Chapitre XLII - Un jour son prince arriva

Victor sortit de l'hôpital le cœur léger. Les médecins avaient été formels ; Noa survivrait. La nouvelle annoncée alors qu'il lui rendait visite leur avait arraché un sourire à tous les deux. Un instant, il avait hésité à pleurer, puis il s'était souvenu qu'il ne pleurerait pas pour son amie. Il avait promis. Elle, elle n'avait pas su résister. A chaque larme qui avait débordé de ses yeux écarquillés, des bouts de mort partaient. Elle avait arrêté d'y croire. La rémission n'était qu'un vaste mensonge, une arnaque empestant l'espoir, et elle n'avalait plus les doses d'espoir prescrites. Ce devait être l'effet « Eden », persuadé, comme elle, qu'elle les quitterait. Il ne comptait pas les coups de coude qu'Elias avait assénés à son amant, à chaque phrase déplacée qui rappelait que dans la chambre d'hôpital, une vie grapillait des minutes pour subsister.

Des frissons de soulagement hérissaient sa peau. Les parents de Noa avaient rendu visite à leur fille de vingt-neuf ans, combattante écorchée par la maladie. Victor les avait laissés à leurs échanges au ravissement contenu. Les mains dans les poches, un casque sur les oreilles, une cigarette entre les lèvres, il flânait dans la rue à la recherche de son vélo garé il ne savait plus où. Le nœud dans ses entrailles s'était dénoué. Il aurait le temps de remercier son amie, il ne se pressait pas. Sa barque se stabilisait. Il distinguait, au loin, le phare qu'elle entretenait de toutes ses forces.

Dans sa poche, soudain, son téléphone vibra. Il l'en extirpa. Le nom de Liam s'y détachait. L'embarcation frémit. Il visualisa la lumière triomphante de Noa, se remémora la phrase qu'elle avait assénée, cruelle vérité, tu n'as pas assez changé pour arrêter de l'aimer. Il n'avait pas changé du tout. Il n'avait qu'appris à refouler un peu plus profondément ce qui l'avait blessé. Son doigt hésitant cliqua sur le bouton vert sur l'écran. La sonnerie ne retentit plus.

« Allo ? »

La voix chaude de Liam parla à l'autre bout du fil. Tu as appris pour Noa ? ponctuée d'un éclat de rire. Il acquiesça. Il enfonçait ses ongles rongés dans son poignet. Immobile au milieu du trottoir, il s'aperçut que ses jambes refusaient d'avancer. Comme avant. Comme quand c'était lui qui appuyait sur le bouton d'appel, le corps frémissant, effrayé par son père engoncé dans le canapé, entouré de ses packs de bières. Comme quand il fuyait l'appartement, abandonnait sa mère aux cris et aux coups, à la recherche du réconfort d'un ami qui ne savait rien. Comme quand il priait pour qu'il découvrît la vérité effacée sous les silences, qu'il lui imposât de se confier, de se défaire du poids qui l'ensevelissait. Comme quand lui était princesse et que Liam jetait la couronne à ses pieds.

Il avait suffi de simples retrouvailles au mois de mars pour que la Peur dont il s'était affranchi resurgît, reprît ses droits, souveraine qu'un suicide manqué ne tuait pas. On n'exterminait pas les spectres et elle le hantait à nouveau depuis cinq mois.

« Eh, Vic', ça va ? » dit Liam dans le téléphone.

Il n'osa pas dire que non, ça n'allait pas. Oui oui, façade fallacieuse. Il ne bougeait toujours pas.

« Je sais que tu mens. Où es-tu ? »

C'est la vérité, qu'est-ce que tu racontes ? mentir, mentir, mentir. Plus aisé que de changer. Plus aisé, aussi, que de tourner la page pour de bon. Les chapitres suivants de son histoire restaient collés. Ils le bloquaient dans son présent effrayant où papa n'était pas mort, où Cassandre hurlait depuis le ventre de la Terre, où les coups pleuvaient, le corps pleurait, les larmes s'amoncelaient sans s'échapper. Un monde sans phare-Noa, sans prince-Liam, sans espoir, sans secours, sans sortie, sans fin. Son monde quotidien.

« Tu es à l'hôpital ? Noa m'a dit que tu étais passé la voir. »

Peu importe, tout va bien. Pas de je, ça n'existait pas les je pour Victor. Il était impersonnel, coupé du monde, personnage secondaire de sa propre histoire. Le je était mort avant même de connaître la lumière. Son monde, c'était du noir, noir, noir. Son jour était sombre, sa nuit, permanente. Quitter la chambre de Noa revenait à plonger dans l'obscurité en pleine journée. Il s'accroupit sur le rebord du trottoir. Les cendres du tabac tombèrent sur le sol.

« Dis-moi où tu es, Victor. »

Tout seul, dirent ses lèvres. Toute seule, hurla son âme. Un courant d'air souffla sur son visage. Tu n'es pas là, murmura son cœur.

« Envoie-moi ta localisation. J'arrive. »

Ses doigts s'exécutèrent d'eux-mêmes. Un message, le premier qu'il envoyait depuis le soir à l'opéra. Liam raccrocha. J'arrive. Le mot brûlait ses tympans. Il ne bougea pas. Dans sa tête, il compta les secondes, une, deux, trois, pour faire taire la Peur qui grondait. Il ne la vaincrait jamais. Elle nichait depuis trop longtemps pour céder sa place. Un contrat les liait, clause d'exclusivité signée par la force. Elle détruisait l'espoir naissant. Le Prince Charmant n'arrivait jamais. Un jour son prince viendra, mais Victor n'en aurait pas. Son prince à lui se nommerait Terreur, fils d'Eff-Roi, il viendrait bien droit sur un cheval bleu et sa cape ne cacherait pas les affres qu'il entrainerait.

« Victor ? Je suis là. »

La voix de Liam traversa l'épais rideau de noirceur qui l'entourait. Sa silhouette en jean s'agenouilla devant lui. Il a changé. Victor leva la tête, les joues inondées. Liam esquissa un léger sourire, les lèvres incurvées avec douceur, et effleura la pommette du pouce. Dans son monde de ténèbres, la chaleur de sa peau consumait. Comme le phénix, Victor devrait s'incendier pour renaître bercé par la lumière.

« Pardonne-moi, je suis encore en retard. »

Tout ne va pas bien. Négation évincée par la Peur qui le dirigeait.

« Tu peux te lever ? »

Oui. Il pouvait flotter, en tout cas.

« Je te ramène chez toi. Viens. »

Il attrapa sa main. Victor frissonna. Il cherchait la cape rouge sur les épaules larges.

« Liam ? »

Il le retint.

« Je ne m'étais pas présenté, je crois, la dernière fois. »

Son interlocuteur haussa un sourcil.

« Je m'appelle Victor Davenport. Comme ma mère. »

Il lâcha la main qui le maintenait debout et tendit la sienne.

« Je veux bien repartir de zéro, s'il n'est pas trop tard. »

Liam sourit. Encore. Lui aussi entretenait la lumière du phare érigé par Noa. Un prince en retard demeurait un prince, nul besoin de cape, de cheval, de couronne. Il avait toujours été le prince attendu, il ne lui fallait qu'accepter la tâche assignée. Être ce que Victor ne parvenait pas à devenir.

Le je n'existait pas. Le jeune homme plongea les yeux en amande qu'il haïssait dans ceux bleutés baignés d'une surprise émerveillée. Il supplia la Peur de laisser naître un nous entre eux. Leur pluriel pour éliminer son impersonnel.

« Tu es sûr de toi, Victor ? Cette fois, je ne te laisserai pas fuir.

— Tu peux m'embrasser ? » fut la seule réponse.

Un baiserd'une infinie douceur brisa enfin le sortilège qui piégeait la belle princesse.Les miettes de son cœur se recollèrent sous sa poitrine. Il savoura, au contactdes lèvres humides, la sensation d'être enfin entier. Et Victor, petite âme malmenéepar la tempête rugissante qui s'acharnait sur sa pauvre barque toute seule aumilieu des flots, trouva ce Prince Charmant qu'il n'avait eu de cessed'attendre.

Petit chapitre qui se suffit amplement à lui-même. 

Qu'avez-vous pensé de l'arc qui entoure la relation Liam-Victor ? Et de son aboutissement ? J'ai offert à ce pauvre bonhomme secoué par la vie la fin heureuse qu'il méritait. En espérant qu'elle saura vous plaire. 

 Sentez-vous la fin qui pointe le bout de son nez ?Des suppositions quant au destin qui attend Eden et Elias ?

Prochain chapitre : « Chapitre XLIII —  La Vie est un jeu dont on sort toujours perdant »

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