75. CEUX QUI GRANDISSAIENT


Janvier 2022.
Ma mère refusait de me lâcher. Elle pleurait comme une madeleine, sous le regard moqueur de ma sœur. Mon père lui, était bien trop occupé à s'assurer que ma valise arriverait en un seul et même morceau en Corée du Sud. L'hôtesse avait l'air de s'impatienter, aussi, je le tirais doucement en arrière.

– Papa, ça va le faire, vraiment. J'ai tous le nécessaire sur moi, mon ordinateur, mon portable, et une affaire de rechange au cas-où.
– Et ton manteau ! Ton manteau, c'est très important mon chéri ! sanglota ma mère.
– Oui maman, tu vois bien que je le porte sur moi..., ronchonnais-je.
– Oui parce qu'ici il fait froid, mais là-bas...

Un peu plus loin, Maya se marrait silencieusement devant tout ce cirque. Et elle pouvait se marrer, sa mère était absolument terrible lorsqu'il s'agissait de voyage, alors de voir la mienne dans cet état... Il fallait dire, en même temps, que c'était la première fois que je prenais mon envol seul, et surtout, aussi loin.

Hier, j'avais fêté mon départ avec toute la bande, et aujourd'hui, seul Maya et Eden avaient pu se libérer pour venir me dire au revoir. Je voyais bien que ces derniers attendaient que ma mère cesse de pleurer toutes les larmes de son corps pour s'approcher et me prendre dans leurs bras.

– Maman, je ne pars pas pour Valinor* non plus...
– Pour où ? renifla-t-elle. C'est un truc de tes mangas ?
– Oublie, oublie, rigolais-je.

Elle me jeta un regard à demi-outré, mais en même temps, à quoi je m'attendais, elle n'avait jamais été branchée Seigneur des Anneaux. 

– Tu seras prudent, hein ?
– Oui...
– Allez chérie, laisse-le respirer, murmura mon père qui avait enfin abandonné cette histoire de valise qui l'angoissait tant. 

Ma mère lui donna une tape légère sur l'épaule et me laissa enfin respirer. Je savais que mon voyage tout entier était en train de l'angoisser. Pour plusieurs choses : je partais loin, et seul, pour la première fois de ma vie. Ensuite, le tout était une surprise pour, je cite « un garçon avec qui tu n'es plus ! » et ça, ma mère n'avait pas vraiment compris. Alors oui, je pouvais comprendre sa légère appréhension, mais je savais ce que je faisais. Et je n'avais aucune envie de faire demi-tour. Et pour couronner le tout, elle s'en faisait pour ma vie là-bas. Mais une fois de plus, j'avais parfaitement tout orchestré. Enfin, presque. Mais le gros était planifié, pour le reste, j'allais voir là-bas. 

– Prend soin de toi frangin !

Ma sœur me serra brièvement dans ses bras. Sacha n'avait jamais été friande des au revoir, elle aimait faire vite. Tout comme moi. Et puis ce n'était pas comme si nous n'allions plus jamais nous revoir. Enfin, Maya et Eden purent venir vers moi. Sans grande surprise, Maya me passa une main dans mes cheveux avant de me coller une bise sur la joue.

– Tu seras sage hein ? rigolais-je.
– Ouais ouais !
– Essaye de ne pas tuer Eve.
– Ne t'en fais pas, Eden et Simon seront là pour m'en dissuader., répondit-elle.
– Au fait... J'ai besoin de savoir un truc.
– Quoi donc ?
– Tu savais ce qui allait se passer en octobre dernier ?
– Son départ ? C'était couru d'avance. Que vous alliez vous rabibocher, mais ne rien dire à personne, et ne pas vous afficher ? La même. Ton départ ? La même.  
– Pardon ?
– Je rigoles Louis ! Je ne suis pas devin non plus !

L'espace d'un instant, je me sentis soulagé. Elle commençait à me faire peur avec ses histoires aussi.


– Mais fais moi plaisir, et soulage toi dans le même temps, ouvre cette lettre qui est dans ton sac.
– Comment tu sais que...
– Je sais tout ! Ne cherche pas plus loin !

Elle recula d'un pas, sans lâcher ma main.

– Tu m'envoies des messages, hein ? Tous les jours... Comme au lycée...

Elle allait vraiment me laisser ainsi sans plus d'explication ? C'est Maya. Elle a toujours su. Elle lit en toi comme dans un livre ouvert, n'oublie pas. Et elle a des yeux partout. 

– Promis.

Elle me fit un clin d'œil. Et quant à moi, j'avais une très subite envie de ne plus la lâcher. Maya ne me quittait pas de ses yeux noisette, et me fit un petit signe de la tête vers Eden qui attendait son tour pour me saluer. 

– À bientôt loulou, je t'aime ne l'oublie pas.

Et sa main quitta la mienne. Je la regardais s'éloigner vers mes parents. Ma mère semblait enfin avoir arrêté de pleurer.  Eden avait les mains dans ses poches, pour se donner un faux air décontracté. Il avait ce sourire u peu malicieux aux lèvres, que j'aimais tant, et ce pull vert émeraude qui n'allait qu'à lui.

– Sacré histoire, hein, me lança-t-il.

Et je compris immédiatement.

– Si on avait su que tu en arriverais là !

Oh oui, si nous avions su...

– Tu as bien fait de me faire visiter le jour-là, hein ?
– Je crois bien ouais, rigolais-je.

Je ne parvenais pas à croire que tout ça était grâce à lui. Pas à lui seul, certes, mais Eden était le point de départ de tout. Ce nouveau nom sur une liste au début de ma dernière année de lycée. Ce nouveau nom que j'avais cherché parmi des têtes familières. Ce sourire, cette aura qui m'avait charmé dès l'instant où j'avais posé mes yeux sur lui. Il avait fait bien plus que d'être un nouveau dans ma classe ce jour-là. Il m'avait aidé, bien plus que tout ce qu'il pouvait imaginer. Et je ne le remercierais jamais assez pour cela.

– J'vais répéter ce qu'à dis Maya mais... Tu me tiens au jus, hein ?
– Ne t'en fais pas pour ça.
– Et embrasse Adel pour moi.
– Compte sur moi.

Eden m'adressa un sourire immense. Ses yeux verts brillaient légèrement, mais je le relevai pas à haute voix. Ses yeux dans lesquels j'avais adoré me perdre pendant des semaines et des semaines de relation. Ce regard si doux qui n'avait jamais changé. Ne change jamais Eden. On le lui disait souvent, et il en riait. Il ignorait juste à quel point nous étions tous sérieux en le lui demandant. Notre monde n'avait pas assez d'Eden.

Et puis pour la première fois depuis des mois, voir des années, il me déposa un baiser sur la joue en guise d'au revoir. Je me figeai légèrement.

– C'est parce que j'ai un épi ou un truc sur la figure que tu me jauges comme ça ?

À cet instant-là, j'eus l'impression de me retrouver des années en arrière, en classe d'histoire et géographie. Je vis Eden sourire ; lui aussi venait de se remémorer de l'un des premiers des premiers souvenirs que nous avions en commun. Parfois, je trouvais ma mémoire surprenante quant à sa capacité de se souvenir de petites scènes, que je trouvais juste embarrassante sur le moment, mais qui avait finalement contribué à changé ma vie.

– Non non pas du tout ! 

J'esquissai un sourire. Il était loin, le Louis qui ne savait plus comment réagir en face de son crush de lycée. 

– Ton visage est très bien, parfait même !
– Je suis rassuré, voilà un truc qui n'a pas changé., rigola-t-il.

Et sur ces dernières paroles, il me lança un clin d'œil et tourna les talons. 


*


J'étais confortablement installé à ma place, mes écouteurs à portée de main mon petit oreiller non loin de moi. Je n'étais pas à l'abri de piquer un somme en plein vol. Mon escale à Paris avait été rapide, et j'avais bien cru manquer mon avion après que mon terminal d'embarquement ait été changé à la dernière minute. J'avais paniqué, insulté l'intégralité de l'aéroport dans ma tête, avant de finalement trouver la bonne porte d'embarcation et de présenter mes tickets.

À présent, je fouillais mon sac à la recherche du roman que je m'étais mis de côté pour mes heures de vol. Il fallait dire que j'en avais pour une dizaine d'heures. Et que je n'avais jamais pris l'avion aussi longtemps. Je sortis mon livre de poche, et étouffais un juron en découvrant ce dernier.

– Putain... Sacha.

J'allais hacher menu ma petite sœur. Le livre entre les mains n'avait en rien à voir avec ce que je m'étais mis de côté pour mon voyage ! À quel moment ma petite sœur avait-elle trouvé le temps d'échanger mon précieux polar contre sa romance à deux balles à la couverture douteuse ? À côté de moi, la petite mamie étouffa un rire avec ses deux en voyant ma tête dépitée devant l'ouvrage. Dépité, je le posais sur la petite tablette qui me faisais face. Et puis ma main rencontra autre chose au fond de mon sac.

La lettre.

Que je n'avais toujours pas ouverte. Adel devait sérieusement se demander ce que je fichais, et pourquoi je ne lui avais toujours pas envoyé de message concernant cette dernière. Maya m'avait demandé à plusieurs reprises ce qu'elle contenait, et à chaque fois, ma réponse avait été la même : je ne l'ai pas encore lu. Et elle m'avait demandé pourquoi, à chaque fois. Pourquoi ? Parce qu'à chaque fois, quelque chose, quelqu'un était arrivé au mauvais moment. Parce que j'avais fini par l'oublier, puis par m'en souvenir, puis par avoir peur de découvrir ce qu'il m'avait écrit. C'était bidon, d'avoir peur de quelques mots.

– Excusez-moi ?

Je me retournais vers la vieille dame à côté de moi. Elle portait toujours ses lunettes de soleil – chose que je trouvais étrange en plein mois de janvier, mais passons – et son petit chapeau chic sur la tête. Je me demandais vraiment ce qu'une mamie comme ça allait faire en Corée du Sud, toute seule. 

– Oui ?
– Vous comptez le lire ? me fit-elle en désignant le livre posé devant moi.
– Pas vraiment non, c'est une blague de ma petite sœur.

Et je n'avais jamais été porté romance, de toute façon.

– Je peux vous l'emprunter ? J'ai oublié le mien, et le vol va être long.
– Bien sûr, allez-y.

Elle s'en empara, sourire aux lèvres, et je me demandais vraiment si elle savait ce qu'elle s'apprêtait à lire.

L'avion prit son envol, et moi, j'ouvris la lettre. 


« Lou,
Tu vas te dire que c'est un peu ringard, d'écrire une lettre à notre époque, avec tous les réseaux que nous utilisons. J'aurais pu t'envoyer un message long comme le bras après mon départ, mais bon. Tu me connais. J'aime bien faire dans l'originalité avec toi. Ne prends pas peur, cette lettre n'est pas destiné à te reprocher quoi que ce soit. Ce sont juste des mots que j'ai voulu te dire, depuis quelque temps. Années, en fait.

Tu vas te dire que je remonte loin, mais je crois que j'en ai besoin. Je parle bien de cette année, où nous nous sommes croisés pour la première fois. Cette année, j'y allais à reculons moi aussi. La boule au ventre à l'idée de rentrer dans ce qu'il appelait tous, « la vie d'adulte ». La fac, mon appartement, mon copain... J'avais peur de ne plus rien pouvoir gérer. Et puis, tu es arrivé. Avec ton sourire, ta franchise. Tu étais toi-même. Tu étais celui qui allait égayer mon année, sans même t'en douter. Ou que je m'en doute.

Louis, tu as éclipsé tout le reste.

Si tu savais, au départ, je t'ai juste pris pour un sale con. Le sale con qui allait ruiner mon couple, déjà fragile, voler mon copain, foutre en l'air mon année parce que je me suis mis à déprimer dans mon coin à cause de ça. Et puis finalement, tu n'as rien fait de tout ça. Enfin, pas comme je le pensais. Tu m'as ouvert les yeux, malgré toi.

Un jour Eden m'a dit que tu lisais les mêmes choses que moi. Tu dois t'en souvenir, j'ai essayé de t'approcher comme ça, en me disant que c'était un bon point de départ. Mais il faut croire que toi et moi, nous étions juste butés.

Tu sais ô combien j'ai toujours eu du mal à exprimer mes sentiments, même avec toi. C'est tellement plus simple de te les écrire. Même si j'espère un jour pouvoir te montrer mille fois plus. Je ne m'attendais pas à tomber amoureux de toi, tu le savais ça ? Enfin, je sais personne ne s'attend jamais vraiment à tomber amoureux mais...

Il y avait quelque chose entre nous, mais je me disais juste que c'était Eden. Eden était le lien. En réalité, c'était tellement plus, hein ? Et puis toi et moi, on connaît la suite. 

Ça me paraît bête de dire des choses comme ça à mon âge. Mais un jour Maya m'a dit que je ne vivrais pas deux fois la même histoire, et que mes sentiments actuels était importants. Oui, je n'ai que vingt-et-un an. J'ai toute une vie devant moi, mais j'ai tellement envie que tu en fasses partie, si tu savais. 

Tu m'as promis que tu ne me laisserais pas Lou, et je te crois. J'ai envie de te croire. Je veux croire que toi et moi, c'est plus qu'une amourette de lycée, une relation à distance compliquée et un amour d'été. Tu mérites mieux que ça. Je crois que personne avant toi ne m'avait fait passer par autant d'émotions en si peu de temps. Quand je suis rentré, je pensais faire une croix sur toi pour toujours. Je ne pensais même pas que nous puissions être de nouveaux amis, car après tout, nous ne l'avions jamais vraiment été.

J'ai eu peur au début, tu sais ? J'ai voulu te dire mille fois que je t'aimais toujours. Que je n'avais jamais cessé, et que je rêvais secrètement de tout recommencer avec toi. Tu sais que nous nous le sommes dit qu'une seule fois depuis nos retrouvailles ? Ouais, c'est le genre de chose que je compte. Je suis nian-nian, tu avais raison. J'aurais aimé te le dire plus, parce que je pars, et que je ne sais pas si j'aurais l'occasion de te serrer dans mes bras avant longtemps.

On se l'est dit, ce n'est pas un adieu. On se reverra, je le sais bien. Mais est-ce que tout sera à nouveau pareil ? Ne doute pas de mes sentiments envers toi Lou, ils sont sincères. Ils l'ont toujours été, même quand tu avais des doutes, même lorsque nous étions loin l'un de l'autre.

Alors je te le redis, je t'aime. Plus que tout.

Je ne sais pas quand tu liras cette lettre, si tu la liras un jour, mais je voulais que tu le saches. Mais je voudrais que tu répondes une nouvelle fois à cette question : est-ce que tu m'attendras ?

Adel »



Mes yeux étaient humides. Beaucoup trop humides. Et cela n'échappa pas à la passagère assise à mes côtés. Elle s'empressa de me sortir un petit paquet de mouchoir jaune et de m'en tendre un. Je l'attrapai, la remerciant d'un signe de la tête, avant d'essuyer mes yeux, et mes larmes qui finirent par dévaler lentement sur mes joues. Le con. Il m'avait promis que je n'en pleurerais pas.

– C'est une lettre de rupture ?

Je reniflais, avant de secouer la tête.

– Tout l'inverse, je murmurais.
– Je pensais que vous étiez déjà ensemble, je m'étais un peu trop avancé je crois !

Je fronçais les sourcils et la dévisageai quelques secondes avant que mon cerveau se reconnecte pour de bon. Était-elle vraiment... Elle retira ses petites lunettes de soleil, et esquissa un sourire immense.

– Oh vous...

Je connaissais ce visage. Et ce sourire. 

– J'espère que la photo que j'ai prise de vous était bien !
– Je... Oui, parfaite même ! 

Je ne parvenais pas à croire que la petite mamie du parc se trouvait là, à côté de moi. 

– Le monde est petit comme on dit ! rigola-t-elle. J'ai mis un peu de temps avant de me dire que je connaissais cette jolie bouille !

Le monde était minuscule même. Je repliais la lettre du bout des doigts, sans la lâcher du regard. Elle la désigna d'un geste de la tête, et referma dans le même temps le bouquin de ma sœur qu'elle était en train de lire.

– C'est rare, des jeunes qui écrivent encore comme ça.

Et pendant qu'elle me couvait du regard, mon cœur battait toujours à mille à l'heure. J'avais envie répondre à Adel. De lui hurler que j'avais enfin lu sa lettre et que ses sentiments étaient réciproques. J'avais fait le bon choix. Depuis le début. Le peu de crainte qu'il me restait venait de s'envoler pour de bon. 

– Allons allons, ne pleure pas comme ça !
– J-je viens lui faire une surprise..., reniflais-je.

Je ne savais même pas pourquoi je lui disais cela. 

– Une surprise ? Oh ! Ça c'est vraiment beau.
– C'est... Un peu comme une grosse dernière chance... J'ai tellement déconné que...
– Tu as déjà son cœur à ce garçon, tu sais. Je l'ai bien vu la dernière fois.
– Oh, si vous saviez...
– C'est quoi ton petit prénom ?
– Louis.
– Eh bien Louis, je m'appelle Perrine. Et notre vol dure des heures. Alors non, je ne sais pas, mais je veux bien entendre son histoire si cela peut te soulager.

*

Eden m'avait toujours maintenu qu'il existait des bonnes âmes partout. Perrine en faisait partie. Elle écouta mon histoire, des étoiles dans les yeux, pendant des heures. Elle me fit remarquer que cette dernière était d'ailleurs beaucoup plus intéressante que le livre qu'elle était en train de lire. Perrine était une artiste en herbe, qui depuis sa retraite, peignait et écrivait. Elle vivait seule depuis que son mari l'avait quitté quelques années plus tôt, et faisait des allers-retours entre la France et la Corée du Sud où vivait son fils unique et son petit-fils. 

Je n'omis aucun détail à Perrine. Nous avions le temps, après tout. Mon voyage passa beaucoup plus vite. Et Perrine avait raison : lui parler me soulagea. C'était la première fois depuis Simon que je parlais de mon histoire avec Adel à quelqu'un. Et même ce dernier n'avait pas eu autant de détails que la vieille dame. Mais elle ne jugeait pas, ne se moquait pas. Quelle épopée, on en ferait presque un roman, me disait-elle. Et j'avais ri, parce qu'elle n'était pas la première à me soumettre l'idée. 

– Tu es loin d'être le pire petit ami du monde, Louis. Je te prie de me croire que je te dis que Adel et toi, c'est loin d'être terminé. Vous n'en êtes qu'au premier chapitre de votre histoire.

Elle attrapa ma main, qu'elle serra quelques instants dans les siennes. 

– La vie continuera de vous mettre des bâtons dans les roues, comme tout le monde. Mais tu pourras toujours compter sur eux pour t'aider. 

Et par eux, je savais de qui elle voulait parler.

Et je savais qu'elle avait raison.


Ton histoire, c'est une ode à l'amour, sous toutes ses formes. Soi en fier Louis.


* * *


Ce fut presque avec regret que je quittais ma compagne de voyage à l'aéroport de Incheon. Elle me prit dans ses bras et me souhaita tout le bonheur du monde après que nous ayons chacun récupéré nos valises sans encombres. Elle me glissa dans la poche son numéro de téléphone, au cas où. Mais d'après elle, nous serions amenés à nous revoir. Et je lui faisais confiance sur ça.

Et à présent... Mon cœur battait à mille à l'heure. Je rallumais mon portable, et vis quelques messages de la part de la grand-mère de Adel. Cette dernière était dans la combine depuis octobre dernier. J'avais pris mon courage avant de parler à cette femme que je n'avais jamais vue de ma vie. À vrai dire, je ne savais pas franchement ce qu'elle pensait de moi. Mais contre toute attente, elle avait eut l'air ravie m'avoir au téléphone. Sa grand-mère s'était montrée très enthousiaste à l'idée, j'avais mis au point mon petit plan avec elle, et elle m'avait même proposé de m'héberger. Je l'avais remercié mille fois du fond du cœur. Parler avec elle avait été compliqué, il avait fallu qu'elle et moi arrivions à communiquer en anglais, mais nous avions réussi à plus ou moins nous mettre d'accord.

Et elle était à l'heure. Adel était parti de chez lui il y a une petite heure, en route pour l'aéroport, pensant aller récupérer un vieil oncle fatigué. Je lui communiquais alors mon hall de débarquement, pour qu'elle l'envoie à son petit-fils, et pris place sur l'un des fauteuils du grand hall. Cet aéroport était immense. Bien plus que celui de ma ville. Et incroyablement chaleureux.

Je serrais dans mes mains la lettre qu'il m'avait écrite, et que je ne lâchais plus depuis que je l'avais lu. 


« J'ai lu ta lettre »


Et la réponse ne mit pas longtemps à arriver.

« Tu ne dors pas à cette heure ? »

« J'y arrive pas. »

« C'est à cause de moi ? »

« Pas du tout. »


Mes doigts tremblaient sous le fait de l'excitation.


« J'ai envie de te dire un millier de choses, si tu savais. »

« Tu veux qu'on s'appelle ? »

« Je ne voudrais pas réveiller Inès et Maya... »

« Comme tu veux. »

« Moi aussi Adel, tu sais... Tout ce que tu as écrit dans ta lettre, c'est réciproque. »

« Je veux te l'entendre dire quand on se reverra alors. »


« Compte sur moi. »


Mon cœur battait toujours plus vite.


« Je suis dans les bouchons, mon oncle va criser... Je dois aller le chercher à l'aéroport, et j'ai déjà un peu de retard... »

« Je suis sûr qu'il comprendra ! »

« Oh, tu sais... ça reste un vieux... buté... Je vais vraiment le chercher pour faire plaisir à ma grand-mère... »

J'avais envie de rire, bon sang, s'il savait ! J'en profitais pour envoyer un message à ma famille et mes amis comme quoi j'étais bien arrivé. Il était très tard chez eux, mais je faisais confiance à mes parents pour ne pas s'endormir avant que je ne leur aie envoyé mon message. Il fallait dire qu'ils avaient toujours été du genre à ne pas pouvoir ferme l'œil de la nuit avant d'avoir de mes nouvelles quand je partais quelque part.

« Amen, je suis arrivé ! Le chauffeur a passé la seconde, j'ai cru que nous allions tous mourir dans les derniers virages... »


On y était, mon cœur venait de se décrocher.

« Je dois te laisser, à plus tard ! »

« À plus tard ! »


J'avais à la fois le sourire jusqu'aux oreilles, et le cœur qui ne me répondait plus. C'était un drôle de sentiment. Ma jambe s'agitait nerveusement, mes mains ne s'arrêtaient plus de trembler dans tous les sens tandis que je fixais les différentes arrivées dans le grand hall. Dans ma tête, je rejouais en boucle la scène de nos retrouvailles. Quoi lui dire, quoi faire, quelle attitude adopter. Mais à chaque fois, ma nervosité prenait le dessus à mesure que les secondes défilaient.

Et puis, je le vis.

Il n'avait pas changé, d'un iota. Il avait son air un peu perdu sur le visage, et cherchait son oncle des yeux. Il avait les traits tirés, les cheveux coiffés comme je les aimais. Il s'avança, se mit plusieurs fois sur la pointe des pieds pour trouver la personne qu'il cherchait. Adel était emmitouflé dans un manteau noir qui lui descendait jusqu'à mi-mollet, comme la grande majorité des gens présents dans cet aéroport. Je me levai donc, ma valise dans une main, mon sac sur une épaule et sa lettre dans ma main de libre. Et puis je m'avançais, les jambes flageolantes.

Et ce moment arriva. Celui dont je me souviendrais toute ma vie. Son regard perdu, puis confus, croisa le mien. Au début, il ne sembla pas broncher, et même se demander ce que je fichais là. Et puis ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la surprise. Sa bouche s'entrouvrit et il se stoppa net dans tous ses mouvements, tandis que moi, je ne cessais pas de marcher vers lui. Adel était figé au milieu de cette foule, visiblement incapable d'esquisser le moindre mouvement. Si j'avais toujours été plus ou moins incapable de déchiffrer son regard dans ces moments-là, là, j'en étais sûr, ce que je voyais était la plus belle des réactions. 

À mesure que je me rapprochais, mes yeux s'étaient mis à briller dangereusement, comme les siens. Et je n'allais pas tarder à craquer s'il continuait de me fixer avec une intensité pareille. Je ne réalisais pas encore ce qui était en train de se passer, alors j'imaginais parfaitement que lui aussi. J'arrivai enfin à sa hauteur et esquissai un sourire presque timide. Je voyais parfaitement qu'il cherchait quoi dire, quoi faire. Il essayait de comprendre dans quel piège il était tombé, et mon sourire ne cessait de grandir. Il comprenait, maintenant. C'était un peu prétentieux de dire que j'étais le cadeau qu'il attendait des mois. Mais maintenant que je l'avais en face de moi, je compris que j'avais eu raison de faire durer le suspens. Ses yeux se baissèrent sur sa lettre que je tenais toujours dans l'une de mes mains et une larme solitaire roula sur l'une de ses joues.

Il se jeta dans mes bras et je fermais les yeux, trop heureux de l'avoir enfin contre moi.

– Je t'aime..., je soufflais.

Il me répondit dans un sanglot étouffé. À propos de la plus belle surprise qu'on ne lui avait jamais faite. 

– Et je t'avais dit que je reviendrais le chercher.

À ces mots, j'effleurais mon bracelet qu'il portait toujours à son poignet. Il me serrait si fort contre lui que je sentais son cœur battre contre le mien. Et je voulais que cela ne cesse jamais. C'était ça que je voulais, et pour toujours. 

– Louis...

Il n'eut pas besoin de dire plus, je savais déjà. J'acquiesçai, en silence, mes yeux bleus plongés dans les siens. J'avais envie de l'embrasser. À la vue de tous.

Et il était loin, le Louis de dix-sept ans incapable de regarder le garçon dont il était amoureux sans rougir. Il était loin ce garçon du bal de Noël qui s'était effondré quand son homosexualité avait été révélée. Il était loin ce garçon qui se planquait, et ne s'assumait qu'à moitié. Ce garçon incapable d'aller vers les gens. Inapte à sortir de son monde. Je lui faisais un doigt d'honneur aujourd'hui. Je lui tournais le dos pour de bon. Mais je ne tournais pas le dos à ses peines de cœur qui avait fais son histoire et qui l'avait fait grandir, non. Ni aux disputes, aux moments de gêne et de honte. Je les prenais par la main. Ces moments étaient son histoire, ils étaient le passé de la mienne. Ensemble, nous avancerons vers un futur meilleur.

Adel me regardait toujours, les yeux brillants. Et il m'adressa le sourire le plus doux au monde.

Finalement,

J'éclipsai le monde, et je l'embrassais.







(* Valinor est une région fictive qui appartient à l'écrivain britannique J.R. R. Tolkien, décrite dans Le Silmarillion.)


* * *

On se retrouve demain pour l'épilogue ? (ಥ﹏ಥ)

C'est sans doute ma dernière note d'auteure, alors une fois de plus, je remercie chacun et chacune d'entre vous d'avoir lu mon histoire jusqu'ici ! J'espère que le dénouement vous plaira autant qu'à moi ♥ 

C'était le dernier chapitre sous le point de vue de Louis, alors autant vous dire que je suis très émue, ce personnage va me manquer, énormément. ToT Écrire ces derniers mots avec lui ça a été quelque chose.

L'épilogue sera écrit d'un point de vu particulier, je vous laisse la surprise. 

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