𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑙𝑢𝑑𝑒 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑦𝑎

° ° °

Janvier 2020.
– Maya ?
– Mmh ?
– À quoi tu penses ?
– À quel point l'être humain peut être con, parfois.

Ma camarade de classe me lança un regard amusé avant de se pencher à nouveau sur le croquis sur lequel elle travaillait déjà depuis une bonne heure. J'amusais beaucoup mes camarades de classe. Parce qu'ils me trouvaient singulière, originale. En réalité, je n'étais rien de tout ça, j'étais juste Maya. Et actuellement, j'étais une Maya qui s'ennuyait ferme et qui n'avait rien d'autre à faire que d'observer les deux tourteaux autour de moi.

On y était. À cette période de ma vie où je commençais à absolument tout remettre en question. De la couleur de mes cheveux, en passant par le choix de mes baskets à celui de mon choix d'étude. J'avais toujours eu tendance à m'interroger sur tout, et n'importe quoi. Louis aimait dire que je débordais de confiance en moi, que je n'avais pas froid aux yeux, mais au fond, ni lui, ni moi n'étions dupes, je savais juste très bien faire semblant. Oui, j'avais une grande gueule. Oui, je savais m'imposer. Oui, j'étais une véritable tractopelle qui écrasait les gens de ses sentiments, de ses remarques souvent vaseuses, et qui n'avait pas la langue dans sa poche. Mais j'étais aussi juste Maya, une fille de dix-huit ans complètement paumée. Je crois qu'au fond, j'avais toujours compensé avec cette image de moi que les gens avaient bien voulu me donner, et dont j'avais joué parce qu'elle me plaisait.

Pourquoi est-ce que je ne teindrais pas mes cheveux comme elle..., songeais-je. Non. C'était idiot, j'adorais mes cheveux blonds. Je secouais la tête, agacé par ma propre bêtise. Raah, et puis ce couple idiot en face de moi qui me sortait par les yeux. Je n'arrivais plus à me concentrer. Je jetai un œil à ma nature morte, agacée par mon propre travail, et remballai mes affaires.

– Tu fais quoi ?, demanda ma camarade.
– J'me casse, j'en ai marre.

Et puis, il était déjà super tard, et j'avais deux colocs à faire chier. C'était ma mission divine après tout.

Prendre l'air, rentrer à pied, ma musique dans les oreilles me fit le plus grand bien. Louis déprimait un peu depuis que Adel était reparti en Corée du sud. Non, rectification, Louis était insupportable depuis que monsieur était reparti. Je l'aimais plus que tout au monde, mais je devais avouer qu'il me tapait parfois sur les nerfs à toujours tout ramener à lui, et son petit couple. C'était exactement ce qu'il faisait depuis deux semaines. Et c'était la première fois. Cela ne semblait pas gêner Inès – grand bien lui fasse – mais moi... Moi, ça m'agaçait profondément. Mais je ne disais rien, parce que c'était lui. Je savais qu'il avait besoin d'en parler. Que de retrouver son copain dans plusieurs mois le frustrait énormément. Même si, je devais bien l'avouer, je ne parvenais pas à tout comprendre. Mais après tout, j'étais Maya, non ? J'avais toujours un peu été à côté de la plaque, comme mon meilleur ami. 

*

– Salut Maya !

Mes deux colocs avaient les fesses vissées sur notre canapé, devant une série Netflix. Je leur adressais un signe rapide de la main avant d'aller poser mes affaires, laver mon visage et mes mains. Et puis, comme à mon habitude, je vins m'affaler entre eux, les jambes sur les cuisses de Louis, la tête sur celle de Inès. Oui, j'étais encombrante, oui, j'étais collante. Mais non, cela ne les gênait pas. 

– Alors, votre journée ?
– J'ai été invité à une soirée, vous êtes conviés si vous voulez ! lança Inès.

Je vis Louis faire une moue et attrapai sa main en souriant.

– On pourra rester ici tous les deux mon loulou, te force pas.

Il me remercia du regard et Inès soupira. De temps en temps, nos penchants asociaux l'agaçaient fortement. 

– J'ai eu les notes de mon premier semestre, enfin, lâcha Louis.
– Et ?
– Et ça, je pensais clairement ne pas avoir la moyenne...
– Dis pas ça, tu es excellent...
– Dis celle première de sa promotion. Dans une prépa d'art réputée. 

Je levai les yeux au ciel. 

– Moi je vais repiquer je pense..., soupira Inès.
– Il faudra que tu m'expliques comment tu arrives à repiquer une formation où tu n'as que douze heures de cours par semaine..., rigolais-je.
– Eh !

Inès me donna une tape sur la tête et je me levai d'un bond pour aller chercher de quoi manger. En même temps, Inès devait bien reconnaître qu'elle se laissait clairement aller depuis deux mois. Pourtant, Adel l'avait prévenu, la fac, ce n'était pas des vacances. Et si elle voulait réussir à passer en seconde année, elle devait bosser. Un minimum. Merde quoi, il lui avait même donné ses anciens cours ! Et au vue de la tronche qu'était Adel, elle avait toutes les clefs en main pour réussir. 

– J'vais me coucher les filles ! fit Louis après avoir jeté un œil à sa montre.
– Oh, Louis...
– Quoi ?
– Tu ne me la fais pas à moi. Je sais que tu as rendez-vous avec Adelouchounet.
– Arrête de l'appeler comme ça bon sang...

Je rigolais, fière de ma propre blague. Il leva les yeux au ciel et se dirigea vers sa chambre, en râlant tout seul. Il était adorable quand il était comme ça.

– Et reste discret pendant ta session branlette !
– MAYA !

Il s'étrangla à moitié en glapissant mon prénom et Inès hurla de rire trop près de mon oreille. J'étais encore plus fière de ma blague. Inès sécha les larmes qui avait perlé au coin de ses yeux (elle était beaucoup trop sensible à mon humour, je le savais) et s'affala un peu plus confortablement sur le canapé. J'entendis Louis rager depuis le salon, se plaindre à Adel et je levai les yeux au ciel. J'avais une ouïe fine moi, ce n'était pas de ma faute si j'entendais tout ce qui se passait dans cette colocation ! 

– Ça t'éclate, hein ? De le faire suer comme ça ?
– T'as pas idée poulette.
– Tu sais, un jour, il va te rendre la pareille. Quand tu seras en couple.

Je levais les yeux au ciel.

– Alors il va attendre des siècles.

Inès pencha la tête légèrement sur le côté et me dévisagea.

– Bah quoi ? Tu m'as déjà vu ramener des gens ici ? Ou parler d'une personne qui m'intéresse ?
– Tout le monde tombe amoureux Maya. Enfin, peut-être pas aussi jeune alors... Je devrais dire, tout le monde a envie de se taper quelqu'un à notre âge.

Je ne m'offusquais même pas d'entendre ce genre de chose venant d'elle. Inès et moi nous entendions désormais à merveille, mais nous restions, dans le fond, deux filles très différentes.

– J'ai dix-huit ans, Inès. Je peux prendre mon temps.

Elle haussa les épaules, visiblement pas très convaincue par ma répartie. Je fronçais les sourcils, soudainement agacée par la situation. J'avais raison, et je le savais. Ce qui vivait Louis avec Adel, c'était adorable mais... Je n'en avais pas plus envie que ça. Quand à me taper quelqu'un pour le principe de juste me taper quelqu'un... Je trouvais cela absurde.

J'avais dix-huit ans, et j'avais le temps. C'était ce que je me répétais sans cesse quand je voyais des couples se former autour de moi, et tirer des plans sur la comète. J'avais dix-huit ans, et je n'avais pas pour obligation de m'envoyer en l'air, complètement torchée lors d'une fête, ou avec mon meilleur ami, « juste pour essayer ». De toute façon, le mien était gay. Je me rassurais de la sorte. Seulement, de temps en temps, il y avait cette petite voix, sournoise, qui revenait. Et qui me murmurait avec une voix désagréable que, peut-être, j'étais tout simplement trop singulière pour les autres. Que si j'étais seule, c'était bien parce que quelque chose clochait chez moi.

Et cette voix me perdait. 

* * *

J'aimais bien venir assister aux matchs de volley des garçons. Inès aussi, mais Inès le faisait pour mater des mecs en sueur. Certes, son amitié avec Louis, Eden et Isaac jouait sans doute un peu, mais les mecs en sueurs, c'était plus son truc. Et j'avais ce désagréable sentiment que, depuis quelques semaines, Inès essayait de me caser avec à peu près tout être humain se rapprochant de notre tranche d'âge. Je savais que mon amie ne pensait pas à mal seulement... Je n'en pouvais plus.

– Si tu le trouves si beau Inès, fonce... Mais par pitié, arrête, il ne m'intéresse pas.

Et puis, merci. Mais je devais admettre qu'une montagne de muscle, ça ne m'attirait pas des masses. Inès leva les yeux au ciel, et quand Eden marqua un – énième – but, nous nous levâmes pour applaudir et encourager notre sportif favoris.

Inès avait teint ses cheveux en un noir profond il y a deux jours, et depuis, tout les regards se tournaient vers elle. Il fallait dire que Inès était bien loin de faire son âge, avec son maquillage impeccable, sa coupe courte qui lui allait à ravir et les bijoux qui pendaient de ses oreilles. J'avais une pote canon – je le reconnaissais humblement – et visiblement, le gars deux rangs en dessous du notre était fortement intéressé.

C'était toujours comme ça avec Inès. Elle irradiait, et moi, je m'effaçais. Ça m'avait rendu triste au départ, avant de comprendre que tout cela m'arrangeait grandement. Inès sur le devant de la scène, je ne risquais pas de me faire aborder, dragué de manière lourde ou que sais-je. Inès captait toute l'attention. 

– À quoi tu penses ?
– Pourquoi les gens passent-ils leur temps à me le demander ? rigolais-je en me tournant vers Isaac.

La cheville dans une atèle, ce dernier avait été relégué au rang de spectateur pour ce match. J'aimais beaucoup Isaac. C'était un garçon simple, sans prise de tête. J'étais plus qu'heureuse que Eden ait craqué sur lui, parce qu'il rajoutait une petite nouveauté dans notre groupe d'ami. 

– À Eden. Et toi.
– Maya...
– Sans déconner Isaac... Tu dois être le gars des gradins qu'il tente le plus d'impressionner.

Les joues rosissant, Isaac regarda ses pieds en triturant ses doigts.

– Ne dis pas ça...
– Vous savez tous les deux que vos envies sont réciproques. Je me demande vraiment pourquoi vous en êtes encore à vous tourner autour, après tout ce temps ! Ça fait littéralement des mois que j'attends la suite de votre relation moi. J'aimerai passer à l'épisode suivant !

Isaac rigola, soudain moins tendu.

– C'est du côté de ta famille que ça coince ?
– Non, pas du tout.
– Alors quoi ?
– Maya...
– J'aime bien savoir... C'est plus fort que moi. Mais je peux aussi deviner, je suis forte aux devinettes.
– Forte à quel point ?, me nargua-t-il.
– Forte au point de savoir que Eden et Louis allaient devenir copains comme cochons dès le premier mois de cours, mais que Louis allait craquer le premier. Forte au point de savoir que mon meilleur ami en pinçait pour un gars qu'il voulait détester, chose qu'il ne l'avait même pas capté lui-même. J'avais même deviné qu'Eden finirait par les choper, je me suis juste gourée sur le comment de la chose.

Isaac me regarda avec des yeux ronds.

– Tu ne veux pas savoir ce que j'avais imaginé à la base, crois moi.
– Non non, je veux pas..., bafouilla-t-il.

C'était plus fort que moi, j'étais juste douée pour cerner les relations humaines autour de moi. Et puis, je devais le reconnaître, quand il ne s'agissait pas de ma personne, l'être humain n'avait pas de mystère pour moi.

– C'est compliqué, c'est tout. J'étais en couple jusqu'à l'an dernier.
– Ah bon ?
– Oui. Enfin, c'était vraiment compliqué. Ma copine et moi n'étions plus vraiment ensemble, mais... je restais près d'elle parce que...

Isaac baissa soudain les yeux sur sa cheville bandée et je plissai les miens. Mon flair me disait que je venais de déterrer un sujet houleux. 

– Parce que j'avais peur qu'elle fasse une bêtise.
– Oh.

D'accord. Je m'étais attendu à tout, sauf à ça. Depuis des mois et des mois, Isaac était emprisonné dans une relation dont il ne voulait plus, et il ne laissait strictement rien laisser paraître. Je ne pus m'empêcher d'avoir une peine immense à son encontre. 

– Mais ça va mieux, hein. Elle a déménagé pour ses études, on se parle de temps en temps et... J'ai l'impression qu'elle est prête à mettre vraiment fin à notre relation. De son côté, pour ma part, s'est fait depuis des mois.
– Eden est au courant ?
– Ouais. De tout.

Isaac était un garçon en or. Totalement transparent.

– Ils se sont déjà rencontrés. Je crois que c'est là qu'elle a compris que je n'étais plus du tout heureux dans cette relation...

Sa voix se brisa et il s'arrêta là. Et je n'avais pas besoin d'en savoir plus. Je lui tapotais gentiment l'épaule quand l'arbitre siffla le coup d'arrêt du match. Eden nous adressa un sourire immense, Louis complètement en nage, l'imita aussitôt. 

*

– Votre débat avec Isaac avait l'air très intéressant., me taquina Eden en me donnant un coup de coude.

Je haussais les épaules, ne laissant rien paraître. 

– Vous avez parlé de quoi ?
– Eden...
– Laisse tomber, c'est pas grave !
– De tes fabuleuses performances sportives, et de toi.
– Oh.

Il rigola, soudain un peu gêné par ma déclaration, et Louis débarqua, passant un bras autour de ma taille. 

– On se fait une bouffe ? Je meurs de faim. Et Isaac et Inès aussi.
– Carrément !

J'esquissai un sourire. J'avais un nouveau couple à former. Ou du moins, à encourager. Maintenant, j'avais toutes les cartes du jeu en main. C'était plus fort que moi, il fallait toujours que je me mêle des histoires des autres. Mais le plus fort était de le faire sans qu'aucun des deux partis ne se doute de quelque chose. Maya était de retour pour tous vous jouer un mauvais tour. 

* * *

Février 2020.
J'étais plutôt fière de ma tarte aux citrons. Elle avait une drôle de tête – parce que ma meringue me semblait un peu raplapla – mais elle était plutôt jolie. C'était Sacha, la petite sœur de Louis, qui m'avait filé sa recette le week-end dernier. Cette dernière était devenue une véritable cordon bleu ces derniers temps, elle ne jurait plus que par la cuisine, la pâtisserie et les plats qu'elle servait à ses parents tous les jours. J'étais heureuse de voir que, celle que je considérais un peu comme la sœur que je n'avais jamais eu, semblait avoir trouvé une voie qui lui correspondait. 

– Ça a l'air délicieux Maya.
– Tu trouves ? Merci, c'est la recette de ta sœur !

Louis ne put s'empêcher de racler le fond de mon plat avec le doigt pour goûter un peu de ma préparation restée au fond de ce dernier.

– Raah, fait pas ça !
– Tu voulais tout garder pour toi ?
– Exactement ! Laisse-moi m'engraisser en paix !

Louis rigola, amusé et s'appuya contre le plan de travail, l'air songeur. 

– Oh, je connais cette tête... Accouche, qu'est-ce qui ne va pas ?
– Je n'ai pas eu Adel hier soir.
– Et ?
– Et ? Bah c'est chiant.
– Vous vous parlerez ce soir... Tu sais, il est méga occupé avec ses études, et n'oublie pas que vous avez deux rythmes de vie très différents tous les deux !
– Mouais.
– Louis, ne t'en fais pas pour ça, ok ?

Je lui passais une main dans les cheveux, d'un geste presque maternelle et il esquissa un sourire d'enfant. Louis qui souriait ressemblait toujours à un gosse. C'était adorable de voir qu'il avait gardé les mêmes mimiques que lui au collège, et qu'il riait toujours avec cette petite voix qui grimpait si vite dans les aigus. 

– Il me manque...
– Je le sais ça chou..., mais vous allez vite vous revoir !
– En juin.
– Bon, certes. Ça fait un peu long. Dites vous qu'après ça, vous aurez passé un sacré test dans votre couple !

Il me regarda, visiblement pas très emballé.

– Pardon de t'embêter avec ça...
– Tu ne m'embêtes pas Louis ! Jamais, alors arrête de dire des bêtises.
– Enfin, j'veux dire... Tu es avec personne toi, et je fais que me plaindre de mon couple. Inès est aussi super lourde avec ça, je le sais. 

Je ne répondis pas, un air interdit sur le visage. Louis sembla comprendre qu'il venait de toucher un point sensible, et tenta aussitôt de se rattraper.

– M-mais, mais je suis sûr que tu vas trouver quelqu'un de cool !
– Putain.
– Pardon ?
– J'ai dit, putain

Louis me regarda, interloqué. 

– Foutez-moi la paix avec ça bon sang ! J'en ai rien à carrer d'être seule ou en couple ! Rentrez-vous ça dans le crâne, vous me faites chier à la fin ! J'en veux pas de vos emmerdes de couples, de vos casse-tête quotidiens pour que l'autre ne se froisse pas, j'en veux pas de ça ! J'ai même pas vingt ans ! Laissez moi vivre ma putain de vie, seule. Merci.

Vexée, amère, je tournais les talons, lui balançant au passage mon torchon dans la figure. J'avais peut-être réagi de manière excessive, mais il m'avait poussé à bout. Pardon Louis, que ça tombe sur toi, mais tu étais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Je claquai donc la porte de ma colocation, et composait à la va-vite un numéro de mon répertoire.

« – Hey, c'est Maya. T'es dispo pour parler un peu ? » 

*

Je n'avais pas décoché un mot depuis qu'il m'avait rejoint sur le pont de pierre. J'aimais bien cet endroit. On avait une vue imprenable sur la Garonne, et sur les deux rives de Bordeaux, en fonction de l'endroit où l'on se plaçait. Les soirs de temps clairs, comme aujourd'hui, on pouvait admirer les reflets de la rive gauche sur le fleuve. Cette vision était à la fois reposante et belle. Emmitouflée dans mon manteau, mes gants, mon bonnet, mon écharpe, j'étais accoudée au pont, le regard dans le vide. À côté de moi, Eden semblait pensif lui aussi.

Nous avions commencé à avoir cette drôle d'habitude de nous rejoindre ici quand quelque chose nous tracassait, ou tout simplement quand nous avions besoin de nous recueillir. Nous y venions toujours à deux, jamais tout seul. C'était la petite règle que nous nous étions imposés. Cela avait commencé en décembre dernier, après qu'Adel soit repartit en Corée du Sud. Pour une raison que j'ignorais, Eden avait ressentit le besoin de m'en parler. Pas à Louis, pas à Inès dont il était pourtant très proche, pas à Isaac, mais à moi.

Les gens rigolaient souvent en disant que j'aurais pu être un bon psy. Je savais écouter les gens, c'était ainsi. Je savais écouter me distancer de leurs soucis divers et varier, et proposer des solutions. Seulement, parfois, moi aussi, je ressentais ce besoin urgent de me confier. Et Eden l'avait bien compris. Alors de temps en temps, lors de nos virées nocturne sur le plus beau pont de notre ville, je me confiais. 

– Tu as pleuré ?, fini par lâcher Eden, ses yeux verts toujours rivés sur l'eau qui passait sous nos pieds.

Je haussais les épaules, voulant démentir, mais je savais très bien qu'avec lui, ce n'était pas la peine. 

– Tu veux en parler ?
– Je me sens juste à côté de la plaque Eden. Une nouvelle fois.
– Oh tu sais, ça me connait ça.

Je rigolais doucement. J'avais pu apprendre à le connaître d'avantage ces dernières semaines. Eden s'était retrouvé largué en fin de primaire, et au collège. Il s'était retrouvé seul face à des sentiments nouveaux qu'il ne comprenait pas. Que les autres garçons de sa classe ne partageaient pas. Et puis, il avait fini par faire la lumière dessus, et depuis, il semblait vivre en paix avec la personne qu'il était. Et surtout, il s'aimait tel qu'il était.

– C'est à cause de Louis.
– De Louis ? Vous vous êtes disputé ?
– Non, non pas du tout. Il... Il a juste été maladroit dans ces propos, tu connais Louis. Mais je ne sais pas, cette fois-ci... Je l'ai juste vraiment mal pris.

Je sentis Eden se rapprocher de moi, mais je ne levai toujours pas les yeux des illuminations de la place de la bourse, en face de nous.

– Eden, comment tu as su que tu voulais être avec Adel ? Ou Louis, Isaac, peu importe...
– Euh... comment ça ?
– Genre, prenons l'exemple de Isaac. Pourquoi ?
– Pourquoi ? Euh bah... il me plaît ?
– Détailles s'il te plaît.

Eden parut un peu gêné au départ, mais voyant que j'étais parfaitement sérieuse – et désireuse de comprendre certaines choses – il continua.

– Je le trouve beau, gentil, très doué et euh... Je m'amuse bien avec lui. On passe de supers moments ensemble.
– Avec Louis aussi, j'ai ça.
– Oui mais... Vous êtes meilleurs amis, j'veux dire, Maya, tu n'as pas envie d'être en couple avec Louis, si ?
– Bah non. J'ai déjà tout ce que je veux avec lui en tant que meilleur ami.
– Mmh, je vois. Le truc, c'est qu'Isaac me plaît physiquement aussi, tu vois ?
– Louis aussi me plaît physiquement.
– Attend, tu essaies de me faire comprendre que tu l'aimes ?
– Bien sûr ! J'aime Louis comme mon frère. Tu devrais le savoir, depuis le temps. C'est ma moitié.

Je me tournais vers Eden, et le vis sourire. Ça amusait toujours beaucoup les gens, cette facilité avec laquelle j'exposais mes sentiments pour mon meilleur ami. De son côté, Louis faisait de même. J'avais conscience que les amitiés fusionnelles pouvaient intriguer les gens, mais j'avais arrêté de m'arrêter à ça depuis longtemps. 

– Ok, ok. Non, ce que je veux dire, c'est que j'ai envie d'être avec Isaac pour partager plus de choses, tu vois ?
– Ah. Juste pour ça ?
– Euh bah... c'est pas juste un truc quand même...
– Tu penses que ce qui définit un couple c'est le sexe ?

Eden fronça les sourcils. Il réfléchissait sérieusement à ma question. J'aimais ce garçon pour ça. Il tentait toujours de comprendre le point de vue de l'autre. Ce n'était pas donné à tout le monde de pouvoir le faire, j'en avais fait les frais tant de fois. 

– Mmh, je suppose que non... Mais c'est autre chose. Je suis amoureux de Isaac. Je sais que je ne le vois pas comme je vois mes amis, tu vois ? C'est quelque chose de plus fort. Il y a deux choses dans un couple, l'amour et le sexe. Pour moi, j'entends. Je sais que je ne pourrais pas m'en passer. Mais un couple basé que sur la deuxième option ne fonctionnerait pas. Toujours de mon point de vue.
– J'ai été amoureuse l'an dernier.
– Vraiment ?

Ses yeux s'étaient mis à briller d'une étrange lueur.

– Mais je l'ai gardé pour moi, parce que... Ce n'était pas très important.
– Maya...
– Je t'assure. Ce garçon n'aurait pas juste voulu être en couple avec moi parce que j'étais « juste » amoureuse de lui. Ce n'est pas comme ça que l'être humain fonctionne. On est resté amis, j'ai tu mes sentiments, et je ne le regrette pas. Après tout... Je l'avais déjà près de moi. Je n'allais pas prendre le risque de tout gâcher.
– Maya, l'être humain ne fonctionne pas d'une seule et même manière. On est tous différents, jette un œil à tes potes, rigola-t-il.
– Ouais... mais bon... je me sens complètement à côté de la plaque avec vous les gars.
– C'est pas grave de ne pas avoir envie de ça dans une relation, tu sais Maya ? 

Il avait parfaitement compris où je voulais en venir, et je le remerciais du regard d'avoir compris aussi vite. 

– Tu en as peut-être pas envie maintenant, ça viendra peut-être dans deux ans, dix ans, ou jamais... On s'en fiche ! C'est ta vie. Ne te force pas à faire « comme tout le monde » pour te sentir plus à l'aise. Tu ne le seras pas., fit-il en mimant des guillemets.
– Merci, Eden.
– Je ne sais pas si j'ai été d'une grande aide, j'ai exposé mon point de vue. Mais j'espère que tu vas te sortir de la tête que tu es bizarre, ok ? Promets-le-moi.
– Je te le promet.
– Bien. Maintenant... Est-ce que ça te dirait pas de rentrer, j'me les pèle un peu pour ne rien te cacher...
– Merde, tu as encore un tram ou un bus pour renter ?
– Je vais aller squatter chez Isaac. 

Et, prise d'une subite envie de lui témoigner de ma gratitude, je le pris dans mes bras un court instant. Surpris, mais pas en mal, Eden me rendit mon étreinte. 

* * *

Je n'arrivais pas à croire que j'avais laissé Inès me faire regarder ça. Je me retrouvais devant un film musical Disney plus que mauvais, avec ma colocataire qui connaissait déjà toutes les chansons par cœur. Inès me brisait les tympans, mais elle avait bien l'air trop heureuse pour que je l'interrompe. Debout sur le canapé à côté de moi, elle agitait son micro imaginaire, et s'époumonait complètement. Moi ? J'étais complètement pliée en deux. Louis sortit de sa chambre pour aller se chercher à manger dans le frigo et nous regard avec des yeux ronds. Il marmonna quelque chose comme « mais où est-ce que j'ai atterri bon sang » et retourna très vite se terrer dans sa chambre. Dans la poche arrière de mon jean, mon portable vibra et je m'empressai de regarder qui était mon ou ma sauveuse, m'arrachant à ce film vraiment beaucoup trop mauvais pour moi. C'était Eden.

« Maya, je flippe. »

Je haussais un sourcil, étonné. Eden, flippé ?

« Je lui ais dis. Enfin. Et il a accepté. »

Isaac. Il ne pouvait parler que de lui. Tout à coup, mon cœur se mit à battre un peu plus vite. L'histoire prenait enfin un nouveau tournant. Pendu à mon portable, j'attendais qu'il m'en dise plus, les yeux brillants.

« Ne le dis pas de suite aux autres, je voudrais le faire moi même :) »

« Eden, je suis fière de toi. »

« Je ne sais pas pourquoi, notre discussion de l'autre jour m'a boosté ! »

Je me sentais si fière en cet instant, vraiment. J'avais réussi, une nouvelle fois. Prendre Isaac comme exemple n'avait pas été anodin. Appuyer sur sa potentielle relation avec Eden, le forcer à s'imaginer s'ils étaient ensemble... Et Eden avait enfin franchi le cap, deux jours plus tard.

– Maya !

La voix de Louis m'interpella, et je quittais mon canapé, et le karaoké d'Inès pour le rejoindre dans sa chambre. Depuis l'autre jour, l'ambiance était un peu froide entre nous. Je voyais bien que Louis s'en voulait, et qu'il n'osait pas vraiment venir me parler. Il referma doucement la porte de sa chambre et je m'installais sur son lit, les jambes en tailleurs.

– Oui ?
– Eden vient de me dire que...
– Je sais., le coupais-je.
– Oh. D'accord. 

Petit silence entre nous. Je n'aimais pas ça. Louis était toujours debout à faire les cent pas devant moi et je soupirai. Je finis par lui tendre une main, qu'il considéra quelques secondes avant de l'attraper. Je le tirai contre lui, le faisant basculer sur son lit. Je rendais les armes, j'en avais marre de le bouder, et je ne tenais plus. Il me serra contre lui, je fis de même avant de le repousser légèrement.

– Tu m'étouffe gros tas.
– Maya, je suis désolé pour l'autre jour.
– Je sais.
– Tu sais que je suis super maladroit parfois et je...
– Je sais, je t'ai dit.

Il soupira contre mon oreille et se dégagea enfin, pour venir se rasseoir à côté de moi.

– Du coup... Eden et Isaac ?
– Les temps changent mon petit, les temps changent...

Il rigola et cela me fit du bien de le voir sourire. Je le trouvais de moins en moins souriant ces dernier temps. Je passais une main dans sa nuque où ces cheveux avaient beaucoup trop poussé. 

– Je sais à quoi tu penses Maya, et je ne te laisserais pas y toucher !
– Rooh. 

Il se laissa tomber sur son matelas et, les yeux rivés sur le plafond, m'invita à faire de même. Combien de fois nous étions nous retrouvés ainsi, tous les deux, à contempler son plafond lumineux dans sa chambre d'enfance ? Je me souvenais très bien que ces parents y avaient installé de petites étoiles pour l'aider à dormir le soir. Louis les comptait chaque nuit, et j'aimais faire de même les soirs où je venais dormir chez mon meilleur ami. 

– Tu sais Maya, j'ai parfois l'impression que je ne sais pas du tout où je vais.
– Tu as toujours été comme ça Loulou...

Il ricana avant de reprendre.

– J'veux dire, sur tous les plans.
– Je suis pareille Louis.
– On est foutu, hein ?
– On a encore du temps avant nous tu sais. Pour se tromper, et recommencer. Si on commence à être défaitiste maintenant..
– Tu as raison.
– Est-ce que je peux te faire promettre un truc ? Pour la seconde fois ?
– Oui ?
– Toi et moi ?
– C'est pour la vie. Quoi qu'il arrive.

J'attrapai sa main, satisfaite de la réponse qu'il venait de me donner.

L'amitié. C'était un concept étrange, à bien y repenser. On croise des gens, on accroche ou non à leur personnalité... C'était tout un art. De temps en temps, la vie nous offrait le cadeau de croiser des personnes qui se détachaient du lot. Certains tombaient amoureux les uns des autres, et d'autres développait une relation tout à fait différente. On ne pouvait jamais vraiment savoir. On ne pouvait jamais se fier aux premières apparences. Petite, Louis me laissait indifférente. Et puis, un beau jour, sans trop savoir comment ni pourquoi, nous nous sommes rapprochés. Un jeu ou une lecture en commun. C'était quelque chose comme ça qui nous avait fait avoir notre première vraie conversation. Il m'avait offert une main tendue, sans trop rien attendre en retour, et nous ne l'avions jamais regretté.

Parfois, l'amitié se muait en quelque chose de différent. En quelque chose de plus gros. C'était là que le concept devenait étrange pour moi. Cela faisait depuis belle lurette que nous étions bien plus que des amis. Meilleurs amis, âmes sœurs, ou que sais-je, mais notre lien était plus fort, plus profond. Au fond, je le savais, je le ferais toujours passer avant tous les autres. Il était plus important que les autres. Louis partageait ma vie depuis bientôt une dizaine d'années. Et ça, personne ne pouvait l'effacer ou me le faire oublier. Et pour l'heure, j'en étais heureuse. Non, rectification, j'en serais heureuse demain, après demain et pour le reste de ma vie.

Les amitiés vont et viennent, c'était un fait. Avais-je le droit de penser que la nôtre était différente ? 

* * *

Je ne vais pas vous mentir, cette partie là était un véritable challenge ! Je n'avais pas écrit autant avec un perso féminin depuis des années, et jamais à la première personne. Et pourtant, pour Maya, j'y tenais ! Alors oui, en apparence, certain.es vont peut-être se dire qu'il ne se passe pas grand chose dans ce chapitre... Détrompez-vous. D'abord, parce que vous avez enfin les background du personnage de Maya, présente depuis la première ligne de cette fiction, et  que j'avais tellement hâte de vous partager son point de vue ! ♥ Et puis, comme pour les deux premiers interludes, je lance par ci, par là, les prochaines thématiques de la seconde grosse partie de la fiction, et les prochains plot hé hé ~  

En dehors de ça, écrire avec Maya a été vraiment cool pour moi, puisque je partage un paquet de point commun avec ce perso xD On se dit à très vite pour la suite, si je m'applique et que je suis raisonnable, je devrais poster la fin de l'interlude la semaine prochaine ! 

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