Bonus II - Et si le Temps ne s'était pas arrêté... 2/2

Il tomba, dans une Chute précipitée par les fautes accumulées.

Eden errait sur la planète inhospitalière qu'Elias lui avait appris à apprécier. Il n'en distinguait plus la beauté qu'il lui dévoila autrefois. La nuit était tombée, lui ne cessait d'avancer, le cœur vide, seul. Il avait beau chercher, il ne décelait nulle trace des battements lents de l'organe bien-aimé.

Les étoiles étincelaient dans l'obscurité, anges bannis aux noms oubliés. Créatures divines ayant échoué à être nobles, dont le Jugement Dernier signa la perte. Les morts effacés d'une civilisation à la perfection revendiquée. Regarde les étoiles, Eden, dit un jour Elias, un crayon suspendu au-dessus d'un portrait. Comme il aurait aimé ne jamais les admirer, ces points luminescent qu'il devrait rejoindre à l'orée de sa fin, comme il aurait préféré se perdre un peu plus dans les étoiles des iris émeraudes, y plonger et ne plus en réchapper.

Il ne perçut pas la douleur dans ses omoplates lorsque ses ailes se déployèrent. Le creux béant laissé par l'absence de la vie qu'il côtoya vingt-huit années l'annihilait. À mesure qu'il s'élevait, il délaissait les émotions qui transcendaient son âme, la peine qui déformait son visage, les souvenirs qui dansaient devant ses yeux. Visage froid, regard fier, noblesse imposée, orgueil désiré. Et l'auréole brûlante sur le front blême.

La haute silhouette de Ladell, blonde Ange aux pupilles ciel, l'interrompit dans son Ascension longtemps attendue. Retour au Paradis dont il ne voulait plus.

« Pourquoi ? »

Sa voix neutre démantela le masque d'Eden. L'humanité lentement acquise perça le marbre qu'il revêtait. Pourquoi quoi ? Il la dévisagea en silence. Pourquoi pleurer ? Pourquoi aimer ? Pourquoi vivre ?

« Je ne sais pas, dit-il, alors qu'un frêle sourire effleurait ses lèvres.

— Tu savais que tu échouerais, dit sa semblable aux boucles claires. N'avais-tu pas peur de t'effondrer ?

— J'avais peur de cesser d'y croire. »

Croire en un amour qu'il ne connut jamais auparavant, qu'il ne connaîtrait jamais plus dans un Ciel aux émotions proscrites. Croire en la vie éternelle d'un homme né pour mourir, à ses côtés d'ange né pour sombrer. Croire, jusqu'à tout oublier.

« Je t'avais prévenu, dit Ladell avec douceur. Nul n'échappe à son destin. Lui, à l'instar de tous les Hommes, n'a fait qu'emprunter le chemin par notre Seigneur tracé.

— Je sais.

— Pourquoi pleures-tu, si tu sais si bien ?

— Parce qu'il n'est plus là. »

Une perle brillante se coinça dans ses cils sombres. D'autres l'y bousculèrent, elles se blottirent à la lisières de ses yeux. Il battit des paupières pour les réduire à de simples gouttes égarées dans l'air doux. Trop doux. Autour de lui, la Lune resplendissait avec ardeur, quand la pluie, elle, noyait son cœur.

« Il n'était pas éternel et ne le sera jamais. Cela aussi, tu aurais dû le savoir.

— J'avais le droit d'espérer.

— Et vois où cet espoir t'a mené. Où diable puis-je trouver celui que je connus autrefois ? Est-il mort, lui aussi, avec cet humain condamné par la Main Céleste ?

— Tu ne le trouveras pas, pas plus que je ne me trouve moi-même. »

Le vent autour d'eux se jouait des larmes, des ailes, de la peau dénudée. Il riait, hurlait, se moquait du masque fendu de l'être à la chevelure sombre agitée par les rafales. Les ailes ignoraient ses assauts répétés, les maintenaient tous deux loin au-dessus de la Terre, loin au-dessous du Ciel.

« Aurais-tu préféré vivre à son côté jusqu'à la fin ? dit Ladell d'un timbre creux car Ange. Enfin, Eden, nous savons tous deux qu'à l'instant où il aurait cessé d'être puissant, d'être jeune, d'être beau, le jour où il n'aurait plus possédé la force de satisfaire tes désirs, tu l'aurais délaissé, comme tu délaissas des centaines d'âmes autrefois.

— Tu mens. Elias n'est pas une âme.

— Il l'est devenu. »

Les deux Serviteurs de Dieu se contemplèrent en silence. Eden, ancien Archange au cœur blessé, s'efforçait de refouler au creux de sa poitrine les grondements du désespoir. Impardonnable faute, l'espoir, mort sournoise de l'esprit. Pêché d'humanité inexpiable auquel il pensa à tort réchapper. Emporté par le souffle du vent, par les vagues de la tristesse, par le relent des souvenirs, il ne laissait qu'une enveloppe vide d'âme.

L'Ange était mort de l'intérieur, sans désir de retrouver la vie.

« Sais-tu jusqu'où tu tomberas ? dit Ladell.

— Peu m'importe de tomber, aussi profond que cela soit, si je peux le revoir encore une fois. »

Il tomba. Et tandis qu'il s'élevait lentement, noyé dans son angélique grâce, il comprit qu'une partie de lui demeurerait là. Enfouie si profondément dans le sol qu'il finirait par l'oublier. Mais Eden naquit pour tomber, et jamais il ne saurait se relever.

Il tomba, et dans sa chute, sa gloire il précipita.

En espérant que cette fin alternative qui fait écho au prologue aura su vous plaire. À l'origine, j'avais prévu que le prologue relate la fin d'un point de vue strictement externe, et que l'épilogue apporte le point de vue interne d'Eden. Mais, finalement, le prologue n'était en fait que la fin attendue par le dossier, la fin imaginée par Eden, et une fin que l'épilogue s'est appliqué à invalider.

Prochain chapitre : « Entre mes jambes, je suis un garçon »

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