9 : Joutes

Anael soupira. Il ignorait toujours effectivement la signification de la couleur blanche dans son Âme. Mais il saurait se contenter de connaître la nature de cette dernière.

Il n'arrivait pas à y croire : il était Ours brun. Un animal puissant, respecté, craint, en bref tout le contraire de lui-même. Comment était-ce possible qu'une telle puissance lui ait échu ? Vraiment, il n'avait rien de l'envergure de cet animal.

Généralement, l'animal correspondait au caractère de son Métamorphe. L'Âme était intimement liée à l'humain et à l'animal, et se composait donc d'un mélange des deux. C'était la raison de la curiosité de Maïwenn, par exemple. Le renard était connu pour sa grande intelligence et pour être très malin. Il suffisait de lire quelques fables pour le savoir.

Anael se dirigea vers les tentes. Il était à peu près trois heure de l'après-midi, et Ulysse lui avait demandé de le rejoindre à la Clairière. Le garçon avait peur de ce qu'il lui réservait. Et il n'avait pas envie de revivre la même douleur qu'auparavant si Ulysse voulait qu'il se métamorphose.

Sophia le salua et se dirigea vers une silhouette non loin, qui semblait l'attendre. Anael plissa les yeux et identifia un jeune homme du même âge que lui, du moins il lui semblait.

Il avait des mèches blondes qui luisaient au soleil, et Sophia le salua d'une bise sur la joue. Ils s'en allèrent tous les deux vers la forêt, tout en discutant. Anael partit à l'opposé, vers la Clairière.

Les quelques secondes de trajet, à présent familières, lui permirent de s'interroger sur la question soulevée par Sophia.

Pourquoi ai-je cette teinte blanche ? Quel est ce secret auquel personne ne peut encore répondre ?

Mais malgré toute sa réflexion mentale, il ne put obtenir de réponse par lui-même.

Il déboucha sur la trouée des arbres assez rapidement. Ulysse lui tournait le dos, il parlait avec quelqu'un. Lorsqu'Anael aperçut des mèches couleur flammes, il faillit soupirer. Encore la Renarde curieuse. Pourquoi était-elle là, sans les autres jeunes avec qui elle traînait d'habitude ?

— Anael ! le salua l'Auroch.

— Je vois que tu as retrouvé des vêtements ! fit la rousse avec un sourire taquin.

Anael lui jeta un regard froid et Maïwenn parut blessée. Mais elle ne releva pas, et Ulysse entama :

— Anael, maintenant que nous savons que tu es Ours, il faut s'atteler à ce que font tous les enfants après la révélation de leur Âme. C'est-à-dire, fit-il en se retournant pour désigner Maïwenn, l'entraînement.

— Pourquoi elle ? interrogea Anael.

Ulysse soupira.

— C'est vraiment ton truc d'être méchant avec les gens que tu rencontres ou bien t'es comme ça tout le temps ? attaqua cette dernière.

— J'vois pas en quoi ça te concerne. Aux dernières nouvelles je t'ai pas adressé la parole, la Renarde !

— Les enfants ! Du calme, s'il vous plaît, plaida Ulysse. Anael, elle a proposé son aide, et tu devrais être flatté ! Maïwenn est la meilleure jeune Combattante.

— Il y a plusieurs... Spécialisations ? tiqua Anael en entendant distinctement la majuscule.

— Oui. Maïwenn est Combattante. Maintenant, pouvons-nous commencer ? soupira Ulysse.

— J'ai passé l'examen la semaine dernière, avec brio ! glissa la rousse.

— Maïwenn !

— D'accord, d'accord, soupira-t-elle.

Ulysse se passa une main dans les cheveux, et reprit, exaspéré :

— Bon, nous allons voir les bases. Anael, nous n'avons jamais eu d'Ours auparavant, nous ignorons donc comment tu vas te débrouiller. Pour commencer, on va faire simple. Survis.

Anael eut un moment d'arrêt. Comment ça « Survis » ?!

Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, une forme floue aux boucles de feu se jeta sur lui et le percuta violemment. Il tomba lourdement en arrière et émit un cri de douleur. Maïwenn l'immobilisa au sol rapidement et Anael se trouva bloqué sous le corps de la jeune fille. Elle le regarda avec un sourire triomphant.

Anael étira ses lèvres d'un air narquois.

Elle va mordre la poussière...

Il saisit les bras de la rousse fermement et, en un éclair, la repoussa à l'aide de ses jambes. Elle vola en arrière et se rétablit sur ses pieds, ahurie. Anael se releva et se campa sur ses appuis.

— Eh ! s'exclama Maïwenn, boudeuse.

Anael ne répondit rien et retourna à la charge, courant vers la Renarde. Au dernier moment, il s'abaissa et balança ses jambes dans son abdomen.

Maïwenn évita agilement le coup et lui flanqua son pied dans le flanc. Anael grimaça et recula pour reprendre son souffle.

La jeune fille continua à le frapper en évitant ses attaques, et Anael commençait sérieusement à avoir le dessous. Il reculait de plus en plus, et dans son dos se trouvait l'étang. Une pensée le traversa : il ne savait pas nager.

La panique commença à s'infiltrer dans son esprit. Maïwenn allait le pousser dans l'eau !

Alors, dans un sursaut désespéré, il fonça tête la première sur la jeune fille, qui s'écarta avec surprise. Anael inversa ainsi leurs positions et se trouva face à son adversaire, loin de l'eau.

Maïwenn ne perdit cependant pas de temps et l'attaqua avec ferveur. Ses mouvements flous et précis étaient imparables pour le garçon, qui encaissait.

Finalement, il tomba au sol, épuisé. Il n'avait aucun entraînement physique, il n'avait pu que la repousser par surprise. Maïwenn le regarda avec une lueur de victoire dans ses iris verts. Anael grommela.

— Bon, je crois pouvoir dire que tu encaisses très bien, Anael, intervint Ulysse en masquant son sourire.

Le garçon se releva avec raideur. Il épousseta ses habits. Il se sentit rougir de honte. Il tenta de se raisonner.

Elle, elle fait ça depuis sa naissance sûrement. Toi, tu ne l'as jamais appris, alors c'est normal que tu te fasses battre.

Mais rien à faire, il détestait perdre. Et ce fut en masquant sa colère qu'il fit face à Ulysse.

— Bien, reprenons depuis le début. On arrivera à faire un nouveau Combattant, Anael, il y a de l'espoir !

***

— Alors, cet entraînement ? demanda Sophia avec un sourire malicieux.

Anael ne répondit rien et enfonça la nourriture qu'il avait chipée dans la tente repas dans sa bouche. Qu'est-ce qu'il avait faim !

Effectivement, l'entraînement avait plutôt bien été après sa défaite contre la Renarde. Ulysse avait utilisé Maïwenn comme cible pour entraîner son nouvel Apprenti Combattant à donner des coups. La Renarde avait évidemment bloqué les attaques facilement, mais le fait d'envoyer ses poings vers la figure de la rousse mutine avait motivé Anael.

Après deux heures d'effort intense, il avait été libre de rentrer au campement. Maïwenn était restée avec Ulysse, sans doute pour parler de secrets de Combattants, puisqu'ils appartenaient tous deux à cette catégorie de Métamorphes.

— Tu peux m'expliquer les Spécialisations, Sophia ? demanda Anael en sortant de ses pensées.

Il jeta un regard autour de lui, puisqu'aucune réponse ne lui parvenait. La jeune Gazelle était plus loin, et discutait avec un jeune homme. Anael le reconnut comme celui aperçu plus tôt dans la journée.

Il épia le couple du coin de l'œil, curieux et intrigué. Ils semblaient plutôt complices, riaient par moments, et dans leurs yeux brillait l'amitié.

Les cheveux blonds du garçon semblaient encore une fois scintiller au soleil, et ses yeux, qu'Anael percevait bleu azur, paraissaient observer le moindre détail dans le paysage qui l'entourait. Son visage était beau, aux traits harmonieux. Anael ne se lassa pas d'observer les coins de sa bouche se retrousser en un sourire fin, des plis au coin des yeux se former lorsque la joie lui illuminait le visage.

— Anael ? Ça va ?

Le garçon sortit de ses observation et remarqua que les deux Métamorphes l'observaient. Il se sentit prendre la teinte écarlate des écrevisses.

— Euh... Oui... Oui ! bredouilla-t-il.

Sophia fronça les sourcils, intriguée. Mais elle ne put rien dire, car son compagnon s'avança et lança :

— Alors c'est toi Anael, dont m'a parlé Sophia. Je suis Orel.

Il sourit un peu. Anael grimaça en essayant de l'imiter. Il se sentit soudain fade en face de ce rayon de soleil ambulant.

— Tu voulais demander quelque chose ? interrogea Sophia en rejoignant son ami.

Anael se creusa la tête, mais impossible de se rappeler sa question sous le regard scrutateur d'Orel. Il bafouilla qu'il ne se souvenait plus.

— En tout cas, il paraît que t'es sacrément puissant, intercala Orel.

Il guetta la réaction de l'Ours. Ce dernier se refroidit aussitôt et se tendit légèrement. Il déroba son regard à celui d'Orel et fixa Sophia obstinément.

— Il paraît, fit-il simplement.

Il se composa un masque impassible et froid, puis redirigea son regard vers le garçon.

— Et toi ? Si c'est pas indiscret.

Il s'étonnait lui-même de poser ce genre de questions. Vraiment, il y avait quelque chose qui clochait en présence de ce Métamorphe. Anael attendit la réponse d'Orel en tentant de garder une allure assez sûr de lui.

— Je suis Aigle Royal.

Anael hocha la tête, impressionné. C'était un magnifique animal majestueux, et Orel prit soudain une autre dimension dans son estime. Anael tenta d'imaginer la sensation que l'on pouvait avoir en transperçant les nuages dans l'azur du ciel, en battant des ailes au milieu des vents, approchant le soleil si près que sa chaleur nous caresserait le dos...

Mais il ne put en embrasser la totale beauté, car jamais il ne volerait ainsi. Lui était condamné à errer sur terre, et peut-être était-ce mieux ainsi, au fond. Courir entre les feuillages chatoyants, traverser les rivières clapotantes sur les rochers, aux gouttelettes multiples et fraîches qui s'écrasaient sur la peau...

Au final, il n'était pas si mal loti que ça.

— Anael ?

— Mmh ? réagit ce dernier en émergeant de ses pensées.

Sophia le regardait d'une curieuse façon.

— Je te demandais si tu avais vu Maïwenn ?

Il grimaça.

— La Renarde ? Oui, elle était ma partenaire d'entraînement.

— Ça n'a pas l'air de te plaire ? s'étonna Orel.

— En effet. Elle... Elle m'insupporte ! s'exclama Anael.

— Elle est plutôt sympa, répliqua l'Aigle.

Anael soupira. Il commença, exaspéré :

— Elle est toujours là à lancer des piques, à faire des remarques, elle fouine partout et pose des questions qui ne la regardent pas !

Orel leva les yeux au ciel avec un sourire amusé.

— Mouais. Mais elle est plus marrante que les gens qui râlent tout le temps, expliqua Orel.

— Comme toi, fit remarquer Sophia malicieusement en désignant Anael.

Ce dernier se renfrogna avec un regard noir.

— En fait, vous êtes de parfaits opposés sur le plan caractériel, fit remarquer la jeune africaine d'un air pensif.

— Te voilà conseillère de couple, maintenant ? railla Orel.

— Il n'est pas question de couple ici, remarqua Anael.

— Mouais, on y croit, persifla Sophia.

Anael soupira et cessa d'insister. Au fond, il savait ce qu'il ressentait, et même sans avoir d'expérience dans ce domaine, il savait avec certitude que la seule chose qu'il éprouvait envers Maïwenn était une furieuse envie de la frapper et certainement pas une quelconque attirance.

Ça lui arrivait bien trop souvent, ces derniers temps.

— Bon, eh bien... commença Orel. À la prochaine ! Mon père m'attend dans la Clairière dans quelques minutes, il doit me parler.

Il salua Anael d'une poignée de main, puis fit la bise à Sophia avant de s'éloigner vers la forêt.

— Son père, c'est Ulysse, lança Sophia.

Mais Anael ne l'écoutait pas. Il repensais à la brusque chaleur qui l'avait envahi lorsqu'Orel lui avait saisi la main.

***

— Ah, vous voilà.

Erodas sortit de sa tente. Il invita les deux jeunes à s'assoir sur des souches devant le logement de toile, puis fit de même et croisa les mains sur ses genoux, réfléchissant à ses mots.

Anael et Sophia avaient croisé une Métamorphe qui les cherchait, après avoir quitté Orel. Elle leur avait appris qu'Erodas les attendait devant sa tente. Il devait apparemment leur dire quelque chose d'important.

Les deux jeunes étaient alors venus rapidement, Anael pressentant que ça avait un rapport avec la couleur blanche de son Âme. Il était stressé depuis quelques minutes, depuis la messagère en réalité, et il n'en pouvait plus d'attendre qu'Erodas ait fini sa réflexion. Il lança :

— Pourquoi nous avez-vous demandé de venir ?

Sophia lui jeta un regard de reproche. Erodas fronça les sourcils et répliqua :

— La patience est une vertu, Anael. Si tu veux devenir Combattant, tu as intérêt à développer cette qualité.

Il soupira cependant et reprit :

— Je vous ai demandé de venir car j'ai une piste pour expliquer la teinte blanche qui se mêle à ton Âme, Anael.

Ce dernier se sentit se tendre dans l'attente d'une réponse. Il fixa l'Ancien avec impatience.

— J'ai rencontré deux jumeaux, il y a bien longtemps. Ils étaient Métamorphes Canaris tous les deux, soit une forme peu puissante. Malgré cela, leur père était un Faucon, aussi il ne comprenait pas pourquoi ses fils étaient si peu puissants par rapport à lui.

Erodas fixa étrangement Anael, soudain muet. Le garçon faillit lui rétorquer de continuer à expliquer mais se contint à grand peine. Cela ne servirait qu'à énerver le Métamorphe. Il croisa donc les bras et attendit.

— J'ai donc Lu leurs Âmes, poursuivit l'Ancien. Et là, j'ai pu remarquer une curieuse teinte grise. Les couleurs des Canaris étaient bien présentes, mais le gris était réellement anormal. J'ai alors discuté avec le père. Il m'a avoué que sa femme, et donc la mère des deux enfants, était humaine.

Sophia laissa échapper une exclamation.

— Mais, glissa-t-elle, les Hybrides sont rares et non viables normalement !

— Dans certains cas, ils survivent et se développent, contredit l'Ancien. Ceux-là possédaient une grande volonté. Étant deux, ils se soutenaient mutuellement sans même s'en rendre compte.

Erodas posa son regard sur Anael. Ce dernier tremblait légèrement, pressentant au fond de lui ce qui allait suivre comme révélation. Mais il tenta de chasser cette supposition de son esprit, sans succès.

— Mais... La couleur d'Anael n'est pas le gris.

Sophia semblait perdue. Anael, lui, se rappelait des souvenirs d'enfants, et tout s'éclaircit dans sa tête. Il savait.

— Anael, je sens que tu comprends où je veux en venir. Tu es Hybride, mais cette union n'a pas affaibli ta part Métamorphe. Elle l'a renforcée, martela Erodas.

— C'est vrai, souffla le garçon, les yeux dans le vague. Ma mère...

Son visage se crispa un instant à ce souvenir, puis retrouva ce masque lisse qu'il portait en permanence.

— Ma mère était Sorcière.

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