52 : Sorcelleries
Les pans de toile de la tente s'écartèrent brutalement, laissant passer une Iris agitée, les doigts crispés sur la garde d'une épée.
Anael inspira lentement, tentant de garder son calme. Tout dérapait, rien ne se passait comme prévu... Ils devaient improviser, trouver un autre moyen.
— Quelle surprise, lâcha la Métamorphe, dardant son regard bleu sur la troupe encore sonnée.
Hormis Anael, tous grimaçaient, assis au sol, les yeux voilés. Cette onde d'aura laissait visiblement des traces... L'Hybride pria pour que ses alliés reprennent leurs esprits sous peu. Seul, il ne pourrait rien faire, d'autant qu'Orel était le seul à même de tuer le Seigneur.
— Levez-vous, Il veut vous voir. Allez !
Iris dégaina sa lame et en donna un coup du plat dans le bras de Sophia, qui lâcha un petit gémissement. Une autre silhouette sortit alors de la tente et se plaça de l'autre côté du groupe, lance à la main. Le nouveau venu portait une ample cape à capuche qui cachait son identité et il ne dit rien, se contentant de pointer sa lance vers eux, les forçant à bouger. Peu à peu, ses amis se relevèrent en titubant et avancèrent, passant les pans de toile sans paraître bien se remettre du coup d'aura. Anael décida de simuler la même gêne et ses lèvres se tordirent, alors que sa démarche se faisait hésitante, les yeux rivés au sol.
Il leva doucement le visage afin d'observer l'intérieur de la tente, une fois que tous furent entrés.
Ce qui le marqua en premier, ce furent les tentures de velours écarlate qui coulaient jusqu'au sol, lui-même recouvert d'un tapis. Quelques lampes éclairaient l'endroit, mais par une mise en scène étrangement travaillée, l'homme assis sur la chaise à haut dossier se trouvait dans une pénombre qui camouflait légèrement ses traits, le rendant impossible à identifier. Ses grandes mains aux longs doigts pianotaient sur les accoudoirs et son silence, plus qu'aucune parole, pesait sur les intrus, posant une chape de plomb sur leurs têtes.
Lorsque les cinq compagnons furent entrés, Iris se posta devant la sortie et darda un regard victorieux sur leurs silhouettes prostrées. Elle paraissait se réjouir de ce qui allait suivre.
— Eh bien, chers invités... J'aimerais voir vos visages avant que la mort nous sépare, lança finalement l'homme sur le siège.
L'inconnu à la lance fit un pas et saisit fermement le bras de Sophia, qui tenta de se soustraire, sans succès. Il la tira et la fit tomber à genoux devant le trône. C'était définitivement ce qu'il était aux yeux d'Anael ; un trône où siégeait un être à la puissance effroyable. Il serra les mains, s'interdisant de trembler.
Le lancier rabattit la capuche de Sophia, dévoilant sa peau chocolat et ses yeux marron, ainsi que ses tresses sombres qui, libérées du tissu, cascadèrent sur ses épaules.
— Une jeune Métamorphe... Herbivore, observa l'homme du trône sans effectuer le moindre mouvement. Sans importance.
La Gazelle fut poussée dans un coin de la tente et assommée, avant que ses amis ne puissent effectuer le moindre mouvement. La stupeur se disputait à l'impuissance. Leurs corps n'étaient pas remis de la vague d'aura écrasante qui avait déferlé quelques instants auparavant... Anael ferma brièvement les yeux. Il devait trouver un moyen de sauver ses amis, étant le seul encore assez lucide...
La lancier attrapa le bras de Maïwenn. Les boucles rousses cascadèrent dans son dos, dévoilant sa mine pâle et ses yeux verts à peine ouverts. L'inconnu la fixa quelques instants à peine.
— Une Métamorphe carnivore... Mais son Âme n'est pas assez puissante.
Elle fut emmenée par l'homme dans un coin de la tente pour y être proprement assommée. Anael jeta un rapide regard à Ange et Orel, encore à ses côtés sur le tapis. Les garçons semblaient enfin se réveiller. Orel leva le visage et fronça les sourcils, paraissant enfin voir autour de lui. Le Loup, quant à lui, grogna en secouant la tête. Leurs gestes étaient encore patauds, lourds. La respiration d'Anael accéléra.
La lancier revint et se dirigea droit sur Orel. Ses doigts se levèrent, effleurèrent le tissu de son vêtement... puis il fut projeté en arrière en un éclair.
Il alla s'écraser contre la toile de la tente et atterrit dans les drapés rouges avec un son étouffé. Ramassé sur lui-même devant l'Aigle groggy, Anael gronda en dévoilant des dents bien trop longues pour être humaines. Il s'était déplacé à une vitesse qu'il n'avait encore jamais atteinte. Ses muscles commençaient à chauffer. Le coup de pied qu'il avait donné au lancier n'était qu'un début. Tout son être rugit dans sa poitrine.
Qu'ils essaient seulement de le toucher... Il leur ferait regretter de les avoir capturés.
— Anael, tu es stupide, soupira la voix d'Iris derrière lui. Cela ne sert à rien de résister. Vous êtes obligés de rester ici pour l'Eclipse, de toute manière, puisque vous avez toujours l'espoir stupide de vaincre le Seigneur. Or, te voici face à lui, et tout ce que vous avez réussi à faire, c'est geindre pitoyablement sur le sol !
Pour toute réponse, elle entendit un grondement profond et grave. Son sourire perfide s'agrandit.
— J'ai hâte de te voir supplier que l'on t'épargne.
La lancier se releva, accaparant l'attention d'Anael et l'empêchant de se jeter sur la Reptile pour lui déchiqueter la gorge. L'homme enleva sa capuche et leur laissa voir son visage. Il aurait pu être beau, avec ses cheveux blancs, sa peau claire et ses yeux d'un gris surnaturel, seulement la colère enlevait tout cela en tordant ses traits fins dans une grimace vengeresse. Il avait visiblement peu apprécié son vol plané... Anael en ressentit une joie intense et puérile.
— Allons, calme-toi, Witzra, lui intima le Seigneur d'une voix trop calme. Fais simplement ce que je vais te dire.
Le dénommé Witzra s'immobilisa et força son visage à redevenir lisse et concentré. Il devait à peine avoir dépassé la vingtaine. Il ne pouvait pas être un général reptile, alors que faisait-il dans cette tente avec le Seigneur ? Anael se mit à se méfier. Toujours ramassé devant Orel, il se déplia lentement et fit face aux deux hommes de la tente. Il voyait du coin de l'oeil qu'Ange commençait à analyser la situation, mais c'était trop tôt pour pouvoir compter sur lui.
Le Seigneur resta silencieux, posant son regard sur l'adolescent — l'enfant ! – qui se dressait entre lui et son objectif. Ce gamin blond qu'il protégeait ne pouvait être que le supposé Tueur, au vu de sa réaction. Mais l'adolescent aux longues mèches sombres qui le fixait de ses yeux à la couleur d'orage attisait sa curiosité. Qui était-il ?
— Tu es l'Atout, n'est-ce pas ? L'acolyte de l'ombre, le compagnon, le soutien.
Anael ne répondit pas. C'était inutile ; le Seigneur savait qui il était. Il ne posait la question que pour la forme.
— Witzra, immobilise-le.
L'homme tendit les mains. Des filaments verts s'en échappèrent pour venir s'enrouler autour des chevilles de l'Ours, grossissant en un instant pour finir par l'enserrer de toutes parts, jusqu'en haut de son torse. Anael se débattit furieusement, refusant cette défaite trop simple, mais c'était peine perdue. Les tentacules serrèrent, serrèrent, il eut l'impression qu'ils allaient s'enfoncer dans sa peau. Le souffle court, il fusilla Witzra des yeux, alors que ce dernier arborait un sourire suffisant.
— Alors vous êtes un... un Sorcier, hoqueta Anael. Cela vous plaît tant que cela... d'être soumis à ses ordres, alors que... que cette histoire ne vous concerne même pas ?!
— Economise ton air, petit chiot, tu en auras besoin pour demander pitié.
Anael gronda violemment, alors que le Seigneur daignait enfin se lever de son siège. Il entra lentement dans la lumière, qui dessina d'abord sa carrure de taureau, puis ses habits de mailles luisantes, et enfin son visage aux traits découpés à la serpe ; durs comme le granit, froids comme la glace des Pôles.
— Bien, maintenant que tu es impuissant, cher Atout, laisse-moi observer celui qui est censé me tuer.
Il écarta Anael d'un simple coup du dos de la main qui lui coupa la respiration, l'envoyant bouler contre une tenture pourpre. Un peu sonné, entravé par les liens magiques, Anael ne put qu'assister aux gestes du Seigneur.
L'homme immense attrapa le col d'Orel d'une main et le leva dans les airs. Lorsque ses pieds décollèrent du sol, l'Aigle se tordit et saisit le poignet du Seigneur des deux mains pour s'éviter un étranglement. Il posa ses prunelles azur sur ce visage impassible et serra les dents.
— Alors c'est toi qui dois me tuer ce soir ? Laisse-moi rire, cracha le Reptile. Tu es à peine sorti de l'oeuf, petit volatile.
Le visage d'Orel commençait à se colorer de mauve, d'indignation et de manque d'air conjugués. Il gigota, tenta de s'échapper de la poigne de fer qui serrait son col, en vain.
"Décidément, les Reptiles adorent m'étrangler !" pensa-t-il fugitivement.
Dans son coin, Iris arborait un sourire pleinement satisfait. Puis, un coup de pied vint heurter le tibia de l'immense Reptile, qui vacilla brièvement, mais pas assez, puisqu'il shoota négligemment dans l'abdomen d'Ange, qui roula au sol en hoquetant. Le Loup avait tenté ce qu'il pouvait, rassemblant sa volonté pour porter un coup, mais l'aura l'avait durement touché... Il sentit la frustration accumuler des larmes derrière ses paupières et serra les poings jusqu'à s'enfoncer les ongles dans les paumes en tentant de se mettre à quatre pattes, le souffle coupé.
— Witzra, assomme l'autre Métamorphe, ordonna le Seigneur d'un ton las.
Le Sorcier soupira et s'approcha d'Ange. Anael sentit alors que sa concentration diminuait. Les tentacules qui l'immobilisaient se faisaient moins forts, moins tangibles. Il ferma les yeux, cherchant la source de son pouvoir dans ses veines ; les particules bleues qui se mêlaient à son sang réagirent et une flamme azurée grandit en lui.
Il la nourrit, la laissa grossir, visualisant clairement ses liens. Le pouvoir de l'autre Sorcier était puissant, mais il portait la plus grande partie de son attention vers Ange. C'était le moment ou jamais...
Il s'embrasa. Les flammes bleues coururent sur son corps, sur ses vêtements et consumèrent les tentacules verts dans un crépitement bref et intense. Puis, il s'éteignit et se releva, un peu chancelant. Witzra le fixa, les yeux ronds, et le Seigneur lui jeta un regard furieux. Le Sorcier écarta les bras.
— Vous auriez peut-être dû préciser qu'il était puissant ! Comment aurais-je pu deviner que ses pouvoirs n'avaient pas été amoindris par l'hybridisme ?
— Eh bien maintenant, vous le savez ! Sachez également qu'il possède la Morphiax. Puisque les choses sont claires, assurez-vous de le neutraliser définitivement sans le tuer, Sorcier ! A moins que votre clan ait menti sur vos capacités ?
La menace était clairement perceptible. Witzra reporta sa frustration face à l'insulte sur Anael et leva les paumes. Deux sphères vertes y prirent vie et il avança résolument sur son adversaire.
La tente se divisa bientôt en deux zones ; Anael et le Sorcier d'un côté, et les Métamorphes de l'autre. Le Seigneur se tourna à nouveau vers Orel, qu'il tenait dans sa poigne, mais l'Aigle le prit par surprise en lui balançant un coup de talon dans les côtes. Le doigts du colosse se desserrèrent brièvement, mais juste assez pour qu'Orel se dégage et recule hors de portée. Il reprit son souffle en haletant, une main sur son cou meurtri.
Iris fronça les sourcils et dégaina un couteau, mais le Seigneur leva le bras pour l'en dissuader.
— Il est à moi. Aide plutôt l'incapable de Sorcier, ordonna-t-il d'une voix péremptoire.
La Reptile obtempéra à contrecoeur et s'approcha furtivement de l'Hybride.
Anael l'aperçut alors qu'il évitait une énième sphère flamboyante, qui alla s'écraser contre la toile sans lui causer aucun dommage. Il se positionna de manière à garder ses deux ennemis dans son champ de vision, mais se trouva acculé dos à des tentures épaisses. Il souffla.
Un sourire se dessina sur le beau visage du Sorcier, qui se mit à agiter les doigts autour d'une sphère émeraude qu'il s'appliqua à nourrir et faire grandir. Iris arma l'un de ses couteaux à lancer, prête à embrocher toute partie non vitale de l'Ours.
Aussitôt, Anael eut une idée ; il envoya brutalement une boule de feu bleu vers le Sorcier, se tourna vers Iris et lui balança sa jumelle. Witzra dut libérer une de ses mains pour contrer l'attaque d'une barrière magique, mais Iris ne pouvait rien faire de similaire et la sphère la toucha en pleine poitrine. Son arme tomba au sol dans un petit bruit étouffé par le tapis, et Anael fut sur elle en un instant. Il lui balança un coup en pleine tête et la laissa s'écrouler, assommée pour un moment. Il se permit quelques goulées d'air, essoufflé.
Witzra ricana.
— Tu te débrouilles, petit Hybride... Mais nous n'en avons pas fini !
Anael se détourna vivement d'Iris, mû par un affreux pressentiment .
Il eut à peine le temps de faire volte-face qu'une immense sphère verte le percutait.
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