3 : Origines
— Ça va ? On est presque arrivés.
Anael regarda Sophia, qui n'était pas le moins du monde épuisée. Cela faisait la troisième fois qu'elle lui disait ça, il en avait assez. Il était fatigué, il était légitimement méfiant, il n'avait pas envie de parler. Point.
— Ça va, lâcha-t-il d'un ton sec, espérant clôturer la discussion.
— Eh, tu pourrais être plus sympa, s'offusqua la brune.
— Écoute, je suis crevé et je viens d'assister à la mort de quelqu'un. Qui plus est, tué par la personne-même qui veut me parler. Alors non, je ne suis pas sympa.
Anael avait conscience d'être affreusement injuste, mais il s'en moquait sur le moment. Il voulait qu'elle cesse de vouloir lui parler, qu'elle cesse de vouloir être gentille avec lui. Il voulait la paix. Son esprit était en feu, il ne désirait pas vraiment aller là où on l'emmenait, il aurait voulu que rien de tout ça n'ait lieu. Qu'il soit encore chez lui, tranquille, à envier la lune, à écrire dans son cahier. Se retrouver en dehors de ses repères le rendait susceptible et tendu.
Le visage de Dorian, figé par le trépas, hantait son esprit. Et c'était cette fille qui l'avait tué, et elle ne montrait aucune trace de regret, elle n'était pas déstabilisée ou dégoûtée. N'avait-elle aucun remord ?
Sophia accéléra le pas et rattrapa Ulysse, qui progressait en tête. Elle se plaça à ses côtés et resta là, sans un mot. Anael continua à progresser en retenant ses grimaces dues à la douleur de son dos. La lune poursuivait sa course dans le ciel étoilé, tandis qu'il se demandait où l'emmenaient ces « nouveaux alliés » imprévus.
— Anael, on arrive.
Ce dernier releva la tête et observa les ruines de béton laisser la place à une forêt verte luxuriante. Il enjamba le dernier muret avec soulagement.
— Ulysse, vous vivez dans des cabanes ? Dans les branches ? Avec d'autres gens ?
— Ah, je savais que tu étais un minimum curieux.
Anael se renfrogna. L'homme poursuivit.
— Nous sommes toute une meute.
Le jeune homme ouvrit la bouche en o, stupéfait. Il pensait qu'il ne verrait jamais de meute de sitôt. Elles étaient plutôt rares dans son souvenir... Quand cela avait-il changé ? Mais il n'ajouta rien.
— Bon, on suit le chemin et on sera arrivés dans quelques minutes, continua Ulysse.
***
Ses jambes lui faisaient mal. Il avait chaud, malgré la nuit noire. La sueur lui coulait dans le dos, lui procurant des sensations extrêmement désagréables. Il en avait marre, surtout.
Ulysse avançait sans peine, semblant insensible à la fatigue. Sophia le suivait, sans un regard en arrière. Elle frottait de temps en temps son bâton métallique, peut-être pour en enlever le sang ?
Anael soupira. Qu'est-ce qui lui avait pris d'accepter de les suivre ? Maintenant, il se retrouvait dans une forêt, au milieu de nulle part, alors qu'il aurait pu retourner se planquer dans une ville voisine, et recommencer comme avant.
Mais le Seigneur Reptilien guette, maintenant. Qui est-il ? Que veut-il ? Je n'ai jamais entendu parler de lui.
— Anael, j'aimerais te demander quelque chose.
Le garçon manqua de trébucher, interrompu brutalement dans ses réflexions. Il tourna le regard vers Ulysse. Il haussa un sourcil, attendant la suite.
— Je dois m'assurer que tu n'es pas un sbire du Seigneur.
Il se crispa. Ils étaient au courant. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Les soupçons se frayèrent un chemin dans son esprit fatigué, comme une brume douce et omniprésente. Il les chassa d'un souffle mental. Ce n'était pas le moment. Il devait rester concentré. Occulter les souvenirs. Fermer son esprit.
— Es-tu un Reptile ?
La question fusa dans le silence. Anael profita de l'arrêt pour s'asseoir au pied d'un arbre robuste, sous les regards inquisiteurs, et répondit doucement :
— Non, je ne suis pas un Reptile.
Ulysse ne montra aucune émotion et continua de le fixer. Anael soutint son regard sans fléchir. Il disait vrai. Quant à Sophia, elle esquissa un pas glissé vers le garçon et se pencha. Aussitôt, comme si on l'avait brûlé, il se redressa, recula et cria :
— Ne me lis pas !
Surprise pas sa véhémence, la jeune fille fit un pas vers l'arrière. Ulysse plissa les yeux.
— Pourquoi ? interrogea-t-il.
Anael ne sut pas s'il était suspicieux ou simplement curieux. Il serra les poings et ferma fort les paupières, puis les rouvrit et lâcha :
— C'est violer mon Âme. Je veux que l'on me demande la permission. Je... Je sens si quelqu'un tente de me lire.
— Tu le sens ? Intéressant, marmonna l'homme en se retournant.
— T'es vraiment bizarre.
Les iris gris du garçon se plantèrent dans les billes obsidienne de Sophia. Il cracha entre ses dents :
— Ne me traite pas de bizarre.
Puis il se leva furieusement et rejoignit Ulysse, qui s'était avancé dans les buissons, quittant le chemin terreux qu'ils avaient suivi jusqu'ici. Anael entendit Sophia marmonner en shootant dans une branche, et l'homme se pencha vers lui pour murmurer :
— Sophia ne pense pas à mal. Tu sais, il y a peu de jeunes dans notre meute.
— Je m'en fiche. Je n'ai pas besoin de gens. Je vis seul, je suis un Solitaire.
Ulysse n'ajouta rien et Anael se sentit bête, tout d'un coup. Il s'emportait contre la première personne qui lui témoignait de l'attention, qui était intéressée à l'idée de le connaître, s'assurant de son bien-être lors de la marche. Vraiment... Il était un imbécile.
On ne se refait pas, pensa le garçon avec amertume. Mais je vais quand même essayer de réparer mes bêtises.
Il continua à marcher à côté d'Ulysse, silencieux. Les buissons se faisaient plus touffus, plus épais au fur et à mesure de leur avancée. Des feuilles se prirent dans ses boucles noires qui lui arrivaient aux épaules, et il songea qu'une fois à la civilisation, il devrait penser à les couper. Civilisation qui se faisait attendre.
Je sens que je vais couper toutes ces branches. J'en ai marre. C'est un complot ou quoi ?
Il grommela pour la dixième fois lorsqu'un rameau lui battit la joue, la griffant au passage. Ulysse lui jeta un coup d'œil intrigué, mais ne dit rien. Puis, quelques mètres plus loin, il murmura, comme pour éviter de déranger quelque habitant mystérieux de la forêt :
— Je suis étonné que tu ne saches pas progresser dans une forêt.
Anael ne releva pas et se mura dans un mutisme qui intrigua encore plus son guide. Il hésita à s'encourir dans les bois, loin de ces gens curieux et dont il ignorait tout. Il arriverait peut-être à rejoindre la ville la plus proche avant qu'ils ne le rattrapent.
Mais Il me retrouvera. Il suffit d'un autre Dorian. Et il me fera payer. Ça, je le crois sur parole... J'ai roulé l'un des leurs dans la farine d'une façon assez malhabile, et je ne crois pas que le boss me le pardonnera.
Un bruissement non loin le fit sursauter. Il tendit l'oreille, soudain attentif. C'était un animal léger. Une odeur d'herbe assaillit ses narines, accompagnée de celle d'une bête à sang chaud. Instinctivement, il voulut aller assouvir sa curiosité mais Ulysse posa une main sur son épaule. Anael fit volte-face sauvagement et le foudroya du regard avant de se dégager. Il secoua ensuite la tête, comme pour s'éclaircir les idées.
— Qu'est-ce que c'était ? intervint Sophia, qui les avait rattrapés.
— Un cerf solitaire, marmonna Anael sans vraiment savoir pourquoi il répondait.
La jeune fille écarquilla les yeux comme si elle se demandait comment Anael pouvait le savoir. Ulysse leur lança :
— Bon, les jeunes. On est arrivés.
Il se dirigea vers un arbre immense, qui trônait au milieu d'une sorte de clairière, simple trouée entre les arbres qui donnait l'impression de n'être là que pour donner au chêne la place de s'étendre. Sous les yeux ahuris du garçon, l'homme se plaça face à l'écorce, et fit bouger sa main le long du tronc, comme une caresse tendre, un bonjour amical.
Une douce lumière attira le regard d'Anael, et bientôt l'arbre entier sembla s'illuminer d'une lueur chaude. Ses feuilles passèrent lentement du vert pur au jaune d'or, l'écorce s'éclaircit. Le vieux chêne parut soupirer et son tronc commença à s'enfoncer vers l'intérieur, finissant par former un passage haut comme deux hommes et large comme trois.
De l'autre côté, Anael aperçut une clairière.
— Qu'est-ce... Quoi... Comment ? bredouilla-t-il.
— Viens, on y va, fit Sophia avec un grand sourire.
Elle le dépassa en toute confiance et rejoignit Ulysse. Elle rejeta ses boucles noires tressées vers l'arrière, tandis que l'homme faisait signe à Anael d'avancer.
Le garçon hésitait. C'était de la magie, sinon comment aurait-ce été possible ? Un arbre-porte ? Non, il devait rêver...
Pourtant, les autres lui faisant encore signe de venir. Sophia soupira. Elle lança :
— Tu sais quoi ? T'es une poule mouillée. Tu fuis. Et t'es même pas cap' de nous suivre.
Dans ses yeux, le garçon pouvait lire le ressentiment qu'elle éprouvait depuis qu'il l'avait rembarrée. Il serra les poings.
— C'est pas parce que je suis peu sociable qu'il faut me traiter de tous les noms !
— C'est pas le moment, intervint Ulysse d'un air blasé. Sophia, laisse-lui du temps. Il n'a pas confiance. Et c'est normal.
La jeune fille souffla et croisa les bras, les yeux voyageant parmi les branches du chêne.
— Ceci-dit, mon garçon, on n'a pas toute la journée. L'Arbre ne peut être ouvert que quelques secondes. Alors ?
Anael eut un bref moment de réflexion. Ce serait le dernier, il le pressentait, car passer de l'autre côté allait signifier qu'aucun retour en arrière ne serait plus possible. Et malgré ses réticences, l'adrénaline coula lentement dans ses veines pour le faire se décider. Une curiosité qui ne lui était pas coutumière le saisit et il répondit.
— J'arrive.
Et il s'enfonça dans la trouée avec Ulysse et Sophia.
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