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Bonjour les amis ! Je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau chapitre d'Éclipse. Je le dis souvent, mais j'ai vraiment adoré ce chapitre, et je dois avouer que je me sens un peu lourde après l'avoir terminé. J'espère que vous l'aimerez autant que moi. Bonne lecture !
Et pour vous immerger davantage, n'oubliez pas d'écouter la playlist que je vous ai mise dans le lien !
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À peine assis sur la chaise, mes yeux se mettent à scruter la salle dans ses moindres recoins. C'est une classe d'art, je m'attendais à ce qu'elle soit colorée et extravagante, mais même en l'ayant anticipé, je ne peux m'empêcher d'être admiratif.
Certes, l'agencement des objets et des couleurs donne un petit côté bric-à-brac, mais au fond, je crois que c'est ce que j'aime. Probablement parce que j'apprécie cet aspect désordonné. On a l'impression qu'il y a des trésors cachés dans chaque coin. Ce n'est sûrement pas le cas, mais j'aime l'idée.
Je détourne les yeux des murs lorsque les autres élèves entrent dans la classe. Le professeur ferme la marche, claquant la porte derrière lui, et je me sens rassuré de voir que nous ne sommes pas nombreux. Une quinzaine tout au plus, peut-être moins. L'art est quelque chose de très intime à mes yeux, et savoir que nous sommes en petit comité est étrangement apaisant.
La plupart des visages me sont inconnus, même si j'en reconnais certains, croisés ici et là, dans les couloirs ou à la cantine, sans pouvoir associer un nom à leurs traits. Et puis, il y a quelqu'un que je connais bien. Trop bien. Évidemment qu'il est là.
J'avais envisagé cette possibilité pendant mes entraînements clandestins à la salle de boxe, mais je ne pensais pas réellement qu'il serait présent. Nos regards se croisent, et sans avoir besoin d'interpréter son expression, je sais exactement ce que nous pensons tous les deux. Sérieusement ? C'est une blague ? Apparemment non.
J'ignore le regard à moitié dépité qu'il me lance et préfère concentrer mon attention sur le professeur, vêtu d'un pull jaune moutarde. Il passe rapidement une main dans ses cheveux châtain foncé, légèrement longs, et je réalise qu'il semble assez jeune, même si je serais incapable de lui donner un âge précis. Je suis nul pour ce genre de choses, et j'ai toujours peur de vexer la personne en face. Par prudence, je préfère donc me taire et éviter toute supposition.
— Bonjour à tous. Je suis heureux de vous accueillir pour cette nouvelle année. Même si vous me connaissez tous, je me dois de me présenter pour le petit nouveau.
Instantanément, tous les regards, y compris ceux du professeur, se tournent vers moi. Et même si cela fait déjà plus d'un mois que je suis ici, je dois avouer que je déteste toujours autant ce surnom.
— Je m'appelle Suwon. Tu comprendras vite que dans mes cours, on est libre de tout, dans la limite du raisonnable, bien sûr. C'est ça, la beauté de l'art, et je ne vous imposerai aucune restriction.
Je mordille nerveusement ma lèvre et hoche la tête, essayant de retenir son nom. J'aime bien sa façon de penser. C'est agréable d'avoir des professeurs comme lui dans une telle école. J'ignore ce que la direction pense de lui et des autres un peu plus laxistes, mais je suis content qu'ils soient là. On a besoin de professeurs comme eux, et je suis heureux de suivre leurs cours.
— Jeon Jungkook, c'est ça ?
— Juste Jungkook, ça ira.
— C'est noté. Juste Jungkook.
Sa remarque provoque un faible ricanement général dans la salle et M.Suwon m'adresse un sourire dont je peine à saisir la signification. Il retrousse les manches de son pull, révélant immédiatement plusieurs tatouages sur ses avant-bras. J'essaie de ne pas trop m'attarder dessus et replonge rapidement mon regard dans ses yeux. J'ai toujours adoré les tatouages, et j'ai cette mauvaise habitude de les scruter dès que j'en vois. Mais ce n'est ni le lieu ni le moment, et surtout, ni la personne.
Alors que M. Suwon entame un bref discours sur son fonctionnement, discours qui m'est certainement destiné, je mordille ma joue en sentant le regard de Taehyung sur moi. Je le sais sans même le regarder, car son corps est légèrement tourné dans ma direction, et je sais pertinemment qu'il me dévisage.
Nous ne nous sommes pas parlés depuis notre rencontre dans mon appartement. Je ne connais toujours pas sa décision concernant notre éventuelle colocation, et comme je n'ai eu aucun retour de mon propriétaire, je suppose qu'il n'a pas encore pris sa décision. Je n'ai aucune raison de m'inquiéter, je ne devrais même pas me soucier de cela, mais à contrecœur, je réalise que c'est un peu le cas.
Est-ce une bonne chose qu'il prenne autant de temps pour se décider ? S'il était vraiment contre, je suppose qu'il m'aurait dit non dès le départ. Connaissant son franc-parler, il m'aurait sûrement craché son refus à la figure, me faisant bien comprendre à quel point cette idée est stupide. Or, il ne l'a pas fait, alors je suis troublé.
— J'essaie de me concentrer, arrête de me fixer.
Je chuchote le plus bas possible, m'assurant de ne pas trop bouger les lèvres pour ne pas attirer l'attention sur nous. Taehyung prend une bonne minute avant de réagir. Je peux voir ses jambes se remettre en place, signe qu'il n'était pas bien assis.
— Je ne te fixe pas, descends de ton petit nuage, Jeon.
Je n'en crois pas mes oreilles. Il ose mentir.
— Je le sens, même sans te regarder.
— Tu penses avoir un genre de Spider-Sense ou quoi ?
Il fronce les sourcils d'un air sérieux, et je ne peux m'empêcher de sourire.
— Peut-être bien.
— Tu dis vouloir te concentrer, mais ça fait un moment que tu dévisages le prof.
— Tu veux que je regarde qui ? Toi ?
— Sa tête, pas ses bras.
— Je regarde ce que je veux, merci. Tu es jaloux ?
Je lève un sourcil et ricane en voyant son expression irritée.
— Il a de super tatouages, je ne peux pas m'en empêcher, dis-je en haussant les épaules.
— Tu aimes les tatouages ?
Il paraît surpris.
— Mm, c'est cool.
Je fronce les sourcils en voyant la drôle de tête qu'il fait.
— Quoi ?
— Rien, je me demandais juste si tu en avais.
— Qui sait, dis-je en lui lançant un clin d'œil avec un sourire taquin.
Il ne répond rien, car le professeur commence à s'approcher un peu trop près de nous. Je jette un coup d'œil à Taehyung, un léger sourire aux lèvres, avant de détourner les yeux. Une fois de plus, j'ai l'impression que nous sommes seuls, comme si une bulle se formait autour de nous chaque fois que nous sommes ensemble. Et, à force, je dois avouer que cela ne me déplaît pas.
— Bien, pour ce premier cours, on va faire simple. Vous allez dessiner votre voisin sur les toiles devant vous. Tous les matériaux sont autorisés, et vous avez une liberté totale.
Je ne sais pas vraiment à quoi je m'attendais pour ce premier cours. Peut-être à une démonstration, mais sûrement pas à ça. Je ne sais pas si je dois être excité ou terrifié. Probablement un peu des deux.
— Tout est à disposition au fond de la classe. Vous avez une heure, annonce Suwon en frappant dans ses mains.
Les portraits ne sont pas vraiment ma tasse de thé, mais l'idée me plaît. Je m'immobilise cependant en entendant mon nom sortir de la bouche du professeur.
— Jungkook, je veux que tu te mettes avec Taehyung.
— Quoi ? Mais je...
Il me coupe sans même me laisser finir.
— Pourquoi pas ?
Je reste bouche bée, surpris de devoir travailler avec lui. Contrairement à moi, Taehyung ne bouge pas d'un pouce, comme s'il s'y attendait déjà, ou peut-être attendait-il simplement les instructions de M. Suwon. Je ne sais pas.
— Vous avez l'air de bien vous entendre. Cet exercice ne fera que renforcer votre relation, crois-moi.
— Ça dépend du résultat, monsieur.
— Ce qui compte, c'est la pratique. Le résultat est secondaire.
Je mordille nerveusement mes lèvres, et ma poitrine se dégonfle après un long soupir. Sans attendre que Taehyung fasse le premier pas, je me lève pour aller chercher ce dont j'ai besoin.
Je prends deux crayons gris ainsi que de la peinture à l'eau. Restons simple. Un croquis, puis des touches de couleur pastel, légères. J'ajuste mon chevalet pour faire face à Taehyung, m'installant de façon à avoir une bonne vue sur lui tout en gardant assez de place pour mon travail. Je dispose mon matériel sur une petite table d'appoint : pinceaux, crayons et quelques verres d'eau.
Taehyung fait de même, et je ne peux m'empêcher de suivre ses mouvements du coin de l'œil. Je ne sais pas depuis combien de temps il dessine, ni quel est son niveau, mais il semble totalement à l'aise.
Contrairement à moi, il a opté pour le fusain et de l'acrylique. Il attache un tablier déjà taché de peinture et d'autres résidus, et je sens mes joues s'empourprer légèrement. Son charisme et sa prestance sont indéniables, et il me donne l'impression d'exceller dans tout ce qu'il fait : volley, boxe, art. Il est à la fois insupportable et fascinant.
Je l'observe longuement, et mes yeux finissent par se bloquer dans les siens. Je déteste fixer les gens, et voilà que je vais devoir le faire pendant une heure entière. Génial.
Je me concentre sur son visage, en essayant de mémoriser chaque détail. Sa bouche pulpeuse, ornée d'un petit grain de beauté sur sa lèvre inférieure. Son nez, à la fois mignon et parfait. La forme de ses yeux est magnifique, et je sens mon souffle se couper un instant. Quelques mèches de cheveux tombent sur son front.
Quand il commence soudainement à dessiner sur la toile vierge, son expression devient plus sérieuse. Ses lèvres se plissent légèrement, un petit pli apparaît entre ses sourcils, et sa main bouge avec assurance, dans un mouvement fluide et précis.
Je passe une main sur mon visage pour me remettre dans le bain et me concentrer. Les binômes de la salle s'activent rapidement une fois tous prêts. Certains entament des conversations sur l'art et leur passion commune, tandis que d'autres parlent de la super fête organisée vendredi chez un dénommé Tyler. D'autres échangent de simples banalités, des mots encourageants et rassurants. Et puis, il y a Taehyung et moi, qui sommes complètement silencieux.
Au fur et à mesure que nous dessinons, le bruit et les silhouettes s'estompent, et je ne vois plus que lui. Nous sommes seuls dans la pièce. Nos respirations sont calmes et légères, et entendre le souffle de l'autre est étrangement apaisant. Ses mouvements sont délicats, mais soignés. Je ne devrais pas m'attarder autant sur ce qu'il fait, mais je n'arrive pas à détacher mon regard de ses mains.
Je ne l'ai jamais vu dessiner, et quelque chose me dit que son résultat sera splendide. Mon dessin lui, avance à peine, et j'ai peur de le rater. Pourtant, l'envie de faire mieux m'envahit soudainement. Je ne veux pas rester en retrait. Je sais bien que chaque personne présente dans cette école mérite sa place, y compris moi. Néanmoins, je ressens le besoin de me surpasser.
J'inspire profondément et pose enfin mes yeux sur la toile. Je l'ai tant dévisagé que je pourrais continuer mon œuvre sans avoir besoin de le regarder à nouveau.
Un peu tremblant, je serre mon crayon, et de fins traits se dessinent les uns après les autres. Je commence par le contour de son visage, puis je me concentre sur la forme de ses yeux, de son nez et de ses lèvres. J'esquisse également furtivement sa chevelure.
Quand je sens que je suis satisfait, je m'attaque au dessin en détail et plus longuement. Certaines formes et traits ne sont pas parfaits, mais je décide de les laisser tels quels. Ce sont parfois ces petites imperfections qui mènent à une certaine forme de perfection.
Mon cœur se serre légèrement en réalisant que la silhouette ressemble de plus en plus à Taehyung. Lorsque je n'ai plus rien à corriger au crayon, je prends un feutre à la mine épaisse noire pour retracer l'ensemble. J'exagère volontairement sa chevelure et son regard, me laissant emporter quelques instants. Je ne veux pas me vanter, mais je suis fier du rendu de ses yeux. Même à travers la toile, ils parviennent à me bouleverser, à capturer mon cœur et à le faire battre la chamade.
Une fois terminé, je passe à la peinture. Mon pinceau tourbillonne longuement dans certaines couleurs et plus légèrement dans d'autres, n'ayant pas besoin d'en prendre beaucoup. Je choisis des tons froids et ternes, mais c'est exactement ce que je recherche.
Dessiner quelqu'un n'est pas seulement recopier ce que l'on voit. Pas pour moi, en tout cas. Copier à l'identique ou dans les grandes lignes ce qu'on observe est peu intéressant. Ce que j'aime, c'est tenter de chercher, de découvrir ce que l'autre dégage et exprime.
Je veux sonder les profondeurs de son âme, essayer de comprendre les pensées de la personne à mes côtés. Mon désir est de la représenter selon ma propre perception, plutôt que selon la vision qu'elle a d'elle-même.
Face à moi, Taehyung, malgré son apparente confiance, dévoile une facette différente. Assis ici, il me révèle une facette de lui qu'il garde habituellement bien cachée. C'est une partie de lui que je n'ai aperçue qu'une seule fois, sur le pas de ma porte, alors qu'il était trempé de la tête aux pieds.
À cet instant-là, son regard trahissait une vulnérabilité rare, une fragilité sous-jacente qui contrastait avec l'image de confiance qu'il projette habituellement à l'école. L'eau dégoulinait de ses cheveux et de ses vêtements.
À présent, je vois un garçon triste, toujours en deuil d'un ami proche. Je vois un garçon qui cache secrètement ce qu'il ressent, probablement par peur ou parce qu'il pense que ce sera plus facile ainsi.
Plus simple de tromper les gens et de leur faire croire que tout va bien, plutôt que de répondre par un non et d'expliquer pourquoi.
Je vois un garçon qui se comporte différemment entre ces murs, et qui mérite d'être lui-même sans se soucier du regard des autres, ni même du sien.
Lorsque j'ajoute les dernières touches de peinture noire, je choisis de la diluer davantage avec de l'eau qu'avec de la peinture. Je ne veux pas tout assombrir, pas entièrement.
Parce qu'il reste encore de l'espoir. Peu importe combien il souffre, peu importe à quel point sa vie est difficile en ce moment, je sais que cela s'améliorera.
La perte de Luka n'est pas une fin, et je suis convaincu que le temps finira par panser les blessures. Pour lui, pour moi, et pour tous ceux qui pleurent un être cher, le chemin est interminable. Le tunnel est plongé dans l'obscurité, et les lumières semblent s'éteindre les unes après les autres. Rien n'est éternel, et pourtant la douleur semble infinie. Mais cette vision de notre souffrance est souvent trompeuse. Dans les moments de chagrin, il est difficile de voir au-delà de la douleur, et nous croyons que les lumières ne brilleront plus jamais. C'est une illusion. Avec le temps, la souffrance s'adoucira, et les fleurs perdues sur le chemin finiront par repousser, apportant avec elles une nouvelle lumière et une lueur d'espoir.
J'ai perdu ma lumière, mais je sais qu'un jour je la retrouverai. Elle se cache pour l'instant, comme un rayon de soleil derrière un nuage. Quand les choses iront mieux et que je remonterai à la surface, l'air deviendra plus léger. La noirceur dans laquelle je suis plongé s'éclaircira, et la douleur se transformera en souvenir. Même si l'obscurité est oppressante aujourd'hui, elle deviendra plus belle. Je sais qu'un jour, je verrai les étoiles briller, me rappelant qu'il y a toujours une lumière à retrouver, même dans les ténèbres.
Rien ne dure éternellement, pas même la souffrance.
Je le sais parce que, pendant longtemps, j'ai souffert de l'abandon de mon père. Puis, un jour, je me suis réveillé et j'ai réalisé que la douleur qui me compressait la poitrine chaque matin avait disparu. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi, ni d'où cela venait, mais je n'ai pas cherché à obtenir des réponses. En réalité, je n'en voulais pas. J'avais enfin ce que je désirais, et cela me suffisait.
Tout finit par s'arranger. C'est pourquoi je refuse de peindre Taehyung dans une représentation entièrement triste et malheureuse. C'est comme ça que je le vois à présent, assis sur le tabouret en face de moi, mais cela ne veut pas dire que c'est pour toujours.
Alors, je réalise simplement de légers ombrages, qui sont foncés sans être trop marqués. Je recule un peu pour avoir une vue d'ensemble et peaufine quelques derniers détails, avant que la cloche ne résonne dans la pièce, me faisant faiblement sursauter.
La majorité des élèves quittent la salle, sachant que nous débattrons de nos œuvres en profondeur la semaine prochaine, mais une petite poignée reste, pour le plus grand bonheur de M.Suwon, si j'en crois son sourire.
Taehyung et moi restons figés pendant quelques secondes, nos yeux s'étudiant en silence, alors que des milliers de mots tourbillonnent dans ma tête. Lorsqu'il aperçoit le professeur qui s'approche, il attrape rapidement son sac et disparaît en vitesse, me laissant une rafale d'air frais au passage, sous la pression de ses pas hâtifs vers la porte. Mon souffle se coince un instant dans ma gorge, surpris par son départ soudain, et je me tourne vers M. Suwon qui s'installe derrière moi.
Je racle ma gorge et reporte mon attention sur mon tableau en réalisant qu'il le dévisage. Je joue nerveusement avec mes doigts, ne sachant pas ce qu'il va en penser. Personnellement, j'en suis satisfait, énormément même. Je suis content de ce que j'ai fait, et c'est sans doute grâce à la personne qui est représentée sur ma toile.
J'ignore combien de temps il passe à regarder ma création. D'autres élèves commencent à partir, et je souffle longuement quand il reporte enfin son attention sur moi, les yeux pétillants et un sourire en coin.
— C'est un tableau magnifique, Jungkook.
Entendre un tel compliment fait accélérer mon cœur.
— Vous êtes sincère ?
— Très. Pourquoi une telle interprétation de Taehyung, si je peux me permettre ?
Ma cage thoracique se gonfle, et j'observe ma toile pendant une petite minute. Je n'ai pas vraiment envie de rentrer dans les détails sur ce qui m'a poussé à le peindre ainsi.
La façon dont je perçois Taehyung ne regarde que moi, et je trouve cela personnel tant pour lui que pour moi.
J'ai envie de préserver cette parcelle de lui, qui ne semble pas vraiment pouvoir me cacher. Ou peut-être que j'arrive facilement à l'apercevoir parce que je suis comme lui. Moi aussi, j'essaie de faire bonne figure, parce que c'est mieux ainsi.
Je n'ai pas envie qu'on m'afflige de questions sur mes émotions et sur la manière dont je gère le deuil de Luka. Parler de ce que l'on ressent est une bonne chose, et je sais qu'il est recommandé de le faire. Mais parfois, rester silencieux fait moins mal.
Parler d'un sujet difficile est toujours plus douloureux que la douleur elle-même.
Mais j'ai l'espoir qu'un jour, Taehyung puisse me faire confiance, suffisamment pour s'ouvrir à moi. Pour l'instant, je ne suis qu'un inconnu à ses yeux, un étranger qui était le meilleur ami de quelqu'un qui lui était cher. Cette petite différence compte beaucoup. Je sais la douleur qu'il ressent. Je comprends combien l'absence de Luka fait mal, et il peut venir vers moi s'il en ressent le besoin. Que ce soit demain ou dans une éternité, j'attendrai.
— C'est ainsi que je perçois l'aura qu'il dégage : une mélancolie teintée d'espoir.
Il jette à nouveau un regard sur mon tableau, et le voir l'examiner avec une telle intensité me donne l'impression qu'on m'écrase le cœur. Je n'ai pas l'habitude que mes croquis soient inspectés de la sorte, et je trouve cela assez intimidant.
— Beau travail, Jungkook. Bravo.
Il me tapote l'épaule dans un geste bienveillant avant de passer voir une jeune fille derrière moi qui l'attend. Je dévisage mon travail une dernière fois avant de partir, mais mes pas s'arrêtent un instant devant la toile de Taehyung, curieux de voir son résultat. Mon souffle se coupe quand mes yeux se posent dessus.
J'ai du mal à croire que c'est mon visage qui est dessiné sur ce tableau. Il m'a si bien représenté. Contrairement à ma propre toile, la sienne est lumineuse et ensoleillée. Il m'a peint avec un demi-sourire et des yeux pétillants. Ma peau semble chaude et radieuse, tout comme le chandail qu'il a dessiné.
En arrière-plan, un coucher de soleil se dévoile, et il a matérialisé quelques rayons dorés dans mes cheveux, se reflétant délicatement sur ma joue droite. J'ignore vraiment ce qu'il pense de moi et pourquoi il m'a illustré de cette façon, mais son tableau dégage une émotion réconfortante. Une émotion qui trouble tous mes sens et qui me bouleversera sans doute pour le reste de la soirée.
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Ce matin, c'est le cœur lourd que je me réveille. Pas seulement à cause de la pluie qui frappe contre mes fenêtres depuis hier soir, ni à cause de l'accident de route survenu près de chez moi la veille, qui a malheureusement coûté la vie à deux personnes.
Non, il y a autre chose derrière tout cela, une chose qui me poursuit chaque mois. Une chose qui va me donner le cafard pour le reste de la journée, et je n'avais pas réalisé que ce fameux jour tomberait aujourd'hui.
Les sélections pour l'équipe de volley ont lieu ce soir. Nous sommes sept à vouloir participer pour seulement trois places dans l'équipe. Je sais que j'ai mes chances et que je ne dois pas partir défaitiste, mais je dois avouer que le jour tombe mal.
J'enfile ma grosse doudoune avant de sortir et je mets la capuche sur ma tête. Je n'aime pas spécialement m'encombrer d'un parapluie, et puis, prendre la pluie me rafraîchira peut-être les esprits.
Écouteurs aux oreilles, je marche machinalement, jetant de temps à autre un coup d'œil au ciel orageux. C'est ironique, même le ciel pleure aujourd'hui. Soit il se fiche ouvertement de moi, soit il veut juste partager ma tristesse.
À midi, la foule dans la cafétéria me donne presque la nausée. Il y a quelques mois encore, j'aurais sans doute hiberné dans mon lit à broyer du noir, et maman m'aurait apporté une de ses soupes en me disant que ça me ferait du bien. Je l'aurais certainement fait aujourd'hui également, mais je ne peux pas. J'ai assez merdé avec l'équipe et le coach pour ne pas me pointer le jour des sélections.
C'est la triste réalité. Peu importe à quel point la douleur te ronge ou combien ta journée est difficile, le monde ne s'arrête pas de tourner. Tes responsabilités restent intactes, et même si l'envie de te blottir sous la couette est présente, tu n'as pas d'autre choix. Malgré tout, tu te rends au lycée et tu fais ce que tu as à faire, parce que c'est la vie. Car elle ne s'est pas arrêtée, même après la perte d'un être cher.
C'est la tête lourde et le cœur oppressé que je remue le morceau de viande accroché au bout de ma fourchette, des centaines de fois. Le bruit des discussions autour de moi est secondaire, mes oreilles bourdonnent et je n'entends plus rien. Je dévisage simplement ce qui se trouve dans mon assiette, incapable d'avaler quoi que ce soit.
Rin me dévisage. Je le sais parce que je le sens depuis que nous nous sommes assis il y a dix minutes. En réalité, il le fait depuis que je me suis installé sur ma chaise ce matin. J'avais oublié d'enlever ma capuche en classe. Bien que j'aie essayé de me reprendre en franchissant la porte de l'école, apparemment, je ne suis pas assez bon comédien. Je devrais peut-être penser à demander des cours à Taehyung. Quoique, il semble également avoir des défauts à cet égard.
Je sais que Rin a remarqué que je ne vais pas très bien aujourd'hui. En vérité, tout le monde pourrait le voir, mais il me semble être le seul à vraiment s'en préoccuper.
— Ton morceau de viande va finir par se désintégrer.
Par je ne sais quel miracle, sa voix atteint immédiatement mes oreilles, et je relève la tête vers lui, stoppant mes mouvements. Un faux sourire se dessine sur mon visage. Je pose lentement ma fourchette et préfère boire un verre d'eau à la place.
— Désolé.
Il fronce instantanément les sourcils.
— Pourquoi tu t'excuses ?
— Je ne suis pas vraiment d'humeur aujourd'hui.
Malgré la distance qui nous sépare, Rin réussit à atteindre mon épaule et la tapote d'un geste rassurant.
— Tu n'as pas à t'excuser pour ça, Jungkook. On passe tous des journées de merde, parfois même sans raison, et c'est tout à fait normal.
— Mais il y a les sélections ce soir, et j'ai peur de...
— Je suis sûr que tu sauras te plonger totalement dedans en temps voulu, souffle-t-il.
— Comment peux-tu en être si sûr ?
— Parce que tu es accro au volley. Dès que tu mettras les pieds dans le gymnase, je suis convaincu que ça ira.
Ses paroles me font esquisser un léger sourire, et un poids s'allège sur ma poitrine. Je ne connais pas tout de Rin et j'aimerais en savoir davantage, mais je lui suis déjà tellement reconnaissant d'être présent.
Depuis le début, il représente un soutien précieux pour moi. Sans lui, je serais peut-être encore en train de galérer avec ce fichu casier. C'est grâce à lui que j'ai eu le courage de retourner dans un gymnase et de reprendre le volley. Ce n'est peut-être pas grand-chose, mais j'espère qu'il réalise à quel point cela compte pour moi.
— Merci, Rin.
Pour aujourd'hui, pour toutes les fois passées et celles à venir.
— Je t'en prie, dit-il d'une voix douce, empreinte de sincérité.
— Je vais aller prendre l'air, je n'ai pas très faim, avoué-je en me levant, plateau en main.
L'inquiétude se lit sur son visage, et ses yeux s'assombrissent légèrement.
— Promets-moi de manger un bout plus tard, quand même.
— Promis.
Nous échangeons un léger sourire plein de bienveillance. Après avoir débarrassé mon plateau, je cherche refuge sur un banc, sous le hall. La pluie continue de tomber, et mes mains se réfugient dans mes poches, profitant de la chaleur de mon manteau. Cependant, quand je sens mon portable vibrer, je suis contraint de sortir une main.
SMS de Maman ♥ ✉️ : Je t'aime. Je t'appelle ce soir.
Ma gorge se serre à la lecture de ces mots, et je m'efforce de retenir mes larmes. Ce message n'est pas anodin, et je sais parfaitement pourquoi elle me l'envoie. Il n'y a peut-être pas besoin de raison particulière pour exprimer de tels sentiments, mais je comprends que son message a une signification particulière. Aujourd'hui, plus que jamais.
SMS de Jungkook ✉️ : Je t'aime aussi. À ce soir. ♥
Je pianote rapidement sur l'écran avant de ranger précipitamment mon téléphone, mes doigts commençant à ressentir le froid. À peine ai-je le temps de plonger mes mains dans la chaleur réconfortante de ma veste qu'un sandwich s'écrase presque sur mon visage. Heureusement, je parviens à le rattraper au vol. Merci au volley pour mes réflexes aiguisés.
— J'accepte de devenir ton coloc, mais seulement si tu es retenu dans l'équipe. Alors, assure-toi de bien te préparer pour ce soir, au lieu de sauter ton repas et de te morfondre.
Mon cœur bat la chamade quand mes yeux rencontrent ceux de Taehyung. Ses cheveux noirs dansent sous le souffle du vent, et malgré son allure décontractée, je le trouve d'une beauté saisissante. Des centaines de phrases s'agitent dans mon esprit, mais un seul mot franchit mes lèvres avant qu'il ne quitte mon champ de vision.
— Pourquoi ?
Ce n'est pas tant à propos de la nourriture que je lui pose la question, ni même à cause de ses paroles. Ce que je veux vraiment, c'est comprendre pourquoi il se comporte de cette manière. Pourquoi, en ce moment, il semble plus chaleureux, alors qu'il reste toujours aussi mystérieux à mes yeux.
L'avoir vu l'autre soir, perdu et trempé sur le seuil de ma porte, a déclenché quelque chose en moi. Cela m'a permis de le comprendre un peu mieux, mais cela ne signifie pas que j'arrive à cerner qui il est vraiment.
Il peut être doux, puis se transformer en véritable abruti en l'espace d'une minute. Parfois, j'ai l'impression de pouvoir l'atteindre, j'ai l'impression qu'il prêt à accepter la main que je voudrais lui tendre, même s'il est probablement trop têtu pour le faire.
Puis parfois, il semble que des kilomètres de murs nous séparent. Souvent, il disparaît avant que j'aie le temps de dire ou de faire quoi que ce soit. Prendre la fuite est plus simple, et je ne le blâme pas. Cependant, c'est la première fois que j'ai l'occasion de poser une question, de prononcer un mot, dans l'immense espoir qu'une réponse me parvienne.
Pour la première fois, il reste là, me tournant le dos sans faire un pas en avant, sans s'éloigner. Il réalise qu'il ne peut pas m'échapper, et c'est pour cela que je le vois pousser un long soupir.
Un silence lourd s'installe entre nous, uniquement bercé par le bruit apaisant de la pluie. Le silence dure si longtemps que je me rends compte, avec une certaine fatalité, qu'il va vraiment me laisser sans réponse. Puis, après ce qui me semble être une éternité, il tourne légèrement la tête vers moi, et sa voix, douce et fragile, m'incite à me lever du banc pour mieux l'entendre.
Sa voix tremble, et ses yeux croisent timidement les miens. En entendant ses mots, je retiens mon souffle, tandis qu'une larme se mêle à une goutte de pluie qui vient s'écraser sur mon visage.
Parce que c'est ce que Luka aurait voulu.
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Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce que le cours d'art occupe plus de la moitié du chapitre, mais je me suis laissée emporter, haha !
J'adore la fin, évidemment, et je suis vraiment fan de la relation qui se crée lentement mais sûrement entre Tae et Jay, ainsi que celle avec Rin.
Merci pour votre lecture et à très bientôt !
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