28 : Transformation

Si Anael avait fait un peu de musculation, c'était probablement le corps qu'il aurait eu. Sauf qu'il avait passé des heures allongé sur l'herbe à se tordre de douleur.

Il n'en croyait pas ses yeux. Il écarquilla ses iris gris et effleura sa peau. À travers celle-ci, il pouvait apercevoir, par intermittence, des lueurs mauves qui semblaient suivre le tracé de ses veines. Soudainement, elles s'évanouirent et il fronça les sourcils. La Morphiax était-elle responsable de ce changement ?

Après tout, c'était de la magie. C'était donc bien possible.

Sa silhouette avait changé, désormais, et si la légère épaisseur de muscles qui s'était rajoutée ne le dérangeait pas, il se demandait surtout ce qu'allaient dire les autres. Il n'aurait sûrement pas dû se préoccuper tant de leur avis mais... Lui-même ne se comprenait plus, parfois. Impulsif, sanguin, puis froid et maladroit... Sa personnalité semblait chamboulée.

Il soupira et ferma les yeux, tout en posant sa tête entre ses mains, les coudes sur les genoux. Au moins, il n'était plus un gringalet. Seulement mince, désormais.

Il finit par bouger au bout de quelques secondes silencieuses. La forêt paraissait calme, quelques oiseaux pépiaient dans les arbres. Le soleil illuminait toujours les teintes émeraude des feuilles.

Lorsqu'il se mit à marcher, Anael se sentit bien. Son corps était parfaitement reposé et il avait retrouvé une démarche dépourvue de tout boitillement. Les blessures qu'il avait récoltées contre les Reptiles s'étaient même résorbées, ne laissant plus que de minces traits rosés.

La Morphiax était-elle capable de guérison ? Il était urgent qu'ils retournent chez eux pour voir Ulysse, pour qu'il leur apprenne tout, absolument tout ce qu'il savait. Peut-être l'Ancien connaissait-il les propriétés de cette magie et pourrait expliquer ce qui s'était passé... et pourquoi elle s'était invitée dans son corps.

Anael décida de mettre tout ça de côté dans sa tête embrumée. Il se concentra sur le bruissement des feuillages au-dessus de sa tête, sur l'itinéraire qu'il prenait afin de suivre la direction empruntée par la Renarde. Les autres se trouveraient sûrement au même endroit.

Il chemina longuement avec pour seule compagnie son souffle et les bruits de la forêt. Cela lui permit de se calmer comme il n'en avait plus eu l'occasion depuis longtemps.

— Orel, tu l'as laissé t'échapper !

Anael eut un sourire inattendu. Sophia... c'était la voix de Sophia. Elle allait donc bien.

Il découvrit, en dépassant une rangée de buissons à baies, une clairière lumineuse où se chamaillaient la jeune Gazelle et l'Aigle Royal. Le soleil faisait briller leurs cheveux, probablement mouillés par un plongeon dans le cours d'eau qu'il entendait non loin. Leurs habits étaient déchirés, mais leurs blessures semblaient en voie de guérison, comme put le constater Anael en apercevant un bandage propre enroulé autour du bras de Sophia.

Celle-ci perçut le bruit de ses pas et se retourna vers lui, souriante jusqu'aux oreilles. Elle courut et se jeta dans ses bras, le prenant au dépourvu et lui coupant le souffle.

— On croyait que tu allais mourir ! lui hurla-t-elle dans les oreilles.

— Moi aussi, lâcha Anael dans un filet de voix, comprimé par la Gazelle qui avait entouré son torse de ses bras.

Elle resserra son étreinte, puis finit par le relâcher, les yeux brillants.

— Nous refais plus jamais le coup !

— Je note, je ne me fais plus jamais posséder par une magie inconnue, sourit Anael avec un soupçon d'ironie.

Sophia fronça les sourcils, même si ses yeux étaient encore rieurs. Elle s'éloigna d'un pas et se masqua la bouche d'une main, les paupières grand ouvertes.

— Dis donc, t'as fait une poussée de croissance pendant ton sommeil ? C'est quoi ces muscles ? Tu étais un oisillon il y a quelques heures !

— J'en sais rien, répondit Anael avec sincérité. C'est sûrement dû à la Morphiax. Je ne sais pas ce qu'elle m'a fait, mais... Ça change.

— En tout cas, puisque tu ne m'as pas repoussée quand je t'ai fait un câlin, j'en déduis que ce sont d'excellents changements !

Sophia évita sa pichenette et se mit à rire. Elle se détourna ensuite pour fusiller Orel du regard.

— Bon, maintenant que cet abruti va arrêter de s'inquiéter en permanence, on va pouvoir essayer, je dis bien essayer, d'attraper quelque chose pour que messieurs les mangeurs de viande ne se couchent pas le ventre vide. Parce que moi, je peux encore me rabattre sur des baies ! Alors si je vous aide, monsieur le rapace incapable de s'attraper à bouffer, c'est uniquement par bonté d'âme !

— Tu peux parler, c'est pas toi qui étais debout comme un imbécile au milieu d'un cours d'eau, lui rétorqua Orel en joignant son sourire à la tête amusée que faisait la Gazelle.

Il les rejoignit et s'approcha d'Anael, avant de s'arrêter à un mètre. Son sourire avait disparu.

— Moi aussi, j'ai cru que t'allais mourir, lâcha-t-il gravement.

Anael déglutit.

— Tu nous as fait le coup en premier.

— Pas faux. Mais moi, on savait ce qui m'arrivait.

Sophia s'incrusta entre eux et minauda en battant des cils.

— Dites donc, les deux prédateurs, vous comptez vous regarder dans le blanc des yeux pendant une heure ? Serrez-vous dans vos bras comme deux mecs virils, puis allons chasser un poisson.

Ils rosirent à l'unisson et Orel grimaça.

— Sophia, tu as le don de mettre de la gêne là où il n'y en a pas.

La Gazelle sourit et riposta d'une tape sur l'épaule.

— C'est plus fort que moi, je me transforme dès qu'il y a quelque chose dans l'air...

Et sur cette phrase dont elle parut fière, la Métamorphe traversa la clairière d'un pas sautillant. Anael remarqua la silhouette de Maïwenn à l'orée de la forêt, et les deux filles se mirent à discuter vivement.

Quand il reporta son regard sur l'Aigle, ce dernier lui enserra les épaules et le plaqua contre son torse.

— Tu nous as vraiment fait flipper.

Anael retint son souffle. L'odeur familière d'Orel emplissait ses narines avec une douce violence. La chaleur de son corps accéléra ses battements cardiaques et fit rougir sa peau, bien qu'Anael tente de le camoufler par une immobilité quasiment complète. Il ferma un instant les yeux puis répondit à voix basse, les bras ballants.

— Toi aussi.

— Bon, tu sais pêcher, non ? reprit Orel en se détachant de lui pour se détourner dans la direction de la rivière.

Anael fut heureux que l'Aigle ne puisse pas le voir en cet instant, car il lui semblait qu'il allait s'évanouir. Son cœur battait trop vite, néanmoins sa voix ne faiblit pas lorsqu'il assura :

— Exact. On ne se couchera pas le ventre vide.

Il afficha un air calme et ils se dirigèrent vers la rivière sans mot dire. Les eaux clapotantes du cours d'eau chatoyaient sous le soleil qui commençait à décroître. Anael inspira les odeurs qui flottaient dans l'air et en déduisit que des poissons se trouvaient effectivement dans la rivière.

Il s'approcha de l'eau et y descendit jusqu'à être à moitié immergé. Les vaguelettes léchaient ses vêtements à hauteur du torse, les plaquant contre sa peau, mais Anael n'avait pas froid.

Un sifflement retentit depuis la rive et Anael haussa un sourcil en direction de Sophia. Cette dernière fit mine de s'éventer avant de sourire d'un air entendu.

Il baissa les yeux vers sa poitrine et se sentit brutalement gêné. Le t-shirt, plaqué contre lui, dévoilait les moindres lignes de ses muscles, plus voyants qu'auparavant.

Il secoua la tête et se concentra. Les saumons se faufilaient autour de lui avec vivacité, à distance, méfiants. L'Ours se fit aussi immobile que possible, conscient des regards qui pesaient sur lui. Son regard resta figé sur les formes écailleuses et luisantes qui commençaient à l'oublier.

Quelques minutes passèrent ainsi. Anael était contracté, faisait corps avec son instinct de chasse. Les poissons étaient des proies habituelles des ours.

Soudain, Anael tendit la main, attrapa un poisson trop peu prudent et l'éjecta hors de l'eau d'un coup de maître, provoquant des cris de surprise depuis la rive. Le poisson s'envola un court instant et, lorsqu'il retomba en frétillant, Anael le saisit à deux mains, l'assoma et retourna sur la berge sans rien dire.

Orel écarquilla les yeux.

— Eh bien... Bravo. C'est impressionnant !

Anael camoufla sa gêne en plantant les doigts dans la nuque du poisson pour lui briser ce qui lui servait de vertèbres. Sophia vint se placer à ses côtés et fronça le nez.

— Ça pue. Vous mangez vraiment ça ? Le poisson cuit, ça passe, mais là...

Anael lui agita le saumon mort sous le nez et elle recula en secouant la tête. Orel se moqua gentiment de sa sensibilité de petite fille alors qu'ils retournaient dans la clairière, puis à l'endroit où Anael s'était réveillé. Maïwenn les attendait, une poignée de baies en main qu'elle s'apprêtait à manger.

— La chasse a été bonne ?

— Anael est un bon pêcheur, répondit Orel en souriant. On va pouvoir se coucher le ventre plein !

Le concerné s'occupait d'évicérer le poisson, assis à côté des sacs, indifférent en apparence. Mais ses joues rougissaient légèrement sous l'attention qu'on lui prêtait soudain. Il décida de changer de sujet, les doigts pleins de tripes qu'il tenait loin de Sophia, qui le regardait avec dégoût en chipant des baies à son amie rousse.

— Qu'est devenue Iris ?

Cette question jeta un froid. Cependant, Sophia lui répondit.

— Elle s'est enfuie en nous maudissant. Je parie qu'on n'en a pas fini avec cette folle furieuse.

— Elle est tenace... murmura Anael alors qu'il tendait un bout de saumon à l'Aigle, qui le lui prit en souriant.

— En tout cas, la prochaine fois sera dans longtemps, je pense. Ils y réfléchiront à deux fois avant de nous attaquer de nouveau, mais ce sera plus compliqué que cette fois, intervint Maïwenn avec son professionnalisme habituel.

La Renarde posa son regard neutre sur Anael et reprit d'une voix légèrement plus forte.

— Sauf que la prochaine fois, nous aurons un avantage. Nous devons rentrer et Anael, tu dois apprendre comment utiliser cette magie et, peut-être, comment la transmettre aux autres... Il me semble qu'Ulysse n'avait pas l'air de dire que c'était un pouvoir exclusif.

L'Aigle hocha la tête avec gravité, les yeux rivés sur le sol couvert de feuilles. Il leva les mains devant son visage et les contempla, ainsi que ses nouveaux muscles et l'apparente vitalité dont il rayonnait soudain. Il se sentait en pleine forme, alors qu'ils venaient de se battre presque à mort...

— Demain, on retourne vers les Ruines, murmura Orel.

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