Ce qui cloche chez votre héros : l'exemple de Mulan
Une fois n'est pas coutume : ici, on ne va pas parler de GoT, mais de Mulan.
Hein, quoi ? Mais on doit pas parler de fantasy ici ? Et c'est quoi le rapport avec Écrire de la fantasy comme G. R. R. Martin ?
Heu, les dragons (Mushu, tout ça) ? C'est un peu de la fantasy Mulan, du coup, vu qu'il y a un dragon ?
C'est sur cette auto-justification un peu pétée qu'on va éluder la question et continuer de parler de ce qui nous intéresse depuis déjà 3 segments : les personnages et leur perception par les lecteurs (ou, façon Olivia, "Au secours, mes déblicieux lecteurs préfère la boulangère du chapitre 5 à mon héros", aka "Karaya, cette pisseuse qu'on a tous envie de frapper").
Et si vous tiquez sur "déblicieux", lisez les segments d'avant, ce sera utile.
Ce qu'on va faire de Mulan
Pour comprendre ce qui cloche peut-être chez votre héros, je propose d'étudier (en accéléré) l'histoire de Mulan (le dessin animé hein, on parlera pas du film de 2020 qui vaut douze avions et quinze paquebots), et d'en faire une réécriture "façon fantasy Wattpad" à travers un prisme bien particulier.
Le cliché de l'héroïne "au fort caractère".
Avant de se lancer, explication de ce que je vise derrière ce cliché.
Karaya, cette "femme forte" au "caractère bien trempé"
En réaction à l'époque (pas si lointaine) où les héroïnes (en particulier en fantasy) avaient l'épaisseur et le répondant d'une feuille de PQ éco plus, on a vu fleurir des milliers d'histoires mettant en scène des héroïnes "fortes".
Vous voyez de quoi je parle, je suis sûre que vous avez tous un exemple en tête même sans en avoir lu.
À quoi les reconnaît-on ? Généralement, leur quatrième de couverture ressemble à ça :
"À tout juste dix-sept ans, Karaya est l'héritière du pouvoir ancestral des Glupsiträns [...] Mariée de force au prince du royaume de Harthaëksil, la jeune femme au caractère bien trempé (moi aussi j'suis bien trempée, j'me suis pissée dessus en riant) va devoir apprendre à contenir ses pouvoirs.
Jusqu'à ce qu'elle les laisse éclater."
Parfois, le doute subsiste après la lecture du résumé, et c'est dans une pub facebook qu'on retrouve du "Gnagnagna vous voulez une héroïne au caractère bien trempé ? Des femmes fortes qui gnagnagna gnagnagna ? Viendez lire L'héritière des Glupsiträns, vous allez être servis !".
Ou pire, DANS UNE DESCRIPTION du roman (mais ça, on va en reparler, vous inquiétez pas).
Pourquoi ça m'énerve ? Parce que, bien souvent, ces personnages frisent le parodique en essayant de prendre le contre-pied d'un cliché qui n'existe presque plus (mais maintenant, on a le cliché de Karaya la femme forte, youpi !). Parce que souvent, ces "femmes fortes" ne sont pas cohérentes avec l'univers et en deviennent ridicules, voire énervantes.
C'est, à mes yeux, l'archétype de Karaya la pisseuse.
Et c'est donc ce cliché qui va nous permettre de réécrire Mulan, pour comprendre précisément où et pourquoi ça coince, et en tirer des leçons pour nos héros (qui seront tous plus nuancés et crédibles – du moins, je l'espère pour nos lecteurs).
https://youtu.be/bt65rqrVjO4
Mulan ft Karaya : un cross-over qui va vous filer des boutons
Dans un monde où tous doivent servir l'empereur, "les hommes en se battant, les femmes en enfantaaaaaaaant" (si vous avez pas la réf, envisagez sérieusement de sortir de votre grotte pour trouver de la 4G, qui vous mènera à YouTube – vidéo juste au-dessus), Mulan, fille d'une bonne famille, est en âge de se marier et de trouver sa voie.
Hélas, maladroite et un brin baroudeuse, elle a bien du mal à se plier aux exigences de la société.
HOP HOP HOP ça c'est la version originale : mettons-y un peu de Karaya !
"Mais Mulan est une jeune femme farouche et rebelle : bien décidée à prendre sa vie en main, elle refuse de se plier aux exigences de la société. Il n'est pas né, celui qui saura dompter son fort caractère !"
Voilà, c'est mieux. Mulan n'est donc pas une brave fille maladroite : c'est une rebelle au sang chaud. So 2020.
Mulan est attendue par les femmes de sa famille afin de se préparer pour la marieuse : sa mère et sa grand-mère la baignent, la coiffent et l'habillent dans le respect des traditions, en lui chantant à quel point "tu nous combleras d'honneeeeeeur", le regard plein de fierté et de joie. Un peu mal à l'aise, Mulan se prête au jeu, décidée à faire honneur à sa famille.
AH LÀ ÇA VA PAS DU TOUT, il est où le caractère là ? On va modifier un peu.
[Il était une fois, dans un monde parallèle...]
Tranquillement allongée dans son bain, Mulan sursauta en entendant la porte s'ouvrir. Sa mère et sa grand-mère firent irruption dans la pièce, l'une armée d'un peigne et de son plus beau sourire, l'autre d'une robe traditionnelle et d'un regard décidé.
Mulan leva les yeux au ciel, excédée.
— Combien de fois devrai-je le répéter ? Je refuse de me prêter à ce jeu stupide. Je ne suis pas une dinde qui concoure pour un quelconque prix : personne ne fera de moi une poupée parfaite digne d'un mariage de convenances !
— TU NOUS COMBLERAS D'HONNEEEEEUU – ah merde, c'est pas ça. Écoute, ma fille, tu n'as pas le choix : dans ce pays, ta place est aux côtés de ton mari.
— Et puis, ajouta la doyenne avec un clin d'oeil, tu sais, ton promis est loin d'être désagréable à regarder...
Mulan haussa les épaules. Shang ne l'intéressait pas. Grand, beau, bien bâti, un regard de braise qui faisait tomber toutes les filles – elle exceptée, il n'avait rien pour lui plaire. C'était le meilleur combattant du village : personne ne l'avait jamais vaincu, pas même son père lorsqu'il lui avait fait mordre la poussière alors qu'il n'était âgé que de dix-huit mois.
Sa mâchoire carrée, signe d'une grande virilité, et ses bras puissants, l'obsédaient pourtant chaque nuit.
Ah ça oui, quand elle pensait à lui, Mulan était bien tremp... AVAIT UN CARACTÈRE BIEN TREMPÉ.
D'un mouvement de la nuque, elle rejeta sèchement ses longs cheveux noirs sur son épaule. Cédant aux yeux suppliants de sa mère, elle se leva et saisit une serviette.
Il était temps pour elle d'embrasser sa destinée.
Une fois apprêtée, Mulan se rend chez la dame marieuse avec son criquet porte-bonheur, cadeau de sa grand-mère. Très rapidement, c'est une catastrophe : "a parlé sans permission...", "trop chétive", "pas bonne pour porter un enfant".
Mulan récite les principes de bonne conduite grâce à l'antisèche inscrite sur son bras (parce que oui, Mulan a eu besoin d'une antisèche pour retenir les 2 seules phrases qu'on lui demandait de prononcer, vu qu'en temps normal elle doit pas parler). Hélas, la marieuse met sa main dedans et se tartine le visage d'encre de Chine.
Mulan est déconcentrée, renverse du thé, son criquet tombe dans la tasse de la marieuse, Mulan essaye de la lui prendre des mains, la marieuse tombe à la renverse dans un brasero et se fait une brûlure du popotin au troisième degré, puis Mulan lui jette le thé dans la figure pour éteindre le feu.
Vous trouvez que ça va ? Non, pas du tout. Il est où le drama ? Allez Karaya, explique à Mulan comment être une fille badass !
Déjà, mémé ne lui donne pas un criquet (et pourquoi pas un cafard tant qu'on y est ? Ou une tique ?), mais une bague que Mulan pourra reluquer tout le reste du roman sans que ça risque de devenir gênant. Et avec la marieuse, eh bien...
[De retour dans un monde parallèle...]
— Fa Mulan ! appela la marieuse de sa voix perçante.
Mulan releva le menton avec fierté et s'avança. "Wesh, pourquoi elle met un nom de gel douche avant mon prénom cette grognasse ?" songea-t-elle en regardant la vénérable dame s'avancer vers elle.
— Présente, marmonna Mulan sans conviction.
La marieuse lui fit signe de la suivre. Les deux femmes s'installèrent dans un petit salon, au centre duquel trônait la table et le thé.
Mulan sentit son cœur se serrer. Sa vie se résumerait-elle désormais à cela ? Servir en silence le thé à son mari et ses beaux-parents ?
La perspective semblait enchanter la marieuse, en tout cas. D'un œil expert, elle détailla la jeune femme. Après de longues secondes, elle lâcha son verdict :
— Une belle enfant. Un peu trop mince, peut-être : il te faudra prendre quelques kilos pour être en parfaite santé au moment de porter ton premier fils !
Les narines de Mulan palpitèrent. Elle examina son interlocutrice de la tête au pieds : une femme bien en chair qui ne devait plus faire rêver grand monde. Bien mal placée pour juger son apparence, en tout cas.
Mielleuse, la jeune fille susurra :
— Certainement, dame marieuse. Vous êtes une experte en matière de kilos.
Loin de relever l'ironie, la quadragénaire minauda :
— C'est mon métier, mon enfant. Récite-moi les principes de bonne conduite, s'il te plaît.
Mulan ravala sa fierté et énuméra d'une voix morne :
— Honneur, famille, obéi...
Sa voix s'étrangla. Elle n'y parvenait pas. Penser ces mots la rendait malade.
Il était hors de question qu'elle s'humilie de la sorte.
Avec assurance, elle déclama alors :
— Honneur, famille et indépendance. Il n'y a nul honneur dans la servitude.
Il lui sembla que la mâchoire de la marieuse s'était décrochée. Elle vira au cramoisi et siffla :
— Fa Mulan ! Comment oses-tu ? C'est ton devoir et ton honneur de femme de servir ton époux, comme ta mère et ta grand-mère avant toi ! Tu fais honte à ta famille !
— La honte, ce serait de me plier à ces règles injustes ! Et mon futur époux, quels sont les principes de bonne conduite qu'il devra réciter ?
— Tu n'es pas prête pour le mariage !
Les iris noirs incrustés d'or de Mulan s'embrasèrent d'une lueur fauve.
— Non, en effet, tonna-t-elle en insistant sur chaque syllabe.
Sous les yeux ébahis de la marieuse, Mulan se leva et quitta la pièce d'un pas vif. Elle claqua la porte.
Au mariage, et à la société toute entière.
Je comptais vous faire la réécriture complète de Mulan, mais ce qui précède est déjà très long et je pense qu'on a assez de matière pour analyser ce qui coince.
Moi, à ce stade, ma version Karaya de Mulan, j'ai envie de la noyer dans de l'acide, vraiment.
Certains pourront apprécier cette revisite """""féministe"""""" (notez bien le nombre de guillemets) de Mulan : elle a du mordant, elle se bat contre une société qui veut la faire plier, elle ose. Humainement, on ne peut que la soutenir.
Mais putain, lire ça, ça donne envie de foutre des tartes à quelqu'un. Là, le personnage favori des Bobos, ce serait la grand-mère, et celui des Rageux, ce serait la marieuse.
Mais alors, pourquoi ? Qu'est-ce qui fait concrètement (et selon moi) que cette Mulan-Karaya mériterait le goulag des personnages ?
Disséquons Mulan-Karaya
Notre Mulan-Karaya (enfin, "ma", je vous force pas à être responsable de ce monstre) n'a plus grand chose à voir avec la Mulan originale, si ce n'est physiquement. Et encore, il y a une première grande différence : si la Mulan originale est qualifiée de "maigre" et ne reçoit aucun compliment sur son physique, Mulan-Karaya (fuck, on va raccourcir en "MK", et ce sera pas pour Mary-Kate. Concentrez-vous !) est décrite par un autre personnage comme belle, bien que "trop mince". Notez d'ailleurs que ce "défaut" n'en est un que parce que, selon la marieuse, cela serait une difficulté pour être enceinte, et que dans notre société à nous (et donc, celle de vos lecteurs), la minceur est une qualité très représentée.
Si MK avait été plus en chair, ç'aurait été assez différent, surtout que notre MK se permet à son tour un regard critique sur le physique de la marieuse.
Laquelle ne répond rien, et était à ce stade relativement bienveillante (hormis, évidemment, son accord tacite pour toutes les règles nulles qu'elle participe à imposer à MK).
Arrêtons-nous un instant là-dessus : face à une MK physiquement sans défaut (et même jolie, selon le texte), on a une marieuse qui ne se défend pas face à la pique la plus mesquine de Mulan (pire, elle répond à côté de la plaque, ce qui lui donne un air un peu naïf !) et qui souffre d'un "défaut" physique au regard de nos canons de beauté occidentaux modernes.
Rien que ça, ça retire pas mal de points de sympathie à MK.
MK, contrairement à Mulan, c'est aussi une grande gueule : elle répond, elle ironise, elle se défend, elle clame haut et fort son indépendance. Pourquoi, dans ce cas précis, c'est pénible ?
1. MK est une tronçonneuse face à 3 brindilles : elle se bat contre des personnages globalement sympathiques (ou en tout cas, peu antipathiques) qui ont pour seul défaut d'être imprégnés du patriarcat ambiant. Elle s'évertue à défendre sa liberté face à des femmes tout aussi prisonnières qu'elle, voire plus puisqu'elles ont intériorisé leur place d'objet.
2. Elle n'a pas d'obstacle : là où Mulan est en difficulté face à sa mère et sa grand-mère parce qu'elle veut désespérément leur faire honneur, MK, elle s'en bat les steaks. Là où Mulan lutte contre sa maladresse et tente de faire de son mieux face à la marieuse, MK provoque le conflit. Et tout ça, sans conséquence : à la fin, elle s'en va en claquant la porte. Qu'a-t-elle perdu ? Rien. Mulan, elle, repart avec la honte et le déshonneur, et c'est un coup dur pour elle parce qu'elle le voit comme un échec. Pour MK, on est plutôt dans une situation de succès, surtout du point de vue du lectorat qui pourrait se dire "ouaaaaais, vas-y ma grande, te laisse pas faire !".
Or, l'échec, le conflit et la souffrance, ce sont des impératifs pour faire de bons personnages : sans ça, ce sont des emballages creux qui ne font que réaliser les fantasmes (au sens large du terme) de l'auteur et des lecteurs. Pour créer une histoire, et pour rendre les personnages attachants, il faut que le lecteur s'identifie à eux dans leurs difficultés et leurs échecs.
Pour l'instant, MK n'en a connu aucun.
3. Certainement la chose la plus grave : MK est un personnage incohérent. On nous dit dès le départ, et on le répète : elle vit dans une société patriarcale où sa place se trouve derrière des fourneaux, et en silence. Tous les autres personnages ont intégré cet état de fait. Tous, sauf elle.
Pourquoi ? Parce que c'est l'héroïne ? Parce que c'est une forte tête ? Non, ce n'est pas une raison. Nous sommes le produit de notre environnement, de notre passé, de nos choix : rien ne permet d'expliquer comment MK est devenu l'archétype d'une féministe convaincue du 21ème siècle (le genre de personne que j'apprécie, au demeurant, mais qui n'est pas un personnage cohérent dans cet univers-là). Elle a été élevée par des femmes qui lui auront appris à accepter sa place : si rébellion il y a, elle doit être justifiée par un élément déclencheur fort, ou être progressive (et explicable, évidemment).
À l'inverse, la "boulangère du chapitre 5", la "Mönyk", ici la grand-mère de MK, c'est un personnage cohérent, avec un brin de fun puisqu'elle se permet une petite blague sur le physique d'un jeunot : elle a le profil d'un personnage attachant, franc et plein de sagesse.
Beaucoup de gens la préfèreraient à MK, et c'est bien normal.
En somme, notre MK, cette Karaya chinoise inspirée de Mulan, elle a le défaut de n'avoir que des qualités, au point où certaine de ses qualités n'ont aucun sens avec l'univers dans lequel elle évolue.
Et pendant que vous faites le compte des qualités et défauts de votre Karaya, et des choses qui ont façonné le caractère qu'elle a au début de son histoire, je vous propose de conclure ces 4 segments sur la perception des personnages par les lecteurs avec un 5ème et dernier segment : tips et astuces pour que votre héros cesse d'être victimisé par vos lecteurs.
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