34 : Magie

La magie ondulait. Les flammes brûlaient intensément, pourtant Anael ne ressentait aucun douleur. C'était même agréable. Il se sentait bien, si bien...

Ses yeux fixaient cette manifestation magique avec étonnement. Il avait l'impression soudaine d'être libéré d'un poids dont il n'avait conscience que maintenant. Comme si... Comme s'il était vraiment lui-même, à présent.

— Quoi ?! hurla Iris. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?!

La barrière magique la séparait d'Orel, que Solenn et son acolyte avaient aussitôt lâché à l'apparition du phénomène. Ils étaient enfermés dans une bulle bleutée. Saufs. Pour l'instant.

Le bras tendu d'Anael tremblait légèrement. La magie continuait de courir sur sa peau, alimentant le bouclier sans arrêt. Orel s'assit au sol, vidé.

— Edwin. T'as intérêt à pouvoir expliquer ça ! vociféra Iris en se tournant vers l'intéressé, qui pour une fois n'avait plus de rictus condescendant.

— Est-il... Enfin... Ce gamin... Est-il un Métamorphe pure souche ? finit-il par articuler avec difficulté.

— Tu insinues que... qu'il est un Hybride ? cria la Métamorphe en lui saisissant violemment le col d'une main crispée.

Le Sorcier regarda un instant Anael, puis revint vers Iris.

— C'est une possibilité. En tout cas, il s'agit de magie de Sorcier.

— Peux-tu briser ce bouclier ?

— Pas sans les tuer en même temps.

— Fais-le.

— Non, je dois emmener ce gamin à mon clan.

— Pas question ! Il doit mourir.

— Nous devons l'étudier ! C'est un cas unique ! riposta Edwin.

Iris le lâcha avec consternation.

— Alors que devons-nous faire ? demanda-t-elle avec réticence.

— Attendre qu'il s'épuise, je ne vois que ça, à moins que tes acolytes veuillent faire des expériences en tentant de briser cette barrière, répondit Edwin en rajustant son col qui dépassait du tissu bleu de sa cape.

Iris était sans aucun doute au bord de l'implosion. Elle tourna son visage écarlate vers Anael, qui était encore figé devant son pouvoir.

— Je te hais, tu m'entends ? hurla la Serpent.

— Il n'y a qu'un pas de la haine à l'amour, ironisa Orel en relevant la tête, les coudes sur les genoux.

Un immense sourire lui étirait les lèvres. La poussière lui maculait le visage, mais une joie sans borne illuminait ses prunelles. Il défia Iris du regard, heureux de ce répit inespéré. Quant à Anael, il sentait qu'il perdait peu à peu de l'énergie, mais se sentait bien.

— Tu pourrais pas leur régler leur compte avec des boules de feu, dis ? Ce serait vraiment génial, lui lança Orel d'une voix bien forte.

— Je suis pas sûr que j'arriverai à maintenir la barrière en même temps, si j'essaie autre chose, répondit Anael d'une voix lointaine.

Ses yeux se perdaient encore dans le chatoiement des flammes qui parcouraient son bras. Il n'arrivait pas à y croire. C'était ça, le pouvoir des Sorciers ? Et il en était bel et bien doté...

— En tout cas, tu m'as encore sauvé la vie, souffla Orel. Tu comptes arrêter un jour ?

— Si tu veux mourir, c'est une option.

— Un jour, je te rendrai la pareille, rétorqua l'Aigle en le regardant droit dans les yeux.

Il s'approcha, l'aida à s'assoir convenablement en évitant de toucher les flammes, puis s'assit lui-même en face de l'Ours. Il eut un sourire et leva un doigt devant le visage de son ami.

— Dis donc, c'est classe, ton oeil ! Tu le fais exprès ?

— Quoi ? De quoi tu parles ?

— Il brille. Ton oeil gauche brille comme ton bras, il est devenu bleu. C'est stylé, si tu veux mon avis.

— Me... Merci, bafouilla-t-il en détournant les yeux.

Anael inspecta rapidement le hangar. Tous les Reptiles, ainsi que le Sorcier, les fixaient avec attention à une distance respectable de la bulle. Les regards flamboyaient, de colère ou de curiosité en fonction des intentions. Mais l'Ours ne leur prêta pas attention. Il devait voir autre chose. Il vit que les fenêtres étaient désertes du moindre signe de présence, rien n'indiquait qu'un Métamorphe allié se trouvait dans les parages.

Les filles ont eu le temps d'atteindre l'Arbre-Porte, à présent, je suis sûr qu'Iris mentait pour qu'on perde le moral. Les renforts arrivent. Je dois tenir encore un peu...

Mais, et s'ils voient ma magie ? Je ne dois pas révéler à tout le monde qui je suis, ce serait trop dangereux. Enfin, encore plus dangereux que le révéler à mes ennemis, puisque je verrai mes alliés tous les jours...

— Orel... Tu crois que je devrai dissiper la bulle ? murmura Anael pour que les Reptiles ne les entendent pas, le visage baissé vers son torse, les coudes sur les genoux.

L'Aigle s'avança pour répondre de la même manière. Il s'approcha de son côté droit, pour éviter les flammes qui jaillissaient de son bras gauche. Il se pencha vers l'oreille d'Anael et chuchota, alors que l'odeur d'Orel envahissait ses narines, lui faisant oublier de respirer. 

— Moi, je crois que tu devrais arrêter de te cacher. Assume. Tu es plus puissant que la plupart des Métamorphes, tu possèdes des pouvoirs dont on n'a pas encore percé les secrets... Anael, arrête de te cacher, parce que le vrai Anael, celui que tout le monde devrait apprendre à connaître, c'est celui qui me sauve la vie en risquant la sienne et puis qui n'hésite pas à puiser dans sa magie pour m'éviter de finir en brochette de volaille. Et le tout, sans frémir. Après, je dois avouer que c'est... mignon... de te voir hésiter comme ça.

Il se racla la gorge en reculant, soudain écarlate et extrêmement gêné. Pourquoi avait-il dit tout ça ?! Il comptait juste lui dire qu'il ne devait pas cacher sa nature !

Anael rougit et détourna les yeux vers sa blessure, qui laissait encore s'écouler pas mal de sang sur le sol. Il déchira le bas de son t-shirt et banda maladroitement sa cuisse tout en évitant de penser à l'air qu'il devait avoir, les abdominaux à l'air, comme ça, devant tout le monde...

Lorsqu'il eut terminé, il inspira profondément et releva les yeux vers un Orel impassible, qui fixait les rayons du soleil percer difficilement la crasse des carreaux pour diffuser leur clarté dans l'entrepôt. Le soir tombait pour de bon. 

Anael eut un vertige et se rattrapa d'une main, qu'il posa sur le sol de béton. Il porta l'autre à sa tête, soudain fatigué. Les flammes bleues étaient toujours là, mais rétrécissaient. Il arrivait eu bout de sa résistance physique... La journée avait été rude.

Orel lui jeta un regard alarmé. Il avait perçu une fluctuation dans la paroi ondoyante. Il s'approcha.

— Anael, ça va ?

— Je fatigue, murmura-t-il.

L'Aigle pinça les lèvres.

— C'est pas bon... Et les autres qui n'arrivent pas...

Anael hocha la tête. A l'extérieur de la bulle, Iris avait gardé les yeux rivés sur les deux amis. Elle aussi remarqua l'épuisement de l'Ours et eut un sourire impatient. Ils se déployèrent autour de la sphère, prêts à attaquer au moindre relâchement.

Une étrange crampe crispa le bras gauche d'Anael. Une violente nausée lui comprima les entrailles. Il se plia en deux, hoquetant, concentré sur la barrière. Si elle cédait, ils étaient morts. Orel lui attrapa les épaules pour le soutenir et le força à rester éveillé en criant. Anael luttait de toutes ses forces pour garder les yeux ouverts. La lueur bleu vif qui illuminait auparavant son oeil gauche avait décliné, se réduisant à un simple reflet azur. Le sourire d'Iris s'agrandit, se transforma en un rictus carnassier. Ses doigts serrèrent violemment le manche d'un poignard qui avait remplacé son épée fendue.

— C'est ce qui arrive quand on force trop, gamin. Si tu veux vivre, abandonne et détruis la barrière, lança Edwin, adossé à un container.

Anael serra les dents. Pas question ! Il s'était juré de les garder en vie ! Il allait tenir sa promesse ! Quitte à utiliser toute son énergie, jusqu'à se vider de toute sa force... S'il le fallait. La détermination lui enflamma les veines. 

Il s'arc-bouta et leva le visage vers le plafond. Ses paupières s'écartèrent brutalement. Ses iris avaient viré au blanc. Il croisa confusément les yeux d'Orel, chargés de peur, d'inquiétude, de tristesse, de terreur...

Il hurla de toutes ses forces. Une onde de choc jaillit de son corps et frappa tous les corps à dix mètres. Elle reflua, rentra de force dans son corps, puis repartit à l'assaut et projeta les Reptiles dans les airs, contre les containers, contre les murs de béton...

Derrière sa propre barrière magique créée en hâte, Edwin jura. Il voyait les ondes d'un blanc étincelant frapper ses alliés, puis revenir dans le corps de cet Hybride, avait de rejaillir encore, sans relâche, comme si...

— Impossible...

Au bout de cinq vagues, Orel relâcha son souffle. Il n'avait pas été affecté par la magie, excepté le fait qu'il avait ressenti de violentes émotions à son contact, comme s'il avait absorbé, un bref instant, ce que vivait Anael. Il tremblait, choqué, la respiration erratique.

La bulle bleue avait disparu. Elle avait été soufflée par les vagues blanches.

— Anael... Anael !

L'Aigle se précipita sur le corps avachi au sol dans une flaque de sang. La peau grisâtre de l'Ours lui comprima le coeur. Non, faites que ce ne soit pas ça... Faites qu'il était encore en vie...

Le visage lisse d'Anael n'exprimait rien. Ses yeux étaient fermés, son torse ne se soulevait plus. Orel posa sa tête sur ce dernier et serra ce qui restait du t-shirt d'Anael entre ses doigts maculés de sang. Des larmes amères se mirent à dévaler ses joues. Il se contracta.

— Abruti ! T'as pas le droit de te sacrifier ! Je pourrai pas te sauver la vie, si tu meurs ! Imbécile !

Il hoqueta. Une de ses mains se glissa sous la nuque d'Anael et lui leva doucement la tête. Orel appuya son front contre celui de l'Ours.

— Putain, reviens... Anael...

Mais il ne bougea pas. Orel entendit alors des bruits de pas dans son dos. Son regard se voila de rouge et il se leva comme un automate, le visage figé dans un masque de douleur vengeresse. Il se tourna vers Edwin par saccades. Les larmes avaient tracé deux sillons clairs sur ses joues maculées de poussière. L'Aigle respirait puissamment. Il serra les poings.

Le Sorcier tenta bien de le bloquer. Il tenta de survivre à la fureur sans limite qu'Orel déversa. Mais Orel se souciait bien peu de mourir carbonisé par une barrière crépitante. Il traversa tout sans distinction, sa peau fut brûlée, ses vêtements furent déchirés et réduits en lambeaux. Lorsque le corps du Sorcier heurta le sol avec un horrible craquement et une gerbe de sang, l'Aigle regarda ses mains maculées d'un air absent.

Puis, il s'autorisa à sombrer, tandis qu'un hurlement de loup retentissait à l'entrée du hangar.











Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top