22 : Reptiles
Anael ne répondit pas. Sa voix lui semblait envolée. Sa gorge était si serrée qu'il avait du mal à respirer. Sophia lui jeta un regard inquiet.
Son torse se soulevait bien trop rapidement. Ses mains tremblaient. Il fixait Iris, dans son ensemble noir de cuir, qui le toisait de ses yeux bleu sombre. Elle était menaçante, altière... royale.
— Bien, fit-elle en laissant tournoyer sa fine épée, j'aimerais savoir pourquoi tu n'as plus rêvé.
— Tu... Tu pensais que... j'allais vouloir te revoir ? hoqueta-t-il avec peine.
Il serra les doigts sur son arme, la rage de son impuissance commençant déjà à se propager dans ses veines. Il ne savait toujours pas pourquoi cette Reptile était aussi hypnotisante, pourquoi elle avait autant d'emprise sur lui. Tant d'emprise que lorsqu'elle avança de quelques pas rapides, il ne put pas reculer.
Son souffle lui chatouilla le visage mais il resta de marbre. Seule la colère faisait briller ses yeux gris.
— Ça te va bien, les cheveux attachés, murmura-t-elle. Mais dis-moi, pourquoi avoir pris des somnifères ? Je voulais encore te voir, moi... Tu es si intéressant...
Il trouva, sans savoir comment, la force de la repousser d'un coup brusque et à l'allure désespérée, qui ne lui fit aucun mal. Elle fit résonner son rire cristallin dans la nuit tandis qu'elle restait à quelques pas.
— Iris ! C'est toi qui nous espionnais et qui as tué ce lapin ? s'écria Orel.
Il désirait sans doute détourner l'attention de la Reptile d'Anael. Et cela fonctionna, car elle pivota vers l'Aigle avec une moue déçue.
— Tu ne m'avais pas encore reconnue ? Pourtant, d'habitude, je laisse une forte impression...
— Et tu comptes nous laisser repartir, la folle ? lança Maïwenn.
— Oula, ça sort les insultes ici ! s'offusqua leur ennemie. Et non, figure-toi. Je ne sais pas encore pourquoi vous êtes partis de votre dimension douillette, mais ça ne doit pas être dans notre avantage, alors je suis au regret de...
— La ferme, Iris.
Une seconde forme s'avança d'une démarche plus guerrière. Ses boucles blond clair reflétaient la lumière de l'astre nocturne et un arc à flèche pendait sur son épaule, ainsi qu'un carquois. Ses yeux, d'un vert pâle fantomatique, brillaient. Elle se planta à côté d'Iris, qui semblait énervée.
— Solen ! Pourquoi m'interromps-tu ?
— Tu as toujours eu le talent de parler pour ne rien dire, chère sœur. Alors abrège, sinon je le ferai à ta place, cracha la blonde.
— Au moins, moi, j'ai un talent... siffla Iris avec un sourire sadique.
Solen serra les poings sans répondre et s'adressa à leurs ennemis.
— Nous n'allons pas vous laisser partir. Votre seule issue est le combat.
— À la bonne heure, je craignais devoir vous écouter toute la nuit, marmonna Maïwenn en balançant son katana d'une main à l'autre.
Iris leva les yeux au ciel et dressa son épée d'une main, prête à l'affrontement. Sa sœur recula de quelques pas et banda son arc, le regard assuré. Leur troisième allié, un jeune homme dont la capuche masquait l'identité, dégaina des dagues luisantes.
Les quatre adolescents s'entreregardèrent brièvement. Tous étaient parés au combat. Alors, avec un cri, Orel chargea.
L'Aigle se jeta sur Iris et lança ses coutelas avec une dextérité mortelle. Iris paraît ses attaques avec des moulinets rapides de son épée tout en reculant habilement pour éviter les dagues qu'elle ne parvenait pas à dévier.
Sophia se jeta sur l'homme, qui lançait lui aussi ses lames que frappait le bâton de la Gazelle. Elle les envoyait se ficher dans le sol de terre, où elles restaient plantées, témoignant de la force de lancer de leur adversaire. Et Sophia avançait toujours vers le Reptile, mûe par une détermination froide, impassible dans l'effort.
Maïwenn avança vers l'archère aux cheveux blonds, qui commençait à décocher ses flèches dans leur direction. Le katana tranchait les hampes et envoyait les bouts de bois dans la terre tandis que la Renarde sautait, bondissait pour éviter la multitude de flèches qui pleuvaient. Anael ne pensait pas qu'il était possible d'en envoyer autant, à une telle vitesse. Les doigts et les mouvements de Solen étaient imperceptibles à l'œil nu. C'était stupéfiant.
L'Hybride se décida enfin et rejoignit Orel, qui peinait à maintenir Iris à distance. La jeune femme, le visage lisse et dépourvu de toute émotion, déviait sans relâche les lancers de l'Aigle. Et le nombre de dagues qu'il possédait n'était pas infini, malheureusement.
Anael regarda son poignard d'un air dubitatif, mais eut soudain une idée. Il courut vers les deux combattants et bondit.
Iris, surprise, eut à peine le temps d'éviter son coup, qui visait la tête, mais Anael n'était pas focalisé sur cet objectif. Ce n'était qu'une diversion, car aussitôt, son autre main avait saisi l'épée de la Reptile, qui s'envola et atterrit plus loin dans le champ. Orel sauta sur l'occasion et attaqua, une dague dans chaque main, alors qu'Anael roulait au sol pour se rétablir. Il se redressa pour voir l'Aigle aux prises avec le Serpent, ses lames gisant plus loin, hors de portée. L'Ours se dirigea vers elle pour les rendre à son propriétaire, mais une flèche se planta juste devant ses pieds. Il leva la tête pour distinguer Solen, qui bandait son arc dans sa direction avec un regard froid.
Où était Maïwenn ?!
Une forme allongée, plus loin, possédait la même chevelure de feu. Anael sentit la colère l'envahir.
— Qu'est-ce que tu lui as fait ?! hurla-t-il en se mettant à courir vers la Reptile.
Son poignard allait finir dans le cœur de cette horrible femme ! Elle n'avait pas le droit de... de tuer...
Il hurla. Il n'avait jamais ressenti une telle peur, une telle colère, tous ces sentiments se mêlaient dans sa tête. Si jamais elle était morte... Si Maïwenn ne se relevait pas... Ce serait sa faute.
Il lança son arme à la tête de Solen, qui effectua une roulade pour l'éviter. Elle se redressa, genou au sol, et décocha une flèche qu'Anael, il ne sut comment, saisit au vol, avant de la renvoyer dans geste de rage.
L'archère riposta bientôt et Anael se retrouva à sauter, rouler et faire des saltos dans tous les sens pour éviter les projectiles mortels. Il enrageait de ne pas pouvoir toucher son adversaire, car muni d'un simple poignard, il ne pouvait pas attaquer à distance pour réussir à se rapprocher.
Finalement, il eut une idée et recula hors de portée des flèches. Quelques secondes plus tard, il se cachait dans des broussailles de bocage qui délimitaient le champ. Là, au milieu des buissons, hors de vue, il se déshabilla rapidement et se métamorphosa aussi silencieusement que possible.
Solen le chercha du regard un instant dans la nuit, puis crut qu'il s'était enfui. Elle se détourna et encocha une flèche en direction d'Orel, dos à elle, qui combattait contre Iris au corps à corps. Elle guetta une ouverture afin de ne toucher que l'Aigle, immobile et concentrée. Juste au moment où Orel, encaissant un coup puissant de la Reptile, recula de quelques pas, Solen lâcha la hampe de son projectile, qui fusa avec un sifflement aigu que perçut Orel, mais trop tard.
Il se retourna et vit la pointe de la flèche se précipiter vers son thorax. Ses yeux s'écarquillèrent.
Un craquement puissant lui sauva la vie. La flèche se rompit dans les mâchoires d'Anael, sous ses crocs acérés et blancs qui luisaient sous la lune.
L'Ours roula au sol, emporté par son élan, et se rétablit sous le regard furieux de Solen. Cette dernière serra les lèvres, ses yeux pâles prirent soudain une teinte plus sombre, annonciatrice de colère. Elle lâcha son arc et hurla alors que son corps changeait.
Des écailles sombres couvrirent son corps, son visage s'allongea en une mâchoire puissante garnies de crocs qui faisaient concurrence à ceux de l'Ours. Ses yeux virèrent au jaune alors qu'elle tombait à quatre pattes, tandis qu'une queue immense et musclée se formait en prolongeant son corps.
— C'est une Crocodile ! s'écria Sophia.
Anael se ramassa et grogna face à l'animal qui le fixait de ses iris jaunâtres. La Gazelle retourna combattre le Reptile, ses coups redoublaient d'ardeur, elle ne retenait rien car si elle ne triomphait pas de son combat, ils allaient certainement perdre. Son bâton fendait l'air et heurtait les dagues de son adversaire.
Maïwenn était toujours au sol, immobile. Anael évita de regarder dans sa direction, il avait trop peur de voir la trace d'un coup fatal. Elle était juste assommée, il en était sûr.
Orel hurla. Iris saisit son cou d'une main, un sourire lui étirait le visage. Elle laissa courir son épée le long de la gorge de l'Aigle, qui ferma les yeux, les lèvres serrées. Elle le tenait fermement dos à elle et, par-dessus son épaule, elle nargua Anael en haussant un sourcil. Ce dernier gronda d'un air menaçant, mais elle sembla ne pas se préoccuper de l'ours efflanqué au poil emmêlé. Elle serra ses doigts, empêchant petit à petit l'air d'entrer dans les poumons de son prisonnier.
Anael était tiraillé. Attaquer Solen ? Prêter main forte à Orel, qui se débattait de plus en plus faiblement, qui rougissait, virait au bleu sous le manque d'air ? Il se décida presque aussitôt.
Il chargea Iris.
Le choc la fit tomber en arrière. Elle ne s'était pas attendu à cette attaque, et, trop occupée à retenir Orel, elle n'avait pas su éviter Anael.
Elle s'écrasa au sol avec un petit cri de douleur. Sa main serra aussitôt son bras blessé, qui semblait cassé. Une grimace de douleur déformait son beau visage. Elle se releva en sifflant de colère et de souffrance mêlées.
— Tu me le payeras, Anael ! Tu n'as plus de somnifères à présent !
Il ne prêta pas la moindre attention à ces menaces. Toute cette dernière était dirigée vers le corps de l'Aigle, qu'il tenait entre ses pattes et qu'il avait rattrapé dans la chute d'Iris. Ils avaient roulé ensemble, emportés par son élan de charge, et Anael craignait avoir fait mal à Orel avec sa masse d'Ours. Le visage de l'Aigle était encore légèrement violacé mais il respirait, ce qui rassura Anael.
Soudain, il hurla de douleur.
Les mâchoires de la Crocodile s'étaient refermées sur sa patte gauche. Elle s'était approchée lentement et en silence pour le surprendre, et à présent une lueur de satisfaction illuminait ses yeux ambrés.
Anael lui flanqua un féroce coup de patte dans la tête, mais elle ne lâcha pas sa prise. Il la frappa de plus en plus fort. Rien n'y faisait, elle encaissait inlassablement. Sa cuirasse écailleuse semblait à l'épreuve de tous les chocs.
Alors, il visa les yeux, les tout petits yeux de la Crocodile. Il parvint à crever l'un d'eux à l'aide de ses longues griffes, qu'il enfonça le plus violemment possible, au comble de la souffrance à cause de son bras réduit en charpie.
La Reptile se cabra en hurlant. Elle ouvrit sa mâchoire et recula en secouant la tête. Anael fit de même à cloche-patte, posant son regard douloureux sur sa patte sanglante et broyée. Il le détourna pour ne plus y penser, peut-être que la douleur s'atténuerait, ainsi.
Solen était au supplice. Elle se tordait au sol, battait de la queue, criait d'un son atrocement aigu qu'Anael n'avait encore jamais entendu et qu'il eut envie de ne plus jamais entendre.
À présent que la Crocodile semblait hors-combat, Anael boitilla vers Sophia, qui avait abandonné son arme et se battait au corps à corps contre le troisième Reptile, désarmé lui aussi. L'Ours surgit dans le dos de ce dernier, et alors qu'il se retournait, les yeux écarquillés, Sophia l'assomma d'un coup propre sur la tête. Il s'écroula et la Gazelle jeta un regard de remerciement à Anael, qui hocha la tête. Ils se tournèrent vers Iris.
Elle les fusillait du regard. Son bras blessé était plaqué contre sa poitrine. Ses boucles noires étaient sales, garnies de terre sèche. Elle avait perdu toute sa superbe. Ne restait plus qu'une femme blessée et folle de rage impuissante.
— Vous me le payerez... Tous ! cracha-t-elle.
Ses pas la menèrent près de sa sœur, qui s'était retransformée sous la douleur. Elle sanglotait au sol, réprimant le plus possible ses larmes alors qu'elle cachait son visage. Iris la releva d'un geste rageur. Solen et sa sœur s'éloignèrent du champ le plus rapidement possible, laissant leur camarade évanoui dans la terre, au milieu des adolescents.
Anael retourna vers le bocage d'un pas lourd. Il se transforma, se rhabilla avec plusieurs grimaces de douleur, et revint près de ses compagnons. Orel était assis, la tête entre les mains, et respirait profondément. Sophia s'était accroupie près de Maïwenn, et écoutait son cœur, la tête sur la poitrine de la Combattante rousse. Anael ne pouvait pas distinguer son visage et donc, son expression. Il se dirigea vers Orel, encore incapable d'aller près de la Renarde, par couardise... Anael ne pouvait imaginer sa réaction si elle... si... Non, elle était simplement blessée.
Cet attachement qu'il se découvrait pour la Renarde lui était inconnu jusqu'alors. Pour tous ses amis, d'ailleurs. Avant, il n'aurait jamais risqué sa vie pour quelqu'un d'autre. Et eu aussi peur pour quelqu'un, excepté lui-même...
Il leva un regard sombre vers Orel. L'Aigle serrait ses cheveux entre ses doigts crispés. Il ne regarda pas l'Ours lorsque celui-ci s'assit à ses côtés en silence.
— J'ai cru mourir, lâcha-t-il dans un souffle.
Anael ne répondit rien. Il le savait. Et il avait cru, aussi, qu'Orel allait être étouffé par Iris.
— Merci. Tu m'as sauvé... deux fois, dans la même bataille. Anael, sans toi, je ne serais pas là maintenant...
Il leva ses yeux bleus, pleins de larmes, vers Anael.
— Je serais mort dès le premier affrontement, tu te rends compte ? Et... Oh mais qu'est-ce que tu t'es fait ?!
Il saisit le bras valide d'Anael et l'écarta de celui qui était blessé. L'odeur du sang le prit à la gorge et il eut une grimace compatissante.
— Ouh. Ça doit pas être très confortable...
Anael fut incapable de répondre, de faire le moindre mouvement. Une brusque chaleur l'avait saisi au moment où Orel avait pris son bras. Il avait une conscience accrue des doigts de l'Aigle sur sa peau et sa concentration s'était envolée. Impossible d'aligner deux pensées cohérentes. Et Anael détesta aussitôt cet état de faiblesse.
— Je te fais mal ? demanda Orel, voyant qu'il ne répondait pas, en relâchant son bras. C'est ça ?
— N.. Non, bafouilla Anael en bénissant la nuit noire. C'est juste que... je suis fatigué.
Meilleure excuse, tu meurs...
Il se flagella mentalement. Il allait passer pour un imbécile à présent.
Quand il est fatigué, il ne sait pas parler, alors ? Non mais quel imbécile cet Anael, morigéna l'Ours.
Mais Orel ne semblait pas avoir flairé ce léger mensonge. Il sourit avec soulagement.
— Ah, heureusement...
Il essuya le sang qui coulait depuis une blessure sur son front. Il se mêlait à ses cheveux blonds et les collait en amas qui ressemblait à de la paille. Il grommela.
— Il faudrait qu'on trouve un cours d'eau, maintenant. Nous sommes dans un sale état. Sophia a une trousse de secours, je crois.
Il tenta de se lever, mais la tête lui tourna et il s'affala de tout son long sur Anael, qui se figea. L'Aigle émit un rire.
— Pff, désolé, je suis pas encore remis de l'étranglement de cette folle...
Il se releva et haussa un sourcil devant la mine gênée de son ami. Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce fut, la voix de Sophia s'éleva, tremblante.
— Les garçons...
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