Chapitre 4
La vision s'arrêta net et les deux femmes retrouvèrent leurs esprits, devant le regard exaspéré du gouverneur.
— Et bien vieille folle, qu'as donc-tu vu cette fois-ci ? lança-t-il moqueur à sa femme.
— Shen-Kaefra a raison. La terre se meurt. Un grand cataclysme se prépare.
— Oui, ba, il y en a toujours une pour prévoir la fin du monde. Assez de sornettes, je dois aller préparer le conseil du solstice.
Le gouverneur prit sa casquette, son bâton de berger d'Édesse, et sortit tranquillement.
— Il ne nous croit pas ! déplora Shen-Kaefra.
— Non, mais cela viendra. D'ici peu, tous te croiront, la rassura-t-elle en lui effleurant la joue. La coléine a sur toi un effet très révélateur !
— La coléine ?
— Cette sève que je t'ai donnée. Elle vient de l'arbre que tu as vu. Je peux t'y emmener.
— Quel était cet animal que nous avons croisé ?
— Je ne sais pas. Je ne pense pas qu'il existe. En tout cas je ne l'avais jamais aperçu.
Awa lui tendit une tasse de lait chaud cette fois, une miche de pain et continua :
— Par les belles soirées d'été autour du feu, mon grand-père me racontait que sous les arbres coulait la vérité et que de nouvelles espèces viendraient peupler la terre pour mieux l'aider à survivre. Cette sève, c'est elle qui nous donne nos visions. Si l'on veut avoir des réponses, il te faut aller au grand séquoia. Tu sembles avoir une sensibilité particulière à la sève blanche.
Awa lui indiqua comment se rendre à l'arbre. Shen-Kaefra connaissait bien l'île, mais jamais elle n'avait vu ce séquoia à la branche recourbée. Elle s'en serait souvenue. Quand elle parvint devant le grand tronc rouge à la branche en ellipse, elle remarqua de suite le filet blanc visqueux qui s'écoulait de l'écorce jusqu'aux racines. Il se dégageait de la substance un parfum âcre très fort qu'elle reconnaissait maintenant. Elle prit son outre et la plaça au sol de manière à ce que la sève tombe dans le récipient, puis partit se promener aux alentours pour laisser le temps à la gourde de se remplir. Son cauchemar encore présent, elle prit le temps d'apprécier la forêt luxuriante qu'elle connaissait bien. Elle adorait contempler son vert émeraude et passait des heures à reconnaître chaque plante, chaque espèce. En outre, elle appréciait l'ombre offerte par la voûte forestière et trouvait un peu de répit face à la chaleur moite qui régnait au village. À ses pieds, elle reconnut des asclépiades fuchsia. Un peu plus loin, son regard se posa sur quelques bégonias chatoyants qui avaient trouvé leur place au travers des quelques rayons de soleil qui étaient parvenus à traverser l'épaisse voûte de feuilles. Puis, elle ramassa des têtes de violons dans son tablier en vue du repas du soir. Elle continuait de cueillir les jeunes pousses de fougères lorsqu'un petit cri étouffé attira son attention. À sa droite, ce même animal qu'elle venait de voir en présage se trouvait devant elle. La tête et les pattes d'une biche, le pelage et les griffes d'un koala. Ses yeux ronds ressemblaient à ceux du paresseux. Jamais elle n'avait vu cette créature sur l'île auparavant. Elle voulut s'approcher, mais l'animal, apeuré s'enfuit. Comment était-ce possible qu'une nouvelle espèce soit sur l'île ? Même Awa n'avait pu reconnaître l'animal. Elle resta dubitative quelques instants puis son attention fut détournée par le cri d'un oiseau. Elle leva la tête en espérant trouver son bruyant animal, mais finalement s'arrêta sur un papillon bleu frétillant. Tant que les papillons étaient là, la terre ne risquait rien, se dit-elle. Ses yeux se déplacèrent vers le lieu où elle avait aperçu la curieuse créature à moitié biche à moitié koala, puis se portèrent sur un long morceau de bois blanc. Elle se rapprocha et ramassa le curieux bâton. Comment du bois de bouleau pouvait-il se trouver sur l'île alors que l'essence n'y existait pas ? Elle ramassa le bâton. Grand d'une hauteur de quatre pieds, l'objet était entièrement creux et relativement léger. Séduite par son manche presque droit, elle le ramassa en se disant qu'il remplacerait le bâton de berger en chêne brun qu'elle utilisait pour l'apprentissage du combat, comme le faisaient tous les villageois de l'île. Puis elle revint au grand séquoia récupérer son outre bien remplie.Heureuse de sa cueillette, elle remonta vers Loth-Jar muni de son bâton blanc et de sa coléine et s'empressa d'aller raconter le tout à Awa.
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