7 - Chien sans collier

Comme tous les soirs, six fois par semaine, Tom avait fermé la boutique des Lécapène.

Un côté du petit magasin, dont les murs en plâtre étaient peints de volutes vert clair et rose pastel, servait d’accueil pour les visiteurs de leur ferme découverte. Se trouvaient en vente, près de la caisse enregistreuse, quelques livres spécialisés sur les mauvaises conditions de vie des volailles élevées en batterie, pour leurs œufs ou leur viande. L'autre extrémité de l'échoppe, dallée de gris taupe et de blanc cassé afin de créer l’impression d'un espace séparé de la librairie, servait de sandwicherie. Deux tables de bar hautes, en bois brut, permettaient de s'y restaurer, debout, rapidement, même si la plupart des visiteurs préféraient prendre à emporter les sandwiches frais, quiches diverses, et tartes aux fruits maison que préparait Léna, excellente cuisinière.

Tous les œufs utilisés, pour la boutique et la sandwicherie, provenaient de leurs propres poules. Le couple était très fier de proposer ainsi un exemple concret de l’excellence de leurs produits. Malgré le très bon traitement des poules qui leur appartenaient, ils n’étaient pas considérés « bio », ne pouvant pas respecter tous les éléments du cahier des charges. Ils n'en avaient pas vraiment l’intention non plus, car la redevance annuelle pour la certification était trop onéreuse pour leur budget. Elle n’était pas indispensable : les visiteurs s’arrachaient les quelques boîtes d'œufs, renouvelées quotidiennement, que la boutique proposait à la vente. La famille distribuait également les pots de miel provenant de la production artisanale d'un ami.

En ce samedi soir particulièrement doux, une brise tiède s’invitait par la fenêtre grande ouverte sur la cour arrière, pour danser sur un petit air entrainant avec Tom. Ce dernier nettoyait en rythme, battant la mesure du pied, valsant autour de son balai-brosse, s'en servait parfois de micro – pour chanter le refrain en même temps que la chaîne hi-fi installée dans le coin librairie. Sa méthode ménagère était particulièrement inefficace. C’était affreusement amusant. Sur un riff de guitare électrique, le rouquin tourbillonna, ce qui l'amena près de la porte d’entrée vitrée de la boutique. À la poignée, il accrocha un panonceau en carton épais, et en tourna l'indication vers l'extérieur, pour annoncer aux retardataires « Nous sommes fermés ! ». Généralement, les gens trouvaient l'annonce mignonne, pas décevante : Maëlle, la fillette des Lécapène, y avait dessiné aux feutres de couleurs des poulettes dodues, entourées de fleurs et de poussins.

Quand le Bourguignon hurla dans son micro improvisé « I'm still loving you ! », il leva par hasard le regard vers la porte d’entrée. Au-delà de la vitre, sur fond de crépuscule, se tenait un grand brun, yeux écarquillés, plus interloqué qu'enthousiasmé par la réinterprétation dynamique d'une célèbre chanson. Tom reconnut le nouveau voisin, dont l'attitude désagréable du matin l'avait interpellé. « Cédric Dumont ne m'appelez pas », à présent habillé d'un simple marcel noir sur un jean qui avait connu des jours meilleurs, ne ressemblait pas du tout à l’avocat pédant arrivé, en pantalon à plis et chaussures de ville, dans sa voiture écarlate. Le nouveau venu fixa le panneau, en donnant l'impression d'avoir des difficultés à comprendre les trois mots simples qui s'y trouvaient. Tom éteignit la musique et prononça à voix haute l’exacte indication, comme pour s'adresser à un analphabète : « Nous sommes fermés ! » 

Isidore fronça les sourcils, sans bouger. Il sembla soupirer, ses épaules s'abaissèrent visiblement. Jetant des yeux hagards aux alentours, il parut réfléchir sur la démarche à suivre. Toujours sans bouger ni ses jambes, ni ses bras.

Tom avait toujours eu un faible pour les chiens perdus sans collier. Quand il retrouva dans le Parisien des airs de chiot égaré, il ne put s’empêcher de déverrouiller la porte pour s'adresser à Isidore :

« Bonsoir, vous cherchez quelque chose ?

— Manger…, marmonna la créature dépitée.

— Hein ? »

Un gargouillement, aussi bruyant que significatif, s’éleva de l’estomac du canidé affamé.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top