45 : Soutiens
Anael se planta devant la tente des Anciens. Sa carrure animale ne permettait pas la discrétion, mais au fond il était déjà trop tard. Il avait « fait le show », bien malgré lui.
L'Ours effleura les pans de toile du museau pour s'annoncer. Presqu'aussitôt, la silhouette de l'Auroch émergea du tissu et lui accorda un sourire soulagé. Bien vite cependant, il redevint sérieux, un léger pli venant marquer son front. Ses yeux sombres passèrent à son fils et il hocha la tête. Orel s'éclipsa rapidement, laissant son père et Anael face à face. L'animal était calme, déterminé, ses iris ambrés détaillaient le visage soucieux de son vis-à-vis.
— Anael. Tu es réveillé. Pile au bon moment. Orel va t'apporter des vêtements, on pourra discuter plus facilement sous forme humaine. Rejoins-nous à l'intérieur quand tu seras prêt.
Il rentra dans la tente et Anael se sentit soudain un peu tendu. L'atmosphère se chargeait d'une sorte de sentiment d'urgence, d'une frénésie annonciatrice. Il devina que les Anciens connaissaient la date de l'Éclipse, à présent.
Il remua la truffe d'un air nerveux.
Orel lui effleura le flanc délicatement, puis lui tendit une combinaison de combat noire. Anael la prit dans sa gueule et marcha jusqu'à l'orée de la forêt, se changea rapidement, puis revint vers la tente. Il détestait ce genre de vêtement lorsqu'il n'avait pas à se battre. Le cuir sombre moulait son corps de près, soulignait les courbes et le tracé des muscles. Il se sentait particulièrement vulnérable, hormis lors des combats, où l'aisance des mouvements permettait de bouger en toute liberté.
Anael se plaça à côté d'Orel. Il rattacha rapidement ses longues mèches noires en une natte serrée, alors que l'Aigle l'observait du coin de l'œil. Le visage fermé, Anael partait clairement en guerre. Son beau visage pâle et mince soulignait l'austérité que conféraient ses yeux gris emplis d'une détermination froide.
Il poussa finalement le pan de toile et pénétra la tente, suivi d'Orel.
À l'intérieur, ne se trouvaient qu'Ulysse, Sysiphe, Erodas, Sophia et Maïwenn. Les trois Anciens avaient pris place sur les coussins immenses et leurs visages sérieux préparaient à une discussion dans le même ton. Les deux filles, elles, eurent des mines soulagées.
— Anael, Orel, asseyez-vous.
Ils obéirent sans rechigner à l'ordre de l'Auroch et prirent place à même le sol en silence.
— Bien. Tout d'abord, une bonne nouvelle : nous connaissons la date de l'Éclipse. Elle aura lieu dans quatre jours, au crépuscule.
Un frémissement remonta de nombreuses colonnes vertébrales. Orel serra les poings, Anael ferma un instant les paupières et Sophia se tendit, alors que Maïwenn se mordait la lèvre, les yeux brillants. Toute cette histoire allait donc bientôt se terminer...
Les Anciens restaient parfaitement impassibles. Sysiphe croisa les mains devant elle et succéda à Ulysse dans la prise de parole.
— La mauvaise nouvelle, c'est que le Seigneur a rassemblé ses effectifs non loin d'ici. Il souhaite sans doute tuer dans l'œuf nos tentatives de l'arrêter et ainsi empêcher la prophétie de s'accomplir. Il voudra vous tuer avant le jour de l'Éclipse.
Les visages soudain graves se fermèrent encore plus. Les adolescents avaient cruellement conscience, là, à l'instant, qu'ils étaient en danger de mort. L'idée n'était décemment plus de les kidnapper, les enlever, les torturer pour savoir qui était le Tueur... Désormais, ils risquaient la mort, la vraie, la définitive...
— Alors pourquoi ne pas sortir de la dimension le dernier jour ? Si le Seigneur n'est pas loin d'ici, ce serait efficace : on ne risque pas de se faire tuer dans l'intervalle de temps, et on le tue le jour de l'Éclipse, avança Anael d'un ton neutre qui sonnait vaguement militaire.
— Ce serait risqué. Le temps de passer les soldats et les diverses défenses qu'il a sûrement placées autour de lui, le jour sera terminé et l'Éclipse, passée. Vous aurez bien besoin de ces trois jours pour percer ses lignes. D'autant que notre armée à nous pourra vous aider à passer, tout en vous protégeant, opposa Sysiphe.
Elle déroula une sorte de plan entre les différentes personnes présentes dans la tente et pointa du doigt un cercle peu régulier, tracé au noir.
— C'est la ville qui est juste dehors. Et là, dit-elle en désignant de vagues esquisses grisâtres, ce sont les Ruines. Quant à ces traits, ici, en rouge, ce sont les positions ennemies rapportées par les quelques Espions que nous avons envoyés dehors. Ils sont postés stratégiquement, par groupes de trente, en demi-cercle tout autour du Portail. Ils nous empêchent de sortir sans nous faire voir.
Elle saisit un marqueur posé à côté de son siège, puis repoussa ses tresses noires semblables à celles de sa fille qui lui osbtruaient partiellement la vue. Sysiphe le décapuchonna vivement et reposa ses yeux verts sur le plan, sérieuse comme une générale devant ses troupes. Ce qu'elle était, en réalité, à cet instant. Anael était pendu à ses lèvres, les sourcils froncés par la concentration. Penché vers la feuille étendue devant lui, il faisait aller ses yeux des traits rouges au symbole du Portail, réfléchissant à une solution.
Quant à Orel, il sentait monter le stress. C'était pour bientôt. Il se mordit la lèvre et serra les poings, prêt à écouter tout ce que prononcerait l'Ancienne.
— On a pensé faire sortir peu à peu nos meilleurs éléments de discrétion. Ils se rassembleront lentement dehors, hors de vue des ennemis pour le moment. Puis, ils perceront leur ligne pour passer derrière : ils commenceraient par la gauche, ici, pour prendre la droite à revers, tandis que d'autres troupes sortiraient du Portail pour les aider. Lorsque nous serons suffisamment nombreux, on donnera le signal de l'attaque, et nous dépêcherons d'aller dans le campement des Capitaines Reptiliens. Ce sont eux qui dirigent l'armée, sous la supervision du Seigneur. Il y sera sûrement, nous le trouverons alors et Orel pourra le tuer.
Elle prit une lente inspiration, le temps pour tous de bien intégrer le plan.
— Nous ignorons le nombre exact de Reptiles, comme nous ne connaissons pas tout ce qui nous attendra demain. Mais vous êtes l'espoir, les enfants. J'aurais sans doute préféré qu'il incombe à des guerriers mieux préparés d'accomplir cette mission difficile sur tous les points, mais vous avez été choisis et je suis persuadée, désormais, que c'est pour une raison...
Les iris émeraude de l'Ancienne se posèrent sur tous les adolescents et pour une fois, Anael n'y lut aucun mépris. Peut-être une once de pitié en pensant à ce que leur réservaient les jours suivants, mais la lueur des yeux de Sysiphe avait changé.
Anael se sentit se gonfler d'un sentiment dont il ignorait la source exacte : du soulagement ? De la fierté d'avoir prouvé qu'il était capable d'assumer son rôle dans cette histoire ?
Il ne chercha pas à creuser davantage et tourna ses yeux gris vers Orel. Le Tueur, celui sur qui tout reposait. Du moins le croyait-il, ce qu'Anael désapprouvait : ses alliés étaient là pour le décharger du poids qui lui pesait. Et lui, il était là.
Il posa une main sur le bras de l'Aigle, qui eut un sursaut étonné en détournant ses yeux du vide. Les orbes lagon étaient emplis de détresse, bien masquée, mais franchement lisible lorsqu'Orel eut une grimace qui se voulait assurée, tordant ses beaux traits, son masque de force tranquille. Ses cheveux blonds avaient été malmenés, sans doute par anxiété. Anael resserra sa prise sur son avant-bras, à l'aide de doigts fermes, mais doux. Ses yeux couleur orage n'étaient plus que détermination devant la détresse de son ami.
— Ça va aller. On est là.
Je suis là.
***
— Anael, merci.
Le vent battait sa peau pâle, ces parcelles que la combinaison ne protégeait pas. Il rosissait son nez, ses oreilles et ses joues, quand il n'emmêlait pas ses mèches d'ébène en les libérant de l'étreinte du chignon vite fait qui les retenait.
Ils étaient sortis de la tente des Anciens depuis quelques minutes. Anael, assis sur une souche à l'écart du campement principal, grignotait de la viande séchée avec application. Il avait encore en tête les discussions stratégiques, les plans et les manœuvres qu'il avait pris soin d'enregistrer dans sa mémoire. Là, il se reposait. Et dans quelques minutes, il s'entraînerait en solitaire au milieu des bois des alentours.
Orel l'avait rejoint silencieusement de ses foulées légères habituelles. On sentait l'oiseau en lui, qui désirait prendre son envol, comme si la terre n'était pas digne de le porter.
— Merci pour quoi, Orel ? l'interrogea l'Ours en fronçant les sourcils.
— Pour me soutenir. Parce que sans votre soutien à tous, je... Je n'aurais pas eu le courage de me lever demain. J'aurais fugué, répond-il avec un sourire amer. Je ne mérite pas votre confiance, je... Je ne suis que moi.
— Et c'est bien suffisant.
Anael se leva et se planta face à l'Aigle.
— Tu es toi, et c'est ça qui va nous faire gagner. C'est pas pour rien si tu es l'élu, Orel. Il y a une raison. Sinon, pourquoi serais-tu le seul à pouvoir accomplir ta mission ?
— Anael, tu... Toi, tu pourrais le faire, j'en suis sûr, alors...
— C'est parfaitement faux ! Je finis évanoui la moitié du temps, sourit l'Ours en se rapprochant du blond. Toi, par contre, tu nous sauves la mise...
Il leva les mains, effleura les joues pâles d'Orel de ses doigts, d'une simple caresse, puis recula d'un pas. Il se rendit compte de leur proximité et rougit un peu en détournant le regard. L'Aigle, lui, le fixa, abasourdi.
— Je suis sûr que tu vas y arriver, murmura Anael avec un doux sourire. Et puis, si tu as besoin de moi... Je serai juste derrière.
Il tourna les talons sans cesser de sourire. Son cœur faisait des galipettes dans sa poitrine. D'où venait cette attitude si assurée, cette audace ?! Il lui avait effleuré le visage, bon sang... Anael sentit sa température augmenter brusquement. D'où tirait-il cette force étrange ?
De ma volonté de le protéger. De mon besoin de le rassurer.
Il s'éloigna, mais Orel lui saisit la manche pour le retenir. Son regard azur plongea dans l'orage des iris d'Anael, alors que les deux se figeaient. Leurs souffles comblaient l'espace trop grand et à la fois trop étroit qui les séparait encore. Le vent siffla et bruissa dans les feuillages, un oiseau chanta dans les arbres. Orel eut un sourire timide et murmura.
— Merci.
Un chapitre tout doux mais important pour recommencer l'année scolaire ! Qu'en avez-vous pensé ? :)
Orel, Anael... Ahlala, ils progressent peu à peu mais... Trop lentement pour vous ? ;)
Sinon, merci d'être toujours là, et à la prochaine ! ❤️
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