41 : Combat

Anael leva les yeux sur le ciel sans nuages. Bleu, intense, vif, clair...

Comme ses yeux.

Il secoua la tête et se dirigea vivement vers la Clairière dans l'intention de trouver Maïwenn ou quelqu'un d'autre avec qui s'entraîner. Il souffla sur une mèche noire qui lui tombait devant les yeux et tenta d'oublier l'état d'Orel afin de se concentrer. Il devait donner son maximum. Il devait vaincre tous ceux qui se présenteraient face à lui. Sinon, il ne parviendrait jamais à protéger le Tueur de Seigneur, comme son rôle d'Atout le demandait.

Lorsqu'il franchit l'orée des arbres qui marquaient la zone d'entraînement la plus prisée, il se sentit mieux. Là, en pleine forêt, entouré de Métamorphes sous formes humaines qui se combattaient sous les yeux d'autres plus âgés. Là, où se mêlaient toutes les Meutes pour former une même armée face au Seigneur Reptilien. Et tout ça, c'était en quelque sorte grâce à Orel. Tous se liguaient derrière lui, l'Espoir de mettre fin aux massacres, aux assassinats que perpétraient les Reptiles. Et, dans le même temps, empêcher le génocide de tout le peuple humain, qui ne se doutait de rien...

Anael inspira l'odeur boisée qui emplissait les lieux. Il s'avança parmi les combattants et rejoignit une jeune fille à la chevelure de flammes. Elle venait de mettre son dernier adversaire à terre et se redressait, le visage poussiéreux, où s'étaient marquées des traînées plus claires suite aux gouttes de sueur qui avaient ruisselé sur sa peau.

— Qui est le suivant ? lança-t-elle à la cantonade.

Un cercle d'observateurs s'était formé autour d'elle et, parmi eux, un certain Loup sourit avec un air machiavélique en apercevant l'Ours s'arrêter à sa lisière. Il se glissa parmi les jeunes en combinaisons noires et s'approcha silencieusement de sa cible, le regard bleu rieur. Il posa soudainement ses mains sur les hanches de l'Hybride et lui souffla dans le cou.

— Anael, et si tu nous montrais la puissance de l'Atout ? chuchota Ange alors que l'autre se raidissait brutalement.

Anael avait juste envie de faire basculer Ange pour lui faire mordre la poussière, mais les jeunes autour d'eux étaient trop proches. Il risquait d'en blesser... Alors, il écrasa le pied du Loup, qui gémit, outré, et s'avança d'un pas pour rétablir une bonne distance entre eux.

— C'est une mauvaise idée, abruti ! siffla l'Ours.

— Mmh... Moi, je crois surtout que tu as peur de perdre la face.

Pas faux. Il y a de ça. 

Mais Anael ne l'avouerait jamais.

— Je suis encore anonyme, se justifia-t-il.

— Bah, ils verront seulement que tu es fort, si tu gagnes. Mais par contre, personne ne te prendra au sérieux le moment venu s'ils ne t'ont jamais vu à l'oeuvre...

Ange voulait voir Anael se battre. Pas uniquement pour le plaisir de le taquiner, mais aussi afin de se rassurer, d'une certaine façon. Il pensait sincèrement que peu de Métamorphes lui feraient confiance s'il débarquait comme une fleur en leur demandant leur soutien inconditionnel... Et, en voyant la carrure de l'Hybride et son état la veille, il avait de sérieux doutes.

Il planta son regard bleu sombre dans celui, gris comme l'orage, de l'Ours. Il voyait bien ses muscles fins se contracter. Anael n'appréciait pas d'être au pied du mur. Il lui jeta un regard brûlant et plein de reproche, mais serra les dents. Il savait qu'Ange avait raison, d'une certaine façon.

Mais je ne peux pas perdre...

Il se détourna du Loup et s'avança d'un pas raide. Quelques jeunes s'écartèrent de son passage, intrigués, pour l'observer rejoindre la Renarde invaincue au centre du cercle. Être ainsi au croisement de toutes les attentions ne lui plut pas, mais il s'efforça de le masquer. Etonnée par sa présence, Maïwenn fronça légèrement les sourcils.

— A...

— Je veux bien t'affronter, moi, le coupa ce dernier, peu enclin à ce qu'elle énonce son prénom devant tous ces Métamorphes.

La Renarde effaça la surprise de son visage et prit une gorgée d'eau, avant de se placer face à lui, les jambes à demi fléchies. Anael resta parfaitement droit. Il n'avait jamais effectué de combat amical, en réalité, seulement des entraînements et de vrais affrontements où la position, le fait de prendre le temps de se préparer, n'était pas garanti. C'était même futile, autant consacrer ce temps à prendre la fuite !

Il ne réagit donc pas à la vague de murmures qui parcoururent la foule. Là, au centre de tous ces jeunes de différentes meutes, il ne voyait que deux yeux bleus surmontés de mèches noires, associés à un sourire sardonique et un peu moqueur. Anael vit rouge.

Ah, il veut me provoquer ? Il va m'avoir !

La colère et l'incompréhension face à la provocation d'Ange formèrent un cocktail détonnant dans l'esprit de l'Ours. Il sentit son sang bouillir. En plus de rabattre le clapet du Loup, s'il gagnait, il aurait la preuve qu'il était assez fort pour accomplir son rôle. Plus que le regard moqueur d'Ange, il vit Orel, gémissant, suant et malade. Il vit son père inquiet à ses côtés toute la nuit. Il entendit ses cris, il sentit la chaleur de son front, il entendit à nouveau ses angoisses et ses peurs en apercevant le jour fatidique à l'horizon...

Il serra les poings et riva son regard déterminé dans celui de Maïwenn. Il n'allait pas perdre. Il ne s'agissait pas de lui, non... Il s'agissait de tous ces jeunes, autour d'eux, qui risquaient de tout perdre si jamais ils échouaient.

La Renarde bondit et se jeta vers lui. Anael l'évita avec une vitesse inouïe et l'observa reprendre son équilibre à l'extrémité de l'espace de combat. Il n'était pas le seul à être surpris de sa rapidité. Ange avait froncé les sourcils et Maïwenn l'observa avec une nouvelle lueur dans le regard. Anael se prépara à un nouvel assaut, mais la Renarde sembla rester à sa place, attentive, effectuant quelques pas chassés. Alors, il attaqua à son tour.

Sans réfléchir, il s'en remit à son instinct d'ours. Il sauta à plus de deux mètres de haut et se retourna en l'air, prévoyant le bond de son adversaire qui s'était jetée vers l'avant. Sa main saisit violemment l'épaule de la Renarde, qui poussa un cri en basculant en arrière. Les pieds d'Anael heurtèrent le sol et il passa un bras autour de la gorge de Maïwenn, la bloquant contre son torse. Elle hoqueta et se débattit avec violence. Anael la maintint du mieux qu'il put, mais la rousse se contorsionna et lui flanqua un coup de coude dans le visage. L'Ours lâcha prise et laissa un cri lui échapper, alors que la Renarde se dégageait et s'éloignait de quelques pas, le souffle court. 

Anael porta une main à son nez et aperçut un liquide vermeille. Il serra les dents et inspecta rapidement les flux magiques qui s'agitaient en lui à cause de la blessure. Il se concentra un instant et empêcha son pouvoir de jaillir pour le soigner. Ce n'était pas le moment.

A cause de sa courte absence, il reçut le coup de pied de Maïwenn en plein torse et recula d'un pas, le souffle coupé. Il s'empêcha de se plier en deux et se redressa, sifflant contre la douleur. Lorsque la Renarde balança son pied pour venir l'écraser sur son genou, Anael lui saisit la cheville et tira, la faisant chuter dans la terre. La rousse fit une roulade et se remit debout souplement, face à l'Ours, puis attaqua furieusement, alternant différents coups parfois extrêmement complexes. Ses gestes paraissaient flous tant la Métamorphe était rapide. Anael commença les esquives, attentif à tous les mouvements. Sa vitesse étonnante et toute nouvelle jouait en sa faveur, il avait beaucoup plus de facilité à éviter les coups de la jeune Combattante. Son souffle se faisait toutefois erratique, la sueur coulait dans sa nuque, il commençait à perdre ses forces. Il devait en finir rapidement.

Lorsque Maïwenn prit son élan pour un puissant coup de poing, il la prit de vitesse et se jeta sur elle pour lui saisir la gorge. Ils tombèrent au sol, véritable méli-mélo de bras et de jambes entremêlés. Maïwenn suffoqua et lui flanqua un coup de genou dans l'abdomen, mais il ne lâcha pas, les lèvres serrées, les doigts plaqués sur la gorge palpitante de la Renarde. Il se plaça à cheval sur son adversaire pour l'immobiliser et pesa de tout son poids. Les yeux couleur forêt de la Métamorphe lançaient des éclairs, alors qu'elle lui frappait les coudes avec une violence rare et un peu désespérée. Anael sentit des lances de douleur lui remonter les bras, mais serra les dents et essaya de les ignorer. Il espérait juste qu'elle n'allait pas lui briser les articulations.

Elle finit par cesser ses mouvements et soupira. Anael la lâcha et se releva avec raideur. Il inspecta rapidement ses coudes, mais dut empêcher sa magie de s'exposer afin de calmer la douleur qui pulsait sous sa peau.

— Je ne t'ai pas trop amoché, au moins ? haleta la Renarde, le regard inquiet.

Anael secoua la tête.

— Non, ça va.

— En tout cas, murmura la Combattante en s'approchant de son oreille, cette vitesse semble vraiment bienvenue. Félicitations.

Il la remercia d'un simple regard. Elle sourit et rejoignit la foule qui entourait l'arène improvisée. Désormais seul, Anael tourna sur lui-même, incertain. Devait-il rester là, au milieu de tous ces murmures et des regards surpris, voire suspicieux ? Il se sentit vraiment mal à l'aise et chercha Ange des yeux, pour obtenir quelques explications. Le Loup lui accorda un simple rictus condescendant, mais Anael crut y lire aussi une pointe d'admiration.

— J'aimerais tout de même émettre une objection à cette victoire ! lança une voix qu'Anael reconnut aussitôt.

Il se crispa des pieds à la tête, plein d'une étrange hostilité. Il riva son regard dans les prunelles bleu clair de son cousin insupportable.

— Stefan, cracha l'Ours avec toute l'animosité dont il était capable.

— Ombre, corrigea l'autre avec des éclairs dans les yeux.

Il s'approcha lentement de l'orée du cercle. Désormais, plusieurs dizaines de jeunes entouraient l'arène, curieux ou simplement désireux de tirer des enseignements des combats. Stefan les écartait d'un simple regard, altier dans sa grande cape sombre, la tête haute, les cheveux noirs parfaitement coiffés. Anael le trouva ridicule.

— Cette Renarde venait d'enchaîner plusieurs combats à la suite. Toi, tu es à peine échauffé. Je trouverais plus juste que tu affrontes un adversaire encore frais pour mériter ta place ici.

Les mots du Grizzli trouvèrent rapidement des alliés. Plusieurs jeunes hochèrent la tête, jetant quelques regards vers Anael, qui contactait tous ses muscles.

— Toi, par exemple ? pesta l'Ours avec condescendance.

— Oh, non, tu ne t'en relèverais pas. Mais je suis sûr qu'il y a ici de vaillants combattants qui n'ont pas encore eu à affronter quelqu'un aujourd'hui, sourit le jeune homme.

Anael tremblait de fureur, comme il en avait rarement ressentie. Il s'obligea à se calmer lorsqu'il perçut une fluctuation dans son côté Sorcier, et croisa les bras sur son torse pour se donner une contenance. Il ressentait le besoin irrépressible de se jeter sur son cousin pour lui faire ravaler son sourire et le chasser de la dimension, mais malheureusement, sa meute faisait partie des alliés.

Il contint donc sa colère et riva son regard à celui de Stefan.

— Moi, j'aimerais bien me battre, lâcha un jeune d'une voix désintéressée. Je risque de rouiller, si je ne m'y mets pas. Mais je préviens déjà que je ne me retiendrai pas.

Ange pénétra le centre du cercle avec un visage impassible. Stefan parut satisfait et observa le nouvel arrivant avec un regard appréciateur.

— Je trouve ça correct, déclara-t-il, alors que les spectateurs murmuraient leur accord.

Anael ignorait pourquoi Ange désirait tant se battre contre lui, mais lui aussi n'allait pas se retenir. Il fit tourner ses poignets, laissa sa nuque craquer, mais se figea soudain.

— Qu'est-ce que tu fous, Ange ?

Le Loup avait enlevé son t-shirt et se retrouvait torse nu, seulement vêtu d'un pantalon ample et pieds nus. Anael ne put s'empêcher de tracer les contours de ses abdominaux des yeux avant de se détourner, gêné. Ange jeta son vêtement dans la foule et lui accorda un sourire éblouissant.

— Les Métamorphoses sont tolérées, n'est-ce pas ? Puisque nous ne nous retenons pas.

Il se tourna à demi vers la foule et leur demanda d'élargir l'espace de combat, alors que le cerveau d'Anael tournait à plein régime. Quoi ? Les Métamorphoses ?!

Ange semblait si sûr de lui... Était-ce une bonne idée ?

Non, là n'est pas la question. C'est « Ai-je le droit de refuser ? ». Et la réponse est clairement : non.

Anael respira lentement pour diminuer la fréquence de ses battements cardiaques. Le stress l'envahissait. Il devait absolument se calmer.

Le regard d'Ange le sondait, comme s'il désirait lire en lui. Anael ne lui offrit qu'un visage concentré, même si intérieurement l'Ours se sentait affreusement mal. Il avait vraiment peur de perdre, à présent, et pas uniquement à cause de son rôle : il risquait de perdre la face... Et l'estime de ses amis.

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