37 : Rafale

— Et en quoi ça me concerne, hein ? Orel ne m'intéresse pas ! cracha Anael. Laisse-moi partir.

— Tu mens très mal, constata Ange.

— Je dis la vérité, gronda l'Ours. Fiche-moi la paix.

Il poussa sur le Loup, qui ne résista pas, et fit quelques pas pour s'éloigner en direction du campement. Mais Ange n'avait pas terminé, puisqu'il lui emboîta le pas.

— Anael, je pense qu'en d'autres circonstances, on aurait pu s'entendre.

— Ah oui ? Évite de mettre des baffes à tes futurs amis, alors. Même moi, je sais que ça ne se fait pas.

— C'est uniquement à cause de ton histoire avec Maïwenn. Sinon, je m'entends plutôt bien avec les gens.

Anael se retint de lui jeter un œil curieux. Ange semblait s'être métamorphosé en un gars sympathique, les mains dans les poches et le sourire aux lèvres. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Était-ce à cause de sa réponse ?

— Je te garderai quand même à l'œil, histoire de m'assurer que tu n'as pas menti, lâcha le Loup, mais sinon, je suis d'une compagnie agréable, quand on ne fait pas de mal à mes amis. Et c'est la vérité.

Anael parvenait à le croire sans peine. C'était d'ailleurs plutôt logique qu'un Loup soit si possessif et protecteur envers ses amis et sa meute. Mais, tout de même, ça n'excusait pas la baffe gratuite qu'il venait de lui mettre.

— Et tu comptes me suivre partout comme un gentil toutou ?

— Ça dépend de ce que l'Ours mal-léché fera.

— Si vous avez rompu, je ne vois pas en quoi je pourrais être une menace, avoua Anael en guettant la réaction d'Ange.

Elle ne se fit pas attendre. Le Loup serra les poings au fond de ses poches et regarda droit devant lui d'un air sombre.

— C'est plus compliqué que ça.

Il n'ajouta rien, et Anael ne voulut pas insister. Ça ne le regardait tout simplement pas.

Le soleil s'était à présent levé pour de bon. Le ciel, dépourvu de nuages, était entièrement bleu et quelques oiseaux volaient de bon matin pour se dégourdir les ailes. En apercevant une mouette étendre les siennes aux côtés d'un hibou, Anael sut qu'il s'agissait d'une meute de Métamorphes.

— C'est ça, la Meute Rafale ?

Ange leva les yeux et hocha la tête.

— Oui, ce sont eux. Tu les cherches ?

— Il paraît qu'ils ont de bons guérisseurs. Ça serait utile.

Le Loup lui jeta un coup d'œil et nota son teint livide, ses mains tremblantes et sa respiration légèrement trop forte.

— Effectivement. Je t'y emmène.

Bien qu'étonné par le nouveau caractère serviable d'Ange, Anael le suivit sans protester. Après tout, si ça tournait mal, il pourrait se défendre ou appeler les autres. Et, de plus, il ne connaissait pas cette Meute Rafale.

Ils traversèrent une portion de forêt composée de pins et de hêtres, avant d'émerger dans une petite clairière où avaient été dressées quelques tentes. Les habitants n'étaient pas nombreux, seuls trois Métamorphes vinrent les accueillir.

Le premier, un jeune homme aux cheveux noirs et aux yeux bleus, leur présenta la paume vers le ciel en signe de paix. Ange et Anael l'imitèrent, puis les deux autres inconnus firent de même. Il s'agissait de deux jeunes filles brunes qui semblaient jumelles. Leurs yeux noirs les regardaient avec curiosité.

— Ange, se présenta le brun.

— Anael, lâcha le second.

— Clay, fit le Métamorphe Rafale.

— Carmen et Lisa, se présentèrent les jumelles de concert.

— Que nous vaut votre visite ? demanda poliment Clay.

— Nous souhaiterions voir vos guérisseurs, expliqua aimablement Ange. C'est pour mon ami, il a été blessé.

Clay hocha la tête.

— Les filles, dit-il en leur faisant signe, amenez-les à Ramona.

Elles s'exécutèrent avec plaisir et prirent chacune le bras d'un des jeunes hommes. Anael se dégagea, gêné, et Carmen — ce n'était pas Lisa ? — lui jeta un regard vexé. Il n'en tint pas compte et observa Ange rire avec Lisa — ou Carmen. Elle venait visiblement de dire quelque chose de particulièrement drôle, puisqu'il lui offrit un splendide sourire éclatant et un rire grave.

Oui, Anael pouvait comprendre qu'Orel soit tombé sous son charme.

Il secoua la tête et soupira.

Franchement, qu'est-ce qui me prend ? Ce type m'a donné une baffe. Je ne dois pas l'oublier.

Il demanda alors à sa compagne qui était cette Ramona. Cette dernière sembla heureuse qu'il lui parle et s'empressa de lui répondre en lui reprenant le bras, à son grand déplaisir. Il n'était pas subitement devenu tactile, nom d'un chien...

— Ramona est notre cheffe, elle fait aussi partie des meilleurs soigneurs. Tous les autres sont déjà occupés, donc vous allez avoir la chance d'être son patient !

Elle lui jeta un regard charmeur accompagné de quelques battements de cils qui furent sans effet sur le cœur d'Anael. Mais il la laissa faire. Elle finirait bien par se lasser, non ?

— Dis donc Anael, tu ne profites pas de cette charmante compagnie ? Nous sommes presque arrivés à la tente de Ramona, lui jeta Ange avec un regard équivoque.

Anael le fusilla du regard.

— Mêle-toi de tes affaires, tu veux ?

— Tu vois que t'es de ce bord, murmura Ange en se détournant.

— Je... Je l'ai jamais nié, chuchota Anael.

Malheureusement pour lui, les Loups ont l'ouïe fine. Ange eut un sourire éclatant.

— Oh, ça veut dire que j'aurais ma chance ?

— Rêve pas. Tu m'as mis une baffe à notre première rencontre.

Anael ne sut expliquer cette subite prise de confiance en lui. Il répondait du tac au tac, sans se démonter. Lui qui aurait sans doute fui loin de ce Loup encore quelques semaines plus tôt se retrouvait à se chamailler allègrement au milieu du campement d'une autre meute.

Tout cela lui échappait.

Il rattacha en vitesse ses mèches noires emmêlées et songea pour la dixième fois au moins qu'il devait penser à les couper, un jour. Lorsque tous ses cheveux furent emprisonnés d'une natte serrée, ils arrivèrent devant une tente plus grande que les autres. Quelques signes verts devaient signifier que qu'elle appartenait aux guérisseurs.

Les jumelles effleurèrent le pan de toile, laissant les intrus quelques pas derrière elles.

— Ça te va bien, les cheveux longs.

— Je t'ai demandé ton avis, Ange ?

— Je dis ce que je pense.

Anael leva les yeux au ciel.

— Elle vous attend, lança Carmen-ou-Lisa.

Les deux Métamorphes poussèrent la toile de concert et pénétrèrent dans un endroit sombre et plutôt moite. Leurs corps commencèrent aussitôt à suer, à leur grand désespoir. Au milieu de coussins brodés d'une couleur affreusement semblable à celle du sang, se tenait une femme d'un âge avancé. Ses cheveux blancs étaient rassemblés en une tresse lâche qui revenait sur son épaule, tandis que ses yeux encore vifs et brillants luisaient d'un éclat d'acier. Elle les détailla, alors qu'ils s'asseyaient en silence en face d'elle. Anael se positionna en tailleur et posa les mains sur les coussins.

— Présentez-vous.

Sa voix forte ne laissait pas transparaître son âge. On aurait pu croire se trouver face à une trentenaire dans la force de l'âge.

Anael se racla la gorge, intimidé. Le regard acier de Ramona se radoucit.

— Vous n'êtes pas vraiment habitués à rencontrer des chefs, je me trompe ?

— En effet, articula l'Ours.

— Anael doit encore faire des progrès en communication, lâcha Ange d'un air détendu. Je me présenterai en premier : Ange, Loup canadien, membre de la Meute de cette dimension. Apprenti Combattant.

Il leva la paume vers le ciel et baissa légèrement la tête.

— Enchantée, Ange. Je te demanderai, bien que tu le fasses déjà, de réfréner ton envie de viande tant que tu seras dans ce campement. Il s'agit d'une recommandation que nous faisons à tous les visiteurs.

— C'est naturel.

— Bien. Et toi ? Qui es-tu ?

— Anael, Ours brun d'Europe, membre de la Meute de cette dimension. Aucun statut particulier, je suis un membre récent.

Il imita le geste d'Ange en guettant la réaction de Ramona. Cette dernière ne dit rien pendant quelque secondes et il leva la tête, légèrement inquiet.

Les yeux gris de la cheffe des Rafales ne le lâchaient pas. Même Ange retenait sa respiration.

— Tu es l'Atout, murmura-t-elle finalement. L'Atout du Tueur.

Anael se crispa en un éclair. Ses doigts serrèrent le tissu des coussins au point qu'il se força à les rouvrir de peur de les déchirer. Il croisa les mains devant lui et releva les genoux. Que devait-il dire ? Comment pouvait-il réagir ? Qu'avait-il le droit de révéler, au juste ?

Ramona sourit.

— Ne t'inquiète pas, je ne te demanderai pas d'informations. On m'a simplement mise au courant de ton existence et de ton nom, comme tous les chefs. Je voulais m'assurer que c'était bien toi.

Il se détendit légèrement, soudain plus libre de respirer. La cheffe plaça sa paume vers le ciel.

— Je suis Ramona, Condor des Andes, cheffe de la Meute Rafale et guérisseuse. Bienvenue.

Elle prit un sac en toile derrière elle et en sortit quelques bouts de viande séchée.

— En voulez-vous ? J'en raffole, personnellement.

Ange ne se fit pas prier et piocha quelques tranches, avant de passer le sac à Anael, qui se servit plus raisonnablement. Ensuite, Ramona le replaça parmi ses affaires et revint vers eux.

— Qu'est-ce qui vous amène dans cette tente ?

— Anael aurait besoin de soins, expliqua Ange.

— Je sais surtout parler, grinça l'intéressé. Mais c'est exact, j'ai été blessé à la jambe et j'ai perdu énormément d'énergie.

— Je vois. Puis-je t'examiner, s'il te plaît ?

— Je...

Il inspira un grand coup et se raisonna. C'était un soigneur, enfin ! Il pouvait bien faire un effort.

Il finit par hocher la tête. Ramona sourit d'un air rassurant avant de lui faire signe d'approcher. Elle écarta quelques coussins d'un simple geste et dévoila ainsi un fin matelas noir.

— Allonge-toi, ce sera plus facile.

Il obéit avec réticence et prit place, alors que Ramona remontait ses manches interminables. Vêtue d'une grande robe grise, elle paraissait de marbre dans la pénombre. Anael se retint de s'enfuir en courant.

D'un geste brusque, Ramona déchira la jambe de son pantalon jusqu'à la cuisse. Anael eut un mouvement de recul, mais une main ferme lui immobilisa la cheville avec une force insoupçonnée. Les yeux gris de Ramona examinaient avec maîtrise la longue coupure garnie de croûtes qui courait sur toute la longueur du côté du quadriceps.

— C'est une belle blessure, ça. Avec quoi a-t-elle été faite ?

— Une épée.

— Je vois. Et qu'as-tu fait pour la soigner ? Tu as utilisé des cataplasmes ?

— Je n'ai rien fait.

Elle le regarda avec suspicion.

— Tu es sûr ?

— Oui. Pourquoi ?

— Elle est en bonne voie de guérison, même si elle est assez vilaine. J'ai cru que tu avais appliqué quelque chose pour qu'elle ne s'infecte pas.

Anael resta muet. Il n'avait absolument rien mis sur sa jambe, et n'avait rien vu qu'aurait pu mettre Ulysse ou quelqu'un d'autre.

— Dis donc, t'es quand même bien musclé, commenta Ange depuis son coin de la tente.

— La ferme, grommela Anael sans prendre la peine de le regarder.

Ramona se dirigea vers une sorte d'armoire qui contenait plusieurs sortes de fioles en tous genres et en piocha deux. L'une, d'une douce couleur rose, sentait la vanille. L'autre, un liquide visqueux et noir charbon, rappelait les poireaux.

Drôle d'odeur.

La guérisseuse ouvrit la fiole rose et prévint Anael.

— Ça risque de piquer.

Elle en versa le contenu sur sa jambe en une fois. Le liquide rosé s'infiltra aussitôt dans la blessure et lui arracha un hurlement de douleur irrépressible. Il avait l'impression que sa jambe prenait feu, qu'elle se consumait, se détruisait en mille morceaux qu'il sentait se fragmenter de son vivant. C'était horrible.

Brusquement, la douleur cessa. Il inspira un grand coup. Une intense lumière bleue émanait de sa cuisse et il plissa les paupières.

— Ça alors, tu guéris tout seul.

Ramona écarquillait les yeux.

— Ton organisme voulait arrêter la douleur du produit et a donc entamé de guérir ta blessure par lui-même. C'est... incroyable !

Anael, lui, ne trouvait pas ça incroyable. Une migraine intense lui comprima le crâne, lui arrachant un gémissement.

— Ça consomme de l'énergie... murmura Ramona. Je reviens vite ! Tiens bon.

Elle se leva et saisit un liquide blanc et brillant. La guérisseuse revint rapidement et lui glissa la fiole entre les lèvres. Anael fut forcé d'avaler l'infâme produit pour ne pas étouffer.

— Ça a le goût de noix de coco pourrie, je sais, compatit Ramona. Mais ça va te donner de l'énergie, en tout cas, assez pour te soigner. C'est un peu une mesure d'urgence, je n'ai pas trouvé plus efficace sur le court terme.

Anael eut une grimace, puis se détendit. Il sentait une fraîcheur bienfaisante lui parcourir le corps. La lumière s'atténua progressivement et, sous les yeux émerveillés de Ramona et d'Ange, la peau intacte d'Anael apparut. Aucune trace de la blessure n'était plus visible. Du moins, à l'extérieur.

— Waw, fut tout ce que parvint à dire Ange, qui s'était approché. 

— Je suis vraiment impressionnée. Tu ne contrôles pas cette magie, Anael ?

Il secoua la tête et ferma les yeux. Il se sentait un peu fatigué, mais rien de comparable à son état en se levant la veille. L'Ours s'assit avec lourdeur et Ramona lui saisit le visage pour inspecter ses yeux.

— Tu es vraiment crevé, constata-t-elle. Je vais essayer de te faire un mélange personnel, avec beaucoup d'énergie, même plus que ce que je donnerais à quelqu'un de... d'habituel. Ça ne devrait pas te poser de problème, à toi. Tu peux dormir quelques minutes, le temps que ce soit prêt. Ange, je te confie la tâche de le réveiller s'il ne respire pas assez fort.

— Je risque quoi ? s'enquit le patient d'une voix pâteuse.

— Le coma, peut-être. Je n'en sais rien, mais mieux vaut être prudent.

Très rassurant.

— Dors, maintenant.

Anael se recoucha lourdement et Ange s'assit à côté de sa tête.

— Allez, la belle au bois dormant. Bonne nuit ! À dans cent ans.

L'Ours lui jeta un regard peu amène avant de clore ses paupières et de s'endormir aussitôt.

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