𝟐 : Lonely

Dans un appartement au cœur d'une petite banlieue de New York, un jeune homme peinait à trouver le sommeil.

Ses petites mains enserrant ses couvertures, il fixait le plafond, incapable de s'endormir. Il fallait dire qu'il avait considérablement l'habitude de faire des insomnies, mais depuis quelques temps, c'était bien pire.

Depuis cette nuit-là, lorsqu'il avait croisé ce regard de braise dans l'obscurité opaque, il ne pouvait plus cesser d'y songer.

Lorsqu'il fermait les paupières, les prunelles qu'il avait aperçues, telles deux orbes embrasant la noirceur, restaient imprimées sur ses rétines.

Pourtant, il le savait, ce genre de créature n'existait pas. C'était ce que sa mère lui avait répété depuis sa plus tendre enfance.

Le blondinet avait toujours trouvé les légendes contant le surnaturel plus que fascinantes. Mais jamais, au grand jamais, aurait-il pensé qu'un jour il se mette à douter de leur inexistence.

Pourtant, il était sûr qu'il n'avait pas rêvé.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il avait bel et bien aperçu une tortue humanoïde sur le toit d'un immeuble.

Le jeune homme quitta la chaleur de ses couvertures et alla enfiler un training, ainsi qu'un hoodie bleu sombre.

Il avait besoin de prendre l'air.

Il ferma soigneusement la porte de son appartement derrière lui et s'avança vers l'extérieur, insérant ses écouteurs dans les oreilles.

New York était loin d'être sa ville favorite, étant né et ayant passé la grande majorité de sa vie à Sydney, en Australie. Mais Felix devait bien se l'avouer, il appréciait tout particulièrement lorsque les ténèbres enrobaient les gratte-ciel, ce qui étouffait le bruit récurrent des moteurs et les lueurs aveuglantes des phares.

Lorsque le blondinet s'engouffra dans une ruelle, il eut la désagréable impression d'être observé. Il scruta les alentours, mais ne vit qu'obscurité profonde ponctuée de petits halos de lumière jaunâtre en provenance des réverbères.

Felix secoua la tête. S'il ne cessait d'halluciner ainsi, il penserait à consulter.

Il parvint finalement à une petite place qu'il savait déserte à cette heure-ci.

Il exhala un profond soupir. Après toutes ces nuits blanches consécutives, il commençait à ressembler à un fantôme. Le teint terreux, il était constamment éreinté, ne parvenant ainsi plus à suivre ses cours, mais était tout bonnement incapable de s'endormir.

Ses pensées le tourmentaient. Il ressentait un fervent besoin d'apercevoir à nouveau ces étranges yeux verts. Cela serait la confirmation qu'il n'avait pas perdu la raison.

La confirmation que les humains n'étaient pas les seuls Terriens doués d'intelligence.

Le blondinet laissa la musique envahir son esprit, prendre le contrôle de ses mouvements. Silencieusement, il se mit à danser sous le couvert des ténèbres, ayant pour seule spectatrice, le croissant de lune luisant d'un éclat spectral.

À bout de souffle, Felix dut finalement cesser, à son plus grand mécontentement. Il était bien trop épuisé pour se dépenser autant, son corps ne parvenait plus à suivre.

L'Australien poussa un soupir de frustration et scruta sa montre. Il était à peine trois heures du matin. Rien que la veille, il avait tenu jusqu'à quatre heures et demi. Ses forces s'amenuisaient toujours plus ; son manque de sommeil était bien trop important pour qu'il y fasse fi, cette fois-ci.

Il savait qu'il devait retourner se coucher, ou du moins, essayer. Son corps lui envoyait des signaux indubitables. Il avait froid, même s'il venait tout juste de dépenser de l'énergie.

Mais ses paupières, elles, refusaient obstinément de se fermer. Elles restaient grandes ouvertes, comme si elles cherchaient à sonder le moindre détail extérieur.

Comme si elles ne pouvaient se permettre une seconde d'inattention.

Felix prenait petit à petit conscience de l'ampleur qu'avait eue ce regard de jade dans son existence.

Instinctivement, il jetait de temps à autre de furtifs coups d'œil aux innombrables toits des immeubles, mais il n'y voyait aucun mouvement apparent, si ce n'était les chats qui fouillaient dans les poubelles, ou les gesticulations des habitants aux éclats de voix criards qui vociféraient sur leurs voisins trop bruyants.

Rien d'insolite. Pas la moindre trace d'une quelconque tortue géante.

Felix avait évidemment fait quelques recherches et s'était confié à Jisung, son meilleur ami. Celui-ci lui avait immédiatement reproché son imprudence. Cependant, il savait très bien que l'Australien avait toujours été ainsi, un jeune garçon sémillant et spontané qui tendait à se précipiter tête baissée dans toutes les situations. Il était complètement inconscient des dangers qui l'entouraient, et pourtant, il ne lui était encore jamais arrivé malheur.

Jisung avait finalement compris que rien n'y personne ne pourrait empêcher le blondinet de faire preuve de hardiesse. Seule une mauvaise expérience lui ferait enfin comprendre que de la circonspection s'imposait.

Avec quelques réticences, il lui avait alors révélé l'existence de certains racontars qui couraient sur les lèvres les plus discrètes de leur école. Ceux-ci disaient que l'on aurait découvert un fluide poisseux de couleur turquoise dans un tube de verre. Il se serait, il y aurait une vingtaine d'années, écoulé en petites quantités un peu partout dans New York, transformant ainsi tout être vivant avec lequel il entrerait en contact, en monstre.

Ces mutations seraient parvenues d'un lieu lointain : une planète habitée par d'étranges individus nommés Krang.

C'était les bruits qui couraient, avait une nouvelle fois affirmé le Coréen.

Felix ne savait s'il devait y croire ou non. Mais ces rumeurs coïncidaient étrangement avec les événements s'étant déroulés dans cette ville, notamment la disparition soudaine du Clan des Foot de la circulation. Ni la police, ni l'armée n'y étant pour quelque chose, le mystère restait entier.

Son épuisement devenant de plus en plus insoutenable, le blondinet s'assit à même le sol, déposant ses écouteurs par la même occasion.

Son portable vibra, et Felix vit qu'il avait reçu un message de son ami Hyunjin.

SoooVisual :
> Eh mec
> Tu peux m'aider
> C'est à propos de Sungie

KoalaBitch :
Meccc <
Il refusera de toute façon <
C'est toujours pareil <

SoooVisual :
> Je sais pas quoi faireeee

KoalaBitch :
Il faut que tu trouves autre chose <
Tente une nouvelle manière d'approche <

SoooVisual :
> Pfft comme si j'y avais pas pensé ._.
> Au fait
> C'est pas bien de rester éveillé aussi tard

KoalaBitch :
C'est ton cas aussi, je te signale <

SoooVisual :
> Encore ces insomnies ?

KoalaBitch :
Ouais <
Je sais pas quoi faire pour arranger ça <

SoooVisual :
> Arrête de te tracasser
> Tiens c'est vrai ça
> À propos de quoi en fait ? 🤔

KoalaBitch :
Va te coucher <
On se voit demain <

SoooVisual :
> Dors bien
> Bye bye le koala ^-^

Un semblant de sourire naquit sur les lèvres de Felix. Il se releva, armé de la ferme intention de parvenir à grappiller quelques heures de ce précieux sommeil qui lui échappait comme du sable entre les doigts.

Alors qu'il traversait la place, il lui sembla apercevoir, au fin fond d'une ruelle se terminant par un cul-de-sac, une silhouette sombre recroquevillée au sol.

Sans éprouver la moindre frayeur, le blondinet s'y engagea alors, même s'il se pouvait que cela soit un simple ivrogne. Son intuition lui soufflait qu'il s'agissait de quelque chose de différent.

Après s'être suffisamment rapproché, Felix put clairement distinguer un jeune homme aux vêtements dépenaillés. Il semblait être plongé dans l'inconscience. Mais étrangement, malgré ses habits en lambeaux, sa chevelure noir de suie n'avait pas la moindre trace de saleté, de même pour sa peau laiteuse complètement immaculée.

Quelque chose n'allait pas. Ces éléments n'allaient définitivement pas ensembles.

L'Australien s'avança un peu plus, avant de s'agenouiller. Les yeux de l'adolescent s'agitaient sous ses paupières, et sa bouche se déformait en une grimace d'intense douleur. Il nageait en plein délire onirique.

Un détail, au premier abord futile, attira l'attention du blond. Il s'agissait d'une petite marque ancrée sous la peau du jeune homme qui diffusait un faible éclat phosphorescent. Dès que Felix eut posé son regard dessus, la lueur mourut, et le noiraud se redressa, secoué par une brusque quinte de toux.

Par mesure de précaution, le blondinet s'écarta légèrement, tandis que l'adolescent s'agitait en de violents spasmes. Il ouvrit doucement les paupières et se mit aussitôt à paniquer en apercevant son vis-à-vis.

Felix posa une main réconfortante sur son épaule pour qu'il cesse de gigoter.

— Calme-toi. Ça va ? s'enquit-il doucement.

Il avait bien d'autres questions à poser, mais il ne voulait surtout pas l'effrayer plus qu'il ne l'était déjà. Il se contenterait de cette question essentielle.

Le noiraud l'observait, non pas avec effarement, mais avec une curiosité mâtinée d'étonnement. Son regard d'un vert intense était un peu hagard et s'agitait dans tous les sens, comme s'il cherchait à se souvenir d'événements antérieurs.

— Comment tu te sens ?

Le jeune homme ouvrit la bouche avec l'attention de répondre, mais aucun son n'en jaillit. Il chercha ensuite à se lever, mais une force surhumaine le cloua sur place, lui paralysant le bas du corps.

Felix s'empressa de lui venir en aide en lui agrippant les bras et en le tirant vers le haut.

Le noiraud était plutôt petit, il faisait environ cinq centimètres de moins que lui. Ses yeux légèrement bridés ressemblaient aux siens, mais ce qui le faisait douter sur son ethnie, c'étaient ses iris qui luisaient d'une vive couleur émeraude.

Ses jambes vacillantes l'empêchant de se maintenir debout, le blondinet s'empressa de le soutenir.

— Tu habites où ?

Son interlocuteur secoua la tête.

Peut-être ne s'en rappelait-il plus ?

— Comment tu t'appelles ? s'enquit ensuite l'Australien, même en sachant que c'était peine perdue.

Le noiraud semblait avoir perdu sa langue.

— Bon, je te donne un nom en attendant, parce que ça ne me tente pas trop de t'appeler « toi ». Voyons voir... Changbin, ça te va ?

Le jeune homme opina faiblement de la tête.

— Puisque tu n'es pas en bon état et que tu es incapable de me dire où tu habites, je t'amène chez moi, d'accord ? offrit spontanément le blondinet sans même se dire une seule fois que l'étranger pourrait être dangereux.

Au moment de se lever, une pensée lui traversa l'esprit.

— T'as pas peur d'un inconnu, quand même ?

Son vis-à-vis fit signe que non.

— Bon, bah nickel alors.

Felix souleva le noiraud et le plaça sur son dos, malgré sa faiblesse qui le fit légèrement grimacer. Il était plutôt lourd pour sa petite taille.

Les bras de Changbin s'enroulèrent autour de son cou, et sa tête se posa contre sa nuque. L'Australien pouvait ressentir son souffle lent s'échouer délicieusement contre ses cheveux. Se faisant violence pour s'arracher à sa fascination, il agrippa fermement les cuisses du noiraud et refit son chemin en sens inverse.

Il marcha plus rapidement qu'à l'aller, probablement parce qu'il ne pouvait se permettre de supporter un poids de plus que le sien alors que la fatigue menaçait de le rattraper.

Felix déposa doucement Changbin au sol, qui se maintint alors au mur. Il fit tourner la clé dans la serrure de son appartement en réprimant de bruyants bâillements.

Au moment où il aurait enfin pu se reposer, un inconnu se présentait à lui.

« Quel karma de merde », songea-t-il intérieurement.

En réprimant un soupir, l'Australien aida son invité de la nuit à entrer dans son chez-soi, puis alluma les lumières.

Le blond tressaillit aussitôt en l'apercevant et détourna rapidement le regard.

— Oh putain, marmonna-t-il pour lui-même, il est beau, en plus...

Son visage avait des traits à couper au couteau, son nez était parfaitement proportionné, et ses lèvres, charnues. Felix pouvait clairement distinguer les muscles saillants de ses bras et de ses cuisses, car des pans de ses vêtements partaient en lambeaux çà et là.

« Ok karma, je n'ai rien dit. »

Le blondinet inspira profondément pour se calmer et indiqua la salle de bain à Changbin d'un geste vague de la main.

— Tu peux aller te laver, je te prête des habits, déclara-t-il posément à son adresse.

Le noiraud, déboussolé, dévisagea le blondinet avec un regard chargé d'interrogations.

— Qu'est-ce que t'attends ? Allez, vas-y ! Il est tard, tu sais. Il faut que tu te reposes. L'eau chaude, c'est à gauche. Tu peux utiliser mes produits de douche. T'arrives à marcher ?

Son interlocuteur, un peu désarçonné par son brusque flot de paroles, finit par acquiescer. Il pénétra dans la pièce pendant que Felix allait lui chercher un hoodie et un training.

Pas question qu'il revoie son corps particulièrement attirant.

L'Australien avait laissé son lit à l'inconnu malgré ses protestations silencieuses. Il avait soigneusement évité son regard toute la soirée sous l'embarras d'avoir osé l'observer à la dérobée sans son consentement.

Couché sur le tapis de sa chambre, bien que cela ne soit pas très confortable, il finit par s'endormir rapidement, car il était fourbu jusqu'aux os. Son esprit demeurait néanmoins envahi par mille questionnements sur l'identité de Changbin.

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