53 : Prophétie
Le feu magique était intense et effroyablement douloureux. Anael eut l'impression que sa peau se racornissait, qu'elle devenait de la cendre et craquait, laissant des perles rouges couler sur tout son corps.
Il s'effondra sur le sol, la respiration sifflante, les bras refermés sur son torse meurtri. Des larmes noyaient ses yeux gris.
— L'affaire est réglée, ricana le Sorcier.
Witzra se détourna d'Anael et se dirigea vers le Seigneur, restant en retrait pour attendre ses ordres, les mains brillantes de magie, au cas où.
— Eh bien, cher Tueur, qu'attends-tu ? provoquait le Reptile. Ce soir est le seul moment où il est possible de me vaincre, selon cette prophétie idiote. Alors viens, je t'attends, petit oisillon !
Orel toussa, les doigts serrés sur son cou. Décidément, se faire étrangler n'était pas plus agréable après la première fois.
Il jeta un coup d'oeil au corps d'Anael, recroquevillé, fumant, non loin. Il ne bougeait plus. On l'aurait cru mort s'il n'avait pas respiré péniblement. Ses yeux gris tentaient de voir ce qui se déroulait, mais un rideau salé obstruait sa vue.
— Oh, tu t'inquiètes pour le petit Atout magique ? railla le Reptile. Il n'est pas mort. Il doit rester vivant, un clan de Sorciers veut tester les effets de l'hybridisme. Par contre, toi, tu vas mourir, ici et maintenant !
Il se jeta sur l'Aigle et lui asséna un direct en plein dans le sternum. Orel n'eut pas le temps de parer et encaissa, le souffle coupé. Il s'effondra sur le sol et roula pour s'éloigner. Il se releva et réussit à se baisser pour éviter un autre coup, mais seul un filet d'air s'échappait de ses lèvres avec un son sifflant. Il hoqueta en reculant, le poing pressé contre son torse.
— Tu t'enfuis ? Il est beau, l'élu !
Le Seigneur le rattrapa, lui saisit les cheveux et tira sur les mèches blondes, lui arrachant un cri. Il le souleva presque entièrement, pour que seules ses pointes de pied touchent le sol. Orel grimaça en attrapant le bras qui le tenait, balança son pied dans les côtes du Reptile, mais rien n'y fit. Un immense désespoir l'envahit.
— Est-ce que tu sais au moins ce que j'essaie de faire en ce monde, élu ? Est-ce que tu sais au moins pourquoi je me bats ?
— Qu'est-ce que ça peut me faire ? Vous voulez tuer tous ceux qui s'opposent à vos idées, vous imposez votre manière de voir et vous voulez éradiquer les Humains ! cracha Orel, le regard furieux.
— Je tue ceux qui s'opposent à moi ? C'est vrai. Mais ne fais-tu pas exactement la même chose ? Ne désirais-tu pas m'éliminer en venant ici ? Je n'agis pas comme tu l'estimes "bien", alors tu viens me supprimer parce qu'une prophétie t'a dit de le faire ! En quoi sommes-nous différents, toi et moi ?
Un silence pesant s'abattit. Orel fixait le Seigneur de son regard azur. Ses paroles tourbillonnaient dans sa tête sans répit.
Un poids venait de se poser sur sa poitrine. En quoi étaient-ils différents ? Orel ne sut pas répondre. Un malaise diffus se propagea dans tout son être, son Âme en vacilla.
Anael eut un sursaut imperceptible. Non. Ce n'était pas possible. Cela ne pouvait pas arriver. Jamais !
Il papillonna des paupières. Orel...
"Réponds ! Vous n'êtes pas pareils ! Tu le sais !"
Mais l'Aigle baissa le regard. Ses bras retombèrent le long de son corps.
— Vous avez raison. Nous avons certaines méthodes en commun...
Son regard dévia vers le corps d'Anael, prostré au sol. Ses vêtements brûlaient encore lentement sur sa peau, sur ton torse. Ses yeux gris, écarquillés, le suppliaient de ne pas abandonner. Mais c'était de sa faute si l'Ours était dans cet état-là.
Anael vit l'Âme d'Orel se recroqueviller dans son thorax. Sa belle flamme colorée devenait de plus en plus petite, de plus en plus terne, rongée par les doutes semés par le Seigneur. Ses yeux azurés, si lumineux en temps normal, semblaient s'éteindre.
Non. Non. Non... C'était impossible !
L'Hybride ferma les yeux. Il devait faire quelque chose. Il était l'Atout, il devait aider Orel ! Il en était le seul capable à présent.
Ses poings se serrèrent. Anael occulta la douleur de la brûlure, l'éloigna de son esprit, plongea au plus profond de celui-ci. Il y vit la flamme mauve qui l'appelait doucement, malgré sa fatigue. Anael n'avait plus la force de se battre, il était épuisé et blessé... mais pas Orel.
Alors, l'Atout engloba la Morphiax, en fit une sphère brillante qui pulsa plus rapidement. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait ; juste que c'était la seule chose à faire.
Il nourrit la sphère violette de sa propre énergie, la faisant grandir dans son thorax, au niveau de son coeur. Il y ajouta tout ce qu'il éprouvait pour Orel, son inquiétude, son désespoir de devoir bientôt quitter ce monde qui l'avait accueilli pour rejoindre son existence solitaire et au fur et à mesure de ces ajouts, la magie se mit à briller autant qu'une étoile. C'était une véritable supernova qui grandissait en lui.
La lueur violette qui émanait à présent de son corps alerta le Seigneur et le Sorcier. Witzra le fixa en faisant volte-face, éberlué.
— Mais, je... balbutia-t-il. Je t'ai épuisé ! Tu es blessé !
— Que fait-il ? Peux-tu me le dire, Sorcier ? aboya le Seigneur.
— Je... Il accumule de l'énergie magique... Comme...
— Une bombe ? Je pensais que tu l'avais neutralisé, incapable ! Répare ton erreur avant qu'il ne nous tue tous !
Le Sorcier se mordit la lèvre et se précipita vers Anael, mais soudain, une déflagration le propulsa dans les airs. L'homme vola et percuta l'un des poteaux qui tenait la tente avec un craquement funeste. Il ne se releva pas.
Devant les yeux éberlués du Seigneur et d'Orel, une forme améthyste s'éleva du corps d'Anael, d'abord fumée tremblante, puis tornade étincelante qui prit la forme d'un immense phénix. Les flammes violettes aveuglèrent les Métamorphes, qui plissèrent les yeux, mais la main du Seigneur ne lâcha pas les cheveux d'or de l'Aigle.
Un cri perçant passa le bec de l'oiseau immortel et il battit des ailes puissamment. Une tornade violente balaya tout, mais elle n'eut pas prise sur le Seigneur et Orel, renversant les meubles, déchirant la toile de la tente, dévoilant le ciel qui prenait doucement une teinte d'encre de Chine. La lune se levait, s'approchant de l'astre diurne déclinant.
Le phénix de Morphiax grandit, jusqu'à dépasser largement la tête du Seigneur Reptilien, qui leva le visage vers cette menace imprévue. Orel, lui, baissa le sien vers celui d'Anael. Il s'était assis en tailleur, dans une étrange transe. Son corps était immobile, son visage détendu dans une expression concentrée, voire possédée. Le pouvoir avait envahi chaque partie de son corps, ses yeux luisaient tous les deux d'une flamme violente de la couleur de l'améthyste.
Le phénix déploya entièrement les ailes et s'éleva dans le ciel, avant de replonger en piqué vers les Métamorphes. Le Seigneur tressaillit, lâcha la prise qu'il avait dans les cheveux de l'Aigle, qui bascula en arrière.
L'oiseau magique ne toucha pas au Reptile. L'Atout n'avait pas le pouvoir de tuer le Seigneur ; c'était à Orel de le faire. Lui seul le pouvait.
A l'instant où la lune voila le soleil, où tout plongea dans une pénombre mystique, la Morphiax plongea dans le torse d'Orel, dont le corps s'arqua violemment.
Anael s'écroula. Orel s'illumina.
Une lumière vive jaillit de tout son corps, rayonna, et Orel se releva. Une énergie phénoménale parcourait ses veines, une force trop puissante pour qu'il la supporte trop longtemps. Mais le temps de tuer le Seigneur, il pouvait l'endurer.
Ses muscles brûlaient, son coeur battait fort à ses oreilles, mais il se sentait bien. Il se sentait capable, sans doute pour la première fois de sa vie.
Le Seigneur le fixa, les yeux écarquillés. Orel avança d'un pas, qui fit trembler le sol avec un bruit sourd. La seule lumière alentours était celle qui émanait de l'élu, éclairant la clairière d'une lueur violette aveuglante.
Au loin, des silhouettes arrivaient depuis les tranchées. Elles s'immobilisèrent devant le spectacle, estomaquées. Leurs yeux ne croyaient pas ce qu'ils voyaient.
L'Aigle sourit.
— Il semble que ce soit terminé.
Le Seigneur ne répondit pas, mais serra les dents et leva les bras, prêt à vendre chèrement sa peau. Orel expira puissamment, puis se laissa porter par la puissance exceptionnelle qui l'envoya en un instant près de son ennemi. D'un mouvement flou, il lui décocha un direct dans la mâchoire, puis le balaya. Le Seigneur s'écrasa au sol et ouvrit la bouche, cherchant de l'air. Orel ne lui laissa pas l'opportunité de se relever, s'asseyant sur son ventre, puis il leva les mains. Il n'eut qu'à le penser pour qu'une lame vienne se matérialiser entre ses doigts, une lame améthyste léchée par les flammes, brillante d'énergie crépitante.
Le regard du Seigneur se résigna. Orel pensa à tous les morts, à tout ce qu'avait fait ou projetait de faire ce Reptile sans scrupules. Il ferma un instant les yeux. Revit le corps affalé d'Anael, revit ce dernier s'écrouler en lui transférant son pouvoir. Il n'aurait pas fait cela pour rien.
Orel abattit son arme.
La lame transperça la poitrine. Une explosion blanche aveugla tous les spectateurs, la détonation les assourdit, Orel fut projeté en arrière et heurta le sol. Ses yeux papillonnèrent, il ouvrit la bouche, à la recherche d'une goulée d'air, mais tout ce dont il eut conscience, ce fut de la Morphiax qui quittait son corps, phénix majestueux qui s'élevait dans les airs.
***
— Où est-il ?
Tous les Métamorphes qu'il croisait faisaient la fête. Ils riaient, se prenaient dans les bras, le félicitaient même parfois en le reconnaissant. Mais Orel ne les voyait pas. Il ne cherchait qu'une seule personne. Une personne bien précise, introuvable depuis quelques heures.
— Orel, stop, arrête de courir, tu dois reprendre des forces...
Maïwenn posa une main sur son épaule, le retenant dans un déséquilibre qui aurait pu le faire chuter. Orel s'arrêta et lui fit face, le regard perdu. Sa voix vacilla.
— Maïwenn, où est-il ?
La jeune Combattante rousse passa une main sur son visage, avec douceur, et l'emmena à l'écart de la foule. Sophia les vit et les rejoignit, inquiète. Sa main vint serrer celle de l'Aigle, rassurante, alors que les filles l'asseyait dans l'herbe pour le forcer à se reposer. Mais Orel ne l'entendait pas de cette oreille et répéta sa question. Maïwenn soupira et leva le visage vers le ciel, évitant son regard.
— Anael a été ramené chez les guérisseurs après ton exploit...
— Je sais cela ! Où est-il maintenant ? la pressa le blond.
— Orel, calme-toi, murmura Sophia.
Son regard triste ne fit que le contraire, accélérant encore les battements de son coeur. Orel eut envie de pleurer.
— Où est-il ? Où est-il ?
— Chut... Tu es chamboulé, Orel, tu dois te calmer, te reposer... chuchota la Gazelle en lui caressant les cheveux.
Il secoua la tête comme un enfant.
— Non... Je veux savoir... S'il te plaît, Sophia... Il m'a sauvé la vie...
— Il est en vie, Orel. Les guérisseurs l'ont soigné.
— Alors pourquoi n'est-il pas dans leur tente, avec les autres blessés ?
La Gazelle ouvrit la bouche, mais ne sut pas quoi dire. Elle baissa les yeux, alors que sa main retombait sur sa cuisse. Ses iris brillaient trop.
Maïwenn fit face à Orel, s'agenouilla et vint prendre son visage en coupe. Ses yeux verts accrochèrent les siens pour s'assurer qu'il l'écoutait.
— Orel... Tu sais qu'Anael n'est pas fait pour la vie en meute... Il... Il a toujours vécu seul et...
— Dis-moi la vérité, Maïwenn.
Un soupir échappa à la Renarde. Son regard dévia un instant, puis Orel y lut de la résignation.
— Il a disparu. Il s'est enfui de la tente des guérisseurs.
Coucou !
On arrive (enfin!) à la fin de cette histoire... Et ça s'annonce compliqué. Le Seigneur est vaincu, mais Anael a disparu (franchement, j'ai envie de lui mettre une baffe).
Qu'avez-vous pensé de tout ça ? Du phénix ? Avez-vous bien senti toutes les émotions que renferme ce chapitre ? Il est ultra important alors j'espère que j'ai réussi ! *croise les doigts*
Sinon, merci beaucoup de me lire <3 et à bientôt ! N'hésitez pas à donner votre avis et vos idées sur la suite ! Pourquoi Anael est-il parti, alors que finalement, il avait des raisons de rester ?...
Pleins de bisous depuis 1m50 ! <3
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