74. CEUX QUI AVAIENT UN PLAN

Cela faisait un mois et deux semaines qu'Adel s'était envolé pour l'autre bout du monde. Et depuis un mois et deux semaines, que je me tuais au boulot, tentais de faire la meilleure impression possible auprès de mes professeures et de notre directeur de licence. Tous les jours qui passaient, j'avais mon plan en tête, et plus l'échéance se rapprochais pour moi, plus je sentais la nervosité me gagner. Dans ces moments-là, je pouvais faire confiance à Eden, qui me ramenait toujours sur le droit chemin. Ce dernier, en plus de ses études prenantes, ne me lâchait pas la grappe, et cela, pour mon plus grand bien.

Eden m'impressionnait. D'ailleurs, il n'impressionnait pas que moi. L'autre jour, l'un de ses professeurs lui avait fait une proposition de master, qui aboutirait, s'il le souhaitait par la suite à une thèse. Et en bon élève studieux qu'il était, Eden avait montré une attention toute particulière à sa demande. Nous le voyions souvent se tuer à la tâche, et savoir que dans deux ans, il travaillerait en plus de faire une thèse... Cela m'épuisait par avance. Mais malgré tout cela, il gardait la tête sur les épaules, une modestie sans borne. 

– Raah ! Je n'en peux plus !

À côté de moi, Maya balança ses crayons, agacée et s'empoigna les cheveux avec force. Je m'empressais de récupérer son matériel par terre, avant de l'étreindre doucement dans mes bras.

– Ça va aller, tu veux de l'aide ?
– Parce que tu saurais dessiner mon projet toi ?
– Euh... Non.
– Ça me gonfle. J'ai pas d'idée pour cette merde.
– Maya, calme toi.
– Non. Eve en a pleins, elle, des idées. Cette nana est trop parfaite, elle me sort par les trous de nez !
– Tu serais pas jalouse par hasard ?
– Si. C'est Eve par ci, Eve par là... Elle m'agace ! Et le pire ? C'est qu'elle veut qu'on soit amie !
– C'est une mauvaise chose ?
– Ouais. Elle me stresse cette nana.
– Bon, bon... Calme toi, je vais te faire un chocolat.

Elle m'adressa un sourire peiné et reporta son attention sur sa multitude de croquis sous ses yeux. Je m'empressais donc de lui concocter sa boisson favorite (elle comme moi en buvions été comme hiver, et en abondance).

Quand je revins dans le salon, Maya avait l'air au bout du rouleau, ses yeux figés sur l'écran de son téléphone. Pourquoi fallait-il qu'Inès disparaisse quand j'avais besoin d'elle, hein ? Notre amie était partie se balader en ville avec l'un de ses nouveaux camarades de classe dont elle n'avait plus que le nom à la bouche. 

– Et toi, tu en es où ?
– J'ai rendez-vous avec l'un de mes professeurs lundi, pour faire un point sur... Tout mon projet.
– Allez, ne fais pas cette tête-là, on sait tous les deux que ça va le faire !
– Je croise les doigts.
– Ne pars pas défaitiste, je te l'interdis !
– Oui maman.

Elle me donna une tape sur la tête avant de porter la tasse à ses lèvres. 

– Tu voudras que je t'accompagne lundi ?
– Diantre, j'ai le plus gros fan-club de toute cette terre ! Eden me l'a déjà proposé. Mais je vais te répondre la même chose : ne t'en fais pas, je peux y arriver tout seul.
– Bon, si tu le dis. Des nouvelles de Adel ?
– Bah... Écoute, il a très vite retrouvé ses marques, ses amis, et ses cours lui plaisent toujours autant.
– Tu sais, c'est marrant, la première fois que je l'ai vu... J'ai cru qu'il était l'un de ses petits branleurs qui n'en foutait pas une.
– Il cache bien son jeu, qu'est-ce que je peux dire de plus !
– Oh ça oui... Mais tu sais quoi ? Vous êtes deux. Là-dessus, vous vous êtres bien trouvés. Tu lui reparles quand ?
– Je ne sais pas, je verrais bien !

Sans que ni lui, ni moi ne nous concertions, les choses s'étaient faites toute seule. Hors de question que nous nous imposions à nouveau un nombre d'appels par semaine, avec des heures fixes. Nous nous parlions quand nous en avions le temps, mais surtout, l'envie. Et tout était beaucoup plus simple. Au début, cela m'avait frustré. Lors de sa deuxième semaine là-bas, je n'avais pas eu de nouvelle de lui pendant trois jours. Mais je m'y étais fait : nos rythmes de vie étaient totalement différents. Et nous composions avec comme nous le pouvions.

Le téléphone de Maya vibra sur la table et je baissais les yeux sur son écran avant d'esquisser un sourire en voyant la photo qui venait de s'y afficher. Visiblement, Eve avait dû entendre les plaintes de ma meilleure amie jusqu'à chez elle. Elle avait des airs de l'ex petite amie de Flora, et par extension, de Eden, et cela me fit rire. 

– Ne me regarde pas comme ça, elle s'est ajoutée..., marmonna-t-elle avant de décrocher, de se lever, et d'aller parler dans une autre pièce où je n'étais pas.
– J'ai rien dit !

Mais nul doute que j'allais la charrier dessus – avec Inès évidemment – quelques jours.

Et quelque part, j'étais terriblement heureux pour elle. Maya ne parlait jamais des gens de son école, ne s'était pas fait d'excellent amis là-bas comme moi avec Flora ou Simon. Je voyais en cette fille une possibilité pour elle de s'ouvrir à quelqu'un d'autre. Je savais que Simon comptait désormais beaucoup à ses yeux, mais j'étais bien placé pour savoir qu'avoir une personne que l'on appréciait avec soi en cours, ou même dans le même établissement que soi pouvait aider. Un éclat de rire me fit relever la tête de ses croquis.

Finalement Maya, tu vois que tu peux faire !

* * *

– Vos résultats sont très bons, et cela, depuis que vous avez intégré le cursus..., marmonna mon professeur.

Cet homme avait toujours eu le don pour m'intimider. Je l'avais connu sans barbe, et désormais, il en abordait une très longue, qui me rappelait les philosophes des siècles passés avec leur chevelure courte, leur barbe longue et leur petite lunette ronde. Son caractère dur et sévère contrastait avec sa voix, petite et douce. Mais il n'était jamais venu à l'idée de personne de s'en moquer : nous avions tous bien trop peur de lui.

– Je ne vois aucune objection, ainsi que mes collègues, à ce que vous fassiez votre second semestre à distance. Vos examens du premier semestre sont début décembre. Le second semestre débutera à la mi-janvier. Nous en avions déjà parlé par mail, mais travailler à distance demande beaucoup d'effort et d'investissement. Si j'ai bien compris, vous partez à l'étranger ? Êtes-vous sûr d'avoir les ressources nécessaires à votre travail là où vous allez ?
– Je... Oui. Je m'arrangerais. Je suis un garçon débrouillard.

Je me risquais à sourire, et à mon grand soulagement, mon professeur me rendit la pareille.  

– Cependant, se pose la question des examens de fin d'année, ayant lieu en Juin. Les faire à distance, pour des raisons que vous comprendrez sans nul doute est impossible pour nous.
– Je serais de retour pour mes examens.
– Bien.

Sous le bureau, mes mains tremblaient sans s'arrêter. Je le savais, une fois que j'aurais signé ses papiers, je ne pourrais plus faire demi-tour. Je touchais au but et j'entendais la voix de mes meilleurs amis m'encourager au loin. Je ne devais pas baisser les bras. J'avais une idée, et je devais la porter jusqu'à son terme.

Et au moment où ma réunion se termina, il m'appela. C'était comme s'il avait su, que je faisais tout ça pour lui. Je saluais une dernière fois mon professeur d'un signe de la tête avant de m'éloigner dans un des couloirs déserts de la fac.

« – Hello ! Je te dérange ?
– Pas du tout !
– Tu sors de cours ?
– Ouais. »

Je mourrais d'envie de tout lui dire. Mais j'allais devoir être patient. Encore... Quelques semaines. Bon sang, ce que le temps passait lentement quand j'étais pressé de faire quelque chose !

« – Mais attend, il est quelle heure chez toi ?
– Mmh, vingt-deux heures et des brouettes. Je sors de boite.
– Toi, tu es allé en boite ?
– Pour accompagner Moon uniquement, je suis pas très friand des boites tu sais...
– Je me disais aussi...
– Et nous sommes sortis super tôt, parce que l'ambiance devenait pas folle.
– Laisse moi deviner, en bon gentlemen tu la raccompagnes chez elle là ?
– Évidemment ! Je porte aussi son sac et ses chaussures. Elle est bourrée comme jamais, et elle ne veut plus en porter.
– Mon dieu..
– Je ne te le fais pas dire. Pourquoi j'ai un chic pour me dénicher des potes pareils moi ? »

J'émis un petit rire amusé, Adel avait le don, comme moi, de se retrouver dans des situations improbables de temps en temps.

« – Au rythme où on va... On va rater le dernier métro pour chez elle. Tu vas me dire, c'est peut-être mieux. J'ai pas envie de me faire dévisager par tous les vieux qui me jugeront, moi et ma copine incapable de tenir debout. »

La scène que je me représentais dans mon esprit était beaucoup trop tordante. Je ne connaissais Moon que par quelques photos postées sur les réseaux sociaux de Adel, ou bien par ses dires... Mais elle avait l'air d'être un sacré personnage. Dont j'avais été jaloux inutilement pour rien : Adel m'avait fait un exposé très long de pourquoi Moon n'était pas son style de fille, et pourquoi je ne craignais rien. Ce à quoi, Louise, présente ce jour-là, avait rajouté « de toute façon, tu craques que pour des filles clichés ». Et Adel avait lancé un « Genre comme toi ? » et il s'étaient chamaillés comme des gosses pendant dix bonnes minutes.

« – Et toi,comment ça va ?
– J'ai... beaucoup trop de boulot. Ils nous ont dit qu'en troisième année on aurait moins de boulot, la bonne blague !
– Ne jamais croire ses profs Louis, jamais !
– Je croule sous les exposés en tout genre. Mais ça va aller.
– Je te fais confiance, tu sais où tu vas...
– Oh, ça... Je verrais bien ! Et puis, je peux compter sur Joachim pour m'aider quand j'en ai besoin.
– Tu as ton propre prof particulier, quelle chance !
– Il est tellement investi... Tu devrais le voir, j'ai l'impression qu'il veut me voir numéro un de ma promo !
– Il a toujours été comme ça avec toi. »

Ce n'était pas faux. Depuis le lycée, il avait le seul de mes professeurs à me pousser, presque à bout, dans mes études. Il m'avait rapidement cerné, comme tous ses autres élèves, et avait accordé une importance toute particulière à mon parcours scolaire. Il m'avait fait part cette année d'un petit nouveau dans sa classe qui lui faisait penser à moi. Je n'avais pas de doute sur le fait qu'il allait l'encourager du mieux possible.

« – L'autre jour, j'ai visité un lieu qui t'aurais bien plu...
– Ah ouais ?
– C'était un café, à thème. J'avais l'impression d'être dans une librairie cosy. Ils servaient des chocolats chauds. »

À ce moment-là je me retins de lui lancer « tu me montreras que je serais là-bas ! », et me repris de justesse.

« – Bon, je dois te laisser, je crois que Moon a besoin de moi...
– File, avant qu'elle ne s'écroule quelque part !
– C'est trop tard, elle est déjà assise par terre en train de pleurer sur son sort.
– Bon sang...
– Oh, attends, avant de te laisser...
– Oui ?
– Tu as ouvert ma lettre ?
– Pas encore. »

Pour une raison que j'ignorais à vrai dire. Je crois que j'avais peur des mots que je pouvais trouver à l'intérieur. Ou bien, peur de m'être trompé sur toute la ligne. Pourtant, cette lettre pouvait entièrement m'encourager. Ou me faire rebrousser chemin. Et j'avais peur de cette deuxième option.

« – Ne t'en fais pas je vais pas t'en vouloir pour ça, je t'ai dit que tu pourrais l'ouvrir quand tu le souhaitais !
– Mmh...
– Juste, fais le moi savoir après, ok ? »

Ces mots ne me rassuraient pas. Qu'allais-je trouver dans cette lettre ? Avec lui, je pouvais m'attendre à tout, comme à rien. Adel était plein de surprise.

« – Bon, je dois vraiment te laisse, à toute !
– Bye... »

Et je n'eus plus qu'une idée en tête toute la journée, ouvrir cette maudite lettre. 

* * * 

Je devais la lire. C'était maintenant, ou jamais. Et ce fus quand je me posai enfin sur mon lit, qu'Inès se décida de pointer le bout de son nez. Elle toqua timidement à ma porte de chambre, et entra, à pas de loup. Elle avait recoupé ses cheveux, court, comme lors de notre dernière année de lycée. J'avais toujours adoré cette coupe de cheveux sur elle. 

– Louis, je peux te parler quelques minutes ?

J'avisais mon enveloppe, avant de le reposer dans ma table de chevet.

– Oui, bien sûr.

Quand Inès prenait ce ton, et cette voix, c'est que c'était important. 

– Ce n'est pas très important...

Donc ça l'était encore plus que ce que je pensais. Elle prit place sur mon lit, s'installa confortablement entre mes coussins comme elle avait l'habitude de le faire à chaque fois qu'elle venait ici. 

– Je n'ai pas vraiment osé embêter Eden avec ça, puisqu'il court partout avec ses cours... Et Maya également... Et j'ai hésité à t'en parler aussi, mais je...
– Inès, je t'écoute.
– Il m'a invité à boire un verre.

Il. Ça ne pouvait être que ce garçon dont elle avait le nom à la bouche en permanence. Je levai un sourcil, attendant qu'elle continue son récit.

– Et tu vois je... j'en ai très envie, mais... d'un autre côté, je ne voudrais pas qu'il se fasse des idées ou bien... qu'il tente quelque chose parce que je suis gentille avec lui, et tu me connais, je suis tactile avec les gens et...

Sa voix s'était tu progressivement. Et je compris d'où venait le problème. 

– Si tu ne le sens pas Inès, ne te force surtout pas, d'accord ?
– Mais j'ai... J'ai envie, tu vois ? Je l'aime bien, et je suis invitée à une soirée où il sera présent, et j'ai très envie d'y aller aussi... Mais ça reste une soirée, je n'y vais plus depuis des lustres.
– Je peux t'accompagner.
– Louis...
– Je suis très sérieux, si tu veux que je vienne avec toi, je viendrais.
– Tu as horreur de ce genre de chose.
– Je peux faire un effort pour toi, crois moi.

Inès releva ses yeux vers moi, un immense sourire sur le visage.

– Je veux vraiment essayer d'aller de l'avant, tu sais... Je ne veux plus vous embêter avec ça.
– Et tu te débrouilles comme une cheffe. Et ne dis pas que nous embêtes. Ni moi, ni Eden, ni Maya, ni personne ne se plaindra, ok ?
– Merci...
– Et pour son invitation, si tu refuses de le voir en tête-à-tête dans un premier temps, il ne va pas forcément mal le prendre, tu sais ? Si ce type est aussi génial que tu nous le décris, je suis persuadé qu'il pourra comprendre.

Inès acquiesça. Elle s'enroula dans un des plaids posés sur mon lit, se nicha plus confortablement dans ce dernier.

– Ça te dérange si on se mate un truc ?

La lettre attendrait. 

– Pas le moins du monde. Je vais chercher mon ordinateur !

Nous nous installâmes confortablement, et Inès attrapa ma main, un immense sourire aux lèvres.

– Je peux te dire un truc que je ne t'ai jamais dis Louis ?
– Vas-y ?
– Je ne regrette pas une seule fois d'être sortie avec toi.

Ce fut plus fort que moi, mes joues se colorèrent immédiatement. Pourquoi me rappelait-elle ce sombre souvenir maintenant ?

– Si tu le dis...
– Je suis super sérieuse. De toutes mes fréquentations de cette nature-là, tu as été le garçon le plus respectueux. 

Il fallait dire que je ne risquais pas de brusquer les choses..., songeais-je immédiatement. 

– Ça n'a peut-être pas duré longtemps, toi et moi c'est resté très platonique mais tu sais... Je me dis que j'ai gagné un ami en or. Si je ne t'avais couru après cette année-là, je ne sais pas quel genre de fille je serais aujourd'hui.
– Une personne géniale dans tous las cas Inès, ne doute pas de toi.

Elle haussa les épaules.

– On ne sait jamais !
– Alors tu sais quoi ? J'espère que ce gars va me détrôner.
– Ne dis pas ça !
– Je suis très sérieux. Je ne te souhaites que ça. Qu'il vole ma place de numéro un, si c'est pour que tu sois encore plus épanouie et... Est-ce que tu pleures ?
– Pas du tout !

Bien sûr que si. Je soupirai.

À ce moment-là, Maya ouvrit en grand la porte de ma chambre, nous faisant tous les deux sursauter.

– YO !
Son regard croisa le mien, puis celui d'Inès.
– Bordel Louis, tu fais encore pleurer les filles !
– Mais je -
– Ta ta ta ! Je te reconnais bien là, bourreau des cœurs !

Maya était en forme. Trop en forme. Elle sauta sur mon lit, se fit une petite place à côté de Inès qu'elle étouffa dans une étreinte peu habituelle pour elle.

– Tout va bien toi ?
– Oui...
– Rien de grave ?
– Juste Louis qui me disait de belles choses.

Maya leva les yeux au plafond, puis me regarda, l'air de dire toujours trop sensible celle-là ! Mais au fond, je savais qu'elle compatissait. 

– Et vous comptiez regarder une série ?
– Ouais.
– Sans moi ?
– Il paraît.
– Bande d'ingrats. 

Et Inès éclata de rire. Et ce fut tout ce que j'avais besoin d'entendre aujourd'hui. Son rire cristallin, bientôt mélangé au rire nerveux de Maya, et puis au mien.

Qu'est-ce que nous étions bien, tous les trois. 



* * *

Est-ce que je suis émue devant mes propres personnages quand je vois ce qu'ils sont devenus ? ( ; ω ; ) Complètement, et j'assume ! Je vous dis à demain pour la suite ♥

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