4 - Présentations

Isidore venait de découvrir une poulette installée dans sa voiture de sport décapotée. Lorsque la volaille lâcha ses excréments sur le siège passager, le citadin laissa échapper le carton qu'il tenait entre les mains. Une collection de fragiles figurines se répandit dans l’allée. La plupart des immondes faïences ne survécut pas à la chute. Ce bruit s’accompagna d'une forte éructation de l’humain. Le volatile prit peur. Battant des ailes pour se dégager du véhicule, il griffa un peu plus le cuir du siège.

Avec un hurlement inutilement guerrier, l’homme sonna la charge. La poule s’envola au moment où il se jetait sur elle. Il atterrit tête la première dans la voiture. Son visage passa à deux centimètres et demi de la fiente. Pas la paume de sa main, qui écrasa l'affreuse substance molle et nauséabonde, lorsque l’avocat tenta vainement de se rattraper dans sa chute. Coincé dans les entrailles de sa bagnole, il entendit une voix claire, appartenant à un homme assez jeune semblait-il, s’élever. Le nouveau venu paraissait étonné. Rien de surprenant au vu de la situation. En revanche, ce qu’il dit fut un peu plus inattendu : « Cocotte ? »

Avec un grognement de fauve blessé, Isidore se dégagea. Pour se retrouver en face d'un rouquin en jean noir et tee-shirt de la même couleur. Les manches courtes dévoilaient un tiers du tatouage ornant le haut de son bras droit. Son visage poupin, orné de grands yeux noisette, arborait une barbe bien entretenue, et s’était figé dans une expression cocasse de total ahurissement. Le brun aurait pu être amusé du spectacle. Cependant, il leva un sourcil perplexe et, par réflexe, recula d'un pas. Des cheveux presque rouges et une barbe coordonnée, un tablier vert pomme à fine dentelle blanche, des gants de vaisselle d'un rose pétant. Soit le type en face n’était pas net, soit il possédait un abominable sens de la mode. Dans les deux cas, le Parisien ne voulait pas s'en approcher. Sa journée était déjà suffisamment pourrie pour ne pas prendre le risque supplémentaire d’être aperçu en compagnie d'un gars louche à l’accoutrement ridicule.

La jolie poule grise courut vers son sauveur en l'accueillant avec des gloussements vexés. Lorsqu'elle passa entre ses jambes pour se rediriger vers le jardin des Lécapène, Thomas revint de sa stupeur. Face à lui, un homme brun, un peu plus grand que lui, le fixait depuis un moment avec des yeux aussi sombres que son humeur. Ses cheveux en bataille témoignaient du combat perdu contre Cocotte.

« Bonjour, lança le provincial avec un sourire accueillant. Vous êtes le nouveau voisin ?

— Certainement pas ! répliqua le citadin guère urbain.

— Que faites-vous chez madame Dumont, alors ? s'étonna son interlocuteur.

— Je suis chez moi, j'y fais ce que je veux. C’est votre poule qui n’avait rien à y faire. »

Thomas fut pris de court par le ton sec, la voix désagréable, l’articulation dédaigneuse. Cependant, son naturel débonnaire reprit vite le dessus. « Je suis désolé qu'elle vous ait embêté ! dit-il avec un sourire gêné. Si Cocotte a fait des dégâts, nous vous rembourserons… »

Isidore lâcha un reniflement condescendant : « Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Vous ne pourriez pas, de toute façon.

— J’insiste ! La vaisselle a été cassée, nous allons la remplacer.

— La… vaisselle ? Ah, oui. Mais non merci. »

Les hommes avaient tous les deux jeté un œil aux débris de porcelaine jonchant l’allée, avec chacun une vision différente des choses. Pour Thomas, la poule avait cassé la vaisselle du nouveau voisin, il était normal de rembourser les dégâts ou de lui fournir d’autres assiettes. Pour Isidore, les figurines affreuses de sa tante avaient simplement fait une escale sur le sol en graviers avant leur ultime destination : la poubelle.

« Oh, j’ai oublié de me présenter ! remarqua soudain le roux. Thomas Lécapène. Appelez-moi Tom ! »

Il s’avança de quelques pas, tendant une paume sentant la pomme chimique. Son interlocuteur eut un autre mouvement de recul. Tom ne s'en aperçut pas, occupé à enlever le gant en plastique qu'il venait d’aviser. Quand le Bourguignon donna à nouveau sa poigne à serrer, un coin des lèvres d'Isidore se releva imperceptiblement. Sa main droite étreignit avec force celle de son vis-à-vis pendant qu'il ironisa, en annonçant comme d’habitude son deuxième prénom : « Je suis Cédric Dumont. Ne m'appelez pas. »

Tom sentit une moiteur désagréable contre sa paume. Une toute autre odeur que celle de son produit à vaisselle s’éleva de la poignée de mains. Nouveau parfum inédit : fiente fraiche de volaille. Imperturbable, le brun fixa le rouquin droit dans les yeux. De l’extérieur, l'avocat paraissait sérieux comme un pape. Intérieurement, il ricanait très fort.

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