Chapitre 11

« C'est la première fois que tu es amené à faire une mission pareille ? demanda Mélia.

‒ Pour le Prince, oui. »

Le druin broutait l'herbe aux alentours avec paresse. Cirus s'était assis sur le sol vert, rejoint peu après par la jeune femme. Il continua :

« Je ne travaille que récemment pour Dicca, et mis à part récolter des informations provenant de la Terre, il n'a jamais fait appel à moi pour autre chose. Avant ça, cela dit, j'étais mercenaire. Je rendais service contre quelques sous. Certaines missions pouvaient s'apparenter à celle-ci, bien que je restais le plus souvent sur Alos. »

Le vent soufflait légèrement, faisant bruisser les feuilles des arbres de la forêt Kiola.

« Tu sais, reprit le jeune homme, je suis arrivé sur Terre par hasard, lors d'un contrat en tant que mercenaire. J'avais été embauché par un marchand ambulant, qui se faisait constamment arrêter par des bandits entre Jalos et Carat. Ces derniers lui demandait toujours de payer pour passer, et il ne pouvait se permettre de contourner. Il a donc fait appel à moi pour s'en débarrasser. Les choses ne se sont pas si bien passées, alors j'ai du fuir. Et quoi de mieux que de quitter mon monde vers un autre, le temps qu'ils m'oublient. »

Elle sourit.

« Ça devait être bien stressant comme travail tout de même, dit-elle, les yeux tournés vers le ciel.

‒ C'est vrai. Pourtant cette vie me plaisait bien. Tout était incertain, mais je pouvais gérer les choses sans contraintes. Enfin, je ne m'en plaint pas. Travailler aux côtés du Prince est une chance incroyable.

‒ Et c'est courant les mercenaires à Alos ?

‒ Plutôt oui. Après, ils n'ont pas tous la possibilité d'en vivre. Il faut savoir trouver les bons contrats, et être plutôt efficace.

‒ Vous pouvez vraiment être amené à tout faire ? Je veux dire, si tout le monde commence à mettre de l'argent sur la tête des autres, ça peut vite devenir l'anarchie, non ?

‒ Non, parce que c'est réglementé. En fait, en tant que mercenaire, tu dois t'inscrire dans le registre royal, et ensuite tu as accès à des bureaux spécifiques. Il y en a partout sur Alos. Tu peux y consulter les annonces et les offres. Ensuite, tu choisis les contrats qui t'intéressent et le bureau te fait rencontrer le client si nécessaire. Tout reste néanmoins contrôlé par la famille royale. C'est elle qui décide si les requêtes des clients sont acceptés et si les prix proposés sont décents. »

Un vent froid sembla provenir de l'antre de la forêt. La jeune femme y braqua son regard. Un frisson parcourus tout son corps. C'était comme si elle était épiée au milieu des feuilles.

« Avant de reprendre la route, je dois t'expliquer certaines choses sur le fonctionnement de notre monde, lui indiqua Cirus.

‒ Je t'écoutes.

‒ Il faut que tu saches que chaque pays est gouverné par une famille royale, elle-même soumise à un Dieu ou une Déesse. Donc tu ne dois pas t'étonner lorsque l'on viendrait à en parler pendant le voyage avec les praeliens. »

Elle acquiesça.

« Les Dieux ont un nom composée de leur pays et du suffixe « ni » qui signifie sacré, en ancien langage. Donc Alosni, aussi appelé le Dieu de la sorcellerie, est le Dieu d'Alos, et Praelni ou Dieu maudit est celui de Prael. Chaque famille royale a un Roi ou une Reine à la tête du pays, qui est désigné comme correspondant royal. Celui-ci est le seul autorisé à communiquer avec le Dieu ou la Déesse de son pays. Dans notre cas, Llana est notre Reine suprême, et c'est son fils Dicca qui sera héritier du pouvoir et de ce rôle, lorsqu'elle n'en sera plus capable.

Il appela le druin, qui vint à lui à toute vitesse, puis reprit :

« J'en viens donc à la mission qui nous a été confiée par le prince Morgareth de Prael. Le Dieu maudit aurait averti le Roi Hildur, à propos d'un alignement futur des reflets. Cet alignement entraînerait l'ouverture d'une porte unique entre tous les mondes. Ce n'est pas quelque chose de dangereux en soit, bien que cela force tous les alignes-reflets à préparer des clés s'ils ne veulent pas perdre les chemins vers les mondes qu'ils avaient liés. Cette fois, cependant, quelqu'un pourrait bien s'en servir pour mettre le chaos sur Edhira. Et, un tel présage des Dieux, n'est jamais à prendre à la légère. Malheureusement, nous ne savons pas à quel point cela pourrait avoir un impacte sur notre monde. Et comme Praelni ne répond plus, nous n'avons pas d'autres choix que de nous renseigner auprès des reflets. C'est pour cela que Dicca a fait appel à moi.

‒ Je vois, donc ton objectif est de parler avec les reflets pour savoir s'ils peuvent te donner plus d'infos à ce sujet ?

‒ C'est exactement ça. On fera donc le voyage avec le Prince praelien, une traductrice et une mercenaire. Mais, pour cela il faudra d'abord arriver à Parsia pour prendre le bateau royal. Prael se trouvant dans un autre continent, le voyage sera plutôt long et fatiguant.

‒ Vraiment ? s'étouffa-t-elle.

‒ Oui, j'espère que ça ne te pose pas trop de soucis. Mais, si tu ne veux plus venir, je peux encore te ramener. Après ce sera trop tard.

‒ Non non, ça ira. »

Elle sentit son visage rougir sous la chaleur soudaine. Elle avait une peur bleue des transports maritime, et rien que d'y penser la rendait malade.

« Allons-y à pied, lança Cirus. Le druin nous suivra.

Dès qu'ils entrèrent dans la forêt, l'ambiance aux alentours se changea. L'air semblait plus lourd, et moins respirable. La lumière peinait légèrement à traverser les feuillages étrangement rouges des arbres.

« Ne t'éloignes pas de moi », avisa le jeune homme.

Mélia opina du chef, le suivant à la trace. Le silence n'existait pas ici. Des bruits d'animaux s'échappaient parfois, ressemblant à des cris. Elle pouvait entendre également des gens chuchoter, alors que personne ne se trouvait à leurs côtés. Soudain, après avoir traversé un embranchement d'arbres, la zone se changea. Des vasques boueuses de couleur bronze, coulèrent des feuilles. Le sol en fut rapidement recouvert, et toute la matière en contact avec, se changea en cette même substance. Mélia fut subitement bloquée, incapable de bouger. Ses pieds s'embourbaient dans la matière, alors qu'une coulée de la substance lui tombait sur la tête. Elle en fut rapidement recouverte, et cru suffoquer. Où était Cirus ? Impossible de crier. Elle se sentait déjà mourir. Le noir envahissait sa vue. Il ne restait que quelques minutes avant qu'elle ne manque d'air.

Elle entendit une voix pénétrer dans sa tête.

« Mélia, restes avec moi. »

Elle écarquilla les yeux. Toujours enfoui dans la marre visqueuse, elle ne pouvait rien percevoir. Elle sentit alors une chaleur soudaine sur son bras. Quelqu'un lui parlait à nouveau.

« Continue d'avancer, tout n'est qu'illusion. »

C'était la voix de Cirus. Et comme portée par celle-ci, Mélia commença à avancer. Elle ne perçut aucun obstacle dans sa marche. Aucune difficulté, malgré la mélasse dans laquelle elle s'était embourbée.

« C'est bien, continue ainsi. »

Et alors qu'elle avançait dans le noir complet, la chaleur sur son bras toujours présente, elle commença à se dépêtrer de la vase tenace. Il lui fallut quelques temps et quelques pas plus tard, avant que la lumière ne revienne. Elle se retrouvait à présent de nouveau dans la forêt, et son atmosphère auparavant pesante, le lui sembla beaucoup moins à présent. Cirus lui tenait le bras, le regard face à lui et l'allure constante. Elle s'était coordonnée à lui. Son apparence était aussi propre qu'au départ, comme si elle n'avait jamais été touchée par la mélasse visqueuse. Tout n'avait été qu'illusion.

Cirus s'était retourné, et une fois qu'il eut croisé son regard, il comprit qu'elle en était sortie. Il lâcha son emprise et lui dit :

« Je suis désolé, j'aurais dû te prévenir de la poussière hallucinogène qui traîne par ici.»

Elle déglutit, comme l'impression d'être à peine sortit d'un mauvais rêve.

« Il faut continuer à avancer, malgré ce que tu vois, et garder l'esprit lucide.

‒ A quoi... bredouilla-t-elle... cela est due ?

‒ C'est à cause de la consommation de cendre assez importante dans ces lieux, mais également des magies interdites qui sont pratiquées ici. Quand les restes des cendres rentrent en contact avec les débris magiques, cela multiplie leurs effets hallucinogènes. C'est en partie la raison pour laquelle vaut mieux traverser à pied. »

Elle retrouvait petit à petit tous ses esprits. Cirus reprit sa marche et elle le suivit sans attendre. Encore vaseuse, elle se sentait à peine sortie de son état d'ivresse.

« Regardez qui voilà... » susurra une voix, semblant venir du tréfonds des ténèbres.

Ils s'arrêtèrent pour faire face à un homme recroquevillé sur lui-même. Il portait sur son dos avachi une longue cape déchirée. Ses cheveux étaient absents, son nez aquilin ne défigurait que plus son visage crevassé. De ses bras, il entourait un grand sac, dont la lourdeur semblait la cause de la courbe de son dos.

« Nous ne sommes pas intéressé, merci », lança Cirus.

Le jeune homme empoigna à nouveau Mélia et accéléra sa marche. L'homme les poursuivit, faisant traîner son sac sur le sol.

« Juste regarder... grommela l'individu. Peut-être que quelque chose...

‒ Nous n'avons pas le temps », coupa Cirus.

A ces mots, les pas derrière eux s'arrêtèrent. Mélia regarda par dessus son épaule et l'homme avait déjà disparu.

« Qui était-ce ? demanda-t-elle intriguée.

‒ Un marchand peu conventionnel. Ne nous arrêtons pas. »

L'aligne-reflets était pressé, mais la jeune femme parvenait à le suivre. La forêt était impressionnante, et les voix qui chuchotaient étaient continuelles, effrayantes.

« Pourquoi des marchands se trouvent là ? demanda-t-elle, crédule. Ce n'est pas le meilleur endroit pour trouver des clients.

‒ Ils cherchent des clients bien particulier.

‒ Quel genre ? »

Cirus s'arrêta net, la forçant à faire de même. Il se retourna pour lui faire face. Elle venait à se demander si elle n'avait pas dit quelque chose de mal.

« La curiosité n'est pas toujours une bonne chose, dit-il. Surtout si tu veux passer inaperçue. »

Un sourire amusé se dessina sur son visage. Elle sourit à son tour et lui dit :

« C'est vrai. C'est pourquoi je profite que l'on soit seul pour te poser toutes sortes de questions. »

Il rigola.

« Bien, alors saches que ces marchands ne demandent pas d'argent.

‒ Et que demandent-ils ? »

Il s'approcha d'elle, puis lui chuchota :

« Une âme. »

Elle déglutit. 

Qu'allaient-ils rencontrer d'autre, au milieu de ces bois ?


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