𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑙𝑢𝑑𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑜𝑢𝑖𝑠

° ° °

Septembre 2019.
Ambre mâchouillait encore un de mes stylos quand Inès fit irruption dans ma chambre, en petite tenue, une serviette humide nouée sur la tête.

– Inès...
– Oh merde, j'avais pas capté que la gamine était là !
– Que...

Non, je voulais parler de moi, pas de la petite Ambre, un an, allongée sur mon lit qui détruisait littéralement tout le contenu de ma trousse. Inès avait un chic pour toujours se balader en petite culotte et soutien-gorge dans notre coloc, comme si de rien était. Je l'avais appris à mes dépens, et cela, dès la première semaine de notre aménagement. Maya ne disait rien, parce qu'elle n'en avait rien à faire, mais moi.... Et moi alors ? 

– Merde, habille toi !

Mais ma colocataire leva les yeux au ciel et tapota la tête de la petite fille, le regard empli de douceur.

– J'viens chercher des feuilles, j'en ai plus.
– On a commencé les cours il y a même pas un mois ! Et bon sang, enfile quelque chose s'il te plaît !
– Rooh ça va !

Je soupirai, parce que je le savais très bien : Inès partait du principe que puisque j'aimais les garçons et que j'avais un petit ami (certes à l'autre bout du monde pour les mois à venir), elle n'avait pas de crainte à avoir sur le fait de se balader en tenue pareille chez nous. En réalité... Non, ça ne me gênait pas c'était juste... étrange. De nous voir si proche, après seulement un mois et deux semaines de colocation.

Parce que nous en étions bel et bien là. Nous avions emménagé depuis plusieurs semaines, Inès, Maya et moi dans notre colocation et ma vie avait radicalement changé. J'adorais mes deux colocataires. D'abord, parce que l'une d'elle était ma meilleure amie et que cela n'avait pas de prix. Ensuite, parce que nous nous entendions bien sur l'organisation de notre cohabitation, que tout le monde avait trouvé les tâches dans lesquelles ils étaient plus ou moins doué, et que notre rythme de vie était bon. Inès et moi nous rendions à la faculté ensemble, puisque nous faisons cours sur le même campus. Maya, quant à elle, prenait la direction opposée pour se rendre dans son école d'art, près des quais.

Très vite l'appartement dans lequel nous vivions tous ensemble s'était imprégné de notre personnalité. Il n'avait pas fallu longtemps à Maya pour afficher fièrement son immense poster de Harry Potter dans sa chambre, suivi de tous ses croquis qu'elle faisait pour son école. Inès avait tenu à ce que l'endroit soit chaleureux et avait tout simplement disposé plusieurs petites plantes vertes dans chaque pièce, dont elle prenait plaisir à s'occuper tous les jours. Je n'étais pas en reste, de mon côté ma chambre était vite devenue en bazar, et à chaque fois que Eden y mettait les pieds, je le sentais à deux doigts de la crise de panique.

Oui, parce que depuis que nous avions emménagé, Eden squattait l'appartement souvent. Trop souvent aux yeux d'Inès. Pour ma part, j'adorais le recevoir, surtout que Eden s'appliquait à nous ramener de la bouffe à chaque fois qu'il passait le pas de notre porte. Un invité en or.

– Ils viennent récupérer la petite à quelle heure ?

J'attrapais Ambre pour l'asseoir sur mes genoux, et l'éloigner de mon ordinateur, posé de manière assez bancale sur le bord de mon lit.

– D'ici une petite heure.

Il était assez exceptionnel que je garde Ambre en week-end, une fois que je sortis du boulot. Mais j'adorais cette gamine, je vouais un culte à l'un de ses pères, et je n'avais pas pu refuser. Ambre avait un an tout juste, et j'en étais dingue. En temps normal, les enfants me tapaient sur le système, mais elle... C'était complètement différent. Cette gamine pouvait me faire céder pour à peu près tout et n'importe quoi, et ses pères l'avaient parfaitement compris : j'étais son baby-sitter attitré depuis cet été. J'avais passé des heures à lui lire des histoires (qu'au début, j'avais trouvé très niaise, mais qu'au final, je m'étais surpris à apprécier.), à faire des puzzle pour enfants en bas âge. Pire, je m'étais même surpris à adoré jouer à deux jeux pour gosses de moins de trois ans. Inès n'était pas en reste elle aussi. Quand elle se trouvait à la coloc les heures où je gardais la petite Ambre, elle ne se faisait pas prier pour nous rejoindre et s'amuser avec nous. 

– Il y a une convo dans ta piaule Louis ?

Maya venait d'apparaître dans l'encadrement de ma porte de chambre. Elle avait de la peinture dans les cheveux, sur les bras et sur son jean. 

– Pourquoi t'es encore à poil toi ? lança t-elle en haussant les sourcils.
– Vous m'faite chier tous les deux !, se plaignit Inès.

Maya rigola et s'avança vers moi avant de m'ôter la gamine des bras. Ambre rigola, amusée par les tours « d'avion » que lui faisait faire Maya. 

– Louis, c'est toi qui lui a fait ses couettes ridicules ?
– Non.

Maya leva les yeux au ciel parce qu'elle savait très bien que si. Mais c'était plus fort que moi, dans les affaires que mon ancien professeur d'histoire me laissait, il y avait toujours une flopée d'habits, de chouchou et autres barrettes adorables que j'avais envie de lui coller sur la tête. 

– Bon, je vais taffer moi. Amusez-vous bien ! fit Inès en quittant ma chambre, un de mes stocks de feuilles petit carreaux dans les mains.

Ce soir-là, Daniel arriva un peu plus tard que d'habitude pour récupérer sa fille. Il prit de mes nouvelles, de celle de mes « deux adorables colocataires », comme il se plaisait à les nommer, et me passa le bonjour de son compagnon. Depuis la fin du lycée, j'étais resté en contact avec ce dernier. Il me savait en fac d'histoire, et je ne me faisais jamais prier pour lui demander conseil. De son côté, il adorait me raconter les anecdotes de sa nouvelle classe, dans laquelle il avait eu la joie de retrouver deux de mes anciens camarades. 

– Tu es toujours libre pour mardi soir ? me demanda Daniel.
– Évidemment !
– Génial, merci beaucoup Louis.

Je le regardais s'éloigner, sa fille endormie dans ses bras.

Je traînais un peu des pieds avant de retourner dans ma chambre et de m'affaler sur mon lit. Le début de licence d'histoire avait démarré sur les chapeaux de roues. D'accord, j'avais un peu sous-estimé la fac et l'enseignement qui y était dispensé. Il fallait dire que les élèves de fac se traînaient cette salle réputation de branleurs. Je tenais donc à rectifier ce point immédiatement : pas dans ma licence. J'avais commencé les cours début septembre (et j'avais râlé, car Inès avait débuté deux semaines plus tard que moi) et je croulais sous les devoirs. Les devoirs pour chaque matière, les devoirs à rendre les exposés à préparer pour d'en à peine un mois... J'avais comme la vague impression de m'être royalement fait avoir en choisissant ce genre d'étude.

Pour ce qui était de la vie sur le campus... J'avais mis un temps fou à trouver la bibliothèque d'histoire et histoire des arts. Il fallait dire qu'elle avait donné du fil à retordre à toutes les premières années. Coincé au cinquième étage du bâtiment H, accessible que d'un seul côté du bâtiment, et aux prix d'un effort surhumain pour escalader des escaliers sans fin. Très vite, j'avais vite pris le pli de prendre l'ascenseur, certes ancestral et qui menaçait de lâcher à chaque instant, mais qui m'évitait d'arriver en nage à la bibliothèque. J'aimais assez bien cet endroit. Non, il n'était pas silencieux car il y avait toujours un petit groupe d'étudiant pour faire plus de bruit que la moyenne. Cependant, je m'y sentais à l'aise, coincé entre deux rayons de bouquins qui traitaient de la peste noire d'un côté, et des crashs boursiers de l'autre.

La fac en elle-même n'avait pas changé du tout. Elle était toujours aussi triste, toujours aussi moche malgré les tentatives désespérées de tout un tas d'étudiants de rendre ça plus conviviale. En vain. Je me nourrissais excessivement mal depuis que j'y étais, car les frites à chaque repas me faisait plus de l'œil que le reste. Ce qui m'avait valu un tas de réprimandes de la part de Eden. Heureusement, je n'avais pas arrêté le sport pour autant. Je faisais moins de volley que l'an passé, mais je n'avais pas pu me résoudre à arrêter, malgré mon emploi du temps chargé. Et pour cette année, j'avais même réussi à traîner Eden avec moi. Et j'avais bien fait : Eden était devenu l'une de mes motivations pour m'y rendre, les jours où j'en manquais grandement.

Ce fut le bruit émanant de mon ordinateur (dans lequel j'avais investi en début d'année, disant adieu à quelques-unes de mes économies) qui me ramena sur terre. Il était vingt-heures, nous avions mangé une pizza avec les filles, et j'avais tenté de finir quelques recherches pour mon cours d'histoire contemporaine, en vain. La fatigue m'avait rattrapé, et j'avais manqué de louper mon rendez-vous avec Adel. C'était LE moment que j'attendais le plus de la semaine. Il était vingt-deux heures chez nous, sept heures du matin chez lui, mais j'étais toujours prêt quand il s'agissait de le voir. Je branchais mes écouteurs à la hâte et ouvris la petite fenêtre vidéo où son visage m'apparut en gros plan. Aussitôt, j'esquissai un sourire presque béat, trop heureux d'enfin le revoir. Adel et moi tenions à nous parler le plus souvent possible de cette manière là. En moyenne, c'était trois ou quatre fois par semaine, en plus des messages journaliers que nous nous envoyions. 

– Salut toi !

J'avais envie de le serrer dans mes bras. Il me manquait atrocement, bien que je m'appliquais à ne rien laisser paraître devant lui, et son absence se faisait clairement ressentir dans ma vie. Devant moi, le visage souriant, mais un poil fatigué de Adel bougea plusieurs fois jusqu'à trouver le bon angle de caméra. 

– Je t'empêche encore d'aller dormir, hein ?
– Et moi, je te réveille encore aux aurores en plein week-end ? 

Il haussa les épaules en souriant.

– Comment ça se passe là-bas ?
– J'ai commencé mes cours et... ouah. Ça n'a tellement rien à voir avec les cours dispensés à la fac, tu verrais ça...
– À ce point ?
– Si tu savais... Ah, et je vais douiller pour me faire des potes aussi, pour le moment, les gens me regardent plus de travers qu'autre chose.

Je haussais les sourcils, surpris.

– J'en intrigue certains, et d'autre... Bah, la Corée, tu sais... Ils ont vite vu que je n'étais pas cent pour-cent coréen ! rigola-t-il. Et toi ? Tu as réussi à braver ton trauma à propos de ton prof de moderne ?
– Ne m'en parle pas, il est effrayant...

De l'autre côté de l'écran, Adel rigola. 

– Les bons profs sont souvent les plus effrayants au départ, tu sais !
– Tu dis ça, parce qu'il n'est pas en face de toi...

Voir Adel me faisait un bien fou. Depuis qu'il était en Corée du sud, il avait laissé pousser un peu ses cheveux, mais, rien que pour m'embêter, à chacune de nos discussions, il s'appliquait à mettre ses fameuses petites barrettes plates qui ne le quittaient pas pour relever sa frange trop longues. Il était ridicule à souhait, mais je l'aimais quand même. Il m'avait confié un peu plus tôt dans la semaine vouloir changer de couleur de cheveux, et j'avais pris peur, sans pour autant lui interdire formellement. De toute façon, il n'en ferait qu'à sa tête, et je le savais pertinemment. 

– Comment vont les filles ?
– Oh, tu sais, Maya croule déjà sous tous les rendus qu'elle doit à l'école. Elle a redécoré toute sa chambre et je crois que toutes ses affaires sont tâchées de peinture maintenant. Mais elle adore ce qu'elle fait, vraiment, et je crois qu'elle a déjà réussi à sympathiser avec quelques personnes de sa classe.
– Tu t'en faisais vraiment pour ça ?
– Elle était étrange en début d'année tu sais... j'ai eu l'impression de la voir perdre toute sa confiance en elle.
– Le stress de débuter quelque chose de nouveau sans doute...
– Mmh, oui, peut-être. Et Inès... Inès ne fout rien. Enfin, j'veux dire, c'est pas juste, son emploi du temps, c'est le mien, divisé par deux ! Par deux ! Quelle injustice !

Adel éclata de rire passa une main dans ses cheveux.

Il y eut un bref instant de blanc entre nous, et je repris un air plus grave.

– Sinon... tu me manques, murmurais-je.
– Je sais.
– Hé ! Tu aurais pu répondre « moi aussi », espèce de copain ingrat !

Adel pouffa quand une voix s'éleva derrière lui.

– Je dois filer, halmeoni* m'appelle !
– Adel ?
– Je t'aime aussi Louis.

Et je me retrouvais de nouveau à sourire bêtement devant mon écran. 

Il était grand temps pour moi de dormir, pourtant, comme chaque soir où Adel et moi parlions, je fus incapable de trouver le sommeil rapidement. Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que peut-être, la vie là-bas lui convenait mieux qu'en France et que peut-être, il allait décider d'y rester plus longtemps. C'était une crainte que j'avais, et cela, même après qu'il m'ait assuré à plusieurs reprises que ce n'était pas le cas. Mais il aimait ce pays, et il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Il m'envoyait chaque jour des clichés pris à différent endroit de la ville où il vivait. Adel était comme un gosse qui découvrait la vie, mais à l'autre bout du monde, dans un pays qu'il aimait profondément. Parfois, je me surprenais à penser que j'avais envie d'être avec lui, et de vivre toutes ses choses à ses côtés. Et puis la réalité me percutait de plein fouet : ce n'était ni le moment de partir vivre à l'autre bout du monde, je n'avais pas les moyens et... hormis vivoter pendant des mois, je n'avais pas de réelles motivations pour m'y rendre.

Et puis venait cette deuxième phase avant mon sommeil, celle où je me ressassais les bons et derniers moments passés ensemble. Sa voix me manquait. Sa vraie voix. Pas celle que j'entendais par-delà nos écrans de portable ou d'ordinateur. Son corps aussi me manquait atrocement. Moi qui n'étais pas une personne tactile de nature, ou friand de câlins, ceux de Adel me manquait. Ses caresses dans ma nuque pour me détendre, son corps tout près du mien, nos nuits amoureuses... J'étais en manque de lui, très clairement. Et cela ne faisait même pas deux mois. J'étais foutu. 

* * *

– Est-ce que tu as compris ce qu'il attendait de nous ?

Je jetais un regard désabusé à ma camarade de classe qui s'était penchée sur moi, me demandant clairement à l'aise. Flora avait l'air perdue, mais elle ne pouvait pas l'être plus que moi. Notre professeur nous avait une nouvelle fois demandé l'impossible à réaliser en deux jours, et nous nous sentions tous les deux complètement dépassé.

Flora et moi avions atterri dans la même classe et les mêmes travaux dirigés le premier jour. Nous nous étions assis l'un à côté de l'autre un peu par hasard, moi parce que j'avais envie d'être au premier rang pour ne pas me laisse distraire, et elle parce qu'elle cherchait une place dans une classe décidément trop bondée. Flora était timide. J'avais l'impression de me revoir, au tout début du lycée, c'était pour dire. Mais tous les deux, nous avions rapidement accroché. En fait, nous étions devenus de véritables camarades de classe à la fin de la troisième semaine de cours, lorsqu'il avait fallu choisir un groupe ou un binôme pour réaliser des exposés dans la plupart de nos cours. Flora s'était imposé à moi comme une évidence, il en avait été de même pour elle, et depuis, nous étions toujours fourrés ensemble à la fac. Flora était une fille sympa, et j'étais persuadé qu'elle se serait entendue à merveille avec Adel. D'ailleurs, quand ce dernier m'avait interrogé sur mes camarades de classe, je n'avais parlé que d'elle. C'était la seule sur laquelle je m'étais attardé. En bon physionomiste que j'étais, je connaissais par cœur les visages des gens de ma classe, mais je n'avais jamais vraiment chercher à aller vers eux. Le midi, je mangeais avec Flora et Inès, quand les horaires de cette dernière coïncidaient avec les nôtres, et je bossais avec Flora à la bibliothèque. 

– Pas le moins du monde...
– Bon.
– On improvisera ?
– J'essaierais de voir ce que fait l'élu.

L'élu, c'était le surnom que toute notre promo avait donné à cet élève qui avait déjà trois ans de maturité de plus que nous et d'avance sur le programme. Loin d'avoir pris la grosse tête (béni soit-il), il se faisait une joie d'éclairer les pauvres gueux que nous étions, qui ne pipaient mots pendant les cours de méthodologie historique. 

– On mange où ce midi ?
– Veracruz ?

J'adorais le dire avec mon accent espagnol tout moisi. Il fallait dire que le nom de notre restaurant universitaire donnait envie de le faire. Sur le campus, nous avions franchement le choix pour nous restaurer, mais avec Flora, nous allions toujours au même endroit. Moins de queue, qualité de panini franchement meilleur et frites. Les autres restaurants ne faisaient pas le poids.

Ce fut donc le sourire aux lèvres, en débattant sur l'utilité de notre dernier cours que nous nous rendîmes au Veracruz. Nous profitions des derniers beaux jours chaud et ensoleillés de ce mois de septembre pour nous poser dans l'herbe après avoir commandé nos sandwiches et nos boissons. J'adorais manger ainsi entre midi et deux. Nos repas avaient des airs de pique-nique, devant cette grande pelouse qui faisait face à l'imposante bibliothèque de droit et d'histoire. 

– Eh, dis moi Louis, j'ai une question...
– Mmh ?

J'étais allongé dans l'herbe, un bras pour couvrir mes yeux. 

– Maya, dont tu me parles souvent...
– Ma coloc, et ma meilleure amie.
– Ah !

Flora tapa du point dans sa main et son visage s'illumina. Je me redressais sur un coude, amusé.

– Tu as cru que nous étions ensemble, hein ?
– Complètement.
– Tu n'es pas la première à le penser, rigolais-je.
– Je sais pas, c'est la manière que tu as de parler d'elle, ça m'a induite en erreur !

Elle passa une main dans ses boucles brunes qui lui descendaient jusqu'à la taille.

– Je sais, c'est comme ça depuis des années.
– On me le faisait aussi avant, avec un très bon ami à moi.
– Plus maintenant ?
– Nous nous sommes... Perdus de vue, je dirais.
– Oh, je suis désolé...
– Ne le sois pas, c'était un connard fini.
– Ah...

Flora rigola et ajusta ses lunettes de soleil sur son petit nez adorable. Je ne la connaissais pas encore assez bien pour savoir ce à quoi elle pouvait bien penser en ce moment même, mais il fallait être aveugle (ou idiot) pour ne pas se rendre compte qu'elle était peiné. 

– Oh, ne sois pas triste. Il faut savoir quitter les gens qui nous sont toxiques avant qu'il ne nous étouffe pour de bon...
– Je comprends.

Mes pensées se dirigèrent d'elles-mêmes vers Sixtine, Clara et Inès. Encore aujourd'hui, j'étais si fier de mon amie qui avait su se séparer de ces deux vipères. À ce moment-là, mon téléphone sonna, et quelle ne fut pas ma surprise quand je vis le nom de mon petit ami s'afficher sur l'écran. Je m'empressai de décrocher, le cœur battant à tout rompre. Je jetai un regard rapide à ma montre, pour calculer l'heure qu'il était chez lui. Vingt-et-une heures.

« – Annyeonghaseyo !
Hola chico, como esta ? »

J'adorais lui répondre dans une langue complètement à côté de la plaque. Et puisque j'avais un peu honte de mon accent anglais – et que le sien était irréprochable – j'optais toujours pour l'espagnol. Et ça le faisait rire.

« – Tu ne dors toujours pas ?
– Lou, il est juste vingt-et-une heure.. »

Je rigolais, sous le regard attentif de mon ami. Depuis qu'il avait déménagé à l'autre bout du monde, Adel adorait m'appeler Lou. Et je préférais ça à tous les surnoms clichés et ridicules que certains couples se donnaient. Les « mon chéri », « mon lapin », « mon cœur » et autres niaiseries, nous nous les réservions quand nous voulions rire un bon coup, ou nous mettre dans l'embarras.

« – Que me vaut l'honneur de cet appel ?
– J'avais juste envie de t'entendre.
– C'est tout ?
– Comment ça, c'est tout !
– Il y a autre chose, je te connais.
Ok. Il se pourrait que j'ai eu besoin de fuir un gars trop collant. Et j'me suis réfugié sur la terrasse du bar où je suis pour te parler, parce que malgré mes moues et mon visage pas commode, il a tenté dix fois sa chance aujourd'hui. »

J'ouvris de grands yeux. Est-ce que, par pur hasard, un foutu coréen tentait à l'autre bout du monde de draguer mon copain ? J'avais envie de lui refaire le portrait à distance.

« – Normalement tes regards noirs suffisent...
– Ouais. Je tenterais de nouveau à l'occasion.
– Hé ! Il n'a pas intérêt à recommencer ! Dis lui que tu es déjà pris, non mais.
– Lou, t'es adorable.
– Je... je ne suis pas adorable, je suis jaloux, c'est différent.
– Et tu le reconnais en plus... Je sais que tu es jaloux, mais honnêtement ? Tu n'as aucune raison de t'en faire. Et puis, je suis sûr que tu as du succès aussi de ton côté.
– Pfft, bien sûr que non.
– Bien sûr que si, c'est juste que je suis persuadé que tu ne vois pas les mecs qui te relooke dans les couloirs..., fit-il en rigolant.
– Mais arrête Adel ! T'es con ma parole... Et puis, c'pas comme si je portais une pancarte « bonjour, je suis gay » autour du cou, comment les gens pourraient savoir ! »

Flora, toujours en face de moi ouvrit de grands yeux. Merde. L'espace d'un instant, j'avais complètement oublié sa présence ici.

« – Les gens n'ont pas besoin de savoir pour tenter leur chance ! »

Adel était mort de rire à l'autre bout du fil. Sans doute parce que, une fois de plus, je bafouillais, je m'emmêlais les pinceaux et qu'il devait trouver ça, je cite, tellement adorable. Flora continuait de me regarder avec ce drôle de regard insistant, ne cessant de me rappeler ma boulette et je me mis à rougir sans retenu pendant que Adel continuait de me débiter des conneries au téléphone.

Le Louis de l'an dernier aurait été mort de gêne à cause de ce qu'elle avait entendu. Le Louis que j'étais à présent était mort de gêne à cause de la manière dont j'avais balancé la chose. Disons que... J'aurais pu être plus subtil. Et puis, je ne pouvais pas m'en empêcher, j'avais toujours cette crainte d'être jugé et détesté. C'était tout bête, mais je n'avais toujours pas réussi à passer au-delà de ça.

Notre appel dura encore cinq bonnes minutes, et quand nous finîmes par raccrocher, je ne sus plus où poser les yeux. 

– Louis ?
– Mmh ?
– Il a un prénom original.

Je penchais légèrement la tête sur le côté, étonné. Adel ? Je m'y étais fait depuis le temps, mais Flora venait de me remémorer que c'était l'une des premières remarques que je m'étais faites lorsque Eden nous avait présentés, en septembre dernier. 

– Attend, rassure moi..., continua-t-elle d'un air doux.

J'avais peur de ce qui allait suivre.

– Tu penses que je suis en train de te juger ?
– Non.

Si. Carrément même. Ce n'est pas ce que tu fais ? pensais-je aussitôt. 

– Je serais une sacré trou du cul.

J'étouffais un rire, jouant nerveusement avec l'emballage de mon sandwich.

– Et j'vais même te dire un truc, j'me sens tellement soulagée maintenant de m'être rapproché de toi...

Allait-elle me sortir le coup du puisque tu es gay, je ne risque pas de me faire draguer lourdement par toi, ha ha, qu'est-ce que je suis drôle ! Non, parce qu'on me l'avait fait une fois cet été, à une fête que Inès avait organisé, et je n'avais pas pu m'empêcher de lever les yeux au ciel, exaspéré. 

– A-ah bon ?
– Oui. Tu n'imagines pas les efforts que je fais pour ne pas mentionner ma copine chaque jour. On ne sait jamais comment les gens vont réagir, et dans le doute, je reste très discrète. Mais maintenant que je sais, toi et moi, on est dans le même bateau... 

Elle leva sa main pour que je tape avec la mienne, et je m'exécutais, abasourdis. 

– Oh je... pensais pas que tu... 

Flora se releva et épousseta son pantalon en toile pour enlever les miettes. Elle attacha sa longue tignasse en une queue de cheveux haute et soupira.

– Ôte toi de la tête tous les clichés sur les couples lesbiens mon petit. Je suppose que tu ne supportes pas ceux non plus sur les couples homo, n'est-ce pas ?

Je secouais la tête et éclatais de rire. Flora me tendit une main pour m'aider à me relever, radieuse. D'accord, je venais clairement de tomber sur une perle. Et pour une fois, j'en prenais conscience plutôt rapidement. 

* * *


Octobre 2019.
L'automne nous tomba dessus sans que personne ne le voie venir, avec lui les pluies bordelaises que je détestais tant, les premiers coups de froid, la chaleur moite et les feuilles qui collaient aux trottoirs et faisaient glisser les passants un peu trop pressés dans les grandes artères de la ville. Comme tous les samedi (et les dimanche) je me rendais d'un pas pressé sur mon lieu de travail. Mon contrat se terminait normalement à la fin de ce mois-ci, mais j'avais eu la chance de pouvoir le renouveler jusqu'en janvier prochain. Il fallait dire que ce job me plaisait, et cela, pour deux raisons : mes horaires plutôt sympathiques puisque je commençais à dix heures le matin, et finissais à dix-sept heures le soir, et le fait que je m'en foutais pas une. C'était de loin le job le plus relaxant du monde, pour quelqu'un qui aimait les musées et l'histoire. J'étais surveillant de salle au musée d'Aquitaine, et la seule contrainte que j'avais avec ce job étudiant, c'était la tenue à avoir. Mais concrètement, je passais mes week-ends à déambuler entre les vieux pots et autres tableaux du musée, à lire chaque étiquette, chaque explication et à élever la voix dès que je voyais un gosse toucher les statues, ou un touriste prendre des photos avec son maudit flash.

Quand j'étais de corvée vestiaires, entendez par là que je surveillais les casiers où les gens entreposaient leur sac, j'étais coincé derrière un bureau plutôt inconfortable. Mais l'avantage était que je pouvais lire, tant que je restais discret. Et cela, je ne m'en privais jamais. Je n'avais jamais autant lu depuis mon embauche au musée. En clair, ce taf me plaisait.

Ce samedi donc, j'étais au premier étage, à surveiller toute l'exposition sur l'esclavagisme quand je les vis. Eux. Les derniers sur lesquels je m'attendais à tomber dans un musée. C'était peut-être méchant de penser ainsi, mais croyez moi, revoir Blaise et Julien penchés sur les vitrines de l'exposition me fit quelque chose. Aussitôt, je reculais, de peur qu'il ne me voit, et me planquais derrière l'un des murs de la salle. Bon sang. Merde. Blaise et Julien. Tous mes vieux démons revenaient de refaire surface. À quel moment ces deux-là faisaient la tournée des musées ? Ça n'avait aucun sens. Aucun. Putain. De. Sens. Et j'avais peur qu'ils me voient. C'était idiot, mais il y avait toujours en moi, cette part du petit Louis de l'an passé, effrayé par les agissements des deux garçons. 

– Tu as tout ce qu'il te faut Julien, c'est bon ? fit la voix traînante de Blaise.
– Puisque nous y sommes, on peut terminer le musée, non ?
– Tss... si tu veux.
– Cool !

Merde, merde, ils allaient venir vers moi, c'était sûr... Je pressais le pas pour changer de salle, et demandais gentiment à l'autre surveillant, du même âge que moi, de changer nos positionnements. Ce dernier, qui n'en pouvait plus de rester debout planté devant sa maquette de bateau, accepta avec joie. Je me mis à l'abri des caméras (à force, je connaissais les bons angles) et envoyais un message à Maya.

« Tu ne vas jamais croire qui je viens de voir au musée. »

« Vas-y, balance ? XD »

« Blaise. Et Julien. »

« Wtf. T'es sûr que ce n'était pas leur clone ? »

« Non... Je crois que Julien est là pour un projet... Tu sais ce qu'il fait cette année ? »

« Il est à la fac aussi, je crois, mais aucune idée de quoi. Et Blaise est en face de chez-toi lol. Il est en droit. »

Bien entendu. Qu'il eut fait commerce, droit ou médecine, aucun des trois ne m'aurait étonné. Sa mère l'aurait sans nul doute étripé vivant s'il avait osé choisir une autre option que ces trois-là. Des bruits de pas me firent relever la tête et j'avançais un peu plus loin. Ils allaient vite dans leur visite les cons. Je soupirais. Je pouvais toujours traverser et encore demander à échanger ma place avec la surveillante de la salle suivante, mais.... Ce n'était un secret pour aucun des étudiants embauché ici que c'était une vieille conne qui respectait les heures et les changements de poste scrupuleusement. J'allais devoir les affronter. Et merde. 

– T'as vu, c'est drôlement joli !

La voix de Julien me fit sourire. Au moins, il semblait apprécier sa visite. J'imaginais sans mal l'air totalement mort de Blaise à ses côtés.

– Oh, aller, arrête de bouder, t'es chiant mon gars.

Et ce fut plus fort que moi, je ne pus m'empêcher de tendre l'oreille, et d'écouter les voix qui se rapprocher. 

– Putain, me touche pas Julien.
– J'ai... j'ai rien fait.
– Joue pas à ça. Pas en public. Aller, on trace.

Et dix secondes plus tard, nos regards se croisèrent.


Blaise me détailla de ma tête aux pieds.

Julien se mordit violemment la lèvre inférieure et détourna le regard, soudain extrêmement gêné.

Et moi, je ne pouvais pas l'être plus que lui. Parce que je n'avais aucune idée de comment interpréter ce que j'avais entendu. 

– Tu fous quoi ici toi ?
– Je travailles ici. Bonjour à toi aussi Blaise. Ça fait un bail, répondais-je sans me démonter.
– Salut Louis..., murmura Julien.

Blaise lui donna un coup de coude, agacé.

– Vous... Vous allez bien sinon ? Comment se passent vos études ?

Je n'avais aucune idée de pourquoi je leur posais cette question. Parce que j'étais trop gentil, sans doute ? Blaise me fit les yeux rond, et ce fut Julien qui me répondit, merci à lui.

– Moi, ça va ! Je suis en journalisme cette année, dans la même fac que toi. Je... Je crois que ouais, je t'ai déjà vu dans les couloirs.

J'essayais d'ignorer les regards noirs que Blaise lançait à son pote, et répondis, avec plus ou moins d'enthousiasme.

– Oh, c'est super !
– Et Blaise est en droit. Et toi ? J'ai vu sur insta que tu étais en coloc avec Inès, ça me fait tout drôle...
– En histoire. Et ouais c'est... particulier, mais ça. Je vis aussi avec Maya.
– Oh, génial !

Blaise restait de marbre et assistait à notre échange sans souffler un seul mot. D'ailleurs, je n'étais même pas sûr de l'avoir vu cligner des yeux depuis que nous avions commencé.

– Euh... et Eden ?

J'étais surpris qu'il me parle de Eden. Au fond, Julien était le premier à avoir montré de véritable remord à ce qu'il lui avait fait subir. Il s'était confondu en excuse tant de fois que j'avais arrêté d'y penser. Il était même jusqu'à aller s'excuser devant les parents de Eden en personne. 

– Ça va, il est à fond dans ses trucs informatiques, je n'y connais rien du tout... Mais ça lui plaît.
– On y va Julien, trancha Blaise.

Et sans ménagement, il l'attrapa par la veste et le tira en avant.

– À plus Louis !
– Salut Julien !

Scène surréaliste, je lui adressai un petit salut de la main, souriant. Mais le regard noir que Blaise me lança en suivant me fit froid dans le dos. Parce que pour la première fois, ce n'était pas pour moi ou Eden que j'avais peur. Mais pour l'autre garçon qui était à ses côtés depuis des années. 


* * *

Évidemment, je n'avais pas pu m'empêcher de parler de mes drôles de retrouvailles à Eden, lors de notre entraînement de volley, le soir même. Ce dernier m'avait regardé avec des yeux ronds, une fois dans les vestiaires.

– T'es sérieux ?
– Oh que oui.

Il posa son gros sac de sport sur notre banc et en sortit ses affaires propres. 

– Tu as bien entendu ?
– Comme je t'entends en ce moment même.

À ce moment-là, Eden esquissa un sourire et ricana. Je le regardais un peu perplexe, et il haussa les épaules.

– Tu te souviens de ce que je t'avais dit ?
– Quand ?
– Après notre tour en grande roue, chapitre trente-six de nos épopées ?
– Comment pourrais-je oublier ce tour de manège..., râlais-je dans ma barbe inexistante.
– Du coup ?
– On avait croisé Blaise et Julien, et alors ? 

Eden soupira exagérément et me donna une tape sur le crâne. Et puis... Les mots qu'il avait prononcés à ce moment-là me revirent et j'ouvris de grands yeux.

– Oh bordel. Tu savais.
– Je te l'avais dit, fit-il en levant les épaules, fier de lui. 

Il enfila un tee-shirt tandis que je restais bouche bée, oubliant au passage de me rhabiller entièrement. Isaac fit irruption, nous dévisagea rapidement avant de se changer à son tour. 

– Attend, mais comment tu savais que... potentiellement...
– Ce n'est pas potentiellement, Louis. J'ai un radar à homos refoulés, j'te l'ai déjà dit, non ?, rigola-t-il. 

À ce moment-là, Isaac piqua un fard et Eden détourna le regard, gêné. 

– Enfin bref, j'avais raison.
– Monsieur est satisfait ? pouffais-je.
– Totalement. 

Isaac quitta les vestiaires à la va-vite et Eden arrêta de sourire, avant de se tourner vers moi, confus.

À chaque fois que ces deux-là se retrouvaient dans la même pièce, j'étais un peu gêné moi aussi. Pendant nos entraînements, ou les rares sorties que nous faisions en équipe le soir, pour aller boire des verres, Eden et Isaac avaient l'air de deux excellents potes. Cependant, je savais que mon ami rêvait toujours de plus concernant leur relation. Mais pour une raison qui m'échappait, malgré mes conseils de cet été, il ne s'était toujours pas jeté à l'eau. Et Isaac faisait de même. Pourtant, j'étais persuadé qu'entre eux, cela pouvait fonctionner. 

– C'est quoi ce regard Louis ? soupira-t-il.
– Rien rien...
– Ce n'est pas rien, dis-le...
– Il s'est passé un truc ?

Parce que oui, voilà, depuis une ou deux semaines, quelque chose avait changé. D'abord, il n'y avait plus aucun contact physique entre eux. Eden était du genre tactile avec tous ses amis (hélas pour moi) et il en était de même pour Isaac. Cependant, à présent, il n'y avait plus rien. 

– J'ai... j'ai fait une connerie je crois.

J'enfilais enfin mon tee-shirt, puis mon sweat-shirt avant de m'asseoir sur l'un des bancs de notre vestiaire. Nous étions les derniers à nous changer, j'avais tout mon temps pour entendre son histoire, et personne ne risquait de nous surprendre ici.

– Tu vas me trouver super con...
– Balance Eden.
– Tu sais, mardi dernier ? On est rentré avec le même tram, avant de se séparer pour prendre chacun nos bus. Et... On a vu un couple s'engueuler vraiment fort sur les quais. Et je lui ait balancé que ça, c'était une des raisons pour laquelle je ne regrettais pas de ne plus être en couple. Et que je ne cherchais pas à l'être de toute façon.
– Eden...

J'eus envie d'enfouir mon visage dans mes mains, dépité par ce que je venais d'entendre.

– Je sais pas pourquoi j'ai rajouté cette phrase à la fin ! Je sais, pas je suis trop con putain...
Moi, je savais très bien pourquoi, c'était typiquement le genre de phrase que l'on disait pour se sentir mieux, se rassurer, surtout, surtout, à côté de notre crush. Dans ces moments-là, nous étions tous bêtes.
– Il m'a regardé bizarrement et... on a plus trop parlé pendant le trajet. Je crois que je l'ai repoussé sans le savoir...
– Je crois aussi...
– Raaah, je suis vraiment bête !

Pris d'un élan de compassion, je lui tapotais l'épaule, désolé pour lui. Mais je ne savais pas quoi lui répondre. L'histoire de Isaac et Eden m'échappait totalement, je devais bien l'admettre. Je ne comprenais toujours pas comment ces deux-là fonctionnaient. Avec Isaac j'avais l'impression que Eden marchait sur des œufs en permanence. Il me l'avait confié plus d'une fois, quand ils se retrouvaient seuls tous les deux, il doutait sur la manière de se comporter. Depuis des mois Eden lui tournait autour, j'avais comme l'impression qu'Isaac faisait de même, mais aucun des deux ne s'étaient décidés à se lancer pour de bon.  

– J'peux squatter chez toi ce soir ?
– Bien sûr !

J'avais l'impression que Eden avait besoin d'avoir le moral remonté. Et heureusement pour lui, j'avais deux colocataires qui excellaient dans le domaine. 

* * *

Novembre 2019.
Inès courrait partout dans notre coloc, s'assurant que tout était fin prêt pour notre petite soirée. Eden était en grande discussion avec Maya sur le canapé rouge bordeaux, et visiblement, ces deux-là semblait à fond dans leur débat, personne ne semblait pouvoir les interrompre. J'avais invité Flora, puisque Maya me tannait depuis des semaines pour la rencontrer. Et Eden aussi. Je suivis Inès dans la cuisine, qui venait de disposer les pizzas sur notre petite table et lui posais une main sur l'épaule.

– Hé, calme toi...
– Elle vient à quelle heure ?

Je jetai un coup d'œil à ma montre avant de répondre. 

– Elle devrait arriver d'ici cinq à dix minutes, elle est assez ponctuelle !
– Elle vient seule du coup ?
– Non, elle vient accompagnée, je te l'ai déjà dit Inès...
– Mais quand ! Quand !

De l'autre côté, dans le salon, la voix de Maya s'éleva.

– Depuis trois jours andouille !
– Mais ! Les pizzas !
– On en aura assez...

Inès s'en faisait toujours beaucoup trop dès lors que l'on touchait au sujet de la bouffe.

– Elle vient avec qui ? Oh non je...
– Inès, calme toi... Elles ne viennent qu'à deux. Flora veut me présenter sa copine, et je trouvais que la convier elle aussi était une bonne idée.
– Oh... D'accord... Attends, quoi ?

On y était, elle venait de capter ce que je venais de lui dire.

– Je vais être la seule célibataire encore ce soir !

Une fois de plus, elle parvint à me surprendre avec sa réaction. Je m'attendais plus à un « sa copine ? » que ça. Il fallait dire que la grosse majorité des gens auraient réagi de la sorte. Mais j'oubliais que Inès n'était pas comme la grosse majorité des gens, pour mon plus grand bonheur.

Maya fit irruption dans la cuisine, Eden sur les talons.

– Et moi, je compte pour du beurre ? râla-t-elle.
– Et moi alors... bougonna Eden.
– Oh ça va vous ! Je rectifie, je vais être entouré d'un couple, d'un mec presque en couple, et d'un autre à moitié en couple, et de Maya.

Maya leva les yeux au ciel.

– Hé, c'est moi le mec à moitié en couple ? râlais-je.
– Oui.
– Mais...

Eden secoua la tête, me faisait signe de ne pas chercher plus loin. Inès était nerveuse et disait n'importe quoi. Le bruit de la sonnette nous fit sursauter et je me ruais sur la porte avant que Maya ne le fasse à ma place. J'aimais profondément ma meilleure amie, mais je n'avais pas envie que la première chose que Flora voit de mon appartement, soit Maya qui l'accueille avec un grand sourire flippant et une remarque gênante. Parce que oui, elle en était tout à fait capable.

Flora était resplendissante, le sourire aux lèvres comme toujours. Elle avait lâché ses cheveux bruns qui tombaient jusqu'au bas de son dos. J'étais toujours autant émerveillé devant ses belles boucles qu'elle entretenait avec passion. Derrière elle, une petite blonde qui devait avoir une bonne tête de moins qu'elle (il fallait dire que Flora faisait un bon mètre soixante-dix, et que même sans talons, elle paraissait immense) semblait un peu nerveuse à l'idée de rentrer dans mon antre. 

– Salut !
– Flora, ça me fait super plaisir, entrez, entrez !

Elles ne se firent pas prier et, comme je m'y attendais, Maya leur sauta dessus. J'avais prévenu Flora en avance, cette dernière ne fut donc qu'à moitié surprise. La petite blonde se présenta à son tour. Elle s'appelait Victoire, et quelque chose chez elle me fit immédiatement penser à Eden. C'était peut-être les yeux, de couleurs identiques. Ou bien la peau de leur visage, parsemé de petites taches de rousseur à peine visible, mais qui faisait tout leur charme. Celles de Eden se voyaient d'avantage lors des beaux jours, mais quand on savait qu'elles étaient là, on ne pouvait pas s'empêcher de s'y attarder. Ou bien c'était le vert. Le vert qu'elle portait en bijou aux oreilles. Le vert de son pull. Ou le vert de son maquillage, très léger, mais qui rendait affreusement bien sur son joli visage. Je me tournais vers Eden, qui arborait un sweat de la même couleur et esquissais un sourire. Clairement, je venais de lui trouver un clone au féminin.

La soirée se déroula sans accroc. Et par la suite, une fois que Victoire et Eden commencèrent à parler ensemble, il fut impossible de les arrêter. Inès, au départ un peu timide d'engager la conversation avec Flora, se laissa néanmoins tenter, et, parce que Maya savait aussi y faire, elle termina par se joindre à elles. Et de mon côté, j'étais soulagé. C'était la première fois que je réunissais des gens d'horizons différents qui me tenaient autant à cœur. Et j'étais heureux de les voir aussi bien s'entendre. Victoire et Flora formaient un couple plutôt atypique, et elles nous firent comprendre à plusieurs reprises que leur rencontre avait été le fruit du hasard le plus total, et qu'encore aujourd'hui, elles bénissaient le destin de leur avoir fait croiser la route l'une de l'autre.

Une seule personne manquait à cette équation, et plusieurs fois, Eden capta mon regard un peu triste, dans le vague. J'aurais aimé qu'Adel soit là. Qu'il partage ce moment avec nous. Mon cœur se comprima un peu plus fort dans ma poitrine, jusqu'à me faire mal, et je me levai, prétextant aller vérifier la cuisson de notre deuxième fournée de pizzas. Sans un mot, Eden me suivit et me prit dans ses bras, à l'abri des regards.

– Il te manque hein ?
– T'as pas idée. 

Et nous restâmes ainsi en silence, quelques minutes, jusqu'à que le four et notre bipeur nous indique que les pizzas étaient prêtes.

* * *

Adel rentrait bientôt. Enfin, bientôt était un bien grand mot, il rentrait dans un mois. Mais peu m'importait, j'avais déjà commencé à cocher les cases sur mon calendrier. Et aujourd'hui, je rentrais à la coloc plus tôt que prévu, et je l'avais prévenu. C'était clairement le bon moment pour pouvoir discuter sans que je sois complètement crevé à cause de l'heure tardive, et sans qu'il ne doive se presser avant de partir en cours. J'étais tout excité, encore plus que d'habitude, heureux de pouvoir lui parler plus longtemps qu'en temps normal. Allongé sur mon lit, mon ordinateur portable sur les genoux, j'attendais sa venue. Et quand enfin, son visage apparut en gros plan sur mon écran, je plaquais une main sur ma bouche, surpris.

– J'en étais sûr que tu réagirais comme ça...
– Tes cheveux...

Adel avait radicalement changé de tête. Il avait recoupé un peu ses cheveux, mais pas trop, monsieur tenait à sa petite longueur par-dessus les oreilles et... il avait changé de couleur.

– Tu n'aimes pas ?
– Est-ce que tu plaisantes ? 

Blond. Mon petit copain était devenu blond. Et pas n'importe quel blond, ça non ! Le genre de blond que j'affectionnais tout particulièrement. Le blond cendré. 

– C'est quoi c'te tête...
– T'es canon.
Oh.
– Sérieusement Adel... tu... enfin, je...

Je le vis sourire derrière son écran, visiblement soulagé. Il pouvait l'être, s'il avait été réellement en face de moi là tout de suite, je lui aurais probablement sauté dessus immédiatement. 

– Je suis rassuré..., fit-il en se passant une main dans les cheveux., J'ai vraiment hésité, mais je crevais d'envie de le faire depuis que je suis arrivé là-bas... Sinon, ça va toi ?
– Euh... ouais, ouais ça va !
– Eh bah, remets toi Louis, c'est juste des cheveux.

Avait-il seulement la moindre idée de l'effet qu'il me faisait ce bougre ? Bien sûr, qu'il savait, et il adorait en jouer.

Rapidement, et après avoir retrouvé un peu de ma contenance, je changeais de sujet. Comme d'habitude, je le tenais au courant des dernières avancées dans le feuilleton Isaac/Eden (et je comprenais à présent l'état de Maya l'an dernier, quand elle suivait mes histoires de cœur avec passion). Il avait la version que lui livrait Eden, mais j'avais les miennes. Ensemble, nous compétions le puzzle, et cela nous faisait bien rire.

Adel s'éclatait comme un fou en Corée du Sud, et il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Et sans trop savoir pourquoi, cela me rendait triste. Je n'avais pas envie qu'il se plaigne de sa vie là-bas mais... C'était compliqué. J'avais ce sentiment que la vie en France ne lui manquait pas réellement, il n'en parlait jamais, sauf quand il mentionnait ses parents, ses amis ou moi. 

– Louis ?
– Pardon, j'étais ailleurs.
– J'ai vu ça. Tu avais l'air triste aussi...
– Non, c'est juste que... 

Je baissais les yeux sur mon clavier, l'air penaud.

– J'ai hâte de te revoir., murmurais-je.
– Moi aussi, si tu savais.
– On fera quoi, une fois que je serais de retour ?
– On va se commander à manger. S'envoyer en l'air. Et aller faire un tour en bagnole quelque part, je ne sais pas où, mais loin de la ville pour se vider la tête. Et on pourra à nouveau s'envoyer en l'air.
– Dans ta caisse ?
– Je ne suis pas sûr que ça soit super confortable, mais si monsieur en a envie...

Il arqua ses sourcils, un air malicieux sur le visage et je pouffais. Même à distance, il arrivait à me faire rougir jusqu'à la racine de mes cheveux. 

– Parce bordel, si tu savais comme j'ai envie de se sentir contre moi, c'est dingue., continua-t-il.
– Moi aussi, je répondis d'une voix faible.

Il passa une main dans ses cheveux et soupira, visiblement frustré. 

– Tu sais, je repense à notre dernière nuit passée ensemble avant que je parte, et ouah, celle-là, elle était magique..., murmura-t-il.
– Tu essaies de me chauffer là où je rêve ?
– Parce que ça fonctionne ?
– Putain t'es con, soufflais-je. 

Je n'allais certainement pas lui dire que oui, ça fonctionnait parfaitement, et que je sentais mes joues chauffer rien qu'à l'évocation de ce souvenir. J'avais trop de fierté pour ça. En face de moi, Adel rigola et s'étira. J'étais presque sûr qu'il faisait ça pour que je mate son ventre alors que son tee-shirt se soulèverait. Ou alors, Louis, tu as juste l'esprit qui est partit trop loin... 

– T'es dans ton lit ?
– Ouais. Ma chaise de bureau est inconfortable au possible.
– Moi aussi.
– Tu tentes de faire quoi là Adel ?
– J'ai super chaud.
– On est en novembre.
– Ma grand-mère a laissé le chauffage allumé un peu trop longtemps.

Et alors que je m'apprêtais à répliquer, il retira son haut et me lança un regard narquois. Et je manquais de m'étouffer à cette simple vision. Bordel de merde, son corps me manquait tellement.

– Tu joues à quoi là... tu veux me faire un strip-tease ?
– Tu aimerais bien ?
– Bouge pas.

Je me levai précipitamment de mon lit pour aller ferma ma porte de chambre. Je n'étais pas serein, à tout moment les filles pouvaient débarquer. 

– Ça veut dire oui ?
– Rêve pas. J'ai aucune envie de finir frustré tout seul dans mon pieu. 

Adel leva les yeux au ciel.

– Je m'ennuie...
– Tu es irrécupérable.
– Mais tu m'aimes quand même., me glissa-t-il d'un ton malicieux.
– Certes...
– Et tu n'as pas envie qu'on teste de nouvelles activités de couple à distance ?

Était-ce possible de rougir encore plus ? Bien sûr que non. J'étais cramoisie, je venais de manquer de m'étouffer avec ma propre salive et le voilà qui se pavanait de l'autre côté de son écran, tout fier du petit effet que sa proposition avait eut sur ma personne. Maudit sois tu, Adel.

Je n'avais aucune idée de là où nous allions, tu le savais ça Adel ? J'adorais notre relation parce qu'elle était chaotique depuis le début. Même à plusieurs milliers de kilomètres l'un de l'autre, on avait l'impression de vivre ensemble par écrans interposés. Au fond, tu n'étais jamais bien loin de moi. Ce n'était pas tous les jours facile pourtant, mais après tout, tout ça était bientôt terminé, non ? Oh, si tu savais comme j'avais hâte de nouveau te prendre dans mes bras. Plus qu'un mois.

* * *


*Halmeoni signifie grand-mère en coréen.

* * *

Uuuuf. Pardonnez moi pour les fautes restantes, il y en aura plus que d'habitude hi hi, mais comprenez bien que la mise en page fut douloureuse, longue et chiante xD Mes yeux ne voient plus rien !

Bon, voici donc la toute première partie de l'interlude ! Des idées de sous quel point de vue sera la partie suivante ? 

Si vous êtes ici, c'est que vous êtes ready à suivre la suite des aventure de Loulou et toute la bande, et je vous en remercie par avance ♥

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