39 : Energie

Le liquide semblait lui brûler la gorge. Il dévala son œsophage avec la puissance d'un lance-flammes, puis embrasa son corps entier.

Effectivement, la dose d'énergie dans la boisson était très élevée.

Trop ?

Anael n'entendait plus rien. Il lui semblait que ses oreilles s'étaient bouchées. Ou alors, ses cris étaient les bruits les plus forts dans la clairière et l'empêchaient d'entendre quoi que ce soit d'autre.

Il s'arc-bouta violemment. La douleur était intense, l'énergie était à la limite de le dévorer de l'intérieur. Il ignorait comment il faisait pour ne pas s'embraser brutalement. Son corps devait tout déployer pour emmagasiner cette puissance dévorante et Anael se sentit changer.

Ses doigts s'allongeaient déjà, ses crocs poussaient dans sa gueule, son torse s'élargissait.

Je ne dois pas me transformer ! Ça risque de tous les mettre en danger. Je dois me contrôler.

Mais c'était impossible. Malgré tous ses hurlements d'effort, malgré la douleur qui irradiait dans tout son corps, Anael ne réussit pas à s'empêcher de changer.

Lorsqu'il fut devenu un énorme carnivore à l'épaisse fourrure brune, il ouvrit les yeux et contempla les regards écarquillés des Métamorphes qui l'entouraient. Cependant, bien vite, la souffrance balaya son calme et il se mit à gronder, les muscles bandés.

— Anael, calme-toi, lui murmura Ulysse en levant les mains.

J'AI MAL ! aurait voulu hurler l'Ours.

Il tourna sur lui-même et gratta la terre de ses longues griffes noires. Il fit claquer ses mâchoires en l'air et se mit à gémir en tremblant. L'énergie n'était pas encore totalement absorbée et son corps était au bord de la saturation. Anael sentait presque les étincelles forcer l'accès à ses cellules, pousser leurs membranes et pénétrer de force à l'intérieur. Et ça le faisait souffrir.

Il poussa un rugissement et plaqua ses pattes avant sur sa tête avant de se coucher au sol. Il essaya de restreindre ses mouvements autant que possible, mais ses griffes labouraient toujours le sol, les mottes de terre volaient et les Métamorphes se demandaient s'ils devaient intervenir par longs regards inquiets.

Enfin, la douleur finit par décroître. En sueur et haletant, Anael se releva et posa un regard plus serein sur Ulysse, qui esquissa un sourire.

— J'ai bien cru que ça allait être trop pour toi, mais tu as fini par l'absorber.

Il détacha sa longue cape brune, dévoilant une combinaison de Combattant, pour s'approcher de l'Ours.

— Mets ça, quand tu seras à nouveau humain, lui expliqua-t-il en lâchant le long tissu marron dans l'herbe, à quelques mètres.

Il retourna ensuite près de son fils et posa une main sur son épaule.

— Demain, j'insiste pour que vous vous entraînez le plus possible. Nous essayerons de prévoir l'Éclipse le plus précisément possible pendant ce temps.

— Compris, répondit l'Aigle.

— Tu devrais passer chez les Rafales, pour une potion énergétique, mais pas aussi forte que celle d'Anael, hein. Tu es encore fatigué.

— J'irai demain matin à l'aube.

— Bien.

L'Ancien fit un signe à tous les jeunes de la clairière et s'en alla à d'autres obligations. Lorsqu'il fut parti, Maïwenn prit la parole.

— Ange, t'es encore cap' de t'entraîner aujourd'hui ?

Of course ! Allons-y.

Le Loup se tourna cependant vers Orel et, sans prévenir, se jeta dans ses bras. L'Aigle se figea mais, après un instant de stupéfaction, referma ses bras sur Ange et le serra en retour.

— Tu m'as manqué, avoua le Loup à demi-voix.

Il s'écarta ensuite de l'Aigle et précéda la Renarde hors de la clairière. Anael s'approcha calmement de la cape et tenta de s'empêcher de courir après Ange pour lui rendre sa baffe. Jalousie ? Il secoua la tête.

Saisissant le vêtement d'une griffe, il le leva devant son museau. Il plaça délicatement le tissu entre ses crocs et s'enfonça dans les buissons. Là, il se concentra et redevint humain, enfila la cape et sortit des fourrés.

— Anael, ça va mieux ?

Le concerné leva le regard vers l'Aigle, qui s'était assis contre un arbre, l'air fatigué. Anael se rejoignit et resta debout. Il se sentait fort, capable de tout et ses muscles crépitaient d'une énergie en surplus qui se manifestait par de discrets tressaillements. Il ne pouvait pas s'assoir calmement dans cet état et donc se mit à faire les cent pas.

— On va dire que oui, mais je ne parviendrai certainement pas à dormir de la nuit.

— Personnellement, je tombe de sommeil, soupira Orel en fermant les yeux, l'arrière de la tête posé contre l'écorce.

— Le sortilège s'est dissipé ? interrogea Anael.

— Oui, je l'ai senti, mais je n'ai pas essayé de me transformer depuis.

Le calme de la forêt s'étira entre eux, alors qu'Anael réfléchissait. Portant une main à son menton, il s'arrêta soudain au centre de la clairière. Ses sourcils se froncèrent.

Je peux profiter de la nuit pour m'entraîner un peu, afin de m'épuiser un minimum et de dormir jusqu'au matin, où nous nous entraînerons tous.

Il hocha la tête et Orel haussa un sourcil.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Je vais déjà commencer à m'entraîner, expliqua Anael en faisant face au blond.

— En pleine nuit ?

— Je ne suis pas fatigué. Autant profiter du peu de temps que j'ai encore avant le départ.

— D'accord, mais tu ne penses pas que tu devrais d'abord te trouver des vêtements plus pratiques que la cape de mon père ? 

L'Ours eut une moue gênée et jeta un oeil à son accoutrement débraillé. La cape le couvrait bien, mais ce n'était clairement pas idéal pour combattre. Et puis, s'il lâchait les pans de cette dernière en pleine attaque...

— Tu as raison.

— Suis-moi, je vais te prêter une de mes combinaisons d'Apprenti.

L'Aigle se leva lentement et se dirigea vers le campement en silence. Anael lui emboîta le pas, sans rien dire, mais une pensée vicieuse vint lui rappeler sa discussion avec un certain Loup. Il se crispa. Devait-il en parler avec Orel ?

Non. Ce n'étaient pas ses affaires, n'est-ce pas ?

Ses pas se faisaient plus raides. L'Aigle lui jeta un oeil intrigué, auquel Anael ne répondit pas, les yeux dirigés vers le ciel sombre piqueté d'étoiles. Il retournait cette discussion dans sa tête, inlassablement, et invariablement il en arrivait à la conclusion que ce n'était pas une bonne idée de l'aborder. Pourtant, la curiosité le taraudait. Il serra les poings et se mordit la lèvre.

— Ange t'a dit quelque chose ?

Anael sursauta. Orel s'arrêta et lui fit face, l'air résigné.

— Tu n'as pas souvent l'air préoccupé. Qu'a-t-il dit ? poursuivit le Métamorphe en joignant les mains.

Il avait surtout l'air de ne pas savoir où se mettre. Anael était sans doute trois fois plus stressé, alors il esquissa un sourire crispé et balaya la chose d'un geste.

— Rien, ne t'inquiète pas.

— Anael, dis-moi ce qu'il t'a raconté, s'il te plaît.

— Tu n'as pas envie de le dire.

— Peut-être, mais j'ai encore moins envie de te laisser t'imaginer je ne sais quoi.

L'Ours soupira. Il tourna le dos au rapace et shoota dans une branche, les bras serrés autour de la cape qui cachait son corps. Il contempla ses pieds nus dans l'herbe en se demandant comment ils en étaient arrivés à une telle discussion.

— Il m'a juste dit qu'il était ton ex, lâcha-t-il d'un trait.

— C'est tout ? souffla le blond sans le regarder, même s'il était de dos.

— Oui ! s'écria Anael en se retournant. Je ne sais rien de plus. C'est rien, tu vois ?

L'Aigle le fixa sans répondre et pivota vers le campement, se remettant à marcher comme si rien ne s'était passé. L'Ours demeura un instant surpris avant de le suivre en silence.

Qu'est-ce qu'il aurait pu m'avouer d'autre de si important pour toi, Orel ?

Mais il ne le dit pas à voix haute, gardant ses réflexions pour lui. Les yeux rivés au sol, les lèvres serrées, Anael essaya de se concentrer sur ce qu'il pourrait bien essayer d'accomplir avec sa nouvelle magie de Sorcier. Il n'avait vu que des barrières, pour l'instant. 

— Tiens.

Orel était ressorti de sa tente, alors qu'Anael s'était égaré dans les images d'Edwin déviant le couteau de l'Aigle à l'aide de son pouvoir. Ils étaient arrivés sans qu'il ne s'en aperçoive.

L'Ours prit la combinaison des mains du blond et s'enfonça dans un buisson, caché par les feuilles et la pénombre nocturne. Le vêtement était en cuir noir, près du corps mais souple, pour ne pas entraver les mouvements. Une ceinture garnies de boucles était prête à accueillir quelques lames aiguisées. Une fermeture éclair permettait de l'enfiler sans peine, puis de la refermer au ras du cou. Lorsqu'Anael la passa, la combinaison lui fit constater le volume de sa nouvelle carrure. Auparavant, il aurait flotté dans un tel vêtement. Désormais, il le remplissait parfaitement. Il faisait donc la même taille qu'Orel, à présent.

Il ressortit des buissons, la cape à la main.

— Donne-la-moi, lui lança Orel. Je vais aller la mettre à l'intérieur.

Lorsque ce fut fait, l'Aigle rejoignit Anael et ils reprirent le chemin de la clairière isolée.

— Tu ne restes pas pour te reposer ? interrogea l'Hybride.

— Non, je ne vais pas te laisser t'entraîner seul, il pourrait y avoir un problème.

— Je risque de te blesser.

— Mais non, sourit l'Aigle. Même quand tu as perdu le contrôle de tes pouvoirs dans l'entrepôt, tu ne m'as même pas touché. Je te fais confiance.

L'Ours fut tenté d'encore le dissuader de venir, mais se tut. Après tout, il n'avait pas tort.

Enfin, parmi les troncs noirs auréolés d'argent, l'espace dégagé s'étendit et Orel s'assit contre un arbre, à l'orée de la clairière. Il se cala contre l'écorce et eut un sourire, tandis qu'Anael se plaçait debout au centre de la trouée entre les feuillages. La lune l'éclairait en face, l'arrosait de ses pâles rayons, alors qu'il se tournait vers l'Aigle.

— Tu peux essayer les boules de feu ? demanda ce dernier.

— Tu y tiens tellement ? rit Anael.

— Ce serait vraiment stylé, reconnut Orel en élargissant son sourire.

— Bon, on va essayer alors...

Anael se plaça de profil et repéra un roc, à demi mangé par le lierre, cinq mètres plus loin. Ce serait la cible parfaite, assez grande et assez solide pour un premier essai. Il plongea facilement au coeur de son pouvoir bleuté, qui palpitait dans tout son côté gauche et n'attendait que sa volonté pour jaillir en force. Il le brida toutefois, peu disposé à s'enflammer intégralement. Ce ne serait qu'épuiser son énergie bien trop vite.

Quelques flammèches sages se mirent à danser dans sa paume gauche. Il les observa se tordre et s'étirer vers le ciel tels de vivants saphirs. Puis, il en appela plus, rassemblant une sorte de sphère au centre de sa main; concentré, il plissa les yeux, alors que le gauche s'illuminait déjà d'un ardent feu azur.

Il visa le roc, s'imagina la sphère voler à toute vitesse vers ce dernier, le percuter dans une explosion de flammes insoumises... puis lâcha prise.

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