chapitre 1 : échauffement


Dans une vallée des Alpes, à la frontière Franco Suisse italienne :

En cette fin de matinée, le ciel vaporeux de cirrus se confond avec la neige sur les sommets.

A peine quelques nuages en fonds de vallée et les roches noires calcaires semblent rappeler que l'on est à plus de 3500 mètres. Cela laisse apparaître un silence indescriptible, le silence de là haut.

Celui que tous les montagnards cherchent secrètement lorsqu'ils viennent trouver la solitude et laisser l'agitation de la vallée en bas.

Il est si précieux, si profond. Seuls les deux jeunes chamois, s'amusant au loin sur les pentes raides du Grand Baou, à la frontière avec la Suisse Italienne, semblent troubler le silence des lieux.

A l'opposé d'eux, sur la pente ensoleillée, une corde violette glisse dans un mousqueton accroché à un piton. Un guide avec son client est en train de gravir le Mont Sarroc par la face Est. Un des quatre sommets, permettant de rejoindre la Suisse en évitant la route et le col de Bonval,  souvent fermée en hiver du fait de la neige et des congères.

— Regardez, dit le guide, en montrant les deux petits chamois partir dans une course poursuite impromptue, avant de disparaître dans la rocaille.

— C'est magique, dit le client, on doit escalader ça maintenant ? Demande t-il en montrant le rocher devant lui.

Un devers rocheux formant un arc dans le vide. La dernière étape avant le sommet.

Le guide confirme d'un signe de tête derrière ses lunettes de soleil, avant d'accrocher son client à la paroi. Il part en tête. En quelques minutes,  il atteint sans aucune difficulté le haut de l'arc rocheux.

— Allez y, empruntez bien mon itinéraire.

Après plusieurs minutes et une dernière chute, les voilà au sommet.

— Félicitation.

—Merci, ce que c'est beau...c'est la station qu'on voit là-bas ?

 —Oui, la station d'Arrangue et de ce coté la Suisse et en face de nous le Grand Baou.

Le Grand Baou est un sommet à 4135 mètres. Plus petit que le Mont-Blanc mais extrêmement technique. Il s'impose au fond de la vallée d'Auros, avec son frère jumeau le Mont Sarroc à l'ouest, à l'extrémité du domaine skiable d'Arrangue.

Une station située à 2000 mètres d'altitude, à cheval sur plusieurs vallons, qu'Alex connait bien. La route bétonnée du col se dessine. Elle s'arrête net au hameau de Kaïlios au-dessus. Le reste du col est inaccessible. Trop verglacé. D'ici on voit très bien deux routes forcées le relief, l'une mène à l'Italie l'autre à la Suisse, à travers les mélèzes et la roche. Et au Nord Est de ces deux monstres de granites et de glace, la zone préservée des lacs : le Lac d'Axel, le lac du Pas du Loup, et le lac du Bastant bien plus haut. Trois étendues d'eaux protégées pour leur faune et leur flore. Le paradis des chamois, des lynx, des érines et de l'étoile des glaciers.

— On peut le faire également ?

—Ah non!  Pas en cette saison.  On ne dirait pas comme ça, mais ça peut vite devenir un véritable enfer.

Le guide remonte les cordes avant d'interpeller le client qui immortalise sa réussite par plusieurs photos.

—On va redescendre Mr. J'aimerai éviter les nuages qui sont en train de monter.

—D'accord, on descend par là?

— Oui, le chemin de la Demoiselle. Comme à l'allée, vous maintenez la corde bien tendue.

—Ok. C'est ça qu'on appelle une Edelweiss ? demande le client tout en montrant une fleur émergeant de la neige et de la pierraille.

 —Oui, vous avez de la chance de la voir. C'est une fleur extrêmement rare... Allez allons y.

***

Quatre heures plus tard, alors qu'ils ont le soleil dans le dos, ils réapparaissent à la lisière de forêt, dans le nuage d'humidité par le réchauffement du soleil.

Il déclenche l'ouverture de sa voiture.

—Et voilà, dit le guide en enlevant la corde et le baudrier de son client.

— Merci pour tout.

—De rien, ce fut un plaisir... vous avez de la chance, c'était l'une des dernières fois de la saison pour faire cette course.

Après un dernier salut, il embarque dans sa voiture, Un 4x4 puissant gris foncé, pour redescendre au village d'Arrangue.

Un village de montagne traditionnel situé à 1800 mètres d'altitudes avec son église romane, sa place centrale avec sa fontaine en forme de sommet en  lames d'acier, son office du tourisme. Et ses commerces de premières nécessités : quatre hôtels, deux gites, cinq restaurants, une boulangerie, une boucherie,  deux magasins de location de matériels de montagne,  un institut de beauté, un bureau de tabac, une pharmacie, une gendarmerie, un supermarché, un petit cinéma de deux salles, un cabinet médical, ses ruelles et ses chalets aux toits d'ardoises.

***

Il est 17h15, lorsqu'il passe la porte aux vitres floutées du bureau des guides à coté de l'office du tourisme, sur la place centrale, en face de l'église.

—Pile à l'heure, dit la jeune femme brune derrière son comptoir.

Il sourit. Il est toujours extrêmement ponctuel. Un signe pour ses collègues et amis. Quand Alex est en retard par rapport à l'heure indiquée, c'est qu'il y a un problème.

Il dépose son matériel dans la petite pièce à l'arrière, qui sert de dépôt et  de vestiaire.

— Aller je file, j'ai le cours qui commence dans moins d'un quart d'heure. On se voit demain au QG.

—Ouais.

—A demain, Margaux, bonne soirée, dit-il en se dirigeant vers la sortie.

—Bonne soirée à toi, passe le bonjour à Marie.

—Yes ! dit-il en fermant la porte.

***

Il est 18h30, lorsqu'une voiture blanche, type SUV, se gare sur le parking de la salle d'escalade  "Le Caillou"  à l'entrée du village.

 Une jeune femme, habillée d'un simple jean avec des bottes fourrées, d'un haut de combinaison grise et d'une écharpe blanche, laissant ressortir sa peau halée, ses cheveux brun bouclés naturellement et ses yeux profondément noirs , en descend.

Elle regarde les autres voitures garées, une petite dizaine. Avec au fonds, derrière le bâtiment blanc de style hangar de plus d'une quinzaine de mètres de haut, bien à l'écart, dans la partie réservée à l'administration de la salle, la sienne.

Elle tire la porte et rentre dans la salle d'escalade, l'unique  des vallées aux alentours.

Elle appartient à Alex Norka, l'un des meilleurs grimpeurs du monde.

Une longue entrée, dessert à gauche deux portes :  la première, les toilettes, la  seconde les  vestiaires . Et à droite un long bar en métal sur lequel est raccroché diverses dégaines, rappelant l'ambition du lieu.

Avant d'arriver dans le lieu de grimpe. Un escalier métallique à gauche mène au premier étage qui est réservé aux débutants avec un bloc pour enfant et des petites voies d'escalades ne dépassant pas 8 mètres de haut.

A coté de l'escalier, se trouve le bloc pour adulte puis enfin l'ensemble des voies qui font au plus 15 mètres de dénivelé. Elles sont au total 36 réparties sur 18 cordées, classées dans le sens des aiguilles d'une montre, par ordre des difficultés, pour arriver au grand devers.

Elle s'avance jusqu'à la tireuse à bière du bar, où se trouve Hugo, un grand brun aux yeux noirs aux cheveux bouclés.  C'est l'autre gérant de la salle d'escalade.  Avec Alex, ils sont tous les trois amis d'enfance.

Il sourit en la voyant avant de l'interpeller.

—Salut Marie, dit-il.

—Eh salut, dit Marie en s'approchant du bar.

Il se penche sur le comptoir pour atteindre les joues de la jeune femme, plus petite que lui.

Il l'embrasse sur la joue avec sa barbe parfaitement taillée.

—Tu vas bien ? demande-t-il en la fixant de ses yeux noisettes.

—Oui et toi ?

— ça va. Comme un jeudi, rigole-t-il. Tu cherches ton homme ?

—Ouais, il est dispo ?

—Il finit son cours il ne va pas tarder, il est là.

Il lui montre du doigt, un homme  brun  comme l'ébène avec une barbe de cinq jours :  Alex.

Les jeunes grimpeurs viennent de loin pour avoir un cours avec lui. Il a grimpé partout dans n'importe quelles conditions .Mais c'est ici, en vallée d'Auros, qu'il a décidé de poser ses valises.

Mais pour Marie, c'est surtout l'homme le plus attentionné, galant et protecteur qu'elle connaisse.

Il faut dire qu'il a tout quitté pour elle. Par amour, il l'a rejoint dans son projet de reprendre ensemble la station de ski de leur enfance. Elle en tant que directrice, lui en tant que chef des pisteurs-secouriste, même s'il n'a pas pu arrêter sa première passion, l'escalade, en assurant la profession de guide à temps partiel.

Elle le regarde au loin. Il est bien là, en bas des voies moyennes de la salle.

Elle peut l'entendre au loin :

— Voilà vous pliez les cordes et on les mets dans les malles, dit Alex.

Elle l'observe, habillé d'un simple T-shirt noir et d'une veste sweatshirt de la même couleur, accompagnés d'un pantalon beige au multiples poches  et équipé d'un baudrier auquel est accroché un « HUIT », un descendeur manuel.

Elle finit par croiser son regard bleu persan.

Il la fixe tout en souriant. Avant de diriger l'index et le majeur de sa main droite qui viennent se poser sur sa montre sportive posée sur son poignet gauche. Il indique un 2 en formant un V avec ses deux doigts. Elle sourit et acquiesce, comprenant qu'il arrive dans deux minutes. Il lui envoie un baiser. Elle sourit et mime un baiser avec ses lèvres.

Elle s'installe sur la chaise haute devant le bar, laissant Alex terminer.

— Je te sers quelque chose ? demande Hugo.

—Euh un jus de pomme si tu as, répond-elle.

— Yes ! 

Le poste radio posé sur l'étagère derrière le bar, termine son flash info :

« une descente de police ce matin très tôt dans la cité des Lacustres a permis d'arrêter 15 personnes suspectées de trafic de drogue pour les placer en garde vue. Un coup dur pour les trafiquants. L'étau se resserre autour des barons de la drogue ».

Hugo récupère un verre et une petite bouteille de jus de pomme dans le frigo  derrière le bar. Sur les murs  sont punaisées sur une plaque de liège des photos d'Alex, d'Hugo, de copains grimpeurs, de séance de grimpes, de rappels, d'ascensions, des photos tendresses également d'elle et du maître des lieux.

Il tape  l'arrière de la bouteille pour faciliter l'ouverture.

—Tout est prêt pour Samedi ? demande-t-il tout en versant le jus dans le verre.

—Merci. Oui enfin j'espère qu'on a rien oublié.

Hugo sourit.

—On ouvre combien de pistes ?

— On va ouvrir une partie du secteur de Gauros, treize pistes: une noire, quatre rouges, cinq bleues et trois vertes.

— Et vous partez quand à la Grange ? demande Hugo tout en rangeant le bar.

— Demain répond-elle.

Deux minutes exactement viennent de s'écouler, et elle sent deux mains provenant de derrière qui viennent doucement se pose sur son ventre, et une tête se penche avant de se poser sur son épaule.

—Quoi demain ? interroge Alex.

Elle sursaute légèrement avant de le reconnaître. Elle ne l'avait pas vu approcher.

— Ah ! Tu m'as fais peur ! rigole-t-elle.

Il  la regarde de ses yeux bleus.

— Excuse-moi, répond Alex gêné.

Elle pose ses lèvres sur sa joue gauche sur sa barbe.

Il sourit, avant de l'embrasser tendrement sur la bouche.

— ça va mon amour ? chuchote Alex, au creux de son oreille.

—Oui et toi ?

— Ouais... Vous parliez de quoi ?

—Je lui demandais quand vous alliez vous enterrer là-haut, explique Hugo.

—Où là-haut ? demande Alex, ne comprenant pas.

— A la Grange, rajoute Marie.

—Ah !  sourit Alex, avant de poursuivre, ouais, demain direction 2400, dit -il en indiquant cela dans un signe de doigt vers le haut.

— Il y a que vous pour ça.  Passez l'hiver en pleine montagne à 2400, s'alarme Hugo.

— Au moins on est au calme et on évite tout le peuple qui va débarquer, rétorque Alex.

—Ce n'est pas faux sourit Hugo.

—Ta course s'est bien passée ? demande Marie à Alex.

— Ouais, j'ai galéré un peu à lui faire passer le dernier arc mais sinon ouais nickel.

Elle sourit. Il vient poser ses lèvres sur sa bouche tendrement, lorsque Hugo les ramène à la réalité.

— Bon on s'y met ?

— Ouais, répond Alex.

Il fixe Marie avant de s'adresser à elle tout en lui montrant le grand devers :

— Regarde ce qu'il m'a préparé.

Elle regarde en direction du mur d'escalade, montré par Alex. Trois voies  qui ont l'air particulièrement difficiles. En escalade, plus le chiffre et la lettre sont élevées plus la difficulté est grande.

— Ah ouais quand même, c'est combien ? demande-t-elle.

— 7c 8a+ et 8c ... tu me regardes ? dit Alex.

—Ben évidement !

Il lui sourit et l'embrasse à nouveau pendant plusieurs secondes, quand Hugo les coupe en revenant de la réserve.

— Aller vous aurez tout le temps de vous bécoter là-haut. Au boulot.

— Tu me le  ménages quand même. J'en ai besoin pour toute la saison, rigole Marie.

—Faut savoir je l'entraîne ou je l'entraîne pas, sourit Hugo.

Ce dernier fait le tour du bar, alors qu'Alex donne la main à Marie pour descendre de la chaise haute.

—Ma dame.

Elle lui sourit et attrape sa main.

Marie part s'installer au centre de la salle, sur un grand socle capitonné en cuir, qui sert de ban, spécialement installé pour permettre aux gens d'observer les grimpeurs en toute sécurité.

Elle s'assoit  alors qu'Alex vient s'accroupir devant elle et l'embrasser tendrement.

—Je t'aime, dit-il.

— Moi aussi.

Un coup d'œil autour de lui avant de mettre la capuche du manteau de Marie sur sa tête, puis il fait de même avec la sienne, avant de venir l'embrasser langoureusement à l'abri des regards, cachés par les tissus.

Ils savourent cet instant rien qu'à eux. Lorsqu'ils sont interrompus par une voie forte.

—Alex ?! gueule Hugo au loin.

Alex sourit et réitère un dernier baiser  avant de se redresser.

— Voilà

Il s'avance vers la paroi.

—Aller mon cœur, s'écrit Marie pour l'encourager dans cette future ascension.

Il enlève son sweat  et la pose sur la chaise haute du bar, se retrouvant  ainsi en T-shirt sportif, faisant ressortir ses pectoraux.

C'est alors qu'Hugo lui explique les règles du jeu de cet entraînement.

—Je te laisse quatre minutes pour monter les deux premières voies et sept minutes pour la troisième.

— Ok, dit Alex tout en ce concentrant.

Hugo s'avance vers Marie puis  lui tend un chronomètre.

— Marie ?

Elle accepte la mission d'arbitre en récupérant l'objet tendu.

Hugo reprend sa position d'assureur. Il récupère la corde, l'installe dans le descendeur, alors qu'Alex fixe le mousqueton à son baudrier, le reliant ainsi à la corde.

— Ok, tu es prêt ? demande Marie.

Bon nombre de grimpeurs s'immobilisent pour observer Alex lors de sa séance d'entraînement pour le prochain Championnat Européen prévu en juin de l'année prochaine.

—Ouais, dit le grimpeur, en soufflant sur ses mains après avoir pris de la magnésie, cette poudre blanche qui permet de grimper et d'enlever l'humidité sur les doigts. Du talc en quelque sorte.

— 5 -4- 3-2-1 Go !! lance la jeune femme.

Il s'élance, montant rapidement  les trois quart de la première voix.

Ses mouvements sont fluides, souples.

***

2 minutes 35 viennent de s'écouler lors qu'Alex atteint le sommet de la voie.

— Relais ! tape -il sur la chaîne tout en haut.

A cet instant, Marie arrête le chrono.

—Combien ? demande-t-il alors qu'il descend.

—2 minutes 35 répond Marie

— Youyou youyou, s'écrit Hugo, tranquille.

Il arrive au sol, se décroche et avale une gorge d'eau dans la gourde posée sur le sol.

Il réitère cette performance avec la seconde voie avant d'attaquer la dernière voie, faite par Hugo,  la plus technique.

— Aller mon cœur ! encourage Marie, les yeux rivés sur l'ascension de son homme.

Ses muscles se crispent, tenu par la paroi uniquement par son pied droit posé sur une prise confortable, et par sa main gauche, qui agrippe uniquement un petite prise, appelée dans le métier " goutte".

— Arrrrhh !!! crit-il dans un souffle de difficulté.

Il n'est maintenu que par le poids de son corps. Il s'élance et réussi à attraper une prise qui lui permet par un dernier jeu de jambes habile de rejoindre le haut de la voie.

— Relais ! s'écrit -il.

Immédiatement, Hugo le prend "sec" c'est-à-dire, qu'il raidit la corde. Permettant à Alex de faire son acrobatie préféré  : sauter, immédiatement dans le vide lorsqu'il est dans un devers, créant ainsi un balancier, qu'il adore. Ce qu'il fait, se laissant tomber dans le vide.

Hugo le fait descendre, d'une seule traite, sans aucun à-coup.

—Alors, bien ou bien les petites gouttes sur le bout non ? demande-t-il

Alex rigole joyeusement.

—J'en ai bien chié.

Marie se lève et s'avance vers son grimpeur, alors que ce dernier  se décroche de la corde.

— Félicitation chéri, dit-elle en posant ses lèvres sur les siennes.

—Merci, dit-il en lui rendant le baiser, j'ai fais combien?

—6 minutes 45.

Il sourit satisfait devant les chiffres du chronomètre, mission accomplie.

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