54 : Bonheur & Douceur

"J'ai accompli ma mission, ce que l'on attendait de moi. A présent, je dois partir"

C'était cette pensée qui avait traversé l'esprit d'Anael. Allongé dans son lit dans la tente des guérisseurs, il avait décidé de partir. Ça avait été rapide, comme décision ; il s'était déjà préparé mentalement à quitter cette dimension, la protéger de sa présence. Partout où il allait, les drames se succédaient ; ses parents, sa mère d'abord, son père ensuite, puis Dorian, et les victimes Métamorphes dans leur lutte contre le Seigneur. La mort semblait suivre ses pas. 

S'il vivait à nouveau seul, alors, plus personne ne mourrait. Egoïstement, il ne voulait plus voir de gens mourir. Alors, s'il devait retourner chez les humains, ce serait comme avant, et il le ferait. Il en avait eu l'habitude, lors de son adolescence. Il le supporterait encore. 

Du moins, c'était ce qu'il avait pensé. Il avait profité d'une distraction des guérisseurs pour sortir de la tente, seulement vêtu d'un t-shirt, d'un pantalon et de chaussures. Il avait été voir la petite tente où il avait logé à son arrivée, était entré, avait forcé le coffre, repris ses affaires. 

Anael était sorti de la dimension sans se faire repérer. Il le devait ; s'il restait, la mort reviendrait  à ses côtés. Il était presque maudit. Il avait vu trop de morts. Il n'en voulait plus. Et si son départ pouvait épargner, par un étrange jeu du sort, la meute qui l'avait accueilli, alors c'était une raison de plus. 

Il s'était arrêté dans les Ruines, le temps de se décider où aller. Il pouvait retourner dans la ville où il était avant, ou bien s'éloigner de la dimension où vivait la meute. Assis contre un muret à demi détruit, il avait soupiré et pris sa tête entre ses mains. Il s'était empêché d'y penser, mais... Il revoyait Orel, Sophia, Maïwenn, Ulysse et même Déborah et Ange... La petite Colibri, la soeur d'Orel, et la cuisinière, ainsi que Sysiphe... 

Il secoua la tête et se releva, s'enfonçant dans les Ruines poussiéreuses en se forçant à penser à autre chose. Il compta ses pas, cala ses inspirations et expirations sur son rythme d'avancée, tout sauf penser. 

Enfin, il parvint à l'orée de la ville. Les hauts bâtiments étaient toujours aussi moches à ses yeux. Les rues de béton nauséabond étaient presque désertes. Quelques passants arpentaient les rues, flânaient, mais ils n'étaient que des fantômes sans importance aux yeux d'Anael. 

Il avança, mais avant qu'il ne puisse se perdre dans les méandres des ruelles, une voix le retint. 

— Anael... C'est toi ?

Il fit volte-face, sur ses gardes. Son regard trouva deux yeux bleus au centre d'un visage féminin à l'air doux. Les boucles noires qui entouraient ce visage n'étaient pas sans rappeler les siens... C'était une impression étrange. Il avait l'impression de connaître cette femme. 

Il plissa les yeux et Lut l'Âme de l'inconnue. Elle n'était pas une Métamorphe, mais pas une humaine non plus. Il ne connaissait pas ce type d'Âme. 

— Qui êtes-vous ? 

Sa voix méfiante fit sourire la femme, qui s'approcha d'un pas, avant de se figer lorsqu'Anael gronda. 

— Je ne suis pas une ennemie. J'ai entendu les rumeurs sur la défaite du Seigneur, puis sur un mystérieux Métamorphe magicien... Ce ne pouvait être que toi. Le fils de Savannah. 

Anael ne savait pas s'il devait l'écouter ou partir. Savannah ? Serait-ce possible que... 

— Vous connaissiez ma mère ? 

— Oui. Je suis Evannah, ta tante, Anael. Je... Je suis si heureuse de t'avoir enfin trouvé... Je n'avais aucune idée de l'endroit où tu te cachais, ton père a coupé les ponts avec tout le monde après le décès de ta mère et... 

Elle reprit son souffle en essuyant quelques larmes émues. Si elle n'avait pas craint de réaction négative, elle aurait serré son neveu dans ses bras. Anael, lui, ne savait absolument pas comment réagir.

— Je suis si heureuse que tu aies intégré une meute, Anael ! Tu mérites d'être heureux...

— Je n'ai intégré aucune meute, la coupa-t-il. Je... Je suis un Solitaire. 

Elle le regarda, intriguée, puis eut une grimace triste. Ses yeux brillèrent doucement et Anael sentit comme une caresse immatérielle sur son épaule. Il frissonna et jeta un regard méfiant à Evannah, qui sourit doucement. 

— Ne t'inquiète pas, j'ai juste regardé comment tu te sentais. Tu les as quittés, n'est-ce pas ? Tu es parti. 

— Je ne pouvais pas rester. Je n'apporte rien de bon, souffla l'Hybride. 

Il se détourna et voulut clore la conversation en partant, mais Evannah le retint d'un simple mot. Un simple nom. 

— Et Orel ?

Il se figea, avant de lui jeter un regard noir. Pourtant, tout au fond, on pouvait y lire de la tristesse. Une grande tristesse et de la résignation, comme s'il se refusait à espérer. 

— Tu lui as apporté un soutien sans égal. Tu tiens à lui, je le vois. Lors de la bataille face au Seigneur, tu lui as, selon les rumeurs, transféré brièvement ta puissance, au risque d'en mourir. Tu lui as sauvé la vie, et tu dis que tu n'apportes rien de bon ? 

Evannah s'approcha lentement, comme pour lui montrer qu'elle ne voulait que son bien. Lorsqu'elle fut à quelques centimètres, elle leva la main et vint lui effleurer la joue, tendrement. 

— Tu n'es pas maudit. Ta vie est simplement compliquée... Jusqu'à maintenant. Je sais combien c'est dur de ne pas trouver sa place au sein d'un groupe, de sentir que tu n'en fais pas entièrement partie, je connais le rejet, Anael. Lorsque j'ai décidé d'épouser mon compagnon, un Métamorphe, mon clan m'a rejetée comme il a rejeté jadis ta mère. 

Elle vint prendre son visage en coupe et plongea ses yeux dans les siens. Anael se laissa faire, las de lutter. Il but ses paroles. 

— Tu as la chance d'avoir trouvé une meute et des gens qui t'acceptent comme tu es. Ne gâche pas cela en refusant le bonheur. Tu y as droit, Anael. 

Soudain, sans qu'il ne comprenne pourquoi, des larmes lui montèrent aux yeux. Il referma les bras sur la silhouette menue de sa tante et la serra, alors que des perles salées dévalaient ses joues. L'espace d'un instant, il redevint un enfant, il pleura, évacua tout le stress qui l'envahissait depuis qu'il avait rencontré Dorian. L'horreur de ce qu'il avait vu, le poids qui avait pesé sur ses épaules, tout partit avec l'eau qui mouillait le t-shirt de sa tante. 

Ne resta qu'une grande plénitude apaisante. La main d'Evannah caressa ses cheveux délicatement, elle lui murmura que tout allait bien. Et Anael la crut. C'était étrange, mais il la croyait, au plus profond de lui, il lui faisait confiance. 

Enfin, il s'écarta de la Sorcière et un sourire gêné prit place sur ses lèvres. 

— Désolé... 

— Ce n'est rien. 

Elle lui sourit, puis sembla se souvenir de quelque chose et plongea la main dans le sac qui lui battait la hanche. Elle en sortit une sorte de collier, une fine chaînette argentée où pendait un cristal bleu azur. Evannah eut un sourire nostalgique et ses yeux s'embuèrent. 

— Il appartenait à ta mère. C'est un collier enchanté. Lorsque tu le serres en pensant à quelqu'un, il te permet d'envoyer un message télépathique, si tu te concentres bien. Seuls les Sorciers peuvent l'utiliser, mais tu l'es par ta mère et tu as hérité de magie, donc tu devrais en être capable aussi. 

Anael se saisit doucement du bijou et le passa à son cou, laissant la pierre précieuse tomber sur son torse. Elle brilla en reflétant les rayons du soleil et il se sentit, soudain, un peu plus complet. 

Il lui manquait tout de même encore quelque chose pour être pleinement lui. Pour se sentir bien. Pour tourner la page de cette prophétie sortie de nulle part pour bouleverser son destin de manière irrévocable. 

Evannah vit sans doute son regard redevenir vif, car elle le serra brièvement dans ses bras et lui chuchota à l'oreille. 

— Retourne chez toi. 

Lorsqu'elle le relâcha, Anael sentait son coeur battre d'impatience. Il allait rentrer chez lui. Un sourire irrépressible lui étira les lèvres, illuminant tout son visage. 

— Merci. 

Evannah secoua la tête gentiment. 

— N'hésite pas à passer me voir, ou à me contacter par télépathie. Je serais heureuse d'accueillir mon neveu. 

Anael hocha la tête, puis fit volte-face en essayant de masquer la réaction que ces paroles provoquaient chez lui. Toute sa vie, il avait senti qu'il était un poids, une gêne ; pour son père, puis pour les gens qui cherchaient à le faire changer de rue, alors qu'il voulait simplement dormir. 

Alors entendre que sa tante, sa famille, désirait le revoir et l'invitait chez elle... Cela faisait bondir son coeur de joie dans sa poitrine. 

Il fila comme le vent, serpenta dans les Ruines, soulevant des nuages de poussière dans son sillage. Enfin, il parvint dans la forêt et s'y faufila agilement. Il se rappela de la première fois où il avait pénétré sous ses frondaisons et à la peine qu'il avait eue à suivre Sophia et Ulysse, fouetté par les branches, bien peu à l'aise dans ce milieu qui lui était pourtant naturel. A présent, il y évoluait avec une aisance ahurissante. Il avala la distance qui le séparait de la clairière en quelques minutes et s'approcha du tronc en reprenant son souffle. 

Il s'accorda quelques instants pour se reposer. Après tout, la veille, il avait joué avec le feu en projetant la Morphiax dans le corps d'Orel. Le sien se remettait tout doucement et les élancements qui parcouraient ses muscles lui rappelaient de ne pas en faire trop. Il décida de les ignorer et se redressa face au chêne. Les veines de l'écorce étaient toujours aussi douces, étonnamment ; il y glissa les doigts, caressa le tronc et recula d'un pas. 

L'arbre s'illumina d'une douce lueur dorée, puis l'entrée de la dimension apparut. Anael inspira, avant de s'y enfoncer. 

***

— Il faut aller le chercher ! 

— Non, Orel. S'il a choisi de partir, tu n'as pas le droit de l'en empêcher... Je suis désolé, mais tu resteras ici. De plus, tu es encore affaibli. 

Ulysse posa un regard désolé sur son fils, qui serrait les poings. Il soupira et s'assit à ses côtés sur le matelas. La lumière du soleil sur les pans de la tente baignait l'intérieur dans une atmosphère dorée chaleureuse. L'Ancien posa une main prudente sur l'épaule d'Orel et la pressa. 

— Je suis aussi triste que toi, Orel, crois-moi. Mais c'est ainsi. Peut-être reviendra-t-il un jour, qui sait... 

L'Aigle lui jeta un regard las. Il ne le croyait pas. S'il avait vraiment décidé de partir, il ne reviendrait pas. Mais pourquoi ? Pourquoi était-il parti ? Sans rien dire ? 

Il sentit ses yeux brûler. Levant une main devant son visage, Orel s'aperçut qu'il voyait flou. Il pleurait. 

Ulysse pressa une dernière fois son épaule, puis sortit, lui laissant un peu d'intimité. Orel s'effondra sur le lit dès que son père eut disparu et des sanglots agitèrent son corps. 

— Pourquoi es-tu parti, Anael ? 

Son coeur le faisait souffrir, comme si une main le lui arrachait et le pressait de toutes ses forces entre ses doigts. Pourquoi était-ce si douloureux ? 

Il renifla, essuya sommairement ses larmes, tenta de se calmer. Mais c'était peine perdue. Il revoyait sans cesse leur unique baiser, leurs étreintes, ses yeux gris et son sourire, trop rare mais magnifique. 

Ce ne fut au départ qu'un frémissement. Un léger tremblement, comme si quelqu'un courait non loin, faisait vibrer le sol. L'ouïe développée d'Orel perçut cela, mais il n'y fit pas attention, le regard dans le vague. Il ne fit que s'asseoir à nouveau pour essayer ses larmes avec les draps. Il plaça ses paumes sur son visage, masquant ses yeux rougis. 

— Orel ? 

Ce n'était qu'un souffle. Un murmure inquiet. Mais l'Aigle le reconnut. Il le reconnaîtrait entre mille. 

Devant lui, Anael, le souffle irrégulier, semblait avoir couru un marathon depuis l'autre bout de la Terre. Ses joues étaient rouges, ses cheveux étaient défaits, ses yeux brillaient comme deux étoiles. Il rayonnait. Il était beau. 

Orel se précipita dans ses bras. Il le serra, pour être sûr qu'il était bien réel, puis laissa échapper un rire nerveux, mais heureux. Il leva les mains, passa ses doigts sur ses joues, retraça ses traits, comme s'il le découvrait. Anael fit de même et effaça les traces de larmes de ses pouces, un pli inquiet entre les sourcils. 

— Tu... Tu as pleuré ? murmura-t-il. 

— Pourquoi tu es parti ? chuchota l'autre sans répondre. 

Anael comprit et attira sa tête dans son cou, caressant doucement les cheveux d'or. 

— Je suis désolé, Orel... Je ne partirai plus... 

L'Aigle s'éloigna un peu de lui pour croiser son regard et passa ses doigts dans ses mèches noires, puis écrasa ses lèvres sur les siennes. L'Hybride lui enserra la taille en réponse et l'attira encore plus près. Il laissa glisser ses mains sur son dos, lui rendit son baiser doucement, amoureusement. 

C'était là qu'il était heureux. Il avait enfin trouvé sa place. Il ne voulait plus fuir. 

Il était chez lui. 
















Ouh... C'est fini ? Déjà ? 

J'ai envie de pleurer. Cette fin était trop émouvante à écrire pour mon petit coeur... <3 Anael a enfin un moment heureux, il aura une vie meilleure avec Orel, on y croit !  

Anael et Orel c'est vraiment fini ? Oui... mais ils peuvent encore vivre dans nos coeurs ! Dans nos esprits, dans des bonus, qui sait ? ;)

Merci de m'avoir suivie jusqu'ici. C'est un énorme bouquin (trop de pages word pour mon propre bien... Oo). C'est un immense projet, que j'adore et que je laisse reposer un peu... 

Sûrement qu'une réécriture viendra, mais pas tout de suite, le temps d'avoir un regard un peu plus objectif :)

Sinon, qu'avez-vous pensé de toute cette aventure de métamorphes ? Qu'avez-vous aimé, adoré, détesté ? Je veux tout savoir... ;)

Encore merci à tous les lecteurs (même les fantômes !) qui ont suivi Orael jusqu'ici <3 Merci aux serial-commentateurs, aux voteurs de la mort, aux lecteurs qui me lisent depuis le début d'Eclipse et qui n'ont pas abandonné face à mon rythme de publication anarchique ^^'

Merci à ceux qui sont toujours les premiers à voter quand un chapitre sort, vous êtes tous un super moteur qui me motive énormément !

Merci spécial à la lectrice qui a créé des Anael et Orel dans les Sim's (c'est troooop mignon <3) 

Orael, c'est fini pour l'instant, mais peut-être reviendront-ils dans une version 2.0 ? A suivre ! 

Bisous à tous, prenez soin de vous <3


(l'idée d'un spin-off sur Evannah et son mari, et leurs enfants m'est venue en écrivant ce chapitre, vous en pensez quoi ? ça serait centré sur les Sorciers, plus que sur les Métamorphes, mais why not?)

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