𝟑 : Love
☩
Raphaël ne comprenait pas.
Il cogitait, assis sur un lit d'où émanaient des effluences qui ne lui disaient rien. Il se massait les tempes de ses longs doigts devenus humains avec l'intention de se réveiller de ce rêve qui lui paraissait un peu trop réel.
Le mutant se rappelait vaguement des événements de la veille. Il se souvenait d'une altercation contre son ennemie jurée, Minhee, puis d'une piqûre.
La piqûre...
Il avait été réveillé par un jeune homme au visage délicat, alors que la nuit avait depuis longtemps été tombée. Il ne se rappelait pas comment il avait atterri dans ce qu'il supposait être son lit.
N'avait-il pas eu peur de sa personne ?
Ce fut la question qu'il se posa tôt ce matin, avant l'aurore.
Avant qu'il n'aperçoive qu'il avait cinq doigts.
Avant qu'il ne sente que l'éternel poids dans son dos avait disparu.
Les yeux écarquillés sous l'hébétement qui l'avait submergé, Raphaël bougea lentement ses mains dont l'épiderme était rosé et beaucoup plus mou que le sien. Il agita ses orteils, puis déposa des doigts tremblants sur son visage. Il retraçant les contours de ses traits, ressentant ainsi une peau étrangement douce, un nez à forme humaine, ainsi que des lèvres plutôt pulpeuses.
Une sensation qu'il n'avait jamais éprouvée auparavant le traversa brusquement.
Il se sentait normal.
L'impression sempiternelle de n'être qu'un monstre méprisé et craint du monde s'était dissipée, remplacée par la sensation d'être quelqu'un de banal.
Le mutant s'en retrouva partagé entre deux sentiments terrifiants.
D'un côté, être accepté au sein de l'humanité lui plaisait, c'était immensément jouissif. Mais ainsi, il avait peur qu'il se fonde dans la masse et qu'il finisse par ne devenir plus que la pâle ombre de lui-même.
Soudain, la lueur du jour perça timidement la vitre de la chambre, et Raphaël fut ébloui par les rayons du soleil qui filtraient à travers les rideaux et éclaboussaient le parquet en formant d'innombrables taches de lumière chatoyantes.
Ils illuminèrent d'or le visage endormi d'un adolescent blond allongé sur un tapis, ses petits pieds dépassant de la couverture qui le recouvrait.
Perdu dans sa contemplation, mutant vit soudainement avec effroi la peau de ses propres bras reprendre petit à petit une teinte verdâtre au contact des chauds rayons du jour et se propager en direction de ses mains. Sans réfléchir, il retira rapidement les vêtements dont il était endossé, évitant ainsi de les déchirer.
En tant que Tortue, il était grand et imposant, il atteignait en tout cas un mètre nonante. Les habits qu'il portait présentement ne suffiraient pas à le couvrir.
Brusquement, sa lourde carapace fut de retour sur son dos, et lorsqu'il se leva, son poids le fit grimacer.
Ses éternels saïs étaient à nouveau à ses côtés, mais il n'y avait plus aucune trace de sa ceinture ou de ses shurikens.
Raphaël se sentit démuni. Il regretta de ne pas avoir pu profiter plus longtemps de l'apparence humaine qu'il avait eu la chance de revêtir, un bref instant.
Il jeta un œil au blondinet. Se rappellerait-il de lui ? Probablement pas.
Après tout, il n'avait été qu'un simple inconnu de passage.
En revanche, le mutant ne comptait pas oublier la gentillesse dont avait fait preuve ce jeune homme — quoique cela ressemble davantage à de l'inconscience. Il avait rencontré tellement peu de personnes dans sa vie qu'il ne pouvait tout simplement pas y faire fi. Et encore moins de quelqu'un qui n'était pas un ennemi des humains, qu'il pouvait se permettre d'observer de loin, en restant à l'écart du monde, comme toujours.
Raphaël ne cessait de scruter le blondinet. Il cherchait à graver son visage angélique dans son esprit, ses traits délicats, ses yeux en amande, ses pommettes mouchetées de dizaines de taches de rousseur semblables aux constellations qu'il pouvait apercevoir toutes les nuits dans le firmament, ses petites mèches de cheveux couleur miel qui retombaient délicatement sur son front, ses oreilles légèrement pointues, le sourire suave qui ornait ses lèvres rosacées...
Son visage était aussi doux qu'un chat, véritablement adorable et charmant.
De lui irradiait une beauté particulière et divine, une aura éthérée captivante qui fit battre à la chamade le cœur désormais conquis du mutant.
« Mais qu'est-ce que je fais...? »
Malgré tous ses efforts, Raphaël ne parvenait pas à se souvenir du son de la voix du blondinet.
Il aurait bien aimé, pourtant.
Il se sentait comme lié à ce jeune homme. Il ne parvenait plus à détacher ses prunelles de son corps gracile allongé au sol. Il n'entendait plus rien d'autre que son souffle lent et les petits bruits adorables qu'il lâchait pendant son sommeil profond.
Un de ses saïs tomba lourdement au sol, le ramenant brutalement à la réalité. Raphaël exhala un profond soupir.
C'était ridicule.
S'attacher à quelqu'un qu'il ne reverrait sans doute jamais, c'était infiniment dérisoire.
Il se sentait pitoyable.
L'humanité ne lui sera jamais accessible.
Cela restait un rêve, rien qu'un rêve, hors de son atteinte.
Raphaël quitta l'appartement par la fenêtre sans un regard derrière lui.
☩
Théoriquement, ses frères dormaient puisqu'il faisait jour, mais par mesure de précaution, le mutant au bandeau écarlate fit appel à sa discrétion de Ninja pour se rendre dans sa chambre. Ou du moins, il essaya.
— Tiens, tiens, t'as battu un record, Raph' ! s'exclama une voix narquoise qui le hérissa.
Le concerné se crispa, mais n'émit aucun mot. Il continua son chemin, ne souhaitant pas se retourner pour affronter Michelangelo. Il était bien trop perdu dans ses pensées pour rétorquer. Mais malheureusement pour lui, Leonardo vint réclamer sa présence. Il s'exécuta à contrecœur et se dirigea vers la salle d'entraînement.
— Mikey, va te coucher, ordonna le Leader du ton dur qu'il utilisait lorsqu'il ne tolérait aucune réplique.
Le plus jeune frère grommela son mécontentement, mais finit par obtempérer, bien trop harassé pour maugréer davantage.
— Raphaël.
Celui-ci poussa un profond soupir qu'il étouffa dans sa gorge. Lorsque Léo lui parlait en prononçant son prénom complet, ce n'était jamais bon signe.
Semblant réprimer son courroux avec peine, l'aîné dévisagea longuement son cadet, avant de finalement ouvrir la bouche.
— Ne t'avise plus de partir aussi longtemps. S'il devait t'arriver quelque chose...
— Je suis parfaitement capable de me défendre, le coupa durement son vis-à-vis.
— Je n'en suis pas certain. Ta tête, Raph'. Utilise-la à bon escient.
À son plus grand ébahissement, le mutant au bandeau incarnat ne rétorqua pas. À la place, il opina faiblement du chef, le regard rivé vers le sol.
Un sentiment d'inquiétude pointa en Leonardo lorsqu'il aperçut les prunelles smaragdines de son frère.
Sa récurrente flamme de fureur, de soif vindicative, du besoin viscéral de prouver sa valeur, semblait s'être amenuisée. Il n'y brûlait plus la même frénésie dévastatrice que de coutume.
Il semblait avoir vu ou vécu quelque chose qui avait brisé son éternel comportement colérique. Ce cycle d'intense furie s'était effondré, en une seule nuit.
— Raph', murmura Léo, que t'est-il arrivé ?
Son interlocuteur releva vivement la tête. Son expression reflétait quelque chose de douloureux.
— Rien.
Sa voix.
Elle était faible.
Peu assurée.
Vacillante.
— Je vais me coucher.
Le Leader savait bien qu'il s'agissait d'un mensonge, mais il le laissa faire. Pour la première fois depuis longtemps, il n'imposa rien à Raphaël.
Quelque chose avait changé.
Mais quoi ?
☩
— Aïe !
Felix se frotta vigoureusement le crâne en grimaçant. Il venait de se cogner la tête à sa table de chevet en voulant se lever. Il faisait plus froid que de coutume dans sa chambre, si bien que son épiderme grelottant se recouvrit de frissons.
Que faisait-il par terre, au pied de son lit, sur son tapis ? Il ne parvenait pas à s'en rappeler. Même, pourquoi la fenêtre était-elle ouverte ? Ils étaient pourtant en fin novembre...
Mais il avait enfin dormi, c'était ce qui comptait, non ? D'ailleurs, il avait rêvé qu'il volait au secours d'un bel inconnu. « C'est sûrement pour ça que je suis tombé du lit », raisonna-t-il alors.
L'Australien finit par repousser ses couvertures à la hâte, mais son pied heurta un objet dur. Tout en réprimant un gémissement de douleur, il baissa la tête.
« What the...? »
Le blondinet se baissa et attrapa entre ses doigts une étrange dague composée d'une longue lame au centre et de deux plus petites légèrement incurvées de part et d'autre de celle-ci. En passant son doigt dessus, il constata avec étonnement qu'il s'agissait d'un véritable métal, et de surcroît, acéré. Le manche, doré et carmin, était souillé par l'usure, signe qu'il avait servi.
Cela devait avoir un rapport avec le fait qu'il se soit réveillé sur son tapis. Quelque chose en lui remua inconfortablement, comme si... « Ce n'était peut-être pas un rêve, finalement... »
Felix claudiqua jusqu'à sa salle de bain et se changea le plus vite possible, avant de pénétrer dans sa cuisine et de préparer un rapide repas. Il était en retard, ce n'était pas le moment de traîner.
Après avoir dégoté une arme dans sa chambre, il n'allait certainement pas avoir la conscience tranquille. Mais où donc était passé le bel inconnu ?
Il déverrouilla son portable.
Hazelnutsss🐿️ :
> Mec
> Dépêche stp
> Je me fais agresser par une perche
KoalaBitch :
Tu me fatigues jpp <
J'arrive te sauver <
Le blondinet pouffa. Les aventures de son meilleur ami et de Hyunjin l'exaspéraient autant qu'ils l'amusaient.
En vérité, c'était simple. Hyunjin avait des sentiments profonds pour Jisung, mais ce dernier réagissait de manière purement excessive vis-à-vis de cela.
L'Australien était à peu près certain que son aîné d'un jour ressentait également quelque chose de ce genre-là, puisque ça n'avait pas l'air de lui déplaire que quelqu'un lui court après.
Felix quitta son appartement après avoir déposé l'arme sur la table de sa cuisine et courut pour rattraper son bus.
☩
— Donc, si j'ai bien compris, t'es en train de me dire que dès que t'es arrivé dans la cour, Hyunjin t'as littéralement sauté dessus ?
— Ouais, maugréa Jisung en passant ses doigts dans ses cheveux de la même couleur que la fourrure d'un renard.
— À mon avis, tu fais tout ce cinéma dans l'unique but qu'il te poursuive encore plus, soupira Felix sans vraiment lui prêter attention.
— Mais... je ne l'aime pas, moi !
— C'est ça, ouais.
— Mais Lix...
— Le gars le plus beau de toute la ville te court après depuis des mois, et tout ce que tu trouves à dire c'est « je ne l'aime pas » avec, dans ta voix, toute l'hésitation du monde ?
Le rouquin baissa la tête, légèrement penaud.
— Peut-être que j'y suis allé un peu fort, cette fois-ci...
— C'est pas vrai, soupira le blondinet. Qu'est-ce que t'as encore foutu ?
— J-Je... lui ai crié d'aller se faire voir... Je ne voulais pas... c'est juste que... il m'a vraiment énervé, cette fois... et c'est sorti tout seul...
Felix exhala un profond soupir et posa une main réconfortante sur l'épaule de son vis-à-vis.
— Mec, va t'excuser, lui conseilla-t-il doucement. Et réfléchis bien à ce que tu vas lui dire. Il t'aime, Jisung. Ne lui brise pas le cœur, ou pire, ne lui donne pas de faux espoirs, s'il te plaît. Hyunjin est mon ami aussi, ne l'oublie pas.
Le roux opina presque imperceptiblement de la tête, les yeux embués par les larmes. Finalement, cela le touchait bien plus que ce que l'Australien avait imaginé en premier lieu.
— Merci de m'aider Felix...
Le sourire du blondinet se fana.
Aider...
L'inconnu qu'il se rappelait avoir aidé durant la nuit...
Il avait un irrépressible besoin de le retrouver.
☩
Les cours de la journée se succédaient avec une extrême lenteur, autant pour l'Australien que pour Jisung. L'un comme l'autre avaient une chose très importante à faire.
L'aîné passait son stylo dans sa chevelure et l'enroulait autour de ses mèches rousses en poussant de temps à autre de petits soupirs chagrinés.
— Aïe, marmonnait-il à chaque fois qu'il tirait un peu trop fort sur ses cheveux.
Felix ne prêtait absolument aucune attention au cours qui se déroulait devant lui, il avait même omis quelle était la matière en question. Il essayait simplement de comprendre.
Où donc était passé Changbin ? Et déjà, pourquoi était-il parti ?
L'image de sa fenêtre grande ouverte lui traversa l'esprit.
« Non... il ne serait quand même pas sorti par-là ? Je suis sûr qu'il serait assez civilisé pour passer par la porte d'entrée. »
Quelque chose n'allait pas. Et cela tiraillait le blondinet.
Il voulait savoir.
Il allait retrouver Changbin, ou peu importe son prénom, et comprendre le mystère qui l'entourait.
Il lui semblait avoir reconnu quelque chose...
De surcroît, si l'arme lui appartenait, alors il reviendrait probablement la chercher, ce qui équivaudrait à une inévitable interaction avec lui.
Felix devait bien se l'avouer, cette éventualité le réjouissait. Il avait terriblement envie de le revoir.
Ô qu'il avait hâte que les cours se terminent.
☩
Dès que le crépuscule enroba la ville, Raphaël décida de quitter une nouvelle fois la base, mettant cela sur le compte de l'agacement qu'il ressentait, puisque ses frères se riaient de lui.
Mais étrangement, cela ne le plongeait pas dans la même rogne que de coutume.
« Qu'est-ce qu'il m'arrive ? » s'inquiéta le mutant.
Il ne cessait de songer à l'adolescent au visage de chat au côté duquel il s'était éveillé au petit matin. Incapable de s'endormir durant la journée, puisqu'il l'avait déjà fait de nuit, Raphaël n'avait fait que fixer le plafond, puis avait finalement pris une décision.
Il allait retourner à l'appartement du blondinet. Il avait envie de le revoir, ne serait-ce qu'un bref instant.
Et puis... il avait oublié un de ses saïs là-bas. Peut-être qu'inconsciemment, il l'avait fait exprès, mais ce n'était pas la raison principale pour laquelle il voulait y retourner. La Tortue avait simplement envie de revoir le sublime visage délicat du jeune homme.
Étrange, n'est-ce pas ?
Raphaël ne se comprenait pas lui-même. Mais de toute façon, rien ne le retenait à la base.
Il prit donc les habits de l'adolescent avec lui, ayant l'intention de les lui rendre, à contrecœur. Il émanait d'eux la fragrance du blond, qu'il s'était surpris à énormément aimer. Il plongeait régulièrement son nez dans le hoodie, appréciant les effluves imprégnés dans le vêtement.
C'était particulier, ce qu'il éprouvait.
Raphaël quitta l'antre sans faire le moindre bruit et souleva la plaque d'égout pour sortir à l'air libre. Dissimulé sous l'obscurité d'une petite ruelle, il attendit patiemment que le soleil disparaisse complètement à l'horizon, avant de grimper sur le toit d'un immeuble.
L'astre lunaire brillait d'une lueur blême au-dessus de lui, parmi les étoiles qui semaient le ciel nocturne. Le mutant vit alors avec incrédulité sa peau, au contact des rayons du satellite, s'adoucir et rosir. D'un seul coup, il eut l'impression d'avoir perdu la moitié de sa taille et de son poids, et en scrutant ses mains, il vit qu'elles avaient à nouveau cinq doigts.
Et si la lune lui donnait le pouvoir d'être humain ?
Raphaël se posait de plus en plus de questions à propos du liquide que Minhee avait injecté dans son organisme. Quels étaient ses effets exacts ? Et surtout, pourquoi le lui avait-elle administré ? Si elle connaissait ses propriétés, quel était l'intérêt de le lui inoculer ?
Bien que cela l'inquiète, le mutant se réjouit de la tournure de la situation. Ainsi, cela allait être beaucoup plus facile d'approcher le blondinet.
Il endossa les vêtements de celui-ci et se dirigea sans tarder vers l'appartement du jeune homme.
Les pulsations de son cœur accélérèrent leur cadence...
☩
« Ok karma, fais-moi revenir Changbin. »
Felix était dissimulé sous son lit, la dague dans ses petites mains. Il refusait d'aller se coucher car son instinct lui soufflait que le noiraud allait revenir. Il avait laissé sa fenêtre ouverte pour lui, et l'Australien, ne retrouvant plus son hoodie préféré, s'était enroulé dans sa couverture.
Un bruit sourd le fit soudainement tressaillir. Avec espoir, il sortit de sa cachette et alluma sa lampe de chevet.
Là, sur le rebord de la fenêtre, se tenait un jeune homme à la chevelure de jais ébouriffée, aux yeux écarquillés sous la surprise et vêtu de son training et de son sweatshirt à capuche.
Jamais Felix n'avait vu de pareille beauté de sa vie.
Incapable de contenir sa joie, le blondinet se précipita vers lui.
— T'es revenu !
☩
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