7 : Identité

— Anael, je suis heureux que tu prennes cette décision.

Ulysse avait un sourire bienveillant sur les lèvres. Sophia restait impassible mais ses yeux montraient une intense curiosité.

— C'est pas comme si j'avais le choix, rétorqua le garçon, amer.

Ulysse ne releva pas et lui fit signe de se rassoir. Lorsque ce fut fait, il entama :

— Confirme mes déclarations dans un premier temps. Ce sera un bon départ.

Anael hocha la tête, une boule d'appréhension prenant déjà place au fond de son ventre. Ulysse reprit.

— Tu es omnivore.

— Exact.

— Tu hivernes.

— Exact.

— Tu supportes pourtant le froid.

— Oui, comment le savez-vous ?

— Tu es vêtu assez simplement. Il fait cinq degrés, tu sais.

En effet, Anael ne portait que ses habits de la veille. Un pantalon, un t-shirt et une veste peu épaisse. Le tout rapiécé et usé. Bien peu en considérant ceux de Sophia et Ulysse.

— Bon, Anael, reprit ce dernier, es-tu un prédateur ? À présent je pose des questions.

— Je ne sais pas si je suis un prédateur.

L'homme haussa un sourcil.

— Il suffit de regarder ton Âme.

— Comment ? Je n'ai jamais appris à Lire, rétorqua l'autre.

Ulysse eut un rictus compatissant. Il commença à expliquer.

— Tu dois te concentrer au début, puis ça deviendra une habitude. Regarde-moi. Maintenant, imagine une tâche de couleur au niveau de mon cœur.

Le garçon fronça les sourcils et tenta d'appliquer les instructions. Aussitôt ou presque, une vive couleur verte apparut en surbrillance de la poitrine de l'homme. Anael, bouche bée, la fixa avec fascination.

— Tu la vois déjà ? s'étonna Ulysse.

Le garçon hocha la tête, muet. Plus il observait la tache, plus elle prenait des nuances mordorée, des filaments qui évoluaient librement dans la sphère lumineuse. Le vert, le doré, le brun et le jaune s'y entremêlaient.

— Tu dois être sensible à la magie, marmonna l'homme.

Anael sortit de sa contemplation et plissa les yeux.

— Ça veut dire quoi, le vert, le doré, le brun et le jaune ? Vous êtes quoi ?

— C'est impressionnant, le nombre de couleurs que tu parviens à distinguer en si peu de temps ! s'exclama Sophia.

Anael l'ignora et écouta la réponse d'Ulysse.

— Je suis un Auroch. Une sorte de vache sauvage africaine, si tu préfères. C'est pour ça que tu distingues le vert majoritaire : je suis herbivore. Pour les autres teintes, elle sont propres à mon espèce. Pour une Vache, par exemple, ce sera vert, brun et jaune, sans le doré.

Anael cligna des yeux, impressionné. Ulysse poursuivit.

— Les Liseurs sont extrêmement sensibles aux teintes et aux couleurs. Mais je ne pense pas que tu en sois un, sinon tu aurais déjà vu des Âmes sans le vouloir. Pourtant, tu es doué.

— Je n'ai aucune idée du pourquoi, lâcha Anael.

Ulysse hocha la tête, et changea de position assise pour soulager sans doute un muscle. Il reprit.

— Poursuivons notre recherche. Regarde ton cœur. Nous ne le ferons pas nous-mêmes, puisque tu le sentirais et que tu détestes cela. Nous respectons ta volonté, ajouta-t-il avec un regard d'avertissement à Sophia.

Elle leva les yeux au ciel.

— Évidemment que je ne vais pas le Lire ! Je suis pas comme ça. Tu le sais, Ulysse.

— Mieux vaut se comprendre avant, dit-il calmement.

Anael coupa leur échange.

— Et si je ne vois rien ?

— Tous les êtres vivants ont une Âme. Même si pour les humains et les espèces ne faisant pas partie du surnaturel, elle est plus faible.

Rassuré malgré lui, Anael porta son regard vers l'emplacement de son cœur et plissa les yeux. Aussitôt, une sphère s'alluma.

Le rouge sang domina tout pendant quelques petites secondes. Ensuite, des teintes plus vastes apparurent. À l'écarlate se mêla le blanc éclatant. Ensuite, un fil doré se faufila. Puis ce fut une douce couleur noisette. Le tout donnait une étrange harmonie peu commune à contempler.

— Quelles sont les couleurs ? interrogea doucement Ulysse.

— Rouge. Blanc. Doré. Noisette, énonça le garçon, les yeux rivés sur sa sphère d'Âme.

Ulysse plissa le front. Il pinça son nez entre deux doigts. Anael et Sophia l'entendirent marmonner. Le garçon sentit le stress lui tordre l'estomac. Il était sur le point de connaître son Âme. Enfin. La joie et l'appréhension se disputaient son esprit dans une lutte acharnée.

Enfin, au bout de longues secondes de silence absolu, même respecté par les oiseaux chanteurs, Ulysse releva le regard dans celui du garçon. Ses yeux couleur d'orage luisaient. Ceux de l'homme, marron, dévoilaient un sentiment étrange, qu'Anael ne sut définir sur l'instant.

— Je pense que tu es un prédateur omnivore d'Europe, et sauvage, articula l'homme.

— Vous ne pouvez pas me dire l'animal ? fit aussitôt Anael, les lèvres tremblantes malgré lui.

— Je ne suis pas Liseur. Et je ne connais pas tous les animaux. Il faudra demander à Erodas, il est le mieux placé pour te répondre. Je t'ai dit ce que je pouvais. Je ne connais pas encore cet assemblage de couleurs.

Anael eut envie d'hurler. Il serra les poings avec force. Il entendit un petit craquement, mais n'en tint pas compte et se leva.

— Alors, je vais chercher Erodas. Où est-il ? jeta-t-il, agressif.

— Sophia va t'y conduire. Il est dans sa tente personnelle, dit Ulysse.

La jeune Gazelle se mit debout à son tour et le rejoignit.

— Allons chercher ce vieux prétentieux.

Ils entendirent Ulysse se plaindre des jeunes en s'enfonçant dans les buissons.

***

— Que voulez-vous ? retentit une voix.

Les deux compagnons se tenaient devant la tente de l'Ancien. Les membres du conseil pouvaient se permettre d'avoir une tente pour eux seuls, afin d'avoir un espace de travail calme et sans distraction. Anael penchait plus pour un confort de despotes, mais se retint de faire part de ses pensées à l'homme qui sortit de la tente.

Erodas avait la même apparance que la veille. Ses cheveux gris étaient toutefois plus emmêlés, mais ses yeux acier restaient vifs et sagaces. Sophia lui expliqua :

— Nous avons besoin de toi pour Lire les couleurs d'une Âme. Ulysse ne connaît pas l'assemblage des teintes d'Anael. Peux-tu nous aider ? Sais-tu quel animal se cache en lui ?

Le vieil homme se tourna vers le garçon. Il plissa les yeux et resta un moment concentré. Le garçon se sentit mal à l'aise sous son regard d'aigle mais ne bougea pas. Il sentait un tiraillement désagréable lui tendre la poitrine, signe qu'Erodas le Lisait bel et bien.

Cette sensation, avant, il ignorait que lui seul l'éprouvait. Il pensait que tous savaient quand quelqu'un Lisait. Mais visiblement il était une exception.

— Il... Non... Pas possible... grommela l'Ancien.

Anael se tendit. Sophia retint son souffle à ses côtés. Qu'est-ce que l'homme avait bien pu Lire dans son Âme pour le perturber à ce point ? Il avait pourtant déjà effleuré Anael lors de leur première rencontre. Avait-il alors réellement Lu sont Âme, ou avait-il bluffé ? Anael avait toutefois senti le même tiraillement, certes plus faiblement, mais il était trop en colère pour y prêter attention. Y avait-il plusieurs niveaux de Lecture d'Âme ? Un simple effleurement, un coup d'œil, et une observation ? Le jeune garçon n'y avait jamais songé.

— Anael, je suis incapable de te certifier la nature de ton Âme avec certitude, reconnut-il finalement.

La lueur maligne et quelque peu sournoise de son regard avant disparu. Il était perturbé. Jamais il n'avait été confronté à cela.

— Il y a une couleur en trop. Impossible d'expliquer cette combinaison, sinon.

— Et comment faire pour découvrir son Âme, Erodas ? interrogea Sophia.

Le vieil homme posa ses yeux acier sur le garçon, songeur. Puis, il dit :

— Il faut agencer une métamorphose.

***

— Les Métamorphes possèdent tous un moyen différent de se métamorphoser, commença Ulysse.

Ils étaient assis dans la Clairière paisible, à côté de l'étang. Anael venait pour la première fois ici dans l'intention d'accomplir une métamorphose. Ulysse avait dit qu'il allait l'aider.

— Je n'ai aucune idée de ton déclencheur, avoua Ulysse. Pour certains, c'est un sentiment profond, d'autres c'est la douleur. Généralement, on se transforme brutalement à l'âge de dix ans. On n'est alors pas assez puissant pour causer de réels soucis, et ensuite, on peut se contrôler grâce à nos pairs de Meute.

— Je n'ai jamais eu l'occasion de me transformer. Et je suis certain de n'être jamais devenu un animal, appuya Anael.

Ulysse passa sa main sur sa barbe brune, pensif.

— C'est étrange que tu n'aies pas accompli de métamorphose étant enfant. Mais soit, tentons ensemble de déceler ton déclencheur.

Le garçon bougea ses doigts, les étendant et les crispant tour à tour. Le stress l'envahissait. Une part de lui-même tremblait de peur à l'idée de découvrir sa part animale, mais une autre était hystérique.

Il avait toujours vécu seul depuis ses dix ans. Il n'avait pas eu de contacts avec ses semblables. Ici, il entrait dans une meute de façon impromptue, et avait l'opportunité de découvrir sa nature.

Alors pourquoi son cœur battait-il si fort ? Pourquoi était-il tenté, affreusement tenté, de renoncer ?

Était-ce les mots d'Erodas ? Sur cette couleur « en trop » ?

Peut-être. Mais et si je suis dangereux ? Ou alors, si je suis insignifiant ? Et si j'étais une Souris ?

Anael secoua la tête. Inutile de penser trop à cela. Il verrait. Et puis, à présent, il n'était pas en passe de se transformer. Il lui fallait découvrir un déclencheur.

— On va d'abord résumer ce que nous savons sur toi, encore une fois.

Le garçon releva la tête sur son mentor du jour.

— Tu es un prédateur, en témoigne le rouge éclatant de son Âme. Tu es cependant omnivore. Tu es terrestre, et forestier, puisque la couleur noisette est présente. Le doré indique une bête sauvage. Ensuite, on a le blanc.

Ulysse se tut. Il se plongea un instant dans ses pensées, puis reprit doucement.

— Le blanc éclatant, pur, que nous n'avons jamais vu sur un Métamorphe.

Anael frissonna. Ces paroles lui parurent de mauvaise augure. Qu'est-ce que cela signifiait ? Qu'il était différent ?

À cette pensée, il se donna une baffe mentale. Quelle idée. Il ne voulait pas être différent. Il était déjà atypique, alors différent...

— Anael, te rappelles-tu un moment où tu as senti le contrôle de toi-même t'échapper ?

Ulysse émit un petit rire et ajouta :

— C'est drôle de poser cette question à un gamin de seize ans. D'habitude, ce sont des enfants de onze ou douze...

Anael lui jeta un regard noir. Ulysse se racla la gorge.

— Bref, as-tu déjà perdu le contrôle de toi-même ?

Le garçon réfléchit. Il mit le doigt alors sur un moment récent où il ne s'était pas reconnu. Où sa personnalité réservée et méfiante, taciturne et peureuse s'était effacée.

Un moment où il avait perdu sa sérénité.

— Lorsqu'Erik m'a cherché des noises dans la tente des repas.

Ulysse réfléchit. Soudain, il s'exclama :

— Tu ne supportes pas de t'abaisser. Tu hais l'humiliation.

Il eut un sourire sournois et machiavélique.

— Ce n'est pas dans mes habitudes, mais je vais te mener la vie dure, Anael...

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