4 : Soupçons
Lorsque le chêne se referma, le paysage se dévoila devant Anael.
Une longue herbe se balançait dans une douce brise qui faisait voler les cheveux des trois nouveaux venus. La lune l'éclairait d'une lueur argent mystique, donnant à l'endroit une atmosphère surnaturelle. De hauts arbres entouraient la clairière, comme autant de remparts naturels et protecteurs. Au centre de l'espace dénudé, se trouvaient quelques tentes aussi grandes que des abris de jardin.
Les toiles étaient toutes grises dans la nuit claire, et des formes humaines se croisaient entre ces dernières. Quelques murmures échangés parvinrent aux oreilles d'Anael.
— Bienvenue dans la Meute Mixte.
— Mixte ? tiqua le garçon.
Ulysse sourit sous son masque de tissu. Il désigna Sophia, lui-même et les autres formes de la clairière d'un ample geste, avant d'expliquer :
— Nous acceptons tous les membres de notre espèce, prédateurs, proies et charognards.
Anael se crispa, comme chaque fois qu'on lui parlait aussi simplement de leur espèce particulière et méconnue des humains, même si cela n'arrivait que très rarement. Mais Ulysse n'en dit pas plus et s'avança pour rejoindre les tentes, Sophia le suivant comme son ombre.
Anael sentit le stress lui tordre le ventre. Ses yeux furetèrent tandis qu'il observait de loin les deux autres se joindre à un groupe qui les accueillait. Était-il encore aussi sûr de son choix ? N'avait-il pas pris sa décision trop rapidement, sans réfléchir ?
— Anael !
Il se tendit. Ulysse le fixait depuis le campement. Il réitéra son appel et le garçon se mit en marche, tête baissée et épaules voûtées. Il aurait tout donné pour ne pas être ici, en ce moment. S'il vivait seul, ce n'était pas pour s'inclure dans la première meute qui se présentait !
Mais je n'ai pas le choix. Plus maintenant.
Il détailla le campement tout en avançant et remarqua les lanternes qui éclairaient des sentiers formés par de nombreux passages. Ceux-ci serpentaient entre les tentes, qui étaient toutes différentes les unes des autres. Quelques sigles, peintures, couleurs par-ci par-là marquaient la signature de l'occupant des lieux.
Anael fixa ensuite son regard sur le groupe restreint qui l'attendait.
Ulysse avait enlevé son foulard, et dévoilait l'entièreté de son visage. On pouvait à présent estimer son âge à la trentaine, voire quelques années de plus. Il portait cependant encore la cape noire qui masquait son corps.
Sophia était là aussi, bâton à la main, et le fixait avec un air étrange. Peut-être était-elle perdue dans ses pensées, dans ses remords ou bien le plaignait-elle tout simplement, poule mouillé qu'il était - selon elle - ?
Une femme sombre se tenait à côté de la jeune fille. Ses traits, masqués par la pénombre, n'étaient pas bien discernables, mais Anael remarqua son regard vert perçant, grâce au reflet d'une lanterne. Une ample tunique brune qui s'étendait jusqu'au sol dissimulait ses formes. Elle tenait une sorte de bâton de marche d'une main, dans un style amérindien, et l'extrémité était hérissée de plumes colorées. Elle le regardait avancer avec une curiosité à peine masquée.
— Anael, je te présente l'une des Anciens, Sysiphe, annonça Ulysse en désignant la femme à la peau noire.
Cette dernière eut un hochement de tête, puis affirma :
— Ulysse dit que tu es Solitaire.
Anael ne fit que hocher la tête sans approfondir, ce qui agaça Sysiphe au vu du léger froncement de sourcils, et elle poursuivit :
— Tu étais poursuivi par un Reptile, dans les Ruines, et ils t'ont sauvé ?
— Exact.
— Bien.
Sysiphe se pencha légèrement vers l'avant et sonda Anael de son regard perçant, mais ce dernier recula et répéta :
— Je ne veux pas que l'on me lise !
Sysiphe fit un pas en arrière, songeuse, et jeta un coup d'œil à Ulysse. Ce dernier hocha imperceptiblement la tête, et elle se détendit. Elle fit un signe de la main à Anael, lui intimant de la suivre, puis fit volte-face vivement avant de se diriger vers une grande tente.
Le garçon la suivit en silence, toujours muré dans un mutisme dû à la peur. Peur qui l'avait envahi dès son contact avec Sysiphe. Cette femme lui faisait froid dans le dos. Peut-être n'était-ce que son imagination, mais il sentait qu'elle ne serait pas vraiment une alliée fidèle dans les prochains jours, ou du moins, lorsqu'il arriverait à découvrir pourquoi elle ne l'appréciait pas. Enfin, encore moins que les autres.
Le regard du garçon se porta sur les dessins des tentes. Ils étaient tous différents. Certains semblaient tracés d'une main de maître, d'autres par des enfants. Quelques lettres ou autres symboles ornaient ainsi toutes les tentes, sans exception, sauf celle dans laquelle Sysiphe lui demanda d'entrer.
Elle le laissa passer sous un regard d'aigle, puis le suivit en rabattant le tissu derrière Ulysse, qui les avait rejoints. Les deux adultes se placèrent de part et d'autre d'Anael et il découvrit les autres personnes peuplant l'endroit.
C'étaient tous des adultes d'au moins trente ans. Des femmes, des hommes, en parfaite équité. Ils avaient pris place sur des sièges larges et d'aspect confortable, placés en cercle autour d'une table ronde en bois vernis. Sur cette table, était étendue une feuille noircie de noms et de chiffres, un mélange dont Anael était incapable de tirer la moindre information, tant les tracés s'entremêlaient sans aucun sens pour lui. Un homme la replia dès qu'il surprit son regard et le foudroya de ses iris bleu acier.
— Erodas, nous aimerions que tu sondes Anael.
L'homme aux billes d'acier dévisagea Sysiphe d'un air pensif, plongé dans ses pensées, alors qu'Anael se retournait en grondant :
— J'ai dit que je ne voulais pas que l'on me sonde !
— Et moi je dis que tu vas faire ce que l'on te dit, lui claqua la femme.
Elle avait le regard dur, à présent, et Anael commençait à imaginer une manière de sortir de cette tente quand Erodas intervint, d'une voix rocailleuse et forte pour l'âge qu'il paraîssait :
— Anael, tu ignores la couleur de ton Âme, n'est-ce pas ?
Le garçon se figea. Un frisson désagréable le parcourut, signe qu'Erodas frôlait son Âme. Il posa un regard agressif sur l'homme, mais ce dernier n'en tint pas compte et poursuivit.
— Tu sais que tu fais partie de notre espèce, cachée à la face du monde, mais comment le sais-tu ?
Anael ferma fort les paupières. Il détestait les Liseurs, ces personnes qui savaient lire ton Âme et tes sentiments à leur guise. Il serra les poings, mais Erodas continua, les yeux rivés sur le garçon, pupilles dilatées.
— Tu vis seul depuis longtemps. Tu te persuades que tu n'as besoin de personne. Mais au fond, tu ignores qui tu es.
— Stop ! hurla Anael.
Il haïssait cet homme qui se permettait de dévoiler sa vie et son Âme à tous ces inconnus. Erodas allait payer cette incursion. Le garçon durcit son regard autant qu'il put, et se tourna vers l'assemblée qui le jugeait, ces gens assis en cercle, lâches, masqués par leur nombre et leur confiance en eux. Une confiance hautaine.
— Qu'à cela ne tienne, sachez-le : J'ignore qui je suis. Et je n'en vis pas plus mal. Peut-être devriez-vous apprendre ce que c'est que de s'effacer, pour vivre sans faire preuve d'une arrogante supériorité.
Anael ne sut pas bien ce qu'il venait de dire, mais les adultes étaient choqués, et c'était le principal. Il tenta de faire demi-tour, mais la voix d'Erodas retentit, le stoppant net.
— Anael. Nous ne sommes pas tes ennemis. Nous sommes ta chance d'obtenir des réponses, et de découvrir qui tu es.
Le jeune homme sortit sans mot dire, laissant retomber derrière lui le pan de toile dans un silence complet.
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