1 - Katy
Quand Matthew franchit le seuil de la porte-fenêtre, la douceur du soleil caressa son pelage noir. L'herbe fraîchement tondue chatouilla ses coussinets. Ses vibrisses frémirent de contentement. La peau de son ventre déjà dodu se tendait après ce bon repas. Assis sur la pelouse inondée de lumière, le matou se lécha une patte et bâcla le nettoyage de sa truffe rosée. Après un étirement lascif, il partit en quête d'un coin ombragé pour la sieste.
Dans le jardin arrière, il sélectionna l'arbre parfait pour son activité de l'après-midi. Après un soupir bienheureux, il se coucha en rond sous un cerisier. Un papillon passa devant ses yeux mi-clos. Le chat le regarda avec un intérêt paresseux. Il s’endormit. Du moins, il le crut.
Un couinement. Son oreille gauche se redressa. Deux couinements provenant d'une voix haut perchée. Matthew releva son museau. Trois miaulements de détresse. Ce n’était pas ainsi qu'on comptait les moutons !
Depuis une branche basse de l'arbre, un nouvel appel criard retentit :
— Au secours, aide-miaou !
— Qui est là ? C’est une propriété privée, sortez de mon territoire ! grogna Matthew.
— Je suis désolée, je ne peux pas ! Je jouais avec un moineau. Pour le suivre, j’ai grimpé à l'arbre. C’est trop haut, j'ai peur !
Après quelques pas en arrière, le chat noir put confirmer la présence d'une petite silhouette féline, cachée par la floraison du cerisier. Une brise entraîna une écharpe de pollen dans la lumière tamisée par le feuillage. Un minuscule éternuement se fit entendre parmi les fleurs au-dessus de Matthew. Il constata :
— En tant que chat, tu… jouais… avec un oiseau ?
— Je ne voulais pas le manger ! se justifia la chatonne en reniflant.
— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Et maintenant, tu es coincée.
— Mioui ! pleurnicha la petite.
— Pas mon problème. Tu as su monter, débrouille-toi pour descendre.
Le matou ronchon se rallongea confortablement. Bien entendu, il n’allait pas abandonner un chaton dans un arbre. Quelques minutes d'attente serviraient de bonne leçon à cette petite écervelée.
— Géronimiaouuu !
Une masse rendue plus lourde par sa vitesse, entraînée par la gravité, chuta sur la tête de Matthew. Il faillit se mordre la langue sous ce choc. Un autre, moins violent, survint sur son postérieur bien rembourré. Puis l’agresseur roula sur la pelouse.
— Miaaah ! couina la voix criarde maintenant à terre. Aieuh…
— Tu t'es laissée tomber sur moi !
— Je me suis débrouillée ! rétorqua l'effrontée.
Matthew souffla son exaspération. Étalée sur le dos, les quatre fers en l'air, une chatonne d'environ quatre mois admirait le ciel sans nuage. Le matou posta son museau juste au-dessus d'elle. Elle sursauta. Il retira sa face à temps pour éviter de prendre encore un bébé chat dessus. Face à Matthew, la petite ouvrait de grands yeux aux pupilles dilatées. Avec crainte, elle s'allongea le museau au ras du sol, ses yeux toujours fixé sur lui. Il souffla à nouveau, cette fois résigné. Sa gueule pouvait impressionner, il en avait bien conscience.
— Je ne te ferai pas de mal, la rassura-t-il.
— Qu’est-ce qui est arrivé à ton oreille ? chuchota-t-elle.
— Une bagarre.
— Et ta babine ?
— Un… accident.
— Et ton œil ?
— Je t'en pose des questions ? grogna-t-il.
La chatonne cligna plusieurs fois. Puis elle répondit d'une voix hésitante.
— Mioui, à l’instant…
Matthew expira bruyamment par les naseaux. Ses griffes rétractées, il donna un coup de patte sur le museau de l’insolente. Elle cligna encore.
— Ça t’apprendra à respecter tes aînés !
Pour toute réponse, un gargouillis plus gros qu'elle retentit depuis le ventre de la chatonne. Matthew souffla longuement en la regardant. Les poils désordonnés et ternes, les moustaches poussiéreuses, la silhouette efflanquée… un chat abandonné, comme il l’était avant l’arrivée de sa nouvelle famille.
— Viens avec moi si tu veux manger.
— Oh, miahci ! piailla la chatonne en le suivant d'un pas sautillant.
Le duo rentra par la porte-fenêtre laissée ouverte. Ils traversèrent le salon.
— C’est joli chez toi !
— Mes parents s'en sortent bien, expliqua Matthew en évitant de se vanter, sans pouvoir empêcher son sourire orgueilleux de dévoiler une canine.
Ils tournèrent un coin, puis deux. Ils arrivèrent dans une petite pièce carrelée. Dans un coin se tenait un arbre à chat avec deux plateformes. Dans un autre : une maison de toilette fermée, aux parois d'un grise souris brillant. Contre le mur d'un troisième mur, deux gamelles remplies. Une avec de l'eau, l’autre avec des croquettes.
— Sers-toi, fit Matthew, grand seigneur, en désignant ses gamelles.
Il s’aperçut que la petite avait disparu.
— Où es-tu, gamine ?
Une petite tête bienheureuse sortit de la cachette pleine de coussins, au premier niveau de l'arbre à chat.
— Miaaah !
— Viens manger. Tu joueras plus tard.
— Je pourrai rester jouer ?
— Bien sûr. Ça ne dérangera pas les parents. Et puis, c’est ma chambre, je t’invite si je veux.
Les babines ouvertes, la chatonne s'extasia sur la chance de Matthew. Ce dernier ne contenait plus son orgueil.
— Mange, ce sont des croquettes premier choix ! Et quand ma petite sœur reviendra, elle t’achètera des friandises et des pâtés pour chaton.
— Trop de chance !
Après le repas, Matthew nettoyait la frimousse et le pelage de son invitée. Il recracha des poils.
— Pouah ! Tu as bien besoin d'un toilettage…
Débarrassés de la poussière, les vrais coloris se révélaient. De larges tâches grises et orangées sur une fourrure blanche.
— Je suis Matthew. Quel est ton nom ? demanda le chat noir à la calicot.
— Katy.
— On dirait un nom d’humain, remarqua Matthew.
— Le tien aussi !
— C’est parce que ma famille est humaine. Ils m'ont adopté il y a cinq ans. Tu verras, ils sont gentils.
— Mon grand frère aussi est gentil et c’est un humain.
Matthew s’arrêta en plein milieu du toilettage, sa langue encore sortie.
— Ton frère ? Il est où, ton frère ?
— À l’hôpital.
— Oh. Je suis désolé.
— Miah ?
Katy cligna les yeux. Pourquoi Matthew serait-il désolé ? Puis il recommença à la nettoyer, alors elle oublia sa question. Elle ferma les yeux et ronronna.
Dans la pièce mitoyenne de la chambre de Matthew, des bruits de pas résonnèrent. La porte s'ouvrit. Maman passa dans le couloir. Elle avisa les deux chats.
— Oh, Mat ! Tu as invité une amie ?
Comme s’il avait encore six mois, le gros matou ronronna et chuinta d'une façon toute mignonne :
— Miaw, oui, Maman ! Katy, voici ma maman.
Sans rien comprendre aux miaulements, l’humaine caressa la tête de sa panthère miniature, puis celle de l'autre félin.
— Je vais préparer le dîner, annonça-t-elle ensuite.
Pendant que Maman chantonnait dans la cuisine, les chats sortirent dans le jardin de devant. Au lointain, le crépuscule déployait ses pastels dans le ciel. Matthew voulait montrer à son invitée comment se comporter en chat avec les oiseaux. Il avait à peine entamé la deuxième partie de sa leçon théorique. Katy cria d’horreur. Son aîné insista sur les bienfaits de la chasse.
— Comment tu peux dire ça ? s'insurgea la petite. On ne va pas se manger entre nous ! Miaah !
— Les oiseaux sont des proies.
— Il nyaah pas besoin de les manger !
Matthew souffla d’agacement. Il ironisa :
— C’est bien beau d'avoir des principes, quand on squatte la gamelle chez quelqu’un qu'on connaît à peine !
— C’est affreux de vouloir manger d’autres animaux ! T'es un monstre !
Un coup de patte placé à l’arrière de sa tête envoya Katy museau contre terre. Elle se releva en hurlant, de grosses gouttes au coin des yeux.
— Miah, t'es méchant !
— Oui, je suis un monstre, grinça le chat noir.
Des aboiements frénétiques arrêtèrent la chatonne en pleine crise de pleurs. Un Labrador, d'une couleur mordorée dans la lumière du soleil couchant, avait passé son museau entre deux planches de palissade devant la maison. Katy cligna les yeux.
— Miah ?
En grognant, le canidé recula à toute vitesse, de plusieurs mètres. Il se retourna puis il fonça vers la clôture. Elle n'était pas bien élevée. Grâce à l’élan, il la franchit d'un simple saut. Les babines retroussées, le chien atterrit devant Katy.
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