31 : Ville
Une fourrure rousse jaillit dans une explosion de feuilles émeraude.
Anael fit volte-face en direction de la Renarde, lâchant la main d'Orel pour saisir le sac de Maïwenn. Il le lança dans la direction de la nouvelle venue et Sophia s'approcha de la Combattante, qui haletait bruyamment. Quelques perles de sueurs brillaient sur son pelage.
— Maïwenn, change-toi, on va t'expliquer ce qu'on...
— Attends. Elle a été poursuivie, intervint Orel en levant son regard acéré vers le ciel. On doit faire vite. Pas le temps de lui expliquer lorsqu'elle sera transformée.
Il baissa le regard vers la Renarde.
— On va les contourner sous forme humaine, puis on va se séparer dans la ville : Sophia et toi allez chercher des renforts à la Meute pendant qu'Anael et moi restons pour les ralentir. Comme ils vont nous repérer d'office, c'est le meilleure option. Compris ?
Maïwenn hocha son fin museau et saisit son sac entre ses crocs, pour l'emporter dans un buisson à toute allure. Anael souffla lentement et tendit l'oreille. Il avait peut-être la meilleure ouïe parmi eux, il se devait de surveiller l'arrivée des poursuivants.
Des bruits très légers finirent par lui parvenir. Ils étaient discrets et venaient de l'est. Impossible par contre de deviner leur nombre.
Orel le regarda faire et lui demanda muettement ce qu'il en était.
— Ils arrivent de l'est. Ils sont plutôt discrets mais ils sont sûrs de nous prendre par surprise. Ils n'ont pas dû remarquer que Maïwenn était avec nous...
— D'accord. Il faut qu'on parte le plus vite et discrètement possible.
L'Ours hocha la tête. Il porta son regard sur Sophia, qui était partie voir les sacs cachés dans les buissons, abandonnés par Anael un peu plus tôt. Elle piocha son bâton fétiche, l'inspecta rapidement et lança ses couteaux à Orel. Elle sortit l'épée de Maïwenn, la posa sur l'herbe, puis extirpa une dague, avant de regarder Anael.
— Tu veux la dague ? C'est pas vraiment ton arme préférée, mais...
— On n'a rien d'autre. Et je n'ai pas d'arme préférée, de toute manière, je suis moyen dans tout, rétorqua mollement l'Hybride en saisissant son manche.
Il plaça le fourreau autour de ses hanches, mais ne put pas le cacher, puisque son t-shirt était légèrement trop court. Il commença alors à échauffer ses chevilles en prévision de la course effrénée qui s'annonçait.
Quelques secondes plus tard, Maïwenn sortit des buissons, vêtue de sa combinaison de Combattante. Elle prit son épée, la rangea dans son fourreau et s'attacha les cheveux en une queue de cheval martiale. Son regard vert luisait de détermination. C'était la dernière ligne droite pour rentrer...
— Prêts ? demanda-t-elle d'un ton ferme.
Tous hochèrent la tête et se mirent à courir.
***
— Ils changent de direction, souffla Anael, la respiration rauque.
Ils couraient depuis une demi-heure à peu près. Maïwenn menait le cortège silencieux, rapide et agile parmi son élément, tandis qu'Orel suivait, un peu moins à l'aise mais plutôt rapide également. Leurs pieds effleuraient le sol pour laisser le moins de traces possible, mais ce serait compliqué de duper des prédateurs, qui verraient aussitôt les légères brisures des feuilles et des branchages.
Anael suivait Orel et sentait qu'il était le moins bien entraîné de tous. Son souffle était déjà erratique. Derrière lui, Sophia l'encourageait en silence, aussi svelte qu'à son habitude, mais elle n'arrivait pas à déployer toute l'ampleur de sa course à cause des obstacles. Ses tresses africaines voletaient autour de son visage concentré. Elle aussi scrutait les bruits émis par leurs poursuivants, mais Anael restait le Métamorphe avec la meilleure ouïe.
Il avait entendu une perturbation. Ils s'étaient comme arrêtés, puis avaient repris leur course plus rapidement encore, et dans leur direction.
— Ils arrivent. On y est bientôt ? parvint-il à lâcher entre deux inspirations.
Orel inspecta le ciel, comme pour repérer des indices qu'il avait mémorisés en vol. Il baissa presqu'aussitôt la tête et planta son regard dans celui d'Anael, même s'il devait pour cela se tordre le cou.
— Oui. Un kilomètre.
Ils redoublèrent leurs efforts. Anael commençait à sentir les effluves de la ville, un mélange d'essence et de déchets alimentaires. Il fronça le nez.
Le stress grimpa lorsqu'ils aperçurent, au travers des feuillages, la teinte grise des bâtiments urbains. Le sueur coulait abondamment dans la nuque d'Anael, qui semblait près de l'apoplexie. Son torse se soulevait par saccades, il avait atrocement mal, mais serrait les dents. Pas question de lâcher maintenant, ou ils étaient cuits.
Bientôt, ils émergèrent de la forêt. Les arbres laissèrent place au champ où ils avaient combattu les Reptiles pour la première fois. À ce souvenir, Anael serra les poings, Maïwenn eut un regard en arrière et Sophia serra son bâton entre ses doigts crispés. Quant à Orel, il inspecta les alentours en vue d'une embuscade. Ils n'étaient pas encore à l'abri ni hors de danger.
Enfin, leurs pieds nus foulèrent le bitume, à l'exception de Sophia, qui avait enfilé des chaussures. Anael eut une grimace en apercevant ses plantes de pieds rouges et à vif, mais se dit que ça guérirait. Pas question de faire la fillette. Ils étaient tous dans le même cas.
Les quatre amis cessèrent leur course derrière une immense benne, dans une ruelle que les hauts bâtiments privaient de soleil. Là, Anael se permit de s'affaler contre un mur, exténué. Ses yeux se fermèrent aussitôt, alors qu'il plongeait dans un demi-sommeil tout en écoutant la conversation murmurée par les trois autres Métamorphes.
— Ils arrivent, je les entends. Ils ne sont pas loin, chuchota Maïwenn, le regard dirigé vers l'extrémité de la ruelle par laquelle ils étaient arrivés.
— Oui, allez-y discrètement. Nous, on va les attirer de l'autre côté.
— C'est un peu une action suicide. Vous ne deviez que survivre en attendant les renforts, reprocha Sophia d'un air inquiet, les sourcils arqués.
— Ils vont vous voir, si on ne fait rien, expliqua Orel. On n'a plus le temps. Allez chercher les jeunes. Vite !
Les deux filles jetèrent un œil à Anael, appuyé au mur, les yeux clos. Ses longues mèches noires étaient collées à son front, ses lèvres laissaient échapper un souffle encore légèrement irrégulier. Elles échangèrent un regard inquiet. Arriverait-il à tenir tête à ces Reptiles ?
Elles n'avaient pas le choix. Anael ne pourrait jamais courir assez vite pour aller chercher des renforts. Elles le savaient bien. Alors, elle se détournèrent et se mirent à trottiner silencieusement vers l'autre extrémité de la ruelle, invisibles comme des ombres.
Anael ouvrit les yeux. Orel le fixait d'un regard soucieux.
— Ça ira.
L'Aigle eut l'air sceptique, mais ne répliqua rien et se leva, jetant un œil furtif dans la rue attenante. Il entendait les pas des Reptiles, qui se démarquaient de ceux des humains qui faisaient leur shopping à cause de leur rythme presque animal. Ils étaient vraiment proches.
Ils devaient bouger.
— Viens.
Anael se redressa difficilement, s'aidant du mur pour se mettre sur ses pieds. La fatigue l'avait envahi, mais il serra les dents et l'ignora du mieux qu'il put. Ils ne devaient pas mourir.
Les deux Métamorphes se mirent à marcher en silence vers la sortie de la ruelle. Anael faisait son possible pour être discret, mais son manque d'entraînement et l'épuisement n'aidaient pas, et régulièrement son pied heurtait des obstacles. Les Reptiles se dirigeaient lentement mais sûrement sur eux, même s'ils se fondaient aux rares groupes de personnes qui croisaient leur route. Malheureusement pour eux, les rues n'étaient pas noires de monde et ils étaient condamnés à faire de rapides sauts d'un endroit à l'autre pour éviter de se faire remarquer.
Orel ne disait rien, mais il sentait qu'ils ne survivraient pas à un nouvel affrontement. Ils étaient en infériorité numérique et Anael n'était pas au meilleurs de sa forme. L'Aigle sentait la peur lui envahir les membres, le faisant trembler. Il serrait sa ceinture de couteaux avec des doigts fébriles, ses regards étaient fous, partaient dans tous les sens, et Anael finit par s'en rendre compte.
— On doit se cacher quelque part. On n'arrivera pas à les mener en bateau longtemps, murmura-t-il en se portant aux côtés de l'Aigle.
Orel se contracta. S'ils se faisaient repérer dans un endroit clos, ils étaient morts. Mais... C'était peut-être leur seule solution. Ils étaient bien trop exposés, dans la rue, en passant sous les abats des magasins miteux, zig-zagant maladroitement parmi les gens bien habillés, alors qu'ils étaient pieds nus et pleins de griffures à cause des branchages.
Orel et Anael ne pouvaient pas encore voir leurs ennemis, mais nul doute qu'ils étaient prêts à les emmener de force dans un endroit plus désert, histoire de leur régler leur compte loin des humains, en toute discrétion. Les odeurs écailleuses qu'ils sentaient confusément autour d'eux les assaillaient.
L'Ours observa les bâtiments qui les entouraient. Il avisa une sorte d'entrepôt, à l'extrémité de la rue commerçante, qui jouxtait une école, lui semblait-il. Vu l'heure avancée de l'après-midi, il ne devait y avoir aucun élève. C'était parfait.
Il entraîna Orel en lui saisissant l'avant-bras et ils se dirigèrent vers l'entrepôt. L'immense bâtiment, à la carcasse de béton passée, n'avait plus de fenêtres. Il semblait abandonné, couvert de poussière noire, et désert. C'était vraiment idéal pour se cacher.
Anael s'engouffra dans une ruelle attenante, non loin de la bâtisse ciblée. Il y faisait obscur, car le soleil descendant était bloqué par les autres bâtiments. Il fit signe à Orel de le suive, puis se posta face à une porte de service poussiéreuse, où un écriteau à demi effacé proclamait « staff only ».
D'un coup de pied, il l'enfonça.
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