33 : Exploit

— UN !

Anael bondit en un éclair, plus vite qu'il n'avait jamais bondi. Il jaillit de derrière la bâche et heurta le flanc du container, les doigts déjà fermés sur l'angle en haut de la paroi. En une seconde, il s'y hissa et s'accroupit à son sommet.

Orel avait sauté sur le container de l'autre côté et s'y trouvait déjà, prêt à fuir de toute la vitesse de ses jambes, le regard vif.

En contrebas, cinq silhouettes les regardaient en souriant d'un air sardonique. Deux hommes et trois femmes, dont...

— Anaeeeeeel, on a des trucs à régler, tu crois pas ? Tu m'as volé mon pouvoir, c'est pas bien ! minauda la fille aux yeux lapis-lazuli en faisant tourner ses boucles noires autour d'un index.

Elle dégaina un sabre brillant et le brandit en fléchissant les jambes, prête à bondir sur le container également. Sa combinaison de combat noire lui allait parfaitement bien, d'ailleurs.

— C'était stupide de vous cacher. On a quand même repéré vos deux amies, elles doivent être mortes ou presque à l'heure qu'il est. Vous êtes perdus.

L'autre jeune femme, aux longs cheveux blond platine accordés à deux yeux verts, banda son arc en direction d'Orel. Son plastron de cuir sans manche d'archère était marqué d'un signe qui, instinctivement et sans qu'il ne puisse se l'expliquer, évoqua à Anael une vengeance.

Sans y faire attention, les deux alliés se mirent à courir sur les blocs métalliques. Une flèche ricocha à la place du pied d'Orel, elle l'aurait empalé s'il était resté sur place encore une petite seconde. Anael se propulsa sur le container suivant sans s'autoriser de regard en arrière. La peur l'aiguillonnait. Il entendait Iris bondir à sa suite, puis encore un autre Métamorphe, et Solenn suivait Orel à l'aide de l'autre femme de leur groupe. Le dernier homme, vêtu d'une sorte de cape bleu sombre, quant à lui, courait dans l'allée principale sans les quitter des yeux.

Déjà épuisés par leur course dans la forêt, Anael et Orel se faisaient lentement rattraper. Leurs poursuivants approchaient inexorablement, et les portes de l'entrepôt semblaient rester à la même distance aux yeux d'Anael.

Son pied se prit dans un renfoncement causé par la rouille et il trébucha. Il aperçut la lame d'Iris se diriger vers lui, son sourire s'élargir, et il dégaina son poignard maladroitement, le dos contre le métal froid.

L'épée s'approcha de son torse, il la dévia d'un coup sec. Les métaux provoquèrent quelques étincelles ainsi qu'un bruit caractéristique qui résonna dans tout l'endroit. Orel les aperçut. D'une torsion du poignet, il lança un couteau vers Iris, qui, trop occupée à essayer d'embrocher Anael, ne le vit pas. Anael voyait déjà le cœur d'Iris transpercé. Il écarquilla les yeux.

C'est alors que le dernier membre de cette expédition révéla son atout.

— Carapace, que rien ne passe !

Une lumière verte jaillit de sa main et forma in extremis une barrière translucide sur laquelle ricocha l'arme de lancer. L'apparition scintillait doucement, ondoyait sous le regard hypnotisé d'Anael, qui se redressa par saccades. Sa respiration s'accéléra brutalement. Il s'éloigna en rampant et se retourna vers Iris, alors que celle-ci le fixait avec sadisme derrière la bulle verte.

Le couteau d'Orel fut jeté en bas du container d'un coup de pied. Anael le fixa tinter contre le béton, accroché à l'angle métallique de l'immense caisse. Il se releva en tremblant, puis porta son regard sur la bulle qui s'évanouissait lentement comme si elle se déchirait. Était-ce possible que...

— Tu n'as jamais vu de Sorcier à l'œuvre, Anael ?

Il se figea. Iris serra la poignée de son arme avec délectation. Elle se mit à avancer et Anael reprit sa course sur les plaques métalliques, prenant garde à ne plus trébucher. De son côté, Orel courait encore et avait réussi à enfoncer profondément un couteau dans l'épaule de la compagne de Solenn, qui fulminait. Elle ne pouvait pas viser en coursant Orel, qui prenait un malin plaisir à bondir de gauche à droite pour l'empêcher d'armer son arc. Ses yeux verts luisaient.

L'Aigle fit volte-face et lança une nouvelle arme dans la direction de l'archère, qui ne put entièrement l'éviter. La lame lui entailla le bras droit et du sang se mit à ruisseler le long de sa peau de porcelaine. Elle eut une grimace de colère et accéléra, tout en dégainant un couteau à lancer, qu'elle tint entre deux doigts.

Le compagnon d'Iris, un Métamorphe robuste aux larges épaules, se métamorphosa soudain en dragon du Komodo, puis se faufila au sol et se mit à courir, tout en dardant sa langue fourchue vers ses ennemis. Sa course était étonnamment rapide et ses griffes puissantes arrachèrent un frisson à Anael. Pas question de se laisser approcher par cette chose !

Occupé à inspecter l'animal, Anael en avait oublié Iris, qui lança son épée, entaillant profondément la cuisse de l'Ours, qui hurla en tombant lourdement du container, à quelques mètres seulement de la porte. À ce cri, Orel sauta lui aussi à bas du perchoir et vint se placer aux côtés d'Anael. Son regard vif passait d'un ennemi à l'autre, comme pour les mettre au défi de passer.

Iris siffla et ses quatre acolytes s'arrêtèrent. Solenn leva les yeux au ciel, alors que tous encerclaient leurs proies acculées et blessées.

— Si tu comptes encore discourir en attendant qu'ils trouvent un plan, vas-y, petite sœur. Je pense qu'il vaudrait mieux s'en débarrasser maintenant. Ils nous ont déjà échappé par le passé.

Iris lui jeta à peine un regard.

— Tu n'avais qu'à vraiment tuer la Renarde, Solenn.

— Tu n'avais qu'à étouffer correctement l'Aigle, Iris, rétorqua la blonde sur le même ton. Et ne pas laisser cet ours mal-léché te prendre la Morphiax.

— Tout ce cérémonial est-il vraiment nécessaire, ou bien comptez-vous finaliser votre mission ? Je dois me rendre à un congrès dans deux heures, je n'ai pas tout mon temps, lança le Sorcier d'une voix snobinarde et traînante.

Il extirpa comme preuve une montre à gousset au bout d'une chaînette, qu'il consulta d'un air complètement désintéressé.

— Edwin, pourriez-vous nous épargner vos simagrées ? Rendez plutôt leurs transformations inefficaces pour quelques minutes, ça nous facilitera la tâche, claqua Iris.

Le Sorcier secoua la tête et s'approcha, dans un manteau long qui masquait ses vêtements et les armes qu'il cachait sûrement sous tous ces tissus. Il rangea sa montre d'un mouvement sec et s'approcha d'Orel.

Ce dernier tenta de l'attaquer, mais Solenn lui coinça les bras dans le dos et le varan s'approcha d'un air menaçant. Il était cerné. Son regard s'assombrit.

Edwin plaça sa main devant son visage, à quelques centimètres.

De son côté, Anael essayait de se relever, mais le sang coulait abondamment, maculant le sol de flaques vermeille. La douleur pulsait dans toute sa jambe. Il parvint finalement à se redresser pour observer, impuissant, le Sorcier ensorceler Orel.

— Muselé, tu ne seras plus un danger.

Aussitôt, son corps s'arc-bouta et Orel rua. Sa mâchoire était si serrée qu'Anael vit ses muscles se tendre à la limite de la rupture. Solenn se fit aider de l'autre Métamorphe, celle qui avait reçu un couteau dans l'épaule, afin de le maintenir.

Le Sorcier se tourna vers Iris et lança un bref « Allez-y, vous pouvez le tuer » et se replaça sagement à côté d'elle. Cette dernière jubila et sortit son épée, récupérée un peu plus tôt, pour pointer la lame vers la poitrine de l'Aigle, qui avait fermé les yeux.

Le souffle d'Anael se bloqua dans sa poitrine. La douleur de sa cuisse s'évanouit. Orel allait mourir.

Non. Non... Non !

Iris arma son épée. Un immense sourire s'étira sur ses lèvres pulpeuses. On pouvait lire dans ses prunelles une satisfaction intense, comme un aboutissement de tous les efforts fournis durant une vie entière.

Anael ne pouvait voir que le côté gauche d'Orel. Il rampa, essaya de s'approcher de lui, mais sa jambe ne répondait plus.

Non, non, non, non !

L'épée refléta un rayon du soleil couchant, alors qu'Iris l'abaissait vers sa cible. Orel ouvrit les yeux, regarda la lame s'abattre d'un air profondément résigné. Il accorda une oeillade à Anael, juste avant que le métal ne rencontre sa peau...

Idée de génie ou geste désespéré ? L'Ours tendit le bras gauche avec un cri étranglé. Des étincelles bleues bondirent de sa paume pour former une barrière devant l'Aigle. Des flammes se mirent à onduler le long de la peau d'Anael, léchant son bras sur toute sa longueur, frétillant pour le relier à cette paroi translucide qui illuminait les visage choqués de leurs ennemis. L'épée traversait la barrière jusqu'à la garde, mais ne faisait qu'effleurer le torse du Métamorphe. Avec un bref craquement, la lame se scinda à l'endroit précis où elle rencontrait les flammes bleues. Le métal heurta le sol dans un silence de mort.

Les yeux bleus d'Orel se plongèrent dans le regard de l'Hybride avec stupéfaction.

Anael se sentit vivre.

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