Premier jour


Premier texte : une histoire qui commence et se termine par une bicyclette

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Sur son vélo, il se sent libre. Il pédale des heures durant, parcourt des kilomètres et des kilomètres de champs, de routes, de forêts, de pistes cyclables, de pavés, de béton, de terre. Il hurle de joie, dans les descentes, debout, sans plus pédaler, il a l'impression de voler, d'être maître de son destin, de pouvoir tout faire. Et le vent... Le vent qui s'engouffre dans ses vêtements, qui glisse sur sa peau, son visage, son cou, ses bras, ses mains, il s'insinue partout, le lave de toutes ses pensées moroses, de tous ses problèmes, de son identité, il n'est plus lui, il est le vent, il fait partie d'un tout impossible à concevoir autrement qu'en roulant sans s'arrêter le temps qu'il faut pour en faire partie.

Le vélo, c'est toute sa vie. Il se sent vide, sans. Comment va-t-il survivre à cette hospitalisation ?

Il n'a plus cours, il ne voit ses amis que lorsqu'ils lui rendent visite, mais ça, il peut très bien survivre sans. Mais le vélo... Il n'a absolument pas envie de découvrir quelle personne il deviendra, sans sa dose hebdomadaire de défoulement, d'heures et de kilomètres parcourus. Comment va-t-il survivre ?

Personne autour de lui ne comprend à quel point ça le dévaste. Ses amis lui disent que ce n'est pas « si grave ». Sa mère a osé lui dire que c'était sa faute. Que c'était bien, qu'il ne puisse plus faire de vélo pendant un temps, parce que c'est le vélo qui l'a mis dans cette situation. Il a envie de HURLER. Il en a besoin, il a trop de rage en lui, trop de colère qu'il n'arrive pas à canaliser, à transformer, à sortir de son corps.

Mais ses deux jambes sont dans le plâtre. Et il ne peut STRICTEMENT RIEN FAIRE.

Il est assisté, pour tout, il ne peut rien faire seul, se laver, se déplacer, prendre l'air, et surtout, surtout, il ne peut plus faire du vélo.

Les jours passent. L'un après l'autre. Ils se ressemblent tous, il les confond, il ne sait plus depuis combien de temps il est là.

Quatre jours.

Quinze jours.

Dix-neuf jours.

Il s'habitue. C'est triste à dire, ça l'horrifie, mais il s'habitue.

Un mois.

Trois mois.

Un jour, il se rend compte qu'il ne se souvient plus de ce que le vent lui fait. Et il pleure. Il pleure longtemps, sans pouvoir s'arrêter, sans pouvoir l'expliquer.

Quatre mois.

Cinq mois.

Cinq mois et treize jours.

Ses jambes sont libres. Enfin. Il fait quelques pas, il tremble, l'émotion le submerge. La première chose à laquelle il pense est son vélo, qui l'attend.

Quelques heures plus tard, il ouvre la porte de son garage, et sort son vélo. Il pose les pieds sur ses pédales, les gestes sont naturels, gravés dans sa chair, dans ses muscles, dans son âme.

Il commence à pédaler. De plus en plus vite. Il se dirige vers la descente la plus proche. Il y arrive, et laisse son vélo dévaler la pente.

Il est vivant. Il ne l'a jamais autant été.

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