𝟓 : Moonlight
☩
— Felix !
Le hurlement qui vibrait d'un accablement sans nom se perdit dans le vent et l'averse qui avaient commencé à faire rage au-dehors.
Changbin était brisé, submergé par une tornade d'émotions différentes.
Il éprouvait un courroux immense contre Minhee.
Il était terriblement inquiet pour son amant.
Et surtout, il culpabilisait de ne pas avoir été là pour le protéger.
Le souffle haché par la hargne, le jeune homme descendit péniblement de l'immeuble et posa pied dans la rue.
Brusquement, il se rendit compte que, outre la pluie, il y avait autre chose qui éclaboussait ses joues.
La brûlure douloureuse de larmes amères, tant de larmes de peur et de peine glissaient sur ses pommettes et se mêlaient à la pluie, froide et sordide.
C'était la deuxième fois de sa vie qu'il pleurait pour quelqu'un. Ses premiers pleurs avaient été pour son père, Maître Splinter, alors que des griffes d'acier transperçaient son cœur et que la vie s'effaçait de ses yeux emplis de sagacité.
— Felix ! s'époumona à nouveau désespérément Changbin.
Mais seul un silence acerbe lui répondit.
Les gouttes qui s'écrasaient lourdement sur l'asphalte en une cacophonie infernale semblaient se rire de lui, de lui et de ses rêves amoureux et chimériques.
Le noiraud se retrouva bientôt trempé jusqu'aux os, il trémulait dans la tenue qu'il avait empruntée à son amant.
Avec rage, il frappa le mur de l'immeuble, jusqu'à ce que ses mains ne soient plus que des morceaux de chair sanguinolents. Il serra les poings avec tellement d'impétuosité qu'il enfonça ses ongles dans sa peau tendre.
Changbin hurla, le plus fort qu'il put, avant de s'effondrer au sol. Il se mit à sangloter doucement, se laissant malmener par la force des intempéries qui s'abattaient sur la ville. Son corps tout entier était secoué de spasmes inextinguibles.
— F-Felix... L-Lix...
Le prénom de son petit ami traversait sans cesse la barrière de ses lèvres en des murmures de plus en plus inaudibles.
Le noiraud était terrifié à l'idée de ce que Minhee pourrait lui faire. Il savait de quoi elle était capable.
Soudain, quelqu'un le souleva violemment de terre. Sa colonne vertébrale percuta le mur derrière lui et ses poumons se comprimèrent brusquement, lui coupant ainsi le souffle.
Quelque chose de froid se plaqua alors contre sa gorge.
Entre ses mèches onyx ruisselantes d'eau, Changbin aperçut un visage atrocement familier à quelques centimètres du sien, ainsi que la lame d'un katana contre la peau fine de son cou.
Une respiration lourde, un épiderme verdâtre, un bandeau azuré, il n'y avait pas de doute possible.
Le noiraud resta de marbre face au regard menaçant de son frère aîné, qui l'écrasa un peu plus contre le béton.
Il n'avait pas envie de se battre, même s'il savait qu'il pourrait prendre l'avantage grâce à sa petite taille. Il connaissait les faiblesses de Leonardo, mais l'éreintement et la crainte de perdre un être cher l'empêchait de réagir.
Ils restèrent un instant immobiles, se dévisageant dans un silence uniquement entrecoupé par les faibles sanglots de Changbin et le clapotis de l'averse qui tombait au sol.
Ce dernier réprima péniblement un gémissement de douleur lorsque Léo, d'un geste lent, traça une balafre sur sa gorge. Des gouttes d'un liquide vermeil s'en écoulèrent alors et humectèrent ses vêtements, ainsi que le bitume, s'agglutinant à la pluie.
Mais le jeune homme ne broncha pas. Après tout, il avait déjà vécu bien pire.
Leonardo tiqua, ses traits s'étirant en une expression ahurie.
— Tu n'as pas peur ?
Changbin ne répondit pas. Bien évidemment qu'il ne craignait pas son frère, il le connaissait depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il ne le tuerait pas. Il se souciait bien trop des humains pour s'en prendre à eux.
Étrangement, sur ce point-là, ils se ressemblaient.
— Raphaël.
Il fallut un effort surhumain au noiraud pour ne pas montrer qu'il était médusé d'entendre ce prénom jaillir de la bouche de Léo. Il fit de son mieux pour rester impassible, malgré sa lèvre inférieure qui était agitée de spasmes dus à ses pleurs.
— Je sais que c'est toi, maintenant réponds-moi.
Bien qu'il n'en connaisse pas la véritable raison, Changbin avait peur que son frère apprenne qui il était. Il avait peur qu'ainsi, il finisse par découvrir son amant. C'était risible, mais il ne voulait pas qu'il se moque de lui.
Leonardo exhala un profond soupir et finit par le relâcher.
Le noiraud n'essaya même pas de s'enfuir, il se laissa durement choir sur l'asphalte. Les larmes qui glissaient de ses prunelles étaient toujours plus nombreuses, si bien qu'il n'était plus possible de les confondre avec la pluie.
— Raph' ? Tu... Tu pleures ?
Le concerné ferma les paupières et renifla bruyamment.
Et maintenant, qu'allait-il se passer ? Il ne pouvait plus dissimuler son secret à son frère, et Felix avait disparu.
Changbin ne parvenait plus à se relever, il trémulait sous la température glaciale de l'extérieur, le froid lui mordait la peau. De surcroît, la peine l'avait entièrement submergé et rongeait sa raison, transformant ses sentiments en souffrance dévastatrice.
Les mains de Leonardo vinrent se saisir de ses bras pour l'aider à se hisser sur ses pieds.
— Tu vas attraper froid si tu restes dehors, indiqua-t-il doucement.
Le noiraud ne rétorqua rien. Son regard se fit hagard, alarmant son frère. Ce dernier ouvrit la bouche, mais n'eut pas le temps de prononcer quoi que ce soit que le jeune homme s'effondra durement sur le sol anthracite.
☩
Changbin papillonna des paupières, avant de lâcher un léger gémissement de douleur.
Sa tête lui brûlait atrocement, mais pas plus que son cœur, lui étant un véritable brasier d'émotions tumultueuses.
Il ouvrit les yeux, et les referma aussitôt. Il venait d'apercevoir les tunnels familiers des égouts, ainsi que l'échelle qui menait au-dehors.
Il se souvint alors soudainement de sa confrontation avec son frère aîné.
Il l'avait donc ramené chez eux, ou plutôt, à quelques embranchements à peine de leur base.
Loin de son amant.
— Je sais que t'es réveillé, Raph', retentit la voix singulière de son aîné.
Le noiraud était fatigué de se battre.
Tout ce qu'il désirait, c'était Felix.
Il était la seule personne qui le faisait se sentir important, qui parvenait à le faire sourire sincèrement, qui lui faisait tourner la tête, qui faisait autant battre son cœur.
Il n'avait jamais aimé les marques d'affection, mais ses étreintes, il en voulait toujours plus. Changbin se sentait bien avec lui, réconforté, accepté, spécial, aimé.
— Raph', s'il te plaît. Il faut qu'on parle, toi et moi.
Le jeune homme était fatigué de mentir.
Il sentait que s'il laissait échapper ne serait-ce qu'un seul son, il ne pourrait s'empêcher de tout déballer.
Mais Leonardo ne comprendrait pas.
Il ne pouvait tout simplement pas comprendre à quel point Felix était important pour lui.
— Raph'... Pourquoi tu pleures ?
Changbin était fatigué de pleurer.
De plantureuses perles salées glissaient de ses paupières closes et humectaient ses pommettes, sillonnant sa peau et laissant derrière elles des traînées humides.
Pourquoi ne pouvait-il pas avoir une vie normale ?
Juste une fois, il aurait voulu que cela dure plus longtemps.
Qu'il ressente les effets grisants de l'amour plus longtemps.
Qu'il puisse serrer Felix dans ses bras et l'embrasser plus longtemps.
Le noiraud devait le retrouver, coûte que coûte. Il ne laisserait personne toucher à un seul de ses cheveux.
Changbin se redressa brusquement, et Léo tressaillit avec surprise.
Il pleurait toujours à chaudes larmes, mais cette fois-ci, un sentiment de haine se reflétait dans ses iris émeraude brouillés par l'eau salée. C'était un éclat différent de ce dont l'aîné avait l'habitude, bien plus venimeux et menaçant.
Son antipathie fielleuse vibrait pour quelqu'un.
L'animosité vindicative qui l'électrisait ne s'apaiserait pas aussi facilement, cette fois-ci, et le Leader le devina aisément.
Le noiraud se releva péniblement et se saisit de ses saïs. Il voulut quitter les lieux, mais son frère l'en empêcha.
— Tu ne bouges pas d'ici avant d'aller mieux, l'avertit-il.
— Il est en danger ! lâcha sèchement son vis-à-vis. J'ai autre chose à foutre que de rester glander parce que je suis épuisé !
— Raphaël, tu n'iras pas loin comme ça ! Il te faut te reposer et réfléchir posément !
— J'ai pas le temps pour ça, pigé ?!
Lorsque Changbin esquissa un pas en direction de l'échelle, Leonardo agrippa son poignet d'un geste sec.
— Tu restes, tu te calmes, prononça-t-il, et je te promets que je t'aiderai.
Le noiraud expira avec fureur, mais il devait se rendre à l'évidence : Léo lui serait un précieux et inestimable allié. Et puis, il avait besoin de renfort.
C'était la première fois que le Leader restait aussi impassible face à un éclat de colère du plus jeune.
C'était la première fois qu'il n'y avait pas une seule once de raillerie dans le ton de sa voix.
Et ce fut la première fois que le jeune homme obtempéra à la demande de son aîné sans protester davantage.
Changbin plongea son regard d'un vert intense dans celui de son vis-à-vis et opina du chef à contrecœur.
Léo le relâcha doucement.
— Bon. Vu que t'es trempé, pendant que tu dormais, je t'ai apporté de quoi te réchauffer. Ah, et je t'ai amené de la nourriture aussi.
Le noiraud se saisit aussitôt de la couette et s'en recouvrit entièrement.
— Essaie de ne pas t'étouffer avec, j'ai besoin que tu m'expliques quelques trucs avant.
La tête du plus jeune émergea de la couverture, son action s'accompagnant d'un léger soupir. Leonardo ne renchérit rien et lui tendit simplement une part de pizza qu'il s'empressa de saisir.
Ce fut à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'il mourait de faim.
Après avoir englouti son repas improvisé, Changbin se sentit bien mieux. La rogne était évidemment toujours autant présente, mais elle était concentrée intelligemment.
Il lui fallait un plan pour sauver son amant.
— Alors, Raph'...
— Hmm ?
— Tu me dois des explications.
— Ah, ouais. C'est-à-dire que... c'est à cause de Minhee.
Leonardo fronça les sourcils d'un air dubitatif.
— Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?
Le noiraud haussa les épaules avec désinvolture.
— Elle m'a injecté quelque chose dans le corps. Un liquide translucide, un peu violet. Et depuis... chaque fois que j'entre en contact avec la lune, je deviens...
— Tu deviens humain...
— Ouais.
Un long silence envahit le tunnel, avant que Léo ne finisse par le briser.
— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
— Pourquoi j'aurais dû te le dire ? rétorqua Changbin.
— C'est à cause de ce garçon blond, n'est-ce pas ?
Le noiraud le fixa avec incrédulité.
— Comment tu...?
— Je l'ai déjà vu traîner plusieurs fois autour de notre bouche d'égout, alors j'ai fini par me demander si tu le connaissais...
Changbin en resta coi.
Pourquoi Felix avait-il été à proximité de leur base ?
Y avait-il quelque chose qu'il ignorait ?
— C'est donc bien à cause de lui que tu ne nous as rien dit, interpréta le Leader.
— Non ! Je ne voulais juste pas vous inquiéter !
— Mais alors, pourquoi es-tu aussi mal en point ? C'est à cause de lui, n'est-ce pas ?
« Pourquoi a-t-il fallu qu'il soit aussi intelligent ? » grommela intérieurement Changbin.
— Ouais, lâcha-t-il durement. Minhee l'a enlevé...
— Alors il faut qu'on le retrouve avant qu'elle ne lui fasse quoi que ce soit.
Le noiraud déglutit péniblement, alors que des larmes perlaient à nouveau du coin de ses yeux smaragdins.
Son frère inclina la tête, l'observant avec curiosité.
— Tu tiens beaucoup à lui, on dirait.
Le plus jeune resta silencieux. La boule qui se formait dans sa gorge s'accroissait de plus en plus, il craignait de craquer.
— J-J'ai p-peur qu'il lui arrive quelque chose...
— Eh, ne pleure pas, murmura doucement Leonardo. On va le retrouver, d'accord ?
Changbin renifla et opina du chef.
— M-Merci...
☩
Une fois qu'ils se furent rassérénés, la Tortue au bandeau céruléen mit en place un plan pour retrouver le blondinet. Mais pour éviter les embuscades, il lui fallait l'aide d'un déjanté hors-pair qui pourrait distraire les éventuels gardes, et pour comprendre le fonctionnement du liquide injecté dans l'organisme de Raphaël, il lui fallait un génie en tant que renfort.
Pour ce faire, Léo demanda l'autorisation à son jeune frère d'inclure Michelangelo et Donatello à leur mission de sauvetage, ce que celui-ci accepta, à condition qu'il ne leur révèle ni sa réelle identité, ni l'importance qu'avait Felix pour lui.
— Au fait, tu ne m'as pas dit, comment t'as fait pour me reconnaître ? s'enquit soudainement Changbin.
— Je n'avais pas vraiment compris au début, mais les saïs m'ont mis la puce à l'oreille, expliqua son vis-à-vis alors qu'il envoyait un message aux autres mutants. Et ensuite, je me suis rendu compte de plusieurs chose. Une, tes iris verts, deux, ta cicatrice à la poitrine, et trois, ta voix. Aussi, tu n'avais pas peur de moi, ce qui est très étrange pour un humain.
— J'étais tellement cramé...
— Complètement.
— Tu ne peux pas te bouger ? À ce rythme-là, il fera jour, maugréa le noiraud.
— Et alors ?
— Tu plaisantes ? Je vais redevenir une Tortue !
— Et ce sera mieux, trancha Leonardo, comme ça Donnie et Mikey ne se douteront de rien, et puis, tu auras accès à toutes tes capacités.
— Mouais, bougonna Changbin en soupirant.
— Si c'est pour ton p'tit blondinet que tu t'inquiètes, on aura qu'à user de l'élixir de Donnie pour lui faire perdre la mémoire.
— Je... Je ne suis pas sûr que cela soit une très bonne idée...
Le Leader arqua un sourcil.
— Il est humain, il n'est pas censé connaître notre identité.
— Et April dans tout ça ? rétorqua le noiraud sur un ton cinglant.
— Elle... c'est une exception.
— Alors laisse Felix tranquille.
L'aîné parut légèrement déconcerté par le changement d'attitude de son frère concernant cet adolescent humain. Il semblait être très attaché à lui, ce qui ne fit qu'attiser sa curiosité sur sa réelle relation avec lui.
— Peu importe, trancha-t-il finalement. L'essentiel, c'est qu'il ne soit pas traumatisé par cet évènement.
— Par notre sale gueule, tu veux dire ? ironisa Changbin en s'adossant contre le mur.
— Très drôle. On n'est pas si horribles que ça, je trouve. J'ai déjà vu bien pire comme mutants.
Leonardo laissa à nouveau courir ses doigts sur l'écran de son portable, attendant une réponse en provenance de ses cadets.
— Comment tu l'as rencontré, d'ailleurs ? s'enquit-il curieusement.
— Longue histoire, soupira le noiraud.
Le mutant hocha faiblement la tête en silence. Son visage fut alors éclairé d'un bref rictus satisfait lorsque son natel vibra soudainement.
— On est bon. Traquer Minhee ne devrait pas être bien compliqué dans la mesure où elle souhaite quelque chose en retour.
— Ouais. Soit lui, soit nous.
— Donc, puisqu'on ne se rendra de toute façon pas et qu'il est absolument hors de question qu'on laisse Felix entre ses mains, on n'a pas le choix. Il nous faut un appât.
— Qui ?
— Ce sera moi, décréta Léo. Tu te pointeras là-bas et tu me « livreras » à elle. J'espère qu'ainsi, elle libérera ton blondinet.
— Et toi ?
— Je me débrouillerai pour la battre et fuir.
Changbin resta un instant silencieux, digérant l'information.
— T'en es sûr ? s'enquit-il.
— T'inquiète pas pour moi, ça ira. L'essentiel, c'est que Felix n'ait rien.
Le plus jeune hocha vigoureusement la tête, approuvant les dires de son frère. Il était un Ninja relativement doué, il saurait se débrouiller.
☩
Assis sur le toit du bâtiment à proximité de la bouche d'égout amenant à leur base, Changbin cogitait nerveusement. Son sang bouillonnait impatiemment dans ses veines, ses paupières étaient closes.
Il attendait que le soleil pointe à l'horizon et qu'il lui fasse perdre à nouveau son apparence humaine.
Cela avait été avec toutes les réticences du monde qu'il avait acquiescé à la décision de Leonardo d'attendre le lever du jour pour se mettre en action. Cela ne lui faisait évidemment pas plaisir de revêtir cette forme, mais il n'avait pas réellement le choix. Après tout, le plan devait être minutieusement mis en place sans encombre, sinon quoi Minhee s'apercevrait de leur supercherie. Et puis, en tant que mutant, il avait quelques avantages ; sa taille, sa peau bien plus résistante, ainsi qu'une plus grande célérité due à l'habitude l'aideraient grandement au combat. Il ne lui était pas coutume de se mouvoir dans un corps quasiment deux fois plus petit et beaucoup moins robuste, c'est pourquoi il n'était pas encore bien à l'aise.
Finalement, le noiraud sentit quelques timides rayons du soleil lui effleurer le visage et réchauffer son épiderme glacial. Aussitôt, des frissons remontèrent son échine et ses membres furent pris de fourmillements incessants.
Une fois le processus activé, il ne lui était plus possible de retourner en arrière, c'est pourquoi le mutant s'empressa de se dissimuler dans une zone d'ombre en attendant la fin de sa métamorphose.
Sa lourde carapace n'était définitivement pas quelque chose qui lui avait manqué, bien qu'il puisse s'y calfeutrer en cas de danger. Étrangement, elle lui semblait être bien plus accablante que de coutume, courbant son dos sous un poids qui, finalement, n'était pas ce qu'il croyait être.
Ce poids n'était que le résultat de la culpabilité qui le rongeait.
Peut-être n'aurait-il jamais dû céder à la tentation de revoir Felix.
C'était à cause de cela qu'il s'était autant attaché à lui, qu'il en était tombé éperdument amoureux, et qu'un lien indicible s'était noué entre eux. Il l'avait mis en danger en restant près de lui... Il aurait pourtant dû le prévoir.
Raphaël avait pourtant songé à la possibilité que Minhee revienne, plus vindicative que jamais, mais pas qu'elle détruise ce pour quoi son cœur pulsait et le nourrissait de sa sève coralline.
Que leur voulait-elle ? Mettre hors d'état de nuire les seules personnes capables de contrer les forces fielleuses qui s'abattaient sans cesse sur New York ? Et si c'était effectivement le cas, cela signifiait qu'une nouvelle menace allait sans doute affluer, et cela ne rassura pas le noiraud.
Il ne supporterait pas qu'un portail amène de nouvelles créatures extraterrestres sur Terre.
Les Krangs avaient laissé une éraflure encore fraîche sur son âme. Il les avait vus se débarrasser d'un fluide vert prasin qui avait transformé d'innocentes personnes en monstres. Et cela l'avait brisé. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était que d'autres êtres vivants souffrent autant que lui avait souffert en vingt ans d'existence méprisée.
Changbin savait bien à quel point se faire rejeter par le monde était douloureux. Devoir dissimuler son apparence physique sous peine de se faire conspuer l'avait anéanti.
Et pourtant, jamais ses frères ne l'avaient remarqué. Il avait toujours semblé être le plus fort, autant physiquement que mentalement, mais ce n'était qu'une façade. En réalité, le noiraud était le plus fragile d'entre eux. Il avait peur, et avoir l'assurance d'être capable de vaincre ses ennemis lui donnait des ailes, durcissait son regard et pétrifiait son organe vital qui pourtant, pulsait bel et bien avec exaltation dans sa poitrine.
Après cinq ans de combat acharné, les Tortues étaient parvenues à terrasser Shredder et le chef des Krangs, Krang Prime. Ainsi, le peuple de ce dernier et le Clan des Foot avaient disparu, hormis une jeune femme qui leur avait semblé inoffensive au premier abord : Minhee.
Mais apparemment, ils s'étaient lourdement trompés.
Raphaël glissa ses saïs dans les fourreaux qui pendaient à sa ceinture et y ajouta également quelques bombes de fumigène et des shurikens de métal acéré.
Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas préparé ainsi à se battre, mais avec une ancienne partisante du Clan des Foot, il devait s'attendre à tout, même au pire.
Néanmoins, il y avait une chose dont laquelle le noiraud était absolument certain.
Il allait sauver Felix, et ce, au péril de sa propre vie.
Le jeune mutant se retourna lorsqu'il aperçut Léo s'avancer vers lui, armé de ses éternels ninjatōs. Ils se dévisagèrent silencieusement pendant quelques minutes, les iris céruléens s'ancrant dans le regard émeraude.
— Paré ? questionna l'aîné.
Le noiraud se mordit la lèvre inférieure et opina du chef.
— Ouais, paré.
☩
— J'ai réussi à localiser le portable de l'humain, déclara Donatello en indiquant l'écran de son téléphone, où clignotait un point écarlate. Minhee a oublié de l'éteindre, on dirait.
— Je pense plutôt que c'était dans son intention que tu la trouves, marmonna le mutant au bandeau couleur rubis.
— C'est trop facile, se méfia le Leader.
Ce dernier était au volant de leur van et conduisait dans les rues d'une ville qui peinait à s'éveiller en cette heure matinale.
— On dirait qu'elle a besoin de quelque chose, approuva le génie du groupe. De l'un d'entre nous, je pense. Léo ?
Le concerné croisa le regard smaragdin de Raphaël un court instant. Ils savaient qu'elle voulait les quatre d'entre eux, et tout particulièrement ce dernier, mais aucun des deux ne pipa mot.
— De toute façon, on n'a pas le choix, trancha l'aîné. Sauver cet humain est notre priorité.
Ils acquiescèrent simultanément, la mine sombre. Ils ne savaient pas à quoi s'attendre, et cela les rendait tout particulièrement nerveux, d'autant plus que cela faisait relativement longtemps qu'ils ne s'étaient pas battus.
— Au fait, il est où Mikey ? s'enquit soudainement Leonardo.
— Il est au fond du van, répondit Donnie. Il regarde des dessins animés pour se détendre.
— Bon, au moins, il n'a encore rien cassé, soupira Raphaël.
L'aîné pouffa nerveusement, tandis que ses deux autres frères se mettaient à jouer distraitement avec leurs armes respectives.
Raphaël était profondément plongé dans ses pensées, ses mains moites venant sans cesse s'agripper aux manches de ses saïs. Maintenant qu'ils s'apprêtaient à sauver Felix, les larmes lui montaient à nouveau aux yeux, et les réprimer devenait de plus en plus difficile.
Son blondinet lui manquait cruellement.
Un sentiment de vide avait pris ampleur en lui et consumait sa force vitale. Sa motivation, sa force, l'espoir qui ne l'éclairait plus que faiblement, tout s'essoufflait et s'amenuisait à une vitesse hallucinante.
Peut-être que Léo avait raison.
Peut-être qu'il vaudrait mieux qu'il efface la mémoire de Felix, et ce, depuis sa rencontre avec lui.
L'adolescent à la chevelure flavescente méritait une vie normale, loin des guerres surnaturelles qui décimaient sans cesse New York.
L'Australien vivrait sans doute mieux sans la présence de Changbin. Il n'était qu'un fardeau pour lui, il lui dissimulait sa double vie et faisait durer ses insomnies.
Il était fou amoureux du blondinet, mais... en avait-il réellement les droits ?
Techniquement, il n'existait pas aux yeux de l'humanité, il n'y avait rien qui puisse attester son existence.
Et Felix avait accepté de devenir son copain.
De devenir le copain... d'un monstre.
— On est arrivés, retentit la voix de Leonardo, l'arrachant ainsi à ses pensées houleuses.
Il avait parqué le van dans un cul-de-sac désert, non loin d'une vieille fabrique de chaussures qui avait fait faillite.
Raphaël prit une profonde inspiration et hocha la tête. Il suivit alors ses frères, qui descendirent du véhicule dans un silence uniquement troublé par Mikey, qui ne pouvait s'empêcher de jacasser des sottises pour se réconforter. Néanmoins, personne ne parvint à lui en tenir rigueur, car après tout, chacun avait sa façon de se détendre.
Eux qui avaient tant haï la paix ayant pris place à New York à la mort de Shredder, ils étaient pourtant loin de désirer se battre à nouveau. Mais ils n'avaient pas le choix et ils ne le savaient que trop bien.
Ils allaient débarrasser New York de ses ennemis, et ce, une bonne fois pour toute.
☩
La première chose que Felix ressentit lorsqu'il se réveilla fut une brûlure au niveau de sa jambe droite et un fluide visqueux glissant le long de son tibia.
Sa tête lui faisait atrocement mal, et ses paupières étaient lourdes. Il lui fallut un effort considérable pour les entrouvrir.
Il aperçut directement que du sang s'échappait d'une plaie salement infectée sur sa jambe.
L'adolescent écarquilla les yeux en remarquant soudainement qu'il était ligoté en hauteur, des cordes ficelant son corps et le maintenant à plusieurs mètres au-dessus du sol. Un énorme bac en verre empli d'un liquide turquoise était posé en dessous de lui comme une gueule béante et menaçante.
La sève vitale du jeune homme, s'écoulant de sa meurtrissure, y tombait goutte à goutte.
À chaque contact, de la fumée anthracite s'en élevait, formant une sorte de brouillard opaque aux pieds de l'adolescent.
Celui-ci déglutit péniblement.
— Tiens, tiens, le p'tit blond se réveille enfin, on dirait.
Des points noirs entravèrent un instant la vue de Felix, alors qu'il sentait sa pression tomber en chute libre. Ses oreilles sifflèrent, et il lâcha un gémissement de douleur.
— Ma nouvelle invention a un effet intéressant sur un humain, constata la voix de femme.
— Q-Qui êtes-vous ? murmura faiblement le blondinet.
— Qui sait comment ton corps réagirait s'il entrait en contact avec mon sélénitagène ?
L'adolescent, dans un immense effort, parvint enfin à distinguer une jeune femme dans un coin de la pièce, un petit sourire mesquin sur les lèvres. Elle était vêtue d'une tenue noire et moulante recouverte d'une armure légère. Une épée-double était accrochée dans son dos. À sa ceinture, elle détenait des shurikens, ainsi que de petites fioles luisant de différentes couleurs criardes. Son regard, si sombre qu'il semblait être dépourvu de pupilles, était rivé sur lui.
Cela lui donna la chair de poule.
— Qui êtes-vous ? récidiva Felix avec plus de vigueur.
— J'étais un des nombreux associés de Shredder. J'étais de loin la plus fidèle, mais pourtant, il ne s'occupait pas de moi. J'étais bien trop discrète pour qu'il fasse attention à une petite fille comme moi.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— J'étais tellement seule en ces temps anciens, soupira-t-elle. Mais heureusement pour moi, un évènement de force majeure s'est finalement produit.
Le blondinet s'était tu, voyant bien qu'il ne servait à rien qu'il dépense son énergie dans le vide. À la place, bien décidé à en apprendre plus sur sa ravisseuse, il décida d'écouter attentivement ses propos, même en sachant qu'il ne comprendrait pas la moitié de ce qu'elle allait déblatérer.
— Lorsque les Krangs ont débarqué, ils ont jeté quelques tubes de mutagène dans la ville. À un simple contact avec ce dangereux liquide, des humains pouvaient devenir monstrueux, des animaux pouvaient être dotés d'intelligence et de sentiments... Cela m'a fasciné.
Ses dires concordaient étrangement avec ceux de Jisung.
— J'étais tellement captivée que j'ai rapidement commencé à essayer de créer moi-même ce genre de fluide. J'ai prélevé du mutagène, j'en ai expérimenté sur des tas de cobayes et j'ai finalement conçu une dizaine d'essences différentes, chacune ayant un effet caractéristique. Shredder ne s'occupait pas de ma présence insignifiante à ses yeux, et c'était tant mieux pour mes petites expériences. Mais ensuite... tout a basculé.
Felix l'écoutait avec de plus en plus d'incompréhension.
— Vois-tu, poursuivit la femme, tout a une fin. Shredder est mort, tué par le père de ces infâmes Tortues. Le Clan des Foot s'est dissocié. Les Krangs ont quitté la Terre. Il n'y avait plus que moi, j'étais seule, oubliée de tous, oubliée des mutants.
Les termes qu'elle utilisait ne disaient absolument rien au jeune homme, mais il sentait que c'était important.
— Le chef Krang Prime m'a vite remarquée. Il m'a promis de me donner tous les secrets de son peuple, à condition que je tue les monstres qui servent de fils à celui qui a mis fin au règne de mon défunt maître. Je me suis battue plusieurs fois contre eux, mais j'ai échoué à leur pourfendre le cœur à mon tour. Alors je n'ai pas eu le choix. Je me suis injectée du mutagène à tendance génétique spécifique pour me rendre plus forte.
La noiraude sourit. Mais c'était loin d'être un sourire chaleureux, il était vide, froid, et le blondinet sentit des frissons de dégoût remonter son échine. Des perles de sueur glissèrent de sa nuque et finirent dans l'eau turquoise au-dessous de lui.
Il était terrifié par cette femme.
— Mais avant d'aller régler leur compte une bonne fois pour toute, j'ai décidé que j'allais m'amuser un peu.
Elle indiqua alors le bac au-dessous duquel se balançait Felix.
— Une de mes nouvelles inventions : le sélénitagène, expliqua fièrement la femme. Je n'étais pas certaine de ses véritables effets, et je n'avais que des cobayes mutants issus d'humains sous la main. Alors, j'ai déniché Raphaël, l'une de ces misérables Tortues, et je le lui ai inoculé contre son gré.
Le blondinet sentit quelque chose le démanger. Cette affaire était étrange.
— J'ai été très surprise, à vrai dire, avoua la guerrière en observant distraitement ses gants. Lorsque les rayons lunaires ont effleuré cette bête abjecte, ils lui ont retiré ce qui faisait de lui un monstre, comme prévu. Mais au lieu de le transformer en ce qu'il était à l'origine, c'est-à-dire en tortue, il l'a rendu humain.
Felix sentit sa propre respiration se couper.
— Il s'est énormément rapproché de toi, renchérit-elle d'un air dégoûté. Ainsi, un nouveau plan a germé dans mon esprit. Vois-tu, j'ai besoin de les détruire, tous les quatre, alors quoi de mieux qu'un appât pour les attirer dans mon antre ?
La ravisseuse s'avança en direction du jeune homme, toujours avec ce même rictus factice collé sur sa bouche hideuse. Son regard se noircit soudainement, donnant froid dans le dos de l'adolescent.
— Je leur ai promis un échange, mais jamais je ne leur ai promis que tu serais toujours sain et sauf, rit-elle alors. Lorsque Raphaël viendra, tu feras un petit plongeon. Je me délecte d'avance de voir son visage ravagé par le chagrin.
Tout en se passant lentement la langue sur les lèvres, elle lâcha un ricanement sec.
☩
Accroché au plafond, Michelangelo attendait patiemment. Lorsqu'un garde passait sous lui, il se laissait tomber sur ses épaules, plaquait une main sur sa bouche et lui tranchait la gorge avec son nunchaku, avant de remonter à la vitesse de l'éclair. Son arme de prédilection se changeait parfois en kusarigama, deux tiges de métal d'où émergeaient deux lames triangulaires liées entre elles par une chaîne.
Près de lui, Donatello, bien que ce soit avec un peu moins de hardiesse, faisait de même à l'aide de son bō, deux lames jaillissant de chaque extrémité d'un bâton en bois de grande taille.
— Je croyais qu'il n'était pas censé y avoir d'autres gens, bougonna Mikey en chuchotant.
— Ce sont les quelques Ninjas du Clan des Foot restés fidèles à Minhee, expliqua le plus âgé sur le même ton. Il n'y en a pas énormément, t'inquiète.
Le déjanté maugréa son mécontentement, tout en sautant de plus en plus rapidement de veilleur en veilleur. Leonardo avait été bien clair : ils devaient se débarrasser du plus de Ninjas possible pour éviter que la noiraude ne jouisse d'une trop grande armée par la suite.
Quant au Leader et à Raphaël, ils s'étaient faufilés dans les conduits d'aération. Ils durent néanmoins s'arrêter lorsque celui dans lequel ils rampaient les mena à un cul-de-sac.
Leonardo jeta un œil par la grille et aperçut une pièce qui pullulait de Ninjas aux aguets.
— La salle juste après, chuchota-t-il, c'est celle où on a détectés la présence de Minhee.
— Retiens ton souffle et plaque un tissu sur ton visage, ordonna alors le plus jeune.
Sans lui laisser le temps de rétorquer, la Tortue au bandeau incarnat se saisit d'un fumigène à sa ceinture, ouvrit la grille et le laissa tomber dans la salle. Lorsqu'il atterrit au sol, il laissa échapper une fumée blanchâtre. Aussitôt, les gardes se mirent à tousser, et leurs yeux s'embuèrent. Ils finirent par s'allonger sur le sol, et après quelques minutes, ils s'endormirent brusquement.
— Gaz soporifique, expliqua le mutant à son frère. On n'a pas le temps de tous les tuer, alors autant faciliter le travail à Mikey et à Donnie.
Ils descendirent tous deux dans la pièce et enjambèrent silencieusement les corps endormis des Ninjas.
Léo s'était ligoté les mains pour plus de réalisme, mais il savait comment rapidement délier la corde en cas de besoin. Son frère s'était saisi de ses ninjatōs, en plus de ses saïs.
— Essaie d'être convainquant, murmura l'aîné. Et surtout, garde ton sang-froid, peu importe ce que tu verras.
— Ouais.
— J'insiste sur ce dernier point, Raph'. Je sais à quel point tu peux être... rancunier.
Le plus jeune opina du chef. Tout son corps était crispé, il avait peur de ne pas parvenir à se contrôler s'il venait à apercevoir Felix détenu par sa pire ennemie.
Léo était profondément inquiet pour son frère. C'était la première fois qu'il le voyait ainsi, brûlant de folie pour quelqu'un. La nature de leur relation l'intriguait de plus en plus.
Il se promit qu'il ferait tout son possible pour sauver cet humain tellement important pour son frère.
☩
Lorsque Raphaël et son aîné poussèrent finalement la porte menant à l'endroit où ils avaient localisé leur ennemie, une atmosphère lourde et tendue les accueillit.
Le plus jeune s'était raidi, tous ses sens étaient en alerte. Il avançait à pas de loup, une main sur un de ses saïs, l'autre traînant Leonardo derrière lui.
Il se figea net en apercevant soudainement son amant, ligoté dans les airs, au-dessus d'un fluide particulièrement dangereux. Ses paupières étaient closes, et il respirait avec lenteur.
Changbin sentit alors une hargne sourde le submerger, ses poings se serrèrent avec brusquerie. Il fit un pas en avant, mais Leonardo arrêta son geste.
— Raph'...
Malgré son anxiété quant à l'état de son copain, le concerné resta de marbre. Mais rapidement, des larmes glissèrent de ses prunelles émeraude. Il ne parvenait plus à quitter Felix du regard.
— Eh, murmura doucement son frère. Respire, ça va aller. Il ira bien, je te le promets.
Son interlocuteur souffla un bon coup, acquiesçant presque imperceptiblement. Il se sentait terriblement mal. Il savait que tout était de sa faute ; que si son petit ami s'était retrouvé dans cette position, c'était uniquement dû au fait qu'il était un monstre.
— Bonjour, Raphaël, retentit alors une voix féminine qui glaça le sang du concerné.
Minhee apparut soudainement devant les mutants, sortant de nulle part. Le plus jeune tira avec force sur les mains de Léo, lui arrachant un grognement.
— Comment tu vas depuis le temps ? susurra-t-elle mielleusement d'un air patelin.
— Ferme-la, je ne suis pas là pour jouer, s'insurgea le mutant au bandeau carmin sur un ton acrimonieux. Je te file Léo, tu relâches Felix, et on se rendra tous les trois après.
— Ce n'était pas...
— C'est non négociable. Relâche Felix.
La noiraude inclina la tête, ses lèvres noires s'étirèrent en un rictus mi-amusé mi-cauteleux.
— Hmm, pourquoi pas après tout ? Parce que, contrairement à toi, je suis là pour jouer.
Changbin déglutit avec colère, la rage brûlant toujours plus vivement dans ses veines. Il sentait qu'il était sur le point d'exploser de fureur, et ce fut avec toute la peine du monde qu'il réprima sa rogne.
Il fit signe à Léo de rejoindre Minhee, et celui-ci s'exécuta sans un mot.
Lorsqu'il fut entre les mains de leur ennemie, la noiraude ricana méchamment. Chacun des muscles du corps de Raphaël se tendit violemment.
— Comme promis, je libère ton blondinet, déclara-t-elle avec une mine dégoûtée.
Tout se passa ensuite très vite.
La jeune femme dégaina ses shurikens et les lança en direction des cordes qui retenaient Felix en hauteur. Avant même qu'ils puissent les trancher, le jeune mutant s'était précipité vers le bac contenant le sélénitagène. Prenant appui sur le rebord, il bondit et parvint à attraper son amant en plein vol, avant de retomber de l'autre côté sur sa carapace pour éviter que le blondinet ne se fracasse au sol.
Son dos émit un craquement sonore pas vraiment rassurant, mais Changbin s'en fichait. Le garçon était entre ses bras, sain et sauf.
Il souffla avec soulagement et se releva en soulevant son petit ami avec douceur. Son regard le sonda rapidement, mais hormis la meurtrissure de sa jambe, il ne semblait pas avoir subi d'autres séquelles.
Raphaël aperçut soudainement la mine inquiète de Donatello près de lui. Avant qu'il ne puisse réagir, ce dernier planta une seringue dans la peau fragile de Felix et appuya sur le piston.
Il avait une très mauvaise expérience des aiguilles.
— Putain Donnie ! Qu'est-ce que...
— Calme-toi, c'est juste de l'adrénaline. Il en aura besoin s'il veut s'en sortir.
Ce fut alors l'effet d'un coup de fouet. Le blondinet tressaillit violemment et ouvrit les paupières.
Aussitôt qu'il sentit son corps mou se crisper entre ses bras, Changbin déposa délicatement Felix au sol et s'éloigna de quelques mètres pour ne pas l'effrayer. Il remarqua alors que son frère était déjà parti apporter du renfort à Leonardo.
Il détourna le regard et murmura alors à l'adresse de son vis-à-vis :
— Cache-toi.
Il fit un pas en avant pour retourner se battre, quand soudain, une petite main l'arrêta dans son élan. L'aîné se retourna doucement, croisant ainsi les iris mordorés qu'il aimait tant.
— Fais attention, supplia la voix rauque et chevrotante de l'Australien.
Raphaël opina simplement, et en faisant fi de l'étrange tourbillon de chaleur dans son ventre, ainsi que de la douleur aiguë qui opprimait sa carapace, il se dégagea doucement de l'emprise de son copain. Il se saisit de ses saïs et les fit tournoyer entre ses paumes.
Lorsqu'il retourna dans l'autre moitié de la pièce, le Leader combattait seul Minhee, tandis que ses autres frères assaillaient les Ninjas qui étaient censés protéger leur maîtresse.
Il se précipita alors sur la guerrière et entreprit d'aider Léo à contrer avec âpreté ses attaques fulgurantes.
Une fois son sentiment d'intense soulagement d'avoir évité à Felix un plongeon irréversible passé, la rage latente prit à nouveau le dessus sur ses autres émotions. Sa raison se noya dans le trou noir de sa frénésie suffocante, et il finit par parvenir à pointer son saï contre la gorge de son ennemie.
Mais au lieu d'apercevoir de la crainte dans son regard onyx, Changbin y vit un amusement frivole.
Devant ses yeux éberlués, un dard sombre se déploya au-dessus de la tête de Minhee et se jeta sur lui à une vitesse foudroyante.
Le mutant s'écarta de justesse, la pointe acérée se fichant dans le mur derrière lui.
Le visage de la jeune femme n'eut alors plus rien d'humain. Il était recouvert de petites écailles noirâtres et luisantes, et des crocs avaient pris la place de ses dents.
— Qu'est-ce que tu es, sale sorcière ?! cria alors Leonardo en se positionnant près de son frère pour s'assurer qu'il ne soit pas blessé.
La longue queue écaillée de la concernée, se balançant dangereusement au-dessus d'elle, ne leur disait rien qui vaille.
— J'ai avalé du mutagène, mon chou, fit-elle altièrement. Les scorpions sont certes petits, mais néanmoins... fort efficaces.
Elle poussa un rire d'une froideur effroyable et lança à nouveau son aiguillon venimeux contre les deux Tortues désemparées qui ne parvenaient plus à l'approcher.
Les saïs de Raphaël et les katanas de Léo se heurtaient violemment à l'épée-double et au dard caustique de la guerrière, sans toutefois parvenir à ouvrir une faille entre ses assauts répétés. Minhee ricanait de bon cœur, pirouettant sur elle-même pour contrer les estocades de plus en plus rageuses des Ninjas irrités.
Changbin s'écarta un instant, observant avec discernement les différentes techniques de Ninjutsu que son ennemie utilisait avec une aisance révoltante. Il constata alors qu'elle ne réfléchissait à aucun des coups qu'elle portait. Elle ne faisait que suivre son instinct, ce qui la rendait dangereusement imprévisible.
Soucieux de mettre un terme à ce combat le plus rapidement possible, le mutant laissa son regard émeraude fureter dans toutes les directions. Il y avait relativement peu de chose dans cette salle, hormis la piscine à sélénitagène.
Mais il remarqua enfin qu'un escalier de fer en colimaçon menait à un petit étage, pas très haut mais cependant suffisamment camouflé dans l'ombre pour qu'il puisse s'y dissimuler.
Sans hésiter davantage, Raphaël grimpa avec agilité sur le balcon de métal et se dématérialisa dans l'obscurité.
S'il venait à agir de manière imprévisible, peut-être que Minhee n'aurait pas le temps de contrer son attaque. Il se devait de se soustraire à son regard, en espérant que Leonardo puisse retenir son attention.
Le mutant au bandeau cramoisi se sentait beaucoup plus calme maintenant qu'il savait Felix hors de portée de son ennemie. Bien que celui-ci ne soit pas encore totalement en sécurité, il n'était plus entre la vie et la mort, et cela ôtait un énorme fardeau de ses épaules.
Néanmoins, il était toujours submergé par la rancœur.
Il allait en finir de cette guerrière, une bonne fois pour toute.
Après quelques instants qui semblèrent être des heures à Changbin, celui-ci s'empressa de quitter sa cachette et, depuis le haut de son promontoire, se décida à bondir sans attendre sur Minhee.
Cette dernière, occupée à maîtriser un Ninja aussi expérimenté que Léo, ne l'aperçut qu'à la dernière seconde.
Mais ce fut trop tard.
En poussant un hurlement de rage, Raphaël abattit durement la lame d'un de ses saïs sur l'aiguillon de son assaillante, veillant à viser le plus proche possible de son dos.
Tout en roulant plus loin pour éviter les coups frénétiques de sa redoutable épée-double, il l'observa crier de douleur avec un rictus satisfait.
Il avait tranché net son dard venimeux.
Ainsi débarrassées d'une arme redoutable, les Tortues voyaient leurs chances de la vaincre augmenter considérablement.
— Bien joué, le félicita le Leader.
— Ne parle pas trop vite, l'avertit son interlocuteur. Elle reste relativement dangereuse.
Leonardo opina du chef, mais il ne put empêcher à un étrange sourire victorieux de se dessiner sur ses lèvres.
— Viens, il est temps d'en finir.
Minhee cracha par terre, le bout de sa queue écaillée qui restait n'étant désormais pas plus grand qu'un décimètre. Son sang carmin, mêlé d'un liquide onyx très visqueux, avait rapidement formé une mare à ses pieds. Elle souffrait, son regard noir l'en témoignait, mais elle ne comptait pas abandonner.
— Booyakasha ! hurla soudainement Mikey.
Autour d'eux, les quelques Ninjas survivants se démenaient pour parvenir à toucher Donatello et Michelangelo, mais c'était en vain. Ces deux-là ne se laissaient pas avoir, ils évitaient leurs coups avec une prestesse sidérante, tout en riant de ceux qui, gisant au sol, s'étaient fait taillader la poitrine par leurs armes affûtées.
La jeune femme se jeta violemment sur Raphaël.
Celui-ci remarqua que, malgré sa force crépusculaire, une folie meurtrière brûlait follement dans ses iris ténébreuses et lui donnait le courage — ou l'inconscience — de l'attaquer, encore et encore.
Ses brusques estocades étaient violentes, ses lames heurtaient sans aucune précision les saïs de son vis-à-vis qui ne pouvait que constater à quel point il avait eu tort.
Il avait toujours cru que son tempérament irascible l'aidait grandement au combat, mais finalement, il voyait bien que la colère n'était qu'une émotion superflue et croupissante.
Le mutant avait trouvé un sentiment bien plus puissant que la haine auprès de son blondinet. Il était animé par une ardeur insufflée par l'amour.
Raphaël prit tout son temps.
Les attaques de Minhee ne la mèneraient nulle part, il le savait pertinemment. Il avait passé les vingt années de sa misérable existence à apprendre l'art complexe qu'était le Ninjutsu. Il avait acquis une énorme expérience en la matière — même s'il ne l'utilisait pas toujours intelligemment — et il avait compris que c'était fini pour elle.
Elle n'était plus maîtresse de ses émotions. Son visage mi-humain mi-scorpion dépeignait tant d'animosité qu'il se surprit à vouloir se rire de la situation.
Maintenant, il comprenait enfin les réprimandes de Léo. Il comprenait enfin son regard rieur lorsqu'il quittait leur base en hurlant qu'il n'y remettrait plus jamais les pieds.
La puissance qu'il pensait avoir acquis sous l'adrénaline de la rogne était chimérique. Il était risible.
Minhee était risible. Elle ne gagnerait pas, il suffisait qu'elle fasse une seule petite erreur pour que Raphaël trouve la faille qui la ferait tomber.
Leonardo, non loin de leur bataille acharnée, n'intervenait pas. Il laissait l'occasion à son frère de se venger, de prouver sa vrai valeur. Il avait bien remarqué que celui-ci, pour une fois, n'agissait pas sous l'influence de l'aigreur, même si, d'un point de vue extérieur, il ne semblait pas réussir à prendre l'avantage.
Le Leader savait qu'il patientait pour trouver le bon moment.
Et finalement, il vint plus vite que Raphaël ne l'avait prévu. Éreintée de ses attaques impétueuses, Minhee sembla se relâcher, et ses coups se firent moins rapides.
Ce fut ce que le mutant attendait.
D'un geste cinglant et fulgurant, il enfonça son saï dans le ventre de son ennemie, avant de sèchement la retirer.
Les yeux de cette dernière s'écarquillèrent avec abasourdissement. Son épée-double chuta sur le sol dans un fracas qui résonna dans toute la salle, alors qu'elle portait une main trémulante à sa blessure. Rapidement, cette dernière finit enduite d'un liquide vermeil poisseux.
La guerrière se laissa tomber par terre, des murmures inintelligibles quittant sans cesse la barrière de ses lèvres noires. La seule phrase que Changbin comprit fut :
— Je suis désolée, maître...
Une telle loyauté envers Shredder lui donna froid dans le dos. Mais enfin, tout était terminé.
Il se tourna alors en direction du bac à sélénitagène, cherchant son amant des yeux, mais il ne le trouva pas. Probablement était-il bien caché.
Soudain, le visage de Leonardo se figea en un masque pétrifié par l'horreur.
Lorsqu'il se retourna, Minhee détenait une de ses innombrables potions, enrobée d'un halo orangé, entre ses mains sanguinolentes. Sans qu'il puisse réagir, elle le lança de toutes ses forces sur lui.
Le jeune mutant ferma les paupières par réflexe.
Mais rien ne vint.
À la place, il entendit le vacarme d'une masse lourde qui s'effondre sur le sol et du verre qui se brise.
Quand il ouvrit les yeux à nouveau, il aperçut d'abord le rictus hilare de la noiraude, malgré ses prunelles étincelant de souffrance et son souffle erratique.
Puis ensuite, son regard fut attiré par le corps inerte de son copain étendu sur les dalles.
— Putain... Putain ! Felix !
Sans se préoccuper de Minhee, de qui Leonardo s'occupa d'arracher le dernier râle rauque, Changbin se précipita sur son blondinet dont les vêtements étaient imbibés du liquide orangé de la jeune femme.
Celui-ci semblait être inconscient, alors le Ninja s'empressa de poser ses doigts sur la peau fine de son long cou.
Il lâcha un profond soupir de soulagement lorsqu'il entendit les pulsations familières de son cœur.
— Donnie ! cria-t-il. Qu'est-ce qu'elle lui a fait ?!
Sans chercher à cacher son ébahissement devant la réaction inattendue de son jeune frère, la Tortue au bandeau violacé rangea son bō et s'approcha de l'humain. Il le sonda un instant de son regard rougeâtre, puis observa avec attention le liquide couleur aurore.
— Je n'en sais rien Raph', déclara-t-il doucement de sa voix nasale. Il me faut faire des analyses plus poussées pour...
— Alors rentrons à la base, tout de suite !
Le mutant souleva délicatement son petit ami et le porta en veillant à ce que sa tête ne subisse aucun choc trop violent. Il était terriblement inquiet, même si, pour le moment, son blondinet ne semblait pas être trop mal en point.
— Ça ira, Raph', murmura alors Léo. Elle souffrait à l'agonie, elle a pris une de ses fioles au hasard dans un dernier geste de désespoir. Peut-être que... peut-être que ce n'est pas si grave que ça...
— J-J'espère...
Maintenant que le feu de l'action était passé, la douleur se mit à élancer Raphaël. Il avait probablement fissuré sa carapace, et porter son copain n'arrangeait en rien son état. Malgré tout, il refusait obstinément de le confier à un de ses frères.
Les Ninjas veillèrent alors à détruire les expériences de Minhee, ainsi que toutes les traces de leur venue, de se saisir des armes et de faire flamber tous les cadavres qui jonchaient l'établissement. Ils ignoraient s'il restait d'autres gardes, mais pour l'instant, ce n'était pas dans leurs priorités.
Raphaël ne les avait pas vraiment aidés. Il était bien trop occupé à dévisager avec insistance le doux visage angélique de son petit ami qui ne semblait pas vouloir se réveiller. Rien ne pouvait lui affirmer que le fluide était dangereux, puisqu'il semblait simplement dormir d'un sommeil lourd et profond.
Il était apeuré.
Non, il était terrifié, tel qu'il ne l'avait jamais été de toute son existence. Il pouvait sentir les pulsations effrénées de son cœur battre contre ses tempes, ses yeux s'humecter de larmes salées, sa respiration s'affoler, ses mains trémuler, ses pensées se transformer en un ouragan tumultueux.
Il était terrorisé.
☩
Une fois qu'ils eurent terminé toutes leurs besognes et quitté la fabrique, ils pénétrèrent dans leur van. Léo les conduisit alors jusqu'à leur base.
La nuit commençait à tomber, et le Leader ne cessait de jeter des regards inquiets vers son frère, mais ce dernier s'en fichait. Il voulait juste avoir la certitude que son copain était sain et sauf, son apparence et son secret lui importaient peu.
Le trajet se déroula dans un silence de mort. Même Mikey, qui habituellement ne pouvait cesser de lâcher des plaisanteries sur tout et n'importe quoi, était étrangement calme. C'était comme s'il pouvait ressentir la peine de son frère jusque dans les méandres de son propre cœur.
Donatello appliquait ses onguents spéciaux sur la carapace douloureuse de Changbin, tandis que celui-ci plaçait un cataplasme sur la meurtrissure du blond.
Le génie de la bande et Leonardo étaient complètement ahuris. Le mutant au bandeau corail tenait l'humain contre lui avec une douceur qu'ils ne lui connaissaient pas et le couvait d'un regard qui, de coutume acerbe et glacé, brillait d'inquiétude et de tendresse.
Ils ne parvenaient pas à comprendre, et Raphaël le savait pertinemment. C'était pour cela qu'il ne prêtait aucune attention à leurs regards débordant d'interrogations.
Lorsqu'ils arrivèrent à destination, Léo empêcha Changbin de descendre tout de suite, et fit signe d'un bref mouvement de tête aux autres de se rendre à la base. Ils le dévisagèrent avec suspicion, mais finirent par s'exécuter.
— Bon, Raph', soupira le Leader en posant une main sur l'épaule du concerné. Il va falloir que tu lâches ton blondinet quelques secondes, le temps que tu te transformes.
Avec réticences, celui-ci opina doucement, le regard vide. Il alla délicatement déposer Felix sur le siège passager, tandis que son frère vérifiait que personne ne se trouvait aux alentours.
Changbin sortit du van avec un étrange pressentiment et leva les yeux vers le ciel vespéral.
C'était la pleine lune.
Soudain, une douleur encore plus atroce que celle de son dos explosa en lui. Il se plia en deux en lâchant un cri mêlant effarement et souffrance.
— Raph' ? Qu'est-ce que...
Le mutant au bandeau écarlate grinça des dents, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Le poids et la douleur de son dos s'évanouirent brusquement, le faisant alors se redresser avec un soulagement qui ne dura pas. Des élancements de plus en plus insoutenables le traversèrent et lui labourèrent la chair, métamorphosant son corps.
Sa souffrance ne dura néanmoins pas longtemps. Quelques instants plus tard, il fut entièrement humain, et la douleur qui l'avait assaillie déclina progressivement jusqu'à complètement s'éteindre.
— Tu ne m'avais pas dit que tu souffrais autant, commenta Leonardo qui s'empressa de l'aider à marcher jusqu'au van.
— Parce que normalement ce n'est pas le cas...
— La pleine lune y est sans doute pour quelque chose, je pense.
L'aîné fouilla dans le véhicule jusqu'à dégoter des vêtements qu'il tendit à Changbin. Ce dernier les revêtit à la hâte. Il s'approcha de Felix avec l'intention de le soulever à nouveau, mais son frère l'en empêcha en lui agrippant le bras.
— T'es sûr que t'en as la force ? Tu trembles. Laisse-moi faire, d'accord ? J'irai doucement, promis.
— D'accord... mais... tu pourrais l'emmener sur le toit de l'immeuble ? Je ne veux pas qu'il se réveille dans les égouts...
Leonardo hocha la tête.
— Bien sûr.
Il porta donc le blondinet et préféra passer par les escaliers extérieurs au lieu de grimper le mur comme il l'aurait fait s'il n'avait pas un humain fragile dans les bras.
— Ça va ? s'enquit-il avec inquiétude en voyant que son frère peinait à monter les marches.
— Occupe-toi de Lix, pas de moi, maugréa son vis-à-vis malgré son souffle court.
Léo arqua un sourcil avec amusement.
— Lix ?
— Ouais. Si tu veux tout savoir, je l'appelle chaton aussi.
— Je... J'aurais préféré ne pas savoir.
Sa déclaration gênée arracha un esclaffement sifflant à son interlocuteur.
Une fois qu'ils furent sur le toit, Changbin s'assit au sol et prit son copain entre ses bras, malgré sa faiblesse. Il laissa sa main ébouriffer avec tendresse sa douce chevelure plus blonde que le sable doré, une mine songeuse peinte sur son visage pointu.
— Qui est-il pour toi ?
Le mutant leva des yeux dégoulinant de détresse sur son frère.
— Felix est tout pour moi, répondit-il d'une voix vibrante de tristesse.
Léo opina du chef, toujours autant intrigué par les marques d'affection dont Raphaël couvrait le petit humain.
— Il ressemble à une fille, c'est marrant.
Le plus jeune l'incendia du regard, mais n'eut pas le temps de riposter. Le téléphone de Leonardo se mit à sonner et celui-ci répondit alors.
— Allô, Donnie ?
Son cadet releva vivement la tête à l'entente de ce surnom.
— D'acc', je lui dis. À plus.
L'aîné raccrocha sans plus d'histoire et se tourna vers son frère, un sourire aux lèvres.
— Donnie dit que ton blondinet devrait se réveiller bientôt.
Changbin sentit un immense soulagement l'envahir.
— Mais... la potion orange de Minhee a effacé ses souvenirs les plus récents.
Silence.
— C'est un peu l'effet de l'élixir de Donnie, mais en plus violent, renchérit Léo. Mais ça vaut mieux pour lui. Ça lui évitera des cauchemars et des traumatismes.
Le plus jeune baissa la tête avec amertume. D'un côté, il était soulagé de savoir que Felix n'était pas en danger de mort, mais...
— Ne sois pas triste, Raph'...
— Je...
Le noiraud se mordit la lèvre inférieure.
— Je ne sais pas, Léo... Je n'aurai pas la force de devoir tout lui dire une seconde fois...
— Tu n'en es pas obligé, intervint doucement l'aîné. Garde ce secret pour toi.
Son vis-à-vis opina du chef, mais il se sentait mal. Une fois encore, il se voyait forcé de mentir à son amant.
— Ça aurait dû être moi à sa place, Léo...
Le mutant exhala un profond soupir et secoua la tête.
— Il t'a évité le même sort. Sois lui reconnaissant.
Soudain, Felix s'agita légèrement entre les bras musclés de Changbin, arrachant à ce dernier une exclamation de surprise. Il posa doucement sa main sur une de ses pommettes étoilées, submergé par une bouffée d'espoir.
Le blondinet papillonna des paupières, avant de lentement les entrouvrir.
Lorsqu'il croisa les iris noisette aux éclats dorés de son petit ami, le plus âgé sentit ses lèvres s'étirer en un sourire à la fois soulagé et attendri. Dans un élan de tendresse, il lui caressa doucement la joue de son pouce, attendant qu'il reprenne complètement ses esprits.
— Eh, petit chaton, murmura-t-il. Comment tu te sens ?
Felix prit un instant avant de parvenir à répondre d'une voix bien plus éraillée que de coutume.
— E-Engourdi... Qu'est-ce qu'il s'est p-passé...? P-Pourquoi on est sur le toit...?
Le noiraud expira lentement.
— Je... Je te raconterai, mentit-il enfin.
À l'aide de son copain, le blondinet parvint à s'asseoir malgré les élancements douloureux qui traversaient sa tête et sa jambe. Aussitôt qu'il ne fut plus allongé, Changbin le serra dans ses bras de toutes ses forces, surprenant par la même occasion son vis-à-vis.
— B-Binnie...? P-Pourquoi tu...?
— Tu m'as tellement manqué, putain...
Des larmes de joie roulaient sur ses joues, alors qu'il enfouissait son visage dans le cou de l'Australien confus. Ses doigts couraient dans ses mèches couleur or, les effleurant avec toute la douceur du monde. Le blond passa ses petites mains dans le dos de Changbin et vint l'étreindre également, simplement heureux de le sentir près de lui.
Dissimulé derrière un bâtiment, Leonardo observait la scène, une mine émue sur le visage. Sans piper mot, il disparut ensuite dans l'obscurité.
☩
Changbin décida de ramener Felix à son appartement en le hissant sur son dos. Celui-ci enroula ses bras autour de la nuque du plus âgé, et le noiraud le porta malgré sa souffrance palpable qui alarmait son cadet.
Il avait bien remarqué les douleurs de son amant, mais sachant qu'il était tout bonnement incapable de marcher, il n'avait pas protesté. Il se promit néanmoins de le harceler pour obtenir des réponses quant à son état.
L'Australien avait l'impression qu'il aurait dû le savoir. Une marque brûlante oppressait sa tête et vidait sa mémoire de tous souvenirs ; il avait beau réfléchir, rien ne lui venait.
C'était important, il le savait. Mais impossible pour lui de se rappeler de quoi que ce soit. Après que Changbin et lui se furent couchés ensemble pour la nuit, c'était le trou noir complet.
Le noiraud le déposa délicatement sur son lit et posa un regard inquiet sur lui.
— Viens, murmura son aîné. Je vais t'aider à prendre une douche.
L'image même de l'eau ruisselant sur son corps fatigué et courbaturé apporta un intense soulagement au blond, qui s'empressa d'acquiescer.
Les deux jeunes hommes allèrent se laver l'un après l'autre, le mutant aidant le plus jeune de son mieux. Une fois que cela fut fait, Changbin demanda à son petit ami de s'allonger sur les draps pour qu'il puisse soigner son écorchure bénigne. Il retira le cataplasme, étala délicatement la crème sur la plaie, puis enroula des bandages autour pour la maintenir en place.
Alors que le noiraud s'apprêtait à se coucher auprès de l'Australien, ce dernier se releva et souleva doucement le t-shirt de celui-ci.
Aussitôt, il piqua un fard en distinguant ses muscles saillants, même s'il les avait pourtant déjà vus.
— Tourne-toi.
Le plus vieux obtempéra en silence face au ton obstiné de son interlocuteur. Ce dernier ne put retenir un cri d'horreur en remarquant l'énorme balafre rougeâtre qui barrait son dos.
— Binnie, tu n'aurais pas dû me p...
— Tu ne pouvais pas marcher, Lix, le coupa le noiraud. Je n'avais pas d'autres choix.
Le blondinet effleura doucement la zébrure du doigt, ce qui fit tressaillir son copain. Il racla alors le reste de la crème qui gisait au fond du pot pour l'appliquer sur l'estafilade.
— Comment ça t'est arrivé ? Pourquoi on est tous les deux blessés ? Et pourquoi j'ai tout oublié ?
— Lix...
— Je veux savoir, insista-t-il.
— Crois-moi, c'est mieux que tu n'en saches rien.
L'Australien dut se faire violence pour ne pas rétorquer. De toute manière, il savait qu'il finirait bien par connaître toute la vérité.
— En tout cas, pas pour le moment, renchérit Changbin. C'est encore trop frais. Mais sois rassuré, c'est fini.
Felix opina lentement de la tête, l'air pensif.
Il termina le traitement de son copain quelques instants plus tard, et ils se couchèrent tous deux dans son lit.
Le noiraud le dévorait d'un regard flamboyant d'amour, presque fiévreux, qui réchauffa son âme troublée. Il vint alors doucement lui saisir la main pour entremêler leurs doigts.
Le blond plongea son regard mordoré dans celui de son vis-à-vis, d'un vert luisant qui, étrangement, le réconfortait.
Changbin se rapprocha et vint se lover contre lui, entourant sa taille de ses bras pour l'étreindre. Il était profondément rassuré de le sentir contre lui. Felix était là, près de lui, et plus jamais il ne laisserait quelqu'un s'en prendre à lui.
Ses lèvres se posèrent doucement dans le cou de son vis-à-vis, et il déposa de petits baisers humides sur sa peau.
Son amant soupira de plaisir devant ses petites attentions, ses petites mains venant doucement caresser la chevelure de jais de son amant. Des frissons coururent sur son épiderme, alors que le noiraud descendait un peu plus bas, embrassant sa clavicule, puis remontait sur son visage pour faire subir le même sort à son nez et à son front.
Ses yeux louchèrent finalement sur les lèvres charnues de son tendre amour.
Il inclina alors la tête et s'abaissa, avant de délicatement les happer entre les siennes. Il ne souhaitait rien brusquer, il voulait simplement montrer à son copain à quel point il l'aimait, malgré leur éreintement réciproque.
Doucement, ils s'embrassèrent alors, laissant filer quelques soupirs entre leurs lèvres. Felix cadenassa ses mains autour de la nuque de son petit ami pour le rapprocher de lui, pendant que Changbin caressait ses pommettes tachetées de constellations brunâtres tout en lui offrant le plus doux des baisers.
Lorsque le blondinet chercha à lécher sa bouche, le mutant l'en empêcha et se détacha de lui. Il s'esclaffa alors en constatant l'air offensé qui avait pris place sur son doux visage.
— Il est tard chaton, et nous sommes tous les deux épuisés.
— Moui, mais...
— Il faut que tu dormes, d'accord ?
— On ne se reverra pas avant demain soir, bougonna Felix en croisant les bras avec une mine boudeuse.
Le noiraud exhala un profond soupir. Cela l'ennuyait autant que lui, mais ce n'était pas par choix qu'il partait ainsi.
Il regrettait que son copain ignore qui il était, malgré sa crainte.
— Je suis désolé...
— Eh non, t'excuse pas ! paniqua le plus jeune en l'étreignant brusquement. C'est moi, je suis trop impatient...
— Lix...?
— Oui ?
— Je sais que... notre situation n'est pas idéale pour toi. Alors... si tu préfères quelqu'un de plus accessible, je comprendr...
— Non !
L'éclat de voix de l'Australien fit naître une douce chaleur dans les tréfonds de son cœur. Son cadet le serra un peu plus fort entre ses bras, déposant ses lèvres mouillées sur sa joue.
— Je ne veux personne d'autre que toi, murmura-t-il à l'adresse de Changbin. Tu es spécial à mes yeux.
— Même si je pars toutes les journées ?
— Même. Je te fais confiance.
De doux sourires naquirent sur les visages harassés des deux amants. Felix frotta son petit nez contre celui de son vis-à-vis, avant de s'endormir paisiblement entre ses bras.
— Merci, Lix.
☩
Lorsque l'Australien se réveilla au petit matin, la place à ses côtés était chaude, signifiant que son petit ami était parti récemment.
Il trouva à nouveau un post-it sur la porte de sa salle de bain, avec les mots « Mets de la crème sur ta blessure, et repose-toi bien ! ♡ » inscrits dessus.
Un incontrôlable sourire fleurit sur ses lèvres. Il alla de suite se vêtir et soigner sa meurtrissure, puis téléphona à son lycée pour communiquer son absence. Mais étrangement, on lui informa que quelqu'un avait déjà appelé la veille, annonçant comme quoi il était malade.
Felix raccrocha, profondément songeur. Il s'était indubitablement passé quelque chose de grave, et le fait qu'il ne soit pas capable de s'en rappeler le consternait.
Sans vraiment en connaître la raison, il s'approcha alors de la fenêtre de sa chambre.
— Binnie...?
☩
Changbin était assis sur le toit de l'immeuble, les jambes pendant dans le vide.
Il était toujours humain.
Soudain, il sentit une présence derrière lui et tourna vivement la tête.
— Lix ? s'étonna-t-il.
Le blondinet s'avança vers lui, avant de prendre place à ses côtés.
— Tu devrais rentrer te reposer, il est encore tôt...
— Pourquoi ? questionna brusquement le plus jeune.
— H-Hein ?
— Pourquoi tu ne t'es pas transformé ?
Le noiraud ouvrit grand les yeux, sous le choc.
— Qu-Quoi ?!
— Tu deviens une Tortue quand il fait jour, normalement, nan ?
— Attends, mais comment tu sais ça ? Depuis quand ? Tu...?
Felix éclata de rire tout en lui prenant la main pour entrelacer leurs doigts.
— Eh panique pas, voyons...
— Mais je... je ne comprends pas, bredouilla Changbin.
L'incrédulité pouvait se lire sur son visage hébété, ce qui fit rire son cadet.
— C'est moi que tu croisais toutes les nuits, Binnie, murmura doucement l'Australien. Et... la fois où j'ai croisé ton regard... tes iris émeraude sont restés gravés dans ma mémoire. Je ne pouvais plus arrêter d'y penser. Quand je t'ai rencontré, je n'ai pas compris tout de suite, mais quand j'ai vu que t'avais des yeux verts... j'ai commencé à me poser des questions. Alors un matin, je t'ai vu te métamorphoser en mutant et je t'ai suivi jusqu'à la ruelle là-bas.
Le blondinet pointa du doigt ce dont il parlait.
— Tu... Tu savais ça depuis le début ?! s'exclama l'aîné avec effarement.
Son copain baissa la tête.
— Tu m'en veux...?
— Je... Non, non, bien sûr que non... Mais je... je croyais que tu aurais peur de moi, que tu me détesterais...
Felix leva ses yeux mordorés et innocents sur Changbin, avant de secouer la tête.
— Tu m'es bien trop précieux pour ça...
Le noiraud s'empourpra furieusement et pouffa doucement. Il n'aurait jamais pensé une seule seconde que son amant sache tout depuis le début, et encore moins que cela ne lui pose aucun problème. Et pourtant, il était là, à ses côtés, la tête posée sur son épaule, une de ces petites mains caressant la sienne avec tendresse.
Il avait l'impression de nager en plein rêve.
— Merci d'être là, petit chaton.
Le blondinet se tourna vers lui en souriant de toutes ses dents, puis posa doucement sa bouche sur la sienne pour l'embrasser.
— J'aurais préféré ne pas voir ça.
Les deux amants s'écartèrent brutalement. Ils distinguèrent alors Leonardo, debout contre les poubelles, un sourire narquois sur les lèvres.
— Tes sens s'émoussent, Raph', se moqua-t-il alors. Ça fait cinq bonnes minutes que je vous observe.
— Je... J'étais occupé...
— Ouais, j'avais remarqué. Tiens, tes saïs.
Nonchalamment, le mutant les balança sur le sol.
— Ça te sera utile pour protéger ton chaton. C'est pas la peine de râler, ferme la bouche.
Changbin poussa un soupir tout en se levant pour aller ramasser ses armes.
— En attendant que tu reprennes ton cycle de transformation, t'as quand même intérêt à venir nous rendre visite de temps en temps, d'acc' frangin ? Sinon, je viens t'étrangler durant ton sommeil, le menaça Léo. Quant à toi...
Il fit un clin d'œil à Felix.
— Occupe-toi bien de ce gros tas.
— Léo ! protesta le noiraud.
Celui-ci s'esclaffa. Il porta sa main droite à sa tempe pour y plaquer le côté de son index et son majeur, avant de les pencher vers la droite pour faire un signe.
— À la prochaine, Raph'.
Le Leader agita la main. Un instant plus tard, il avait disparu.
— Je l'aime bien, ton frère.
— Mouais, si tu le dis.
— Au fait Bin, tu ne m'as toujours pas dit pourquoi t'es resté humain, se rappela soudainement l'Australien.
— Je n'en suis pas vraiment sûr... mais je pense que la pleine lune de hier soir y est pour quelque chose.
— On passera toutes nos journées ensemble en attendant que tu te retransformes, alors !
Changbin sourit et retourna se coller à son copain, observant l'aurore qui enrobait la ville de ses draps dorés. Il était heureux, infiniment heureux d'avoir un petit ami si extraordinaire à ses côtés.
Felix se blottit confortablement contre lui, et l'aîné déposa son menton sur sa chevelure ocre.
— Je t'aime tellement, Lix.
— Moi aussi, Binnie.
Le blond fouilla un instant dans la poche de sa veste, avant d'en sortir un petit miroir sous le regard interrogateur de son vis-à-vis.
— Je me suis dit que... il était temps pour toi de voir à quoi tu ressemblais, expliqua-t-il avec enthousiasme.
Il le tendit alors à Changbin avec un immense sourire, plus brillant que le soleil lui-même, qui fit totalement fondre l'aîné.
L'amour avait fusé dans le cœur des deux amants, en même temps que la face cachée de la lune leur avait été révélée...
☩
—————————————
Alex'Han déteint sur moi 😂 11'500 mots pour un seul chapitre je— 😂😂
Merci à vous d'avoir lu cette fic ! Je pensais pas que quelqu'un s'y intéresserait honnêtement, vu le thème particulier 😅 Donc merci beaucoup ! ☺️❤️
J'ai adoré écrire cette fic, alors j'espère qu'elle vous a également plu ! 💜
See U 💙💙
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top