24 - Grandir

« Joyeux anniversaire ! Mon bébé, tu deviens si grande ! Chaque jour qui passe !

— J’ai pas vraiment grandi depuis hier, M'man, rectifia Maé pendant que sa mère la couvrait de baisers sonores sur les joues et le front.

— Bon anniversaire à toi aussi, Tom ! s’écria Léna en prodiguant le même traitement à son beau-frère et ami.

— Merci, héhé !

— Laissez-moi de la place, j’arrive ! »

En se jetant dans la mêlée, Gilles participa au câlin collectif. Après trois jours de contrariété, à présent entouré d'affection, Tom cessa un instant de ruminer sa dernière interaction avec Cédric. Y repenser le remplissait de rage. Pourtant, parmi toutes les possibilités, toutes les alternatives, si c’était à refaire… il n'aurait pas effectué un autre geste que tendre à nouveau la main pour aider. Il avait même supervisé avec attention les réparations sur la voiture de sport qui valait plus cher que la maison des Lécapène. Parce qu'on avait eu besoin de lui, qu'on lui avait confié une mission, qu’il accomplissait toujours son travail, qu'il prenait soin des autres et de leurs affaires. Trop bon, trop con !

En ce dimanche soir, la famille concluait une demi-journée de festivités. Les anniversaires de Tom et de sa nièce, aux dates rapprochées, faisait souvent l’objet d'une fête commune pendant laquelle, à cause de la différence d’âge, Maé était bien entendu à l’honneur. Ses petits camarades invités étaient rentrés chez eux après avoir mis le bazar dans le jardin et une partie de la maison ; la reine de la journée fut emmenée à l’étage par sa mère, pour son bain. Gilles refusa la participation de son frère à la séance de ménage et de rangement. Il l’envoya au-dehors avec un jovial « C’est ta fête aujourd’hui, profites-en ! »

Un grand mug de thé à la main, Tom sortit dans le jardin profiter des derniers rayons de soleil. Il chemina dans l'herbe, en soufflant sur sa boisson pour la refroidir. Je me demande pourquoi il n’est pas encore revenu. Le week-end se finit…

« Merde, pourquoi je repense à cet abruti ? s'interrogea-t-il, agacé, à voix basse.

— T'es là, Tom ?

— Ici ! répondit le jeune homme à l’appel de son frère.

— Ah, il est dans le jardin arrière, indiqua Gilles à quelqu’un.

— Merci, fit une voix presqu’inconnue. Je pourrai me débrouiller. Ne vous embêtez pas à m’accompagner. »

En se retournant vers le nouveau venu, Tom provoqua un brusque remous dans sa tasse. Il sentit une légère douleur sur son poignet.

« Bonsoir. Votre frère m'a appris que c’était votre anniversaire. Je suis désolé d’arriver les mains vides. »

Le silence et le soleil couchant accueillirent un avocat, décidé à conclure un traité de paix, qui arborait sa veste blanche comme un drapeau. Tom se trouva plus surpris que fâché de le revoir. En avisant la rougeur sur le poignet de son voisin, Cédric s’inquiéta : « Vous vous êtes brûlé ! Ça va ?

— Ce n’est rien. Juste à cause du thé, assura le provincial, monotone. Les pneus ont été changés vendredi. Le nettoyage de votre voiture a été fait. Tout s’est bien passé. Vous revenez pour les clés ? Je vais aller les chercher. »

Tom vit clairement l'air décontenancé sur le visage de son interlocuteur, qui se figea un instant pour l'observer. Au loin, un oiseau chanta pour accueillir l’arrivée prochaine de la nuit. Déjà perdu dans l’obscurité des yeux face à lui, le Bourguignon, pourtant féru d’ornithologie, en oublia le nom de l’oiseau. Cédric lui adressa un sourire gêné en constatant : « Vous êtes vraiment gentil. Merci beaucoup.

— Ce n’est rien, répéta Tom d'une voix égale. Je vais vous rendre vos clés. »

Puis nous n’aurons plus aucun contact. C’est mieux ainsi.

« Soignons ça d’abord ! » Sans demander son avis au propriétaire du mug, Cédric s'en empara d'une main ; de l'autre, il attrapa l’avant-bras de Tom et l’attira impérieusement vers le robinet le plus proche, situé sur une façade de la maison. « Ce n’est rien, redit le blessé d'une façon mécanique, comme un mauvais acteur.

— Tom, on va s’occuper de votre main. Penchez-vous un peu… Là. »

En obéissant aux recommandations de la voix grave, et plus douce que d'habitude, le rouquin pensa : Merde, pourquoi je l'envoie pas balader ? Le filet d'eau froide apaisa la chaleur à son poignet. Celle de son avant-bras nu, à l’endroit où Cédric l’enserrait, persistait. « Hum, ça n'a pas l’air grave ! » constata le brun avec un sourire soulagé.

Qui est-il vraiment ? L’interrogation muette de Tom se mêla aux couleurs annonçant le crépuscule. Au bout d'un moment, il récupéra son bras et l’usage de la parole : « Merci pour votre aide…

— Merci pour la vôtre !

— Vous devriez vérifier l’état de vos possessions pour considérer si ma valeur égale la leur. Et si vous en êtes satisfait, combien me payerez-vous pour le service rendu ? »

Pourquoi j’ai dit ça ! Ça avait l’air de bien se passer entre nous, cette fois. Peut-être trop bien...

« Je suis navré. Après avoir pris le temps d'y réfléchir, je regrette sincèrement mes paroles. » Tom fut surpris de n'avoir pas prononcé lui-même ces phrases qu'il venait d’entendre. Il répondit précipitamment : « Moi aussi ! Je… je ne voulais pas d’argent, simplement vous aider… »

Ses yeux sérieux teintés du même violet que l’horizon, Cédric déclara : « Je sais. L’autre jour, je me suis comporté comme un crétin. J'ai passé ma colère sur vous, alors que rien n’est de votre faute… Bien sûr que vous valez plus ! » Une réplique amère, prononcée à voix basse, le contredit : « Rien n’est moins sûr. »

Des paumes tièdes posées contre ses joues obligèrent Tom à relever la tête. Un souffle de bonbon à l'anis caressa ses lèvres quand une voix ferme l'appela avec un « Hey » soudain trop proche. Tom détourna la tête. « Excusez-moi, dit Cédric, mains derrière le dos, en faisant deux pas en arrière avec précipitation. Je ne voulais pas vous gêner... Simplement rappeler que vous persistez à secourir un inconnu, sans rien demander en retour. Vous êtes quelqu’un de valeur ! »

J’aimerais bien le croire ! pensa le rouquin, les yeux humides. Et… tu n'es pas un inconnu.

« Tom, ça n'a pas l'air d'aller. Vous… voulez en discuter ?

— Quel est le taux horaire que vous prenez pour conseiller les gens ? ironisa-t-il en se retournant vers Cédric.

— Je vous ferai un prix de bon voisinage : un café, ou une bière, par consultation. Ça me semble correct. »

Le regard malicieux et le sourire en coin, qui accompagnèrent cette phrase, étaient beaucoup plus agréables à contempler que Tom ne l'aurait cru possible une semaine auparavant.

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