Chapitre II - Le Temps débute avec la Vie
Jours et semaines se succédèrent, l'été céda sa place à l'automne, saison de l'éphémère et des feuilles mortes. Eden avait renoncé à trouver une quelconque occupation. Il se contentait de somnoler sans jamais s'endormir dans l'hôpital où son futur protégé devait naître. Tout en croquant dans une pomme, rouge et juteuse comme on n'en trouvait que sur Terre, il jeta un coup d'œil au dossier remis par Morgan. Il répertoriait la chronologie de son futur humain, de sa conception à son enterrement. Il devait voir le jour le quatorze novembre, perdre la vie le cinq décembre à quatre-vingt-neuf ans, connaître une existence simple.
Élias Norbert Dearlove s'appelait-il. Ce nom n'augurait rien de bon. L'enfant aurait forcément des parents envahissants qui le gâteraient trop, des cheveux filasse, des yeux prétentieux, un corps maigre, un regard dédaigneux. Il serait l'archétype du gamin exécrable. Dearlove, quel nom ! Pas même né que son protégé avait déjà une horrible destinée tracée devant lui. S'il avait été doté de la moindre empathie, Eden l'aurait certainement plaint. Mais dans son fabuleux attirail de qualités, la compassion ne semblait pas exister.
Il tourna quelques pages du dossier, chercha le numéro de la salle où naîtrait Élias. Il se dirigea vers l'accueil.
« Où trouve-t-on le service de maternité ? » dit-il à la femme derrière son ordinateur, en réprimant un bâillement.
Produire un effort physique pour ouvrir la bouche et s'abaisser au niveau bien trop bas des humains avait quelque chose d'épuisant.
Son interlocutrice lui indiqua une direction puis retourna à ses occupations, les lèvres pincées. Eden s'éloigna et s'évapora. Son corps mince disparut en quelques instants de la vision mortelle. Présence intemporelle. Là sans l'être, discernable et la minute suivante, envolé. L'Ange existe hors du monde.
Il dériva dans les longs couloirs blancs de l'hôpital. Ses pas résonnaient entre les murs dénudés. Il triturait le dossier. Cet enfant représentait son ultime chance, il devait réussir. Il s'immobilisa devant une porte bleue et sut instinctivement que son humain se trouvait juste derrière, encore en sécurité dans le ventre de sa mère. Il prit une inspiration, bloqua l'air avant qu'il ne ressortît par ses lèvres. En apnée, il déplaça un à un ses os, traversa avec lenteur le battant fermé. La douleur l'agressa. Piquante, l'éraflure du bois, sa griffure, sa morsure, la torture. Soulagement lorsqu'il atteignit la sortie. Libération. Un fragment de Temps ayant paru éternité s'acheva.
Il vit d'abord la femme allongée sur son lit médical, entourée de médecins et d'infirmières aux masques chirurgicaux, puis sur le bébé. Dès son premier contact avec l'air chargé de particules de sueur, il éclata en sanglots. Eden grimaça. La femme tenait l'enfant avec délicatesse, serrait avec force la main de son mari qui les couvait d'un œil attendri, et il y avait la larve bruyante. Pourtant, toute larve qu'elle fut, la petite créature sur la poitrine de sa mère lui arracha un mince sourire. En son for intérieur, l'ange déchu ne put s'empêcher de le trouver... mignon.
Le premier bébé qu'il voyait, braillard, rouge, minuscule, était à la fois repoussant et terriblement attendrissant.
Lorsqu'Elias tourna de grands yeux clairs emplis de larmes vers Eden au pied du lit, droit dans ses vêtements blancs, il se tut. Il le dévisagea, le visage soudain apaisé, et dévoila une bouche vide de dents.
« Ilan, regarde, il sourit déjà, dit sa mère avec tendresse.
— Bienvenue dans la famille, petit bonhomme . »
*
Quand Katherine Dearlove s'éveilla le lendemain, on lui apporta son fils. Le visage de la femme de vingt-huit ans exprimait une joie immense que rien ne semblait pouvoir altérer.
« Maman, j'veux voir le bébé ! »
Une fillette aux cheveux courts débarqua dans la chambre, accompagnée d'un soupir d'Eden, qui se délectait du paisible silence. Un garçon la suivait, moins démonstratif, les cheveux longs et le visage fin. Ilan ferma la porte derrière eux.
« Helia, Neven je vous présente ton petit frère, Elias.
— Pourquoi il a le même prénom que moi ? Et pourquoi il est pas tout moche, lui ? Les bébés, d'habitude, c'est trop pas beau ! »
Helia sautilla sans écouter la réponse de sa mère, ses boucles ondulant autour de son visage. Elle prit la main de son frère jumeau et s'approcha du lit de leur mère. Sans se détacher de sa sœur, Neven se hissa sur la pointe des pieds et jeta un coup d'œil furtif au bébé assoupi. Comme Helia l'avait dit, il s'agissait d'un beau bébé, d'autant plus beau qu'il était plus calme qu'un cadavre.
« Helia, Neven, laissez Maman se reposer, venez avec moi », leur dit Ilan avec un sourire à son épouse.
Eden observa les deux enfants partir sur les talons de leur père. Il lança un coup d'œil à Elias. Il dormait toujours, l'impertinent, et le condamnait à assister à son voyage au pays des songes, dont lui-même semblait banni. Avec un soupir agacé, il s'étira et s'avança vers la porte avant qu'elle ne fut close — il évitait autant que possible d'user de ses capacités angéliques. Il n'attendait que l'instant où il retrouverait sa solitude familière.
Au moment précis où il disparaissait dans le couloir, une sirène retentit. Le bébé paisiblement endormi, si sage depuis la veille et qui avait cessé de pleurer, s'éveilla. Katherine s'empressa de le bercer ; l'alarme de ce sale mioche résonnait au creux des tympans endoloris de l'ange, qui maudit de toute son âme ce foutu Dieu qui l'avait envoyé ici. Dans son excès de perfection, il n'avait rien fait pour mériter ça.
Il se boucha les oreilles et abandonna l'idée de se dégourdir les jambes. Il retourna au pied du lit, à même le sol. Lorsque le pleurnicheur l'aperçut, il se calma aussitôt. Un sourire se dessina sur son visage de poupon, un éclair de soulagement passa dans ses yeux et il se rendormit.
Eden lui adressa un regard haineux. Cette créature capricieuse semblait avoir décidé de lui mener la vie dure. Très bien. Jusqu'à sa mort, il n'oublierait pas ce jour ; il lui ferait payer les cris, plaintes, pleurs, et la restriction de sa liberté.
Elias Dearlove, second protagoniste de cette histoire, fait son apparition. Comme il est encore trop tôt pour vous demander votre avis sur ce personnage, je me rabats sur Eden. Voici la grande question : Que pensez-vous de cet ange bien peu Ange ?
Merci de votre lecture. N'hésitez pas à partager votre avis ou vos remarques en commentaires.
Prochain chapitre : « Chapitre III — L'enfant qui s'épanouissait, partie 1 »
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