𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑙𝑢𝑑𝑒 𝑑𝑒 𝑒𝑑𝑒𝑛

° ° °

Mars 2020.
J'étais plutôt fier de mon rangement. Et à présent, il ne me restait plus qu'à redécorer ma tête de lit. J'avais acheté un nouveau tableau en liège, plus grand. À mes pieds, des clichés par dizaines de ma famille et de mes amis attendaient d'être punaisé. J'avais bien conscience que je n'allais plus rester chez mes parents très longtemps si mes études prenaient la voie que je désirais. Cependant, ce tableau de photo, j'allais pouvoir l'emmener absolument partout avec moi. 

– Tu me feras une petite place sur ton beau mur ? fit une voix derrière moi.

J'esquissai un sourire en me retournant vers Isaac, assit en tailleurs sur mon lit. Il faisait le tri dans mes punaises (j'avais insisté pour en avoir seulement des vertes et des blanches sur mon tableau en liège clair) et me regardait, un sourcil haussé en attendant ma réponse.

– Évidemment. Tu as déjà ta photo de toute façon.
– Vraiment ? Attend, à quel moment tu m'as pris en photo...
– L'été dernier. Lors de votre finale.

J'avais bombardé tout le monde de photos, en réalité. Mais surtout lui. Isaac se pencha pour ramasser les photos et les étaler sur le lit avec précaution, à la recherche de la sienne. 

– Bordel, je suis méga moche dessus.
– Tss, ne dis pas n'importe quoi.
– J'ai l'impression qu'on m'a renversé un seau d'eau sur la tête..., bougonna-t-il.
– Tu transpires juste un peu !
– Mouais.
– Moi je te trouve très beau là-dessus.

Les joues de Isaac rosirent et, fier de mon petit effet, je lui tendis une main pour qu'il me donne la première photo à punaiser. Au bout de quelques minutes, mon tableau commença à prendre forme, et je fus plutôt fier du résultat. Je me laissai tomber à genoux sur mon lit pour faire le tour de ce qu'il me restait à accrocher. À peu près toutes les photos de Louis et Adel. Je levais les yeux vers Isaac, qui fit mine d'être étonné et qui haussa les épaules.

– Le meilleur pour la fin, non ?
– Isaac...
– Tu vas vraiment accrocher celle-là ? me fit-il en m'en désignant une qui me tenait particulièrement à cœur.

Je comprenais qu'il soit mal à l'aise. Mais j'aimais beaucoup cette photo. Adel avait l'air d'un con dessus, ça me faisait beaucoup rire, et puis... Nous avions l'air d'être sacrément heureux. Et je savais qu'à cette période là de ma vie, je ne l'étais pas. Et que Adel m'avait sortit de cette mauvaise passe. J'attrapai le cliché entre mes doigts fins, une mine renfrognée.

– C'est juste... Adel qui fait genre qu'il me mange les oreilles.
– Mmm.
– Je la trouve drôle. Elle me remémore de bons souvenirs.

Je me penchais un peu plus vers lui et lui déposai alors un bisou sur le bout du nez, ce qui le fit sourire.

Je sortais avec Isaac depuis quatre semaines et deux jours très exactement. Oui, j'étais du genre à compter la moindre journée, c'était mon petit côté pointilleux. Et j'adorais le garçon que je découvrais jours après jour. Nous avions été amis, de vrais amis, pendant des mois et des mois. Lui comme moi avions presque, d'un commun accord, tût nos sentiments l'un envers l'autre. J'avais fait ça par peur de me faire rembarrer dans un premier temps, puis pour lui, en apprenant la situation délicate dans laquelle il se trouvait avec son ex petite amie.

Et puis, je ne pouvais pas le nier, j'avais eu peur de me tromper. Une nouvelle fois. De penser être encore tombé amoureux, alors qu'il n'en était rien. Parce que je le savais, et Adel me l'avait répété un nombre de fois incalculable, j'étais le genre de garçon à vouloir voir de l'amour partout. C'était plus fort que moi, j'avais ce besoin irrépressible de me sentir aimer. Et avec Isaac, j'avais eu peur qu'il ne soit qu'une envie passagère, le fruit de ma rupture avec Louis. Mes amis se moquaient souvent des mois qu'il m'avait fallu pour enfin faire le premier pas, mais je ne regrettais rien. Pour la première fois de ma vie, je n'avais pas foncé tête baissée dans une relation, et les choses s'étaient déroulées totalement différemment. 

– Eden ? Met celle-ci aussi.

La photo qu'il me tendit me fit exploser de rire. Elle datait de notre nouvel an, que j'avais fêté avec Louis, Inès, Maya, Adel et Isaac chez les parents de ce dernier. Nous avions décidé de venir déguisé, mais pas n'importe comment.

Nous avions tous tiré au sort le nom d'un camarade pour lui donner son déguisement. Et Maya était tombée sur Adel. Ni une, ni deux, elle s'était jetée sur l'occasion pour lui donner le thème « chanteur de kpop », et avait rigolé très fort à sa propre blague. Adel avait levé les yeux au ciel, en lui assurant que les chanteurs de kpop avaient des têtes parfaitement normales, et était donc venu en lui-même. Mais évidemment, Maya ne l'avait pas vu de cet œil-là. Ils avaient passé tous les deux une bonne heure dans la salle de bain, pour « refaire sa coiffure et son makeup » avait alors clamé Maya. Adel s'était laissé faire, sentant que de toute façon, il n'avait pas réellement le choix. Mais Maya ne se maquillait pas, ou très peu. Et quand il était ressorti de la salle de bain, nous avions tous éclaté de rire. Adel était plus proche de la drag-queen que d'un chanteur sud coréen. Inès, qui ne jurait que par son boysband favori, avait hurlé au désespoir en tapant Maya avec un coussin, en lui disant qu'elle était la honte de l'industrie du maquillage. Adel avait passé la soirée avec les yeux trop maquillés, lui donnant un faux air de bad boy d'un groupe de hip-hop. Louis n'avait pas pu le regarder dans les yeux une seule fois sans éclater de rire. Et même si ce dernier n'en avait pas mené large dans son propre déguisement, je devais admettre que Adel remportait la palme du ridicule. Mais c'était Adel. Il avait pris ça avec le sourire. Et en avais joué.

– Oh que oui, elle file même au centre du tableau.

Isaac pouffa. Après avoir accroché l'ultime et dernière photo, je vins m'asseoir à ses côtés, passant une main dans ses boucles brunes. Isaac laissa tomber sa tête contre mon épaule attrapa une de mes mains dans les siennes et ferma les yeux, un sourire léger sur le visage. Je me sentais un peu idiot de me dire que, un mois à peine auparavant, j'étais près à tout laisser tomber. À faire une croix pour de bon sur une éventuelle relation avec lui. Me contenter que de notre amitié. Mais Maya m'avait remué, sans même le savoir sans doute, j'avais pris mon courage à deux mains, et je ne le regrettais pas.

J'avais appris de mes erreurs, et cette fois-ci, je voulais que tout se passe pour le mieux. Isaac n'était pas Adel. Isaac n'était pas Louis. Je m'étais forcé à ne comparer aucun des trois. Les comparaisons faisaient souffrir les gens. Non, Isaac était Isaac. Et il me donnait ma chance. Je lui donnais la sienne. Je voulais que cela réussisse. Je ne voulais plus être ce gosse du lycée, déçu par la vie. Je ne voulais plus être cet Eden, qui comprenait enfin que les filles n'étaient pas faite pour lui. Cet Eden qui rêvait de pouvoir vivre sa vie tranquillement, sans personne pour l'embêter. Je voulais enfin laisser tout ça derrière moi. Pas oublier, non, mais laisser derrière moi mes erreurs du lycée, la peine immense que j'avais faite à Louis, la déception dans les yeux de Adel...

Et je le sentais, Isaac était la bonne personne pour m'aider. 

* * *

Julien était bien la dernière personne que je pensais trouver là. J'avais décidé après une journée de boulot acharné, d'aller m'aérer l'esprit en marchant une ou deux heures en centre-ville. J'appréciais Bordeaux en fin de journée, à cette période là de l'année, les rues n'étaient pas encore bondées (et encore moins à dix-huit heures) et je pouvais aller m'installer prendre un café tout seul, dans mon repère favoris, sans que personne ne vienne m'embêter. C'était Adel qui m'avait fait devenir à accro à cet endroit. J'avais arrêté de compter le nombre d'après-midi où lui et moi nous étions retrouvés à notre table (nous nous installions toujours à la même), avec nos chocolats chauds et nos gâteaux, pour parler de tout et de rien.

J'étais à cette même table quand mon regard croisa le sien. D'abord étonné de le voir là, je ne fis rien. Puis Julien esquissa un pas timide vers moi, comme par peur de venir me voir, me parler. Par réflexe, je resserrais mes doigts sur ma tasse de café encore brûlante, me fichant bien de la chaleur qui se propulsa dans ces derniers. Je ne détestais pas Julien. J'en avais peur. J'en avais une peur bleue même si m'étais appliqué à ne jamais le lui dévoiler. J'en avais une peur bleue depuis que le jour où Blaise m'avait roué de coups devant le lycée, et que Julien avait été là, avec l'autre Louis. Julien n'avait pas donné autant de coups. Mais il n'avait pas rien fait pour autant. Il m'avait maintenu au sol les dix premières secondes, celles qui m'avaient faites hurler, et cela avait largement suffis. Blaise, Louis et Julien avaient hanté mes nuits pendants des semaines entières. J'avais mis des jours et des jours à me remettre de ce qu'ils m'avaient fait.

J'avais fait le brave, juste après. J'avais un peu fanfaronné, fait mine de ne rien ressentir à leur égard. Mais à chaque fois, je n'avais pas été seul. Louis avait été à mes côtés, et inconsciemment, il m'avait aidé à ne pas m'écrouler. J'avais envie de rire, comment un grand gaillard comme moi pouvais avoir peur d'un type aussi ridicule que Julien, au fond, hein ? Il faisait une bonne tête de moins que moi, était aussi fin qu'une paille, et n'avait pas l'ombre d'un muscle dans ses bras. Cependant, quand je le vis tirer la chaise en face de moi, et comprenant qu'il désirait prendre place, je paniquais. 

– Je... Je te laisse la place.

Il me regarda, surpris et haussa les sourcils.

– Non non ! Reste !
– Pourquoi ?
– Je... Il faut que je te parle. Figure toi que ça fait des semaines que ça me travaille, mais que je n'ai jamais osé de contacter.
– Vraiment ?, crachais-je sur un ton venimeux.
– Oui.

Je sentis mon cœur se calmer, progressivement, et les muscles de mon corps se relâcher. J'étais le genre de garçon à accorder facilement des deuxièmes chances. À tout le monde. Mais lui... Lui était un cas à part. 

– Je sais que quoi que je fasse, quoi que je dise, je ne pourrais jamais enlever le mal que je t'ai fait l'an dernier.
– Clairement.

Julien baissa les yeux et je repris soudainement confiance en moi.

– Louis m'a raconté qu'il vous avait vu au musée.
– Oh ! Oui, oui en effet. 

Et je sais tout, avais-je envie de lui dire. Il me manquait encore des pièces du puzzle (tant cette histoire me paraissait tout de même aberrante), mais j'étais sur la bonne piste. 

– Comment va ton cher ami ?

Julien me regarda un peu perplexe.

– Euh je... Je n'ai plus trop de contact avec Louis et euh...
– Je ne parle pas de lui.
– Je m'en doutais. Il va... Bien ? Je suppose.
– Tu supposes ?
– On ne se parle plus.
– Bah tiens.
– Depuis trois mois déjà.

Ok, là, il venait de piquer ma curiosité.

– Et tu voulais me parler à propos de quoi ?
– De lui justement.
– Je n'ai aucune envie de parler de Blaise. Encore moins avec toi.
– Écoute, on ne se parle peut-être plus, mais je tiens quand même énormément à lui et...

Je ricanais, levant les yeux au ciel. Tout ça n'avait aucun sens. Je n'aimais pas Blaise. Cela n'était un secret pour personne.

– Quoi ?
– Je sais que tu tiens à lui.
– Comment ça ?
– Accouche Julien. C'est lui ou toi qui a fait le premier pas ? C'est qui qui a déconné en premier ?

Aussitôt son visage se referma comme une huître et je me sentis con de l'avoir provoqué ainsi. Les images de cette soirée-là, et les douleurs qui en avaient suivi me submergèrent de nouveau et je frissonnais rien que d'y repenser. Ne craque pas Eden, pas maintenant. Reprend toi. Il ne peut rien t'arriver. 

– Depuis quand tu sais ?
– Un bout de temps.

Julien fuyait mon regard. Comme si les rôles s'étaient inversés. Comme si maintenant, c'était lui qui avait peur. 

– C'est de ça dont tu veux me parler ?
– Plus ou moins.
– Je n'aime pas Blaise, Julien. Alors je t'arrête de suite, je ne veux rien avoir à faire avec vos histoires de cul. Rien, tu piges ? Cependant, j'ai une question. Maintenant que j'ai enfin l'occasion d'avoir une réponse. Pourquoi m'avoir emmerdé toute l'année dernière ? 

Julien ouvrit la bouche, avant de la refermer aussitôt. Et moi, j'attendais ma réponse. Personne ne s'était jamais justifié de s'être mal comporté avec moi. Tous ceux qui s'étaient foutus de moi, qui m'avaient insulté... Tous ces gens s'étaient juste drapés dans leur fierté, en prétendant juste que le problème, c'était moi, mon caractère. On m'avait traité de pédale un nombre incalculable de fois, sans que je ne comprenne pourquoi. Je n'avais jamais rien fait aux gens. J'étais toujours resté dans mon coin. Alors pourquoi m'était-on toujours tombé dessus ? 

– I-il n'assume pas...
– Bah tiens. Tu jures ? Et toi Julien ? Et Louis ?
– Laisse moi finir. S'il te plaît. 

Sa voix tremblait, et je devinais alors que c'était sans nul doute la première fois qu'il parlait de ça à quelqu'un. 

– Je connais Blaise depuis la primaire. On a toujours été proches tous les deux, je le connais par cœur. Je connais sa mère par cœur également, depuis le temps. Et... Je crois que c'était au milieu de notre première année de lycée, que Blaise m'a dit que pendant l'été, il avait trouvé un garçon beau. Pas juste beau comme un acteur que l'on aime bien, ou beau comme certaines personnes que l'on croise dans la rue, et qu'on oublie le lendemain. Il le trouvait beau et attirant. Et il s'est mis à flipper. Parce que c'était la première fois, qu'il ne comprenait pas, et qu'il était persuadé qu'un truc avait déconné chez lui. J'étais perplexe, moi aussi, mais je lui ai dis que ce n'était rien de grave, que moi aussi je trouvais des garçons mignons, mais que ça ne voulait rien dire.

Je fermais les yeux, mi agacé, mi intrigué par ce qu'il me disait. Étrangement, j'avais l'impression de me retrouver en lui. Un tout petit peu. Moi aussi, au départ, j'avais trouvé cela étrange. Et puis, je m'étais aussitôt rassuré en me disant que ce n'était qu'une passade. Que cela ne voulait rien dire.

– Et puis, plus rien pendant des mois. Alors je me disais que cette histoire, qui l'avait tant tracassé, était enfin derrière lui. Qu'il allait pouvoir arrêter de se prendre la tête. Je me gourais. Vraiment. Tu sais ce qu'il a fait, Eden ? Il s'est confié. À la mauvaise personne. Sa propre mère était une mauvaise personne. Il voulait juste comprendre. Il voulait juste poser des questions, comme on le fait tous à cet âge. Il voulait en parler à sa mère. Et elle ne l'a pas digéré. Vraiment pas. Je voyais bien que quelque chose n'allait pas, et vers la fin de l'année, il m'a sorti les pires horreurs sur lui, sur ce qu'il était. Elle avait réussi à lui fourrer dans le crâne que ce n'était qu'une lubie de passage. Qu'il allait grandir, et comprendre qu'il devait se ressaisir. Blaise n'a jamais voulu décevoir sa mère. Alors c'est ce qu'il a fait. Il a mis de côté que les garçons lui plaisait. Il est sorti avec une fille débile pour plaire à sa mère. Et il était persuadé d'avoir réussi. De s'être guéri tout seul, comme il disait. Si tu savais, le nombre de coups que sa mère lui a mis, Eden.

J'étais écœuré. Écœuré par ce que j'entendais. Je n'avais pas plus de sympathie pour Blaise, mais j'étais effrayé d'apprendre le pourquoi. Et plus Julien parlait, plus j'avais envie qu'il se taise. Car j'avais plus ou moins deviné la suite, et elle n'allait pas me plaire, je le sentais.

– Et puis tu es arrivé. Et Blaise, curieux, à fait des recherches sur toi. Histoire de tout savoir sur ton compte. Il avait besoin de ça. C'était sa manière d'opérer, d'avoir la main mise partout. Et puis, il a compris pourquoi tu avais changé de lycée. Et ça l'a fait déchanter. Je crois que de te voir aussi heureux, être toi-même... ça l'a rendu dingue. Un soir, il est venu chez moi, pour me dire qu'il allait déconner. Et qu'il ne pouvait pas, parce que sa mère allait finir par le foutre dehors pour de bon. Ou pire. Mais je ne sais pas, ce soir-là, il a vrillé. On a parlé pendant des heures, comme on avait l'habitude de le faire. Et au moment de partir, il m'a embrassé. Ça l'a effrayé. Pour de vrai. Et il a commencé à te détester pour de bon. Il voyait en toi tout ce qu'il ne pouvait pas être. Et bordel, quand il a appris pour Louis aussi...
– Il a décidé de lui pourrir la vie également.
– Oui. L'autre Louis ne comprenait rien à rien. Il suivait, bêtement. Il ne se doutait pas un seul instant que Blaise se servait juste de vous pour passer ses frustrations. Et qu'en parallèle, lui et moi...
– Vous étiez ensemble ?
– Non. Pas vraiment. C'était compliqué. C'était « juste pour voir » au départ. Il voulait voir s'il pouvait avoir envie de plus qu'une simple attirance physique. Et bordel, j'étais con, j'avais toujours trouvé Blaise plutôt mignon, je me suis laissé entraîner dans cette spirale infernale. Au final, le « juste pour voir » est devenu un peu plus au fil des semaines. J'ai accepté par pitié, Eden. Juste par pitié pour un ami qui me tenait à cœur depuis des années. Je ne suis pas amoureux de lui, je ne l'ai jamais été. C'est juste qu'il sombrait, et que je voulais l'aider. Et passer du temps avec moi de cette manière pouvait l'aider, j'étais prêt à tout. Je suis un connard, et j'en ai bien conscience. 

Je soupirais, déstabilisé par ses confessions. 

– Et puis il a décidé un jour de te faire du mal. Plus que d'habitude. Et j'ai suivi. J'ai suivi parce qu'il me l'avait demandé, tout bêtement. Et ça été la pire décision de toute ma vie. Je ne pourrais jamais m'excuser assez pour ce que je t'ai fait, et je le sais.

Il se tut un instant, et bu une gorgée de son thé, qui avait bien tiédit entre temps. 

– Pourquoi vous ne vous parlez plus ?
– À cause de ça.

Il souleva un pan de sa veste, me laissant voir une trace ignoble sur son abdomen. Je devinais qu'il avait dû se couper avec quelque chose d'assez gros, et soudain, j'eus peur de ce que j'allais entendre.

– On a pas cessé de se voir pour autant. Mais vers Noël, sa mère s'est douté qu'il voyait quelqu'un. Il venait toujours chez moi à des heures par permise quand l'envie lui prenait. Et il rentrait juste après, dans la nuit. Sa mère l'a grillé. Et elle a grillé également que je n'étais pas une fille. Il s'est repris la raclé du siècle, et elle lui a remis les idées « en ordre »., fit-il en mimant des guillemets.
– Et ?
– Et cette fois-ci, elle a plutôt réussi. Il est venu me voir chez moi, en me disant qu'il arrêtait tout. J'ai voulu lui faire entendre raison, pas pour la relation sans âme que nous avions, mais pour lui. Je lui ais dit que j'étais près à partager mon appartement avec lui, s'il le désirait. Qu'il ne serait plus obligé de supporter sa mère. Et il s'est énervé. Je t'assure, que j'ai pas vu le coup venir. Je suis tombé, dans mon salon. Ma table basse était juste là, et... Enfin, voilà.
– Putain...
– Blaise était fou de rage. Je ne l'avais jamais vu pleurer autant. Il m'a amené à l'hosto, on a dû inventer une excuse à deux balles. Enfin, j'ai inventé une excuse à deux balles. Je ne voulais pas qu'il termine au poste de police. Il s'est confondu en excuse quand je suis sorti. Je crois que, puisque c'était moi, il a compris la gravité de ses gestes. Il m'a supplié de le pardonner. Il m'a dit que rien était de sa faute. Mais je l'ai rejeté. Je n'en pouvais plus. J'endurais ça depuis des années maintenant. Des années. Je n'en pouvais plus de ses mensonges, de nous, de notre amitié devenue bancale. Je lui ai posé un ultimatum. On redeviendra ami quand tu assumeras Blaise. Quand tu auras tourné le dos à ta mère, et que tu auras décidé de devenir heureux.
– Et ?
– Eden, je connais Blaise comme ma poche. On ne redeviendra jamais amis.
– Ne dis pas ça...
– Je le sais, c'est tout. Et je tenais à te le dire. Je tenais à te raconter ça, vraiment. Pas pour que tu me pardonnes, ou que tu lui pardonnes. Que tu ne le fasses jamais, je comprendrais. Mais pour que tu saches pourquoi nous avons été aussi odieux avec toi. 

* * *


Ma discussion avec Julien m'avait secoué. Dans tous les sens. Je ne pensais qu'à ça en rentrant ce soir, chez moi. Et je me sentais mal. C'était plus fort que moi, mais j'avais ressenti la douleur de l'autre garçon pendant qu'il me parlait. Il avait parlé sans filtre, ne m'avait rien épargné, aucun détail. Et maintenant, je me sentais mal. Je regardai l'heure sur ma montre, et lâchai un soupir en comprenant que Adel devait être occupé à l'heure qu'il était chez lui. Et puis, le tableau de liège au-dessus de ma tête me rappela que lui aussi était là. Et que je pouvais lui parler. 


« Salut Louis, je peux te parler d'un truc ? »

« Bien sûr ! »

« J'ai croisé Julien aujourd'hui. »

« Julien, Julien du musée ? Notre Julien ? »

« Ouais. Et... tu le gardes pour toi, hein ? Mais j'ai besoin d'en parler. »

« Tu veux me téléphoner ? »

« Je veux bien. »


Et je savais ô combien cela devait lui coûter, lui qui avait en horreur de parler au téléphone. Mais Louis savait me cerner très rapidement.

Ce soir-là, je lui déballais alors tout. Tout ce que j'avais refoulé au plus profonde de moi depuis mon agression, et dont j'avais toujours eu un peu honte de lui parler. Je lui racontais l'histoire de Blaise, de Julien. Je lui parlais longuement à propos de la madame Berges, et Louis s'offusqua plus qu'une fois. Il me rassura pendant une bonne heure, essayant de me changer les idées. Je le devinais aisément, sur son lit, s'agitant dans tous les sens au fur et à mesure qu'il voulait me rassurer. Il me parla de Isaac, me demander des nouvelles de mon couple, et cela me gonfla de joie de l'entendre ainsi. Plus tard dans la soirée, Maya déboula dans la chambre de Louis, et nous terminâmes en discussion à trois, à propos de tout et de rien.

Plus tard, Maya m'envoya un message pour savoir si j'avais besoin de me rendre sur le Pont de pierre. Et je ne refusais jamais un rendez-vous avec elle pour parler. Après ce qu'elle m'avait confié l'autre jour, j'estimais qu'elle aussi, avait le droit de savoir. 

* * *

Avril 2020.
Adel me manquait. Pas de la même manière qu'il manquait à Louis, évidemment, mais Adel me manquait. Le garçon qui avait eu tant de rôles différents dans ma vie était loin de moi, et je devais avouer que très souvent, je regrettais de ne pas pouvoir me pointer chez lui à n'importe qu'elle heure pour bavarder, ou tout simplement lui proposer une virée en ville. Alors que je faisais comme tout le reste de mes amis, je me contentais des entrevues sur l'ordinateur, quelques fois par semaine. Une fois pour ma part, j'avais un emploi du temps de ministre et je savais Adel très pris de son côté. Et puis... Louis avait la priorité sur tout le reste du groupe : personne n'avait envie de lui voler son créneau horaire pour parler avec Adel.

C'était tout le souci avec Louis, il faisait mine que tout allait bien, alors qu'au fond, ce n'était pas le cas. Je savais que l'absence de son côté lui pesait, et que cela était également réciproque. Mais il n'arrivait pas à s'en plaindre, voyant comme Adel s'épanouissait à l'autre bout du monde.  

– Eden ?
– Ouais, pardon, j'étais ailleurs !

En face de moi, Adel ricana. Il avait refait quelque chose à ses cheveux. Depuis quelques semaines, son blond était passé, et mon ex petit ami avait décidé de repartir sur une nouvelle teinte de la même couleur. Et je devais bien avouer que cela lui allait diablement bien.

– Dis Adel... J'ai besoin de ton avis.
– Mmh, dis moi ?
– Avec Isaac on aimerait inviter Julien à une soirée.
– Julien... Le même Julien qui t'avais tabassé ?
– Oui.
– Pourquoi ? Pourquoi tu ferais ça ? 

J'avais beau lui avoir raconté l'histoire que Julien m'avait raconté, Adel n'avait rien voulu entendre. Et je connaissais le caractère buté de mon ex. Il pouvait rester plusieurs mois, plusieurs années sur une même idée.

– C'est hors de question putain ! Eden ! Il... Il va penser que tu as passé l'éponge, que...
– Il sait que non.
– Et encore heureux ! Putain de merde ! Eden je... J'te jure, je t'aurais en face de moi que je secouerais. 

Je baissais alors les yeux sur mon clavier.

– Tu sais ce que j'ai ressenti ce soir-là bordel. J'ai cru que tu allais crever Eden. Crever, tu m'entends ? Si je n'étais pas arrivé, il te serait arrivé quoi, hein ?

Je ne disais plus un mot. Adel avait souffert ce soir-là. Et je le savais. Et je savais une chose aussi : si je n'avais pas été dans un état aussi pitoyable, il s'en serait pris à Blaise. Et je le connaissais suffisamment pour savoir que Blaise n'en serait pas ressortis indemne.

– J'ai... J'ai juste eu l'impression qu'il avait besoin de ça, lors de notre discussion. Ça fais deux semaines que j'y pense...
– Tu m'insupporte parfois. Arrête d'être aussi bon. D'être aussi gentil.
– Je ne m'attendais pas à ce que tu sois fou de joie.
– Tant que tu m'annonces pas que tu as plaqué Isaac pour lui, tout va bien. Je n'achèterais pas de billet pour Bordeaux pour venir te remettre sur les rails.
– Tss, t'es con... Je suppose que par soirée, c'est avec Louis et les autres ?
– Oui.

Je le vis soupirer de l'autre côté de son écran.

– Eh bien, faites, faites ! S'il a changé à ce point ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise moi...
– Isaac est ok, et...
– Oh, bah si bouclettes est ok ! Fabuleux ! Champagne !
– Adel...
– Quoi ?
– Sois pas comme ça.
– Comme quoi ?
– Sarcastique.
Sarcasme est mon second prénom. Tu devrais le savoir depuis le temps.

Je gonflais les joues, à la fois agacé, amusé, et épuisé par le garçon que j'avais sous les yeux.

– Et ne parle pas comme ça de mon copain.
– Oh non, commence pas ! Il a des bouclettes non ? Bon. Je l'appelle bouclette si je veux d'abord.
– Mais t'as quel âge ! lâchais-je en rigolant.
– Je suis plus vieux que toi, tu me dois donc respect et honneur.

Je n'en pouvais plus. Plus je riais devant son air outré, plus Adel s'emportait. Et c'était beaucoup, beaucoup trop drôle.

Et puis, finalement, Adel fini par me rejoindre. Il était facile de rire quand j'étais au bord des larmes. Adel m'avait souvent dit que j'avais un rire communicatif. Je savais qu'il m'en voulait toujours un peu pour ma décision d'inviter Julien à l'une de nos prochaines soirées, mais il avait décidé de mettre sa rancœur de côté. Et puis, de toute façon... Tu n'étais pas là, hein Adel ?

– C'est à mon tour de te demander ton avis. Ou plutôt, de te faire part d'un nouveau projet que j'ai en tête.

J'avais relevé la tête, intrigué. Son ton avait radicalement changé, je souhaitais la bienvenue au Adel sérieux. Et puis, sans trop savoir pourquoi, j'avais un peu peur de ce qu'il allait m'annoncer.

– Je t'écoute.

Ma voix avait faibli, malgré moi. Et son visage s'illumina. Je le vis attraper quelques papiers, qu'il s'empressa de me montrer, heureux comme jamais.

Je connaissais Adel depuis ma première année de lycée. Et en bientôt quatre ans, il s'était hissé si haut dans mon cœur, à plusieurs reprises, que l'entendre ce soir-là, me parler de son nouveau projet... Me creva le cœur. Mais je connaissais Adel depuis des années. Et je savais comment il était. Adel aimait être libre. Adel aimait voler de ses propres ailes. Adel aimait ne rien planifier, et tout vivre au jour le jour. Il saisissait les opportunités. Il prenait tout ce que la vie pouvait lui donner. Adel réfléchissait à l'instant présent, jamais au futur.

Et c'était peut-être ça, qui me faisait peur. Notre futur, à nous tous.
Et au sien. 

* * *

Après quelques péripéties, je réussi enfin à poster !  Du coup, j'ai du recommencer un paquet de fois, je m'excuse pour les fautes et les éventuels soucis de mise en page !

Ce chapitre était ultra important pour Eden, mais aussi pour enfin aborder le personnage de Blaise d'un point de vu différent ! 

On se dit à demain pour la dernière partie de l'interlude (oui, vous n'en voyez pas le bout, je suis désolée ha ha xD), et on repassera du point de vue de Louis pour l'occasion ♥

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