Chapitre 27 : Un repas au goût parfois amer

« Bonjour Brithellia, Cirus », salua Dicca.

Tous s'inclinèrent, incitant Mélia à faire de même.

« Prince Dicca, commença le jeune homme, je vous présente Mélia. C'est l'amie aligne-reflets dont je vous avais parlé.

– C'est un plaisir de faire ta connaissance, Mélia. Et voici mon fidèle vassal, dit-il tout en se tournant vers ce dernier, Lothes Briann. »

La demoiselle leur fit part du plaisir partagé de cette rencontre, tandis que le futur roi reprit :

« Cirus m'a appris que tu avais déjà intégré le groupe depuis la première expédition vers Prael ? »

Elle acquiesça.

« En temps normal, il est rare que j'offre ma confiance à n'importe qui et pour être sincère, je suis toujours sceptique lorsqu'il s'agit de personnes que je n'ai pas employées moi-même. C'est d'ailleurs pourquoi j'en profite pour vous conseiller de rester sur vos gardes avec les praeliens. Bien que cette histoire de disparition semble être avérée par les reflets, vous devez rester méfiant face à eux. Nous ne savons pas s'ils souhaitent tirer avantage de cette occasion pour un autre dessein. »

Il s'arrêta un instant avant de reprendre :

« Lorsque le prince de Prael et Daery vous rejoindront, profitez pour leur dire d'entamer le prochain voyage à Marwa avec vous. Et dites au prince Morgareth, qu'Alos lui fournit les ressources humaines, à eux de payer pour les dépenses de cette mission. Je vous ferais préparer des druins à la sortie est de la capitale dès demain, mais vous devrez vous débrouiller pour le reste. En attendant, ma mère, la Reine Eilyana va essayer de communiquer avec Alosni à ce sujet. Mes parents ont bien entendu pris connaissance de l'arrivée des praeliens. Ils souhaitent que cela ne s'ébruite pas, pour ne pas affoler la population inutilement. Je serais donc toujours votre principal interlocuteur, et je vous remercie de rester discret à ce propos.

– Bonjour, lança avec sourire, une jeune femme qui venait de les rejoindre. Seriez-vous là entrain de parler de travail ? »

La femme, plutôt petite, portait ses longs cheveux blonds attachés en un chignon descendant. Sur celui-ci, et aux creux des diverses tresses qui le composaient étaient disposées des fleurs sur lesquelles était répandue de la poudre pailletée. Ses joues rosées étaient accentuées par un maquillage modéré, ravivant ainsi un teint de nature pâle. Sa longue robe rose était d'une fluidité incroyable, malgré plusieurs couches brodées.

« Lady Skyte, voici trois de mes employés, Cirus, Brithellia et Mélia, lui présenta Dicca.

– C'est un plaisir de vous rencontrer, dit-elle le sourire radieux. Je suis Talbery Skyte, la fille des jardiniers royaux et la fiancée de Lothes. »

Le vassal garda une expression placide, tandis que sa bien-aimée lui échangea un regard plein de douceur.

« Allons, mes chers amis, reprit-elle, c'est un jour de fête, profitez des décorations et de la musique, et laissez le travail pour plus tard.

– Mademoiselle a raison, répliqua le prince d'un ton calme. Ce fut un plaisir de faire votre rencontre, Mélia, et j'espère que notre collaboration saura être favorable. Je vous souhaite à tous de passer une agréable soirée. S'il vous faut quoi que ce soit ce soir, allez voir directement Lothes pour qu'il puisse faire le nécessaire. »

À ces mots, Dicca laissa le groupe alors que la bourgeoise s'éloigna avec son fiancé pour discuter. Mélia observa le couple avec fascination. Comme le jour et la nuit, le vassal et sa compagne dégageaient une aura qui s'opposait.

« C'est un hybride, lui murmura Cirus pour répondre à ce qu'elle observait. Il a des origines igoliennes et alosiennes, d'où sa particularité physique. »

Elle porta à nouveau son regard vers lui, avant qu'il ne continue :

« C'est assez commun comme hybridation ici, bien que les deux pays s'opposent sur de nombreux points. Son physique n'est pas aussi accentué que ses semblables, dont la roche fait presque partie intégrante de leur musculature. Pour autant, Lothes reste un guerrier dont la force ne fait pas honte à ses racines igoliennes et contrairement à ces derniers, il peut utiliser quelques sorts de base et les armes alosiennes, même s'il n'a pas de particularité qui lui soit propre.

– De quoi parlez-vous ? demanda curieusement Brithellia qui venait de se tourner vers eux.

– Rien en particulier, répondit Cirus, je lui faisais simplement part de quelques informations sur les personnes qui nous entourent.

– Depuis quand tu aimes les ragots, mon cher ? ricana-t-elle.

– Ce... »

Il n'eut pas le temps de répliquer que la musique se termina. Le messager de la famille royale se plaça au centre avant de s'adresser à la foule, le regard braqué devant lui :

« Chers citoyens, amis et magiciens. Le repas va bientôt vous être servi. Veuillez attendre que les plats viennent à vous, puis vous pourrez les renvoyer ou en demander davantage aux serviteurs. La famille royale vous souhaite à tous de passer un majestueux festin. »

À ces mots il quitta le centre de la pièce pour venir se placer dans un endroit plus calme, à l'abri de l'agitation principale.

« Enfin ! » s'écria plein d'entrain, la dronienne.

Des plaquettes de couleurs noires vinrent se placer face à chaque invité. À l'allure de plateaux garnis, ceux-ci lévitaient tout en présentant différentes variétés de prachines. C'était des entrées très populaires chez les alosiens. Une simple pâte visqueuse qui pouvait être salée ou sucrée, acide ou amère selon les ingrédients de la recette. De forme arrondie sur le dessus, la pâte baignait dans un liquide versé dans une assiette creuse.

Sa réalisation différait selon les occasions et les goûts de chacun, mais le prachine était reconnaissable de tous malgré ses différentes couleurs et formes. Les cuisiniers et les hôtes, qui en avaient les moyens, étaient souvent prêts à payer une petite fortune pour cette entrée. Ainsi, chacun pouvait créer sa propre recette avec des ingrédients plus ou moins rares.

À cette pâte, originellement faite de fruits broyés et d'épaississant, on y ajoutait un liquide à l'aspect parfois collant. La recette originale comportait deux variantes très connues. Une aux fruits de la forêt dans son liquide sucré transparent, semblable à du miel, et une autre faite de viande de ghastbrume, baignant dans le sang de l'animal. Malgré l'aspect peu ragoutant de cette dernière recette, les personnes fortunées savaient l'apprécier. Il suffisait d'y ajouter quelques épices et de diluer le sang dans un peu d'eau ou un autre liquide pour en obtenir un mets exquis particulièrement onéreux.

Ainsi, sous les yeux de la terrienne se trouvaient plusieurs assiettes creuses contenant divers prachines de couleurs et de formes variées. L'un d'entre eux différait des autres, puisqu'il était servi dans une assiette aux couleurs royales, d'un bleu sombre si caractéristique.

« Cirus, quelle est la différence entre ce plat et les autres ? » lui demanda-t-elle en pointant les mets concernés.

Elle ne reçut point de réponse. Quand elle leva la tête vers son camarade, il observait un groupe de gens, une pointe d'amertume dans le regard.

« Lors d'occasions comme celles-ci, lui répondit Brithellia, le prachine aux ingrédients les plus précieux ou celui dont c'est la spécialité de la maison, est mis en valeur par son assiette qui se distingue des autres. Celui-ci est pour le coup, un prachine fait de ghastbrume. »

Mélia la remercia avant de contempler à nouveau le plat. La couleur brune de la pâte et le liquide rosé ne trompait personne. Une odeur d'épice arriva jusqu'à ses narines. Une version salée que la demoiselle esquiva pour se rabattre sur les variantes plus colorées.

Elle fut agréablement surprise par les goûts fruités très prononcés, qu'elle reconnaissait parfois comme des produits de la Terre. Certains liquides gluants lui collaient affreusement au palais, tandis que d'autres abreuvaient sa soif.

Chaque invité se servait des assiettes qui l'intéressaient et parfois sollicitait les serviteurs pour obtenir à nouveau un plat qu'ils avaient bien apprécié.

Une fois ce début de repas terminé, le plateau était renvoyé par le convive lui-même. Pour cela il fallait dire quelques mots magiques, ce qu'était bien incapable les deux demoiselles qui accompagnaient Cirus.

Mélia lui avait jeté un regard inquiet, il avait à peine entamé l'un des prachines, pourtant il renvoya sa palette. Quand il aperçut son air préoccupé, il n'en comprit pas la raison, pensant à tort qu'elle se sentait démunie face au renvoi de son repas.

Ainsi, il susurra quelques mots entre ses lèvres, permettant alors à son plateau de voler à son tour. Il en fit de même pour Brithellia, après qu'elle le lui ait demandé.

La fête put reprendre son cours et les danseurs firent à nouveau place sur la scène centrale.

« Vous devriez aller danser, proposa Brithellia, sous un sourire malicieux. C'est ainsi que les couples se forment, après tout. »

Mélia rougi avant de lui répondre :

« Je ne suis pas très douée pour ça.

– Moi non plus », rajouta Cirus, le regard tourné à nouveau vers les étranges invités.

Ses compagnes d'aventures regardèrent instinctivement, pour y apercevoir deux grands hommes. L'un d'eux dénotait légèrement du reste de la foule. Ses habits étaient de couleur terne. Il portait un long manteau marron par-dessus une tenue soignée, mais sombre. Ses cheveux bruns mi-longs étaient disposés en bataille, retombant sans aucune grâce sur ses épaules.

Quant à l'autre, il était tout l'opposé. Il portait une tenue élaborée de couleur bleu nuit. Quelques accessoires comme des chaînes pendaient de son pantalon et de son tailleur dont les boutons étaient de petites œuvres d'art à part entière. Sa chevelure était par ailleurs d'un blond grisonnant, retenue dans une longue queue de cheval.

Le premier, à la quarantaine, portait un visage couvert de cicatrice, ce qui accentuait la dureté de son caractère, déjà bien visible par son expression sévère habituelle. Le deuxième quant à lui, une dizaine d'années plus jeune, portait un visage soigné et attrayant qui pouvait charmer bien des personnes.

« Qui sont-ils ? demanda la mercenaire intriguée.

– L'homme habillé en bleu est Colem Duara, expliqua Cirus, c'est le Capitaine de la garde alosienne et l'un des chevaliers les plus importants d'Alos. Il est en charge des différents gardes que l'on trouve dans nos villes pour la sécurité du peuple, mais également des gardes royaux qui se trouvent donc au palais. Malgré son jeune âge, il est déjà reconnu par ses paires comme un des meilleurs combattant de la couronne. C'est en partie grâce à sa particularité très effrayante en combat. Il peut invoquer des ombres, capables de se battre à ses côtés comme une armée à part entière.

– Incroyable ! s'exclama Brithellia. Ce n'est pas souvent que l'on peut avoir affaire à des personnes aussi importantes. Et l'homme au grand manteau avec qui il parle, c'est qui ?

– Tu n'as jamais entendu parler de lui ? » s'étonna l'aligne-reflets en se tournant vers elle.

Elle secoua la tête en négation, ce qui le fit poursuivre :

« C'est Ither Resitem, le Capitaine des soldats d'expéditions et de l'armée terrestre. Il est le chevalier le plus connu et apprécié de tout le pays, malgré une éthique peu approuvable. C'est un modèle pour beaucoup et une figure d'autorité qui lui donne l'image d'un héros. Après tout, il a vaincu bien des ennemis et contribué à bien des victoires. Il voue cependant un dégout non dissimulé pour tous les combattants et mercenaires qui n'auraient pas suivi d'entraînements officiels, suggérant ainsi qu'ils sont plus incapables que les autres.

– Maintenant que tu le dis, ça me dit quelque chose ! s'enthousiasma-t-elle. Je crois bien avoir entendu son nom à plusieurs reprises. C'est un adversaire que j'aimerais vraiment affronter. »

Cirus sourit à cette idée, avant que la dronienne ne change de sujet :

« J'ai une petite soif, si vous voulez bien m'excuser, je vais aller voir un serviteur. »

À ces mots elle s'en alla le sourire aux lèvres.

« Est-ce que ça va ? » s'inquiéta Mélia.

Sa question le surprit.

« Tu n'es pas obligé de me raconter, renchérit-elle, mais j'ai l'impression que quelque chose te préoccupe depuis le début du repas. »

Il avala sa salive avant de se racler la gorge et parler :

« Ce n'est rien, ne t'inquiète pas. Et si nous allions nous poser un instant sur les assises à l'étage ? » proposa-t-il.

Elle accepta et le suivi là-haut, montant les marches de l'escalier tout en évitant de percuter les invités aux tenues imposantes.

Ils parvinrent à trouver un endroit calme, éloigné des musiciens. À peine assis, une nouvelle palette contenant cette fois diverses victuailles se dressa devant eux. Les plats étaient tous différents et les odeurs qui s'en échappaient attisaient avec curiosité les papilles de la terrienne. Il y avait quelques soupes et quelques bols de mélanges de légumes, viandes et poissons. Des assortiments de gâteaux secs et autres spécialités végétales et animales accompagnaient les différents plats.

Tout cela semblait bien copieux et assez juteux pour satisfaire la soif des invités. Sur le plateau, il ne manquait pas pour autant quelques boissons hallucinogènes que Mélia eut du mal à avaler. À petite dose, les effets s'évadaient rapidement. La sensation de voler et l'enthousiasme qu'apportaient ces cocktails étaient vite addictifs.

Peu habituée, la demoiselle avait déjà la tête qui tournait face à ce trop-plein d'illusion. Des boissons fumantes dressées dans de longs verres qu'elle devait boire avec modération. Elle entama quelques assiettes de légumes juteux et autres produits rassasiants.

D'en bas, la jeune femme put apercevoir Talbery, la fiancée de Lothes. Cette femme douce et magnifique semblait bien charmer des hommes. Accompagnée par de nombreux d'entre eux, elle rougissait à leurs côtés. Mélia put par ailleurs apercevoir son fiancé, témoin du spectacle. Elle ressentit alors une pointe de tristesse sous le regard ténébreux du vassal.

Il n'eut cependant pas le temps de sombrer, qu'une jeune femme animée par une vivacité sans précédent le rejoignit. Cette dernière n'était autre que Brithellia, le sourire charmeur, sans doute sous l'emprise des boissons hallucinogènes. Elle était parvenue à lui décrocher un rapide sourire, alors qu'elle lui débitait ses histoires de mercenaire.

Mélia dévia son regard pour l'amener à nouveau vers Cirus. Celui-ci était légèrement penché vers l'avant, accoudé sur ses jambes, le menton soutenu par son poing et le regard fixé dans le vide.

« Est-ce que ça va ? » insista-t-elle.

À nouveau stupéfait, il tourna vers elle ses pupilles ébène, avant de répondre tout en se redressant :

« Je suis navré, quelques broutilles qui n'arrivent pas à sortir de mon esprit. Et toi, d'ailleurs ? Je ne t'ai même pas demandé si tu allais mieux ?

– Je vais bien, merci. Il y a tellement de choses à voir, à goûter et à écouter que je n'ai pas le temps d'y penser. »

Elle termina sous un sourire chaleureux, alors qu'il ravala difficilement sa salive. Replongeant son regard vers l'avant, il se décida :

« Cet homme, Ither, était un modèle pour moi. Je connaissais bien son manque d'éthique, mais cela faisait de lui un homme redouté par ses ennemis. »

Il marqua une pause avant de reprendre :

« De temps en temps, il organise un tournoi officiel pour ainsi proposer à la population une chance d'intégrer les rangs des soldats ou dans le meilleur des cas d'intégrer l'escouade d'expédition. Lors de ces tournois, des épreuves en tout genre sont proposées dans des pièces d'illusions et ceux qui parviennent à résoudre ces différentes situations, peuvent ensuite passer à une dernière étape. Un face-à-face avec les juges, dont Ither, afin de voir la motivation et le caractère du candidat. »

Il s'arrêta un instant, comme s'il cherchait ses mots. Mélia l'écoutait sans l'interrompre.

« J'ai participé à l'un de ses tournois, après qu'un ami à moi, Adrico, m'ait convaincu de le rejoindre à l'escouade d'expédition. J'ai réussi toutes les épreuves, bien que certaines furent plus difficiles que d'autres. Je m'imaginais déjà apprendre des plus grands et fortifier mes compétences aux côtés de mon ami. Je me voyais enfin sortir de ce statut de paria et devenir quelqu'un qui rendrait fier mon frère. Pourtant, lors de l'audience auprès des juges, on me refusa sous prétexte que j'étais un mercenaire et que j'avais acquis de mauvais automatismes, qui ne pourraient en aucun cas être changés. »

La demoiselle posa sa main sur le cœur, compatissante. Dans les yeux de Cirus se reflétait de la déception amère, mais cette expression s'évapora rapidement lorsqu'il porta à nouveau son regard vers elle, accompagné d'un léger sourire.

« J'avais peut-être tous ces défauts, poursuivit-il, mais je sais que la réelle raison de ce refus est liée à ma particularité en tant qu'aligne-reflets. Ither n'avait aucune envie de faire entrer dans son équipe quelqu'un comme moi. Adrico était lui aussi un ancien mercenaire et pourtant il était parvenu à passer l'audience sans soucis. En réalité, je peux le comprendre, il ne souhaite pas que son escouade soit entachée par l'image qui me poursuit. Malgré tout, cette aventure me laissa un sentiment... lamentable. Il avait pris plaisir à m'humilié face à tous ces spectateurs, se moquant de mes piètres compétences et médisant ma personne sous l'hilarité générale. Alos a beau être un pays merveilleux, l'hypocrise et la mise en scène sont deux faces cachées de cette population. »

Il expira avant de reprendre ses esprits.

« Peu importe, c'est du passé maintenant, termina-t-il.

– Exactement, sourit-elle. Et puis, si tu avais été acceptée, alors peut-être que tu n'aurais pas été embauché par le prince et par ailleurs nous ne nous serions jamais rencontrés. »

Il laissa échapper un sourire sincère. Le destin savait toujours se dessiner pour offrir bien des surprises et des secrets à découvrir.


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