒ Ne vous en faites pas avec ça, je vous la donne. »

L'homme déposa la petite boîte dans la main de Mélia et repartit derrière le comptoir.

« Je ne peux pas accepter ! se défendit la demoiselle.

‒ Mais si, prenez là. De toute façon ici, elle ne ferait que prendre la poussière. Promettez-moi simplement d'en prendre soin, jusqu'à ce que vous rencontriez la personne qui compte énormément pour vous et à qui vous voudriez l'offrir. »

La jeune femme fronça des sourcils. C'était une bien étrange demande. L'objet était magnifique. Cette montre à gousset squelette laissait visible l'engrenage de son fonctionnement. Les aiguilles étaient d'une finesse incroyable et les chiffres étaient écrits en lettres romaines. Leur couleur dorée ressortait parfaitement sur le fond noir.

« C'est un bien bel objet, n'est-ce pas ? parla l'homme.

‒ Oui, elle est magnifique, s'émerveilla-t-elle. Très bien, j'en prendrais soin, merci beaucoup.

‒ Super, j'en suis ravi ! »

La jeune femme sourit au vieil homme puis quitta le magasin pour de nouveau embrasser le froid de l'hiver. La ruelle n'était pas bondée. Les gens sortaient à peine sous cette température. Pourtant, face à elle, se trouvait un visage familier. Celui d'un jeune homme, dont elle ne connaissait pas encore le nom, mais à qui elle pensait lorsqu'elle se voyait dans un reflet.


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