ÉPILOGUE. CEUX QUI S'AIMAIENT


Un an plus tard.
– Bouge ton cul Eden !

Eden ronchonna un peu, mais accéléra le pas, sa valise dans la main, son sac de voyage dans l'autre. À côté de lui, Maya était juchée sur des talons noirs impeccable, en tenue plus que formelle. De mauvaise humeur car elle n'avait pas eu le temps de se changer avant de sauter dans l'avion, il y a onze heures de cela. Ils grimpèrent tous les deux dans un taxi, et Maya se permit de souffler, la tête posée sur l'épaule de l'un de ses meilleurs amis. Eden était angoissé, stressé, tout ce que l'on voulait. Ses yeux verts regardaient un peu partout autour d'eux, à la recherche du moindre élément familier pour se rassurer avec cet environnement nouveau. 

– Je n'arrive pas à croire que nous y sommes...
– Ça paraît dingue, hein ? Bordel, je suis trop excitée...
– Hier encore tu passais un oral, et moi, j'étais la tête dans mon mémoire...

Maya ôta ses chaussures à talons pour reposer ses chevilles endoloris et esquissa un sourire.

– À ton avis, ils sont levés ?
– Il est tout de même neuf heures.
– Eden...
– Oui. Bon. Il est peut-être un peu tôt pour eux. Mais ils savent qu'on arrive bon sang !
– On parle de Louis. Et de Adel.
– C'est pas faux...

Eden afficha un faux air contrarié qui la fit rire. 

– Tu te rends compte, ça fait plus d'un an maintenant...
– C'est pour ça que je suis stressé pardi ! On les a revus quand la dernière fois ? Louis en juin dernier pour ses examens ? À peine deux semaines ? Et Adel... Oh mon dieu, ça fait si longtemps... Et puis... Maya ? Ça va ?
– Mmh, mmh, oui...

Mais les petites larmes au coin de ses yeux n'échappèrent pas au jeune homme.

– Tu as promis aux autres de ne pas pleurer...
– Facile à dire, ils ne sont pas là eux..., bougonna-t-elle.
– Justement. On doit leur transmettre toutes leurs lettres et autres babioles... Flora va me tuer si je ne le fais pas.
– Et moi donc.... Inès m'a menacé de mort si je n'embrassais pas Louis pour elle.
– Toujours dans les extrêmes celle-là...

Maya lâcha un petit rire.

Ils n'avaient bien évidemment pas pu tous venir. Le billet d'avion coûtait cher, les disponibilités de chacun étaient toutes différentes... Eden et elle étaient comme des ambassadeurs. Quand Louis leur avait proposé de venir deux semaines, ou plus s'ils pouvaient, elle n'avait pas hésité un seul instant. Et Eden aussi. Isaac avait râlé, mais avait fini par comprendre que son petit ami ne lui lâcherait pas la grappe avec ce voyage.

En attendant, Maya aussi était anxieuse. Jamais il ne lui était arrivé de ne pas voir son meilleur ami pendant aussi longtemps. Même pendant le lycée, elle avait toujours pu profiter des vacances pour redescendre dans le sud le visiter. Là, tout était plus compliqué. Louis avait terminé sa licence avec brio. Et enchaîné avec son master de recherche, qu'il avait porté sur l'histoire asiatique, à distance. Adel travaillait désormais. Et cela faisait tout drôle. La vie était totalement différente ici, mais elle leur plaisait. Et puis comme ils le disaient si bien « le jour où on en aura marre... on prendra deux billets d'avions ! ». Et cela avait fait rire Maya. Parce que Louis était resté dans un pays qu'il ne pensait pas apprécier au départ. Il y était allé pour le garçon qu'il aimait, mais avait fini par rester.

– On est bientôt arrivé.

La main de Eden glissa sur la sienne et Maya sentit son cœur battre un peu plus fort.


* * *

Au même moment, Adel Kang se leva en sursaut. Ni lui, ni son petit ami qui dormait encore à poings fermés n'avaient entendu le réveil. Et depuis que sa grand-mère avait déménagé dans le sud du pays pour quelques mois, le réveil humain n'était plus d'actualité.

– Merde.... Lou, ils arrivent dans une heure !

À ce moment, le garçon aux cheveux Châtains qui semblait encore dormir releva la tête d'un seul coup.

Une... Heure... ?

Adel soupira, se laissa tomber à nouveau dans le lit en attrapa le jeune homme par la taille.

– Et voilà... On est foutu...
– Ne sois pas si défaitiste !

Adel lui déposa un baiser sur la joue, avant de poursuivre son chemin, un peu plus bas dans son cou.

– Oh non, on a pas le temps pour ça !

Au fond, Louis Verbeeck en mourrait d'envie. Mais, parce qu'il avait un mais, aujourd'hui était le jour où Maya et Eden arrivaient. Et il était hors de question de les accueillir dans un appartement moyennement rangé, et sans avoir préparé un plat, et pris une douce. La veille Adel avait terminé très tard de travailler, et lui avait passé le plus clair de son temps en conférence avec son professeur attitré en France. Et puis Adel était rentré, ils avaient à peine mangé qu'ils s'étaient glissé dans leur lit pour regarder un film. Finalement, le film n'avait captivé ni l'un, ni l'autre. L'ordinateur s'était retrouvé par terre, au pied du lit, et leur soirée avait pris une toute autre tournure. 

– T'es pas cool... Je peux être très rapide !

Louis dut se retenir de ne pas rebondir sur ce que venait de lancer Adel avec une blague vaseuse. Ce dernier n'attendait que ça, et il le voyait avec son regard malicieux et son sourire en coin. 

– Bouge toi ! Je m'occupe de la salle de bain !

Adel souffla, mais se leva quand même. 

– Je fais la cuisine et le salon... 

Louis lui adressa un sourire immense avant de disparaître dans la salle de bain, à la recherche des produits ménagers.

Il attacha ses cheveux en une petite couette, minuscule, dont Adel aimait se moquer de temps en temps, et commença à ranger. Il le savait, les yeux de Eden allaient se poser partout dans leur appartement. Et regarder le moindre détail de la tapisserie et de fil qui dépasse. C'était plus fort que lui, c'était du Eden tout craché. L'autre jour, il avait longuement appelé Simon. Simon était le meilleur lorsqu'il s'agissait d'être rencardé sur tout le petit groupe en France. Maya était pas mal dans son genre, mais elle se perdait vite dans des détails. Simon, lui, ne lui épargnait aucun détail. Ce dernier prenait une année de césure, après une overdose de ses études.

Et cela lui faisait tout drôle, à Louis. De suivre la vie de ses amis d'aussi loin. Mais cela n'avait en rien estompé les liens entre eux. 

– Lou ?

Il releva la tête de l'évier qu'il était en train de nettoyer pour croiser le regard de Adel qui se perdit une nouvelle fois sur sa silhouette fine.

– Ouais ?
– T'es vraiment beau tu le sais ça ?

Il leva les yeux au plafond.

– Mais encore ?
– Ça te dis pas qu'on sorte manger quelque part ce soir ?
– Tu dit ça parce que notre frigo est vide ou parce que tu as la flemme de cuisiner ?
– Parce que notre frigo est vide, enfin. Pour qui me prends-tu...

Et ce petit sourire en coin voulait tout dire, Louis le savait. Il hocha de la tête et Adel s'éloigna en sifflotant, visiblement ravi d'avoir réussi à le faire changer d'avis. 

– Mais on ne va pas chez la vieille folle du coin de la rue !, lança-t-il.
– Elle t'adore !
– Beaucoup trop ! La dernière fois elle a mis une main dans mes cheveux !

Adel éclata de rire dans le salon et Louis se renfrogna. Les petits vieux ici étaient intrigués par ses cheveux. Ils avaient éclairci depuis quelques mois, pour une raison qu'il ignorait, mais restaient tout de même bien foncé. Pourtant, ses légères ondulations et mèches plus claires semblaient fasciner. Sans parler de la couleur de ses yeux.

– Elle ne va jamais tenir si on ramène Eden et Maya...
– Pas faux, elle va nous faire une syncope...

Il avait hâte de les voir. Tous les deux. Maya semblait avoir tellement changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus... En vidéo, elle semblait encore plus assurée et à l'aise dans ses baskets. Eden disait que c'était parce qu'elle était bien entourée, et Louis le croyait volontiers. Maya était elle-même. Elle s'acceptait, allait de l'avant. La jeune femme avait passé un cap, et Louis en était immensément fier. Quant à Eden, il était toujours lui-même. Comme il lui avait si souvent demandé. Il restait ce génie droit dans ses bottes qu'il avait toujours connu. Rien ne faisait faiblir sa joie de vivre.

– Pense à t'habiller aussi !
– Je pensais les accueillir en caleçon !
– Eden serait plus qu'heureux ouais...
– Mais toi ça ne te plairait pas trop, hein ?
– C'est fou, c'est comme si tu lisais dans mes pensées !

Louis lui tira la langue, gamin, avant de filer dans la chambre pour se préparer.

De l'extérieur, les deux garçons avaient une petite routine et une vie bien rangée. Chacun concentré sur leurs études et leur travail respectif. Des horaires quasiment fixes, des restaurants et coins favoris où ils aimaient se rendre dès qu'ils avaient un peu de temps libre. De temps à autre, ils se rendaient au quartier français, pour râler sur le prix des viennoiseries, mais consommer quand même. Et quand ils se lassaient de Séoul, Adel aimait l'entraîner dans les campagnes coréennes qu'il aimait tant, et sur les plages de Jeju.

Et Louis était retombé amoureux. Une seconde fois. Il ne l'avait pas redécouvert, non. Il avait levé le voile sur de nouvelles facettes de sa personnalité, sur un Adel qu'il aimait plus que tout. Lui s'était apaisé. Sa nervosité envolée, il lui avait plus simple d'accepter le regard des autres, et leur jugement.

Une tête se posa sur son épaule, des mains se posèrent sur sa taille. Adel lui embrassa la nuque.

– Tu es prêt ? Ils viennent d'arriver.

Bon sang ce qu'il l'aimait.


*

Eden était plus que nerveux, mais quand Adel leur ouvrit la porte, que Maya lâcha sa main pour se jeter dans les bras de Louis, tout cela s'envola. Le revoir, les revoir après tout ce temps lui faisait quelque chose. Dire qu'ils lui avaient manqué aurait été un euphémisme. Adel était important à ses yeux, bien plus qu'un meilleur ami. Quant à Louis... Il avait toujours été spécial à ses yeux. Il s'était promis de ne pas craquer, alors quand Adel referma la porte, et l'entraîna dans un câlin à quatre, il se retint de verser quelques larmes. Il lui semblait qu'ils avaient grandi, tous les deux. Mais Eden se doutait bien qu'il ne s'agissait que d'une impression. Il était toujours le plus grand, après tout. 

– Vous avez fait bon voyage ?

Il acquiesça, sans les lâcher. Et quand enfin, il accepta de le faire, Louis les fit visiter brièvement.

C'était beau de voir comment la grand-mère de Adel l'avait accepté ici. Bien évidemment, s'il savait que les deux ne s'affichaient que très peu en public, mais dans leur appartement ? Louis avait été intégré sans mal. La petite photo de lui en tenue traditionnelle, qui posait aux côtés de Adel et de sa grand-mère ne lui échappa pas, et le fit sourire.

Il se souvenait comme si c'était hier, du coup de téléphone désespéré de son ami. Adel avait fondu en larme le jour où Louis était venu le rejoindre. Et il s'était mis à paniquer, un peu. Eden avait passé de longues heures, au beau milieu de la nuit, à le rassurer. Oui, il assurerait. Oui, ils y arriveraient, tous les deux. Oui, Adel devait profiter de cette surprise. Et puis Louis était resté. Longtemps. Et aujourd'hui, il ne parlait toujours pas retour au pays. 

– On a des choses pour vous !, s'exclama Maya.
– Oh, oui, oui...

Il tira sa grosse valise et l'ouvrit au beau milieu du salon. 

– De la part des quatre autres !

Ils avaient croisé les doigts à la douane, pour que l'alimentaire passe sans encombre, et la chance avait été de leur côté. Il fallait dire que Louis leur avait suffisamment cassé les pieds à propos du chocolat chaud de son enfance qui lui manquait. Désormais, il en avait trois boites, il n'avait plus qu'à en faire bon usage. Flora avait envoyé quelques livres que Louis ne pouvait pas consulter ici, et ce dernier lâcha un soupire de soulagement en les voyant.

– On a aussi confectionné quelque chose pour vous... 

Maya se baissa vers son propre sac, pour sortir un album photos noir.

– Nous en avons tous un exemplaire chacun. 

Louis l'attrapa, mais avant qu'il ne se mette à le feuilleter sous nos yeux, Maya l'arrêta.

– On le regardera ensemble ce soir, d'accord ? Eden et moi en avons eu l'idée il y a quelques semaines, et on s'est dit que depuis le temps, un album plein de nos souvenirs commençaient à manquer.

Et à leur regard, ils comprirent qu'ils avaient visé juste. 


* * *


Ils avaient passé la soirée dehors, à profiter d'une météo plus que clémente. Quand était venu le temps de rentrer, Maya avait d'abord insisté pour grimper en haut de l'observatoire et regarder Séoul et ses lumières. Le décalage horaire n'avait ni eu raison d'elle, ni de Eden. Là-haut, ils étaient restés longuement silencieux, à observer la vie sous les pieds. Sentant Louis mal à l'aise, Adel avait glissé sa main autour de sa taille, dans un geste rassurant. Les hauteurs n'avaient jamais été son truc. Et puis à l'abri des regards, il avait déposé un baiser furtifs sur ses lèvres, et Eden avait esquissé un sourire attendri.

À présent, ils étaient tous les quatre dans le petit appartement, coincés sur le même canapé. Maya avait élu domicile sur les genoux de son meilleur ami, qui avait délaissé ceux de son petit ami. Entre leurs mains, l'album imposant. Et quand Louis ouvrit, il eut une exclamation de surprise en voyant les premières photos.

– D'accord, je ne sais pas comment vous avez fait pour les avoir, mais elles sont géniales !

Ils étaient là. Tous. Avec leur bouille d'enfant, bien avant qu'ils se connaissent. Il reconnaissait l'écriture soignée de Eden sous chacune des petites photos. Et puis sous leurs yeux, défila une vraie frise chronologique de leur histoire. Celui qui rencontre Eden... Louis fronça son nez en voyant cette photo où il se tenait non loin de la grande perche blondinette. Il avait presque oublié jusqu'à l'existence de ce cliché pris chez Clara, à une soirée qu'il avait détesté. Même s'il l'avait rencontré lui. Cette soirée avait été le début de tout. 

– Qui a eut l'idée des titres...

Maya lui adressa un sourire immense et il comprit.

Adel ne cessait de commenter chaque cliché, et quant à Louis, il restait silencieux. C'étaient eux. Leur histoire. Depuis le début, avec ses hauts, ses bas. Il n'avait pas imaginé un seul instant que tous ses moments aient été capturé par l'un d'entre eux. Pourtant, elles étaient là ; ses photos, mais aussi celle de Flora, Simon, Inès, Isaac, Adel, Eden et Maya. Elles se succédaient au fil des pages et lui faisaient monter quelques larmes aux yeux. Il sentait la main de Maya sur la sienne, comme si elle ne l'avait jamais quitté. Les mots de cette vieille dame, dans l'avion, lui revinrent. Une ode à l'amour. Elle avait raison.

Leurs rires, sourires, pleurs, disputes, moments de joies intenses... Tout était là. Capturé par un œil avisé et à l'affût. Et puis il posa ses yeux sur cette dernière photo. Pour celle-ci, il se souvenait parfaitement du contexte. Ils étaient au complet, et il se remémorait encore l'œil fier de son père qui avait appuyé sur le bouton. Il se souvenait aussi de ses mots, juste après, quand il lui avait confié de voir ô combien il était fier de son fils, mais également de ses amis. Il lui avait fait le plus beau compliment au monde.

Tout avait commencé avec ce qu'il pensait être une amourette de lycée. Mais tout était allé au-delà. Il avait gagné tellement plus, ce jour-là. 

– Eh, Louis...

Adel essuya la larme solitaire qui avait fini par s'échapper. Eden se tourna vers lui, surpris, et l'enlaça, aussitôt imité par Maya. Adel lui murmura qu'il l'aimait, et Maya, puis Eden l'imitèrent. Il les serra fort dans ses bras pendant de longues minutes qu'il ne prit plus la peine de compter.

Mais il y était. À ce moment où les émotions le submergeaient.

Parce qu'ils étaient tous là, avec leur sourire et leur franchise. Avec leurs histoires. Avec tout ce qu'ils lui avaient apporté de plus beau. Avec tout ce qu'ils s'étaient apportés les uns aux autres.


Et Louis les trouva merveilleux.


Ils étaient ceux qui s'aimaient.



Fin.



* * *


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