69. CEUX QUI OUVRAIENT LES CADEAUX
J'avais mis un peu de temps à redescendre de ma surprise. Quand je fus enfin un peu calmé, ce fut Maya qui se chargea de m'expliquer tout le stratagème, et le moins que je pouvais dire étaient qu'ils m'avaient sacrément bluffé. Adel n'avait jamais été mis au courant pour les cadeaux qui l'attendaient la maison, je n'avais pas été mis au courant de ce double anniversaire... Tout le monde avait brillamment bien joué son rôle. Je comprenais à présent les questions insistantes d'Eden sur le menu de notre soirée, et sur sa décoration. Ce dernier ne cachait d'ailleurs pas sa joie, ni sa fierté, d'avoir réussi un coup pareil.
Je regardais à présent Adel ouvrir ses paquets, des étoiles dans les yeux, comme un gosse le soir de noël. Je le couvais du regard, quand Maya me donna un léger petit coup de coude avant de me demander où était le cadeau que je lui avais préparé.
– Il n'est pas encore là, soufflais-je tout bas.
Elle eut l'air déçue, mais ne prononça pas un mot. En temps voulu... Je le lui en parlerais. Pour l'heure, seul Eden était au courant, et je tenais à ce que cela reste ainsi. À vrai dire, c'était la première fois depuis des années que j'appréhendais la réaction de Maya pour quelque chose. Il fallait dire que pour le moment, je l'avais tenu volontairement à l'écart, pour ne pas qu'elle vende la mèche par inadvertance, ou bien s'avance un peu trop sur un projet que je n'étais pas certain de mener à terme.
Eden avait trouvé mon idée totalement folle, mais pas complètement irréalisable. Il m'avait aussi demandé si j'étais bien sûr de moi, ce à quoi j'avais répondu que si je ne tentais pas ma chance maintenant, je ne le ferais jamais. Et cela l'avait convaincu, j'avais eu son aval, et c'était tout ce que je recherchais.
Je reportais mon attention sur Adel, et Maya se contenta d'un haussement d'épaule. Ses cheveux marrons glacés lui tombaient en mèches désordonnées sur le visage, et masquait une partie de son regard, mais je n'en perdais pas une miette : ses yeux étaient brillants, et il s'était mis à remercier chacun d'entre nous pour sa présence et les cadeaux. Puis je le vis se lever, et s'avancer vers moi. Je le sentais un peu mal à l'aise, et pour cause, j'étais le seul à ne rien avoir pour lui aujourd'hui. Quand il s'approcha, je pris les devants, avant qu'il ne dise quoi que cela soit.
– Il arrivera un peu plus tard.
Adel leva un sourcil et me remercia quand même, comme il l'avait fait avec tous les autres. Je le sentais un peu déstabilisé, mais le rassurais d'un geste de la main.
– J'te fais confiance, me dit-il tout simplement.
Ma surprise n'avait plus qu'à être à la hauteur.
Il chercha mon regard pendant quelques secondes, comme s'il souhaitait y déceler plus d'indices, en vain. l'espace d'un instant, j'eus l'impression de retrouver le Adel que j'avais rencontré pour la première fois quand j'étais au lycée. Le Adel qui ne savait pas interpréter le moindre de mes faits et gestes, le Adel qui n'avait jamais compris sur quel pied danser avec moi avant de sauter le pas. Et j'avais mis longtemps, moi aussi. j'étais resté longtemps sur mes gardes en pensant avoir à faire au pire des abrutis. Le destin s'était bien moqué de nous.
– On peut jouer maintenant ? On peut jouer ? s'exclama Maya.
Elle me tira par le bras pour me tirer jusqu'à la table du salon. Nous avions des tonnes de jeux de sociétés à tester, et puisque nous en étions friands, nous allions sans nul doute passer la nuit à ça. Je la suivis, non sans adresser un petit sourire gêné à Adel.
*
Il était minuit passé quand nous terminâmes une partie de risk non sans râler sur Simon, Inès et Flora qui nous avaient ratatiné. Simon annonça qu'il était l'heure pour sa clope du soir, et Inès l'accompagna ainsi que Flora, pour continuer leur grande discussion sur leur victoire écrasante. Maya en était toujours à recompter les pions sur le plateau, acceptant visiblement difficilement notre défaite. Mais elle et moi devions nous rendre à l'évidence : nous n'étions pas de fins stratèges, et nous avions fini avec un nombre de territoires ridicule. La victoire de nos amis était incontestable.
Je profitais donc de tous les voir ainsi occupé pour m'approcher de Adel.
– Je peux te parler deux minutes ?
– Mmh ?
– En privé, précisais-je.
Il acquiesça et me suivit à l'étage où nous pourrions discuter plus posément, sans oreilles indiscrètes traînant autour de nous. Et oui, je visais bien par là celle de ma meilleure amie. J'aurais pu choisir mieux que la chambre de notre ex en commun pour lui confier ce que j'avais à dire, mais je n'avais pas trop réfléchis avant de pousser la porte de cette dernière.
– Il y a un problème ?
– Non, je voulais juste... Éclaircir la situation.
– La situation ?
– Pour ton cadeau !
– Ah ! Bordel Louis, tu m'as fait peur. J'ai cru que j'avais encore fait un pas de travers...
– Oh non non ! Je voulais juste... Enfin, j'étais gêné de ne rien avoir pour toi ce soir... C'est ce que je suis en train d'élaborer ton cadeau, enfin, je... Il n'arrivera pas pour tout de suite, il faudra être patient et en attendant j'ai... je me sens vraiment naze.
– Il ne faut pas, vraiment... Je ne t'ai rien offert le jour J aussi.
– Nous n'étions pas au top de notre relation tous les deux, il faut dire...
– Mais ce soir j'ai quelque chose.
Je le vis fouiller dans la poche de son short quelques instants avant d'en extirper une enveloppe. Je l'attrapais, curieux, mais juste avant que je ne l'ouvre, il m'arrêta d'un geste.
– Tu veux l'ouvrir ici ?
– Pourquoi pas ?
Adel haussa les épaules, et me regarda ouvrir la lettre avec une légère appréhension. Je me demandais bien ce qu'il avait bien pu m'offrir cette année. Je ne doutais pas que cela allait me plaire ; Adel me connaissait suffisamment pour ne pas faire de faux pas à ce niveau-là. De l'enveloppe je sortis un petit mot, très sobre, me fêtant un bon anniversaire, puis deux billets. Je relevais la tête, les yeux ronds, vers Adel qui guettais visiblement la moindre des réactions.
– Je me suis dit que cela te ferait plaisir avant de reprendre tes cours... Tu en parlais souvent avec Maya et je -
– Putain Adel, mais tu n'aurais pas dû...
Parce que ça coûtait une blinde, et que j'étais bien placé pour le savoir : j'avais passé des heures sur le site du parc pour trouver des billets pas chers. Hélas, j'avais dû me rendre à l'évidence : je n'avais pas le budget pour me rendre au pays des rêves, manger des sucreries à longueur de journée et me ramener un souvenir si kitsch que j'en aurais honte des années après.
– Tu pourras aller voir tes héros favoris comme ça !
Je ne parvenais plus à articuler un seul mot. Je m'y voyais déjà.
– Je me suis arrangé avec Maya pour les dates, et avec les autres aussi, pour être certain que tu sois libre à ce moment-là.
– Et toi ?
– Et moi ?
Avec qui pensait-il que j'allais y aller ? Dès l'instant où j'avais eu mes billets en main, je n'avais eu qu'une pensée, c'était celle de nous deux, au parc. Rien de plus, rien de moins. Mon cerveau n'avait pas mis plus de deux secondes à imaginer cela. Aussi, puisqu'il continuait de me fixer avec un air terriblement perplexe, je me doutais qu'il ne se doutait pas un seul instant que j'aurais eu envie d'y aller avec lui.
Deux petits coups furent donnés sur la porte, et la tête de Maya apparut dans l'encadrement.
– Vous avez fini ? Simon propos un nouveau jeu !
– Il est pas encore claqué celui-là ? siffla Adel, mi-agacé, mi-amusé d'avoir été coupé au mauvais moment.
– Visiblement pas, grouillez-vous, fit Maya en haussant les épaules.
Sans rien ajouter de plus, nous la suivîmes donc, et je me promis d'éclaircir cette histoire avant la fin de la soirée. J'avais encore mes billets dans les mains, tremblantes, peinant à croire qu'Adel m'avait vraiment offert cela. Au rez-de-chaussé, ils avaient l'air en effet de tous nous attendre, les yeux brillants. Eden avait l'air cependant à deux doigt de sombrer dans le sommeil : Isaac supportait tout son poids sur l'une de ses épaules, une main dans ses cheveux. Je le vis articuler quelques mots à propos d'aller se coucher, mais Eden secoua la tête : je me doutais bien qu'il avait envie de rester jusqu'à que tout le monde sombre pour de bon dans le sommeil. À ce moment-là, Simon dégaina une boite de jeu énorme de son sac à dos. J'entendis Adel s'étrangler à moitié avec une part de son gâteau : la soirée était loin d'être terminée.
*
Eden avait laissé le soin à Isaac de nous expliquer où nous allions tous coucher ce soir. Simon avait insisté pour faire la nuit à la belle étoile, et Flora, Inès et Maya avait insisté pour le suivre. Isaac n'avait pas insisté pour leur déléguer un lit, et Eden n'avait rien ajouté. Quant à moi, il était hors de question que je passe la nuit à la belle étoile dans ce jardin où j'avais passé la soirée à me faire manger par les moustiques. J'avais bien compris que pour eux, mon corps était un incroyable buffet à volonté. Louise se jeta sur le canapé en décrétant qu'il lui appartenait pour la nuit et Isaac n'essaya même pas de la faire changer d'avis. Adel marmonna qu'il voulait un grand lit pour lui tout seul, et Eden lui rappela aimablement qu'il allait devoir partager son matelas. Il râla deux minutes pour la forme, avant de capituler.
Je montais en vitesse grand V à l'étage pour réserver ma place, et Eden pouffa devant mon comportement puéril. Mais je connaissais la chambre des parents d'Eden où j'allais dormir, et je voulais la place près de la prise électrique. Adel se lança à ma poursuite, et alors que je venais d'atterrir sur le matelas, m'écrasa de tout son poids.
– Dégage ! La place est à moi !
– T'es méga lourd, pousse toi gros tas !
Il m'étouffait pour de vrai, mais Adel n'en tint pas compte et continua de me rebondir dessus allégrement.
– Si tu te pousses pas je pars tout seul à Disney !
– Tout seul ?
Je le repoussai, et il se dégagea à peine.
– Bah je comptais te proposer de venir avec moi mais...
– T'es sérieux ?
– Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ?
– Parfois, on a des doutes...
Je levai les yeux au plafond.
– Du coup, tu dégages ?
– Non mais, tu ne veux pas y aller avec Maya ?
C'était son plan depuis le début ? Je me sentais un peu con. Et en attendant, il pesait vraiment son poids... Je soufflais, essayant de m'extirper pour lui répondre.
– Euh, eh bien... Si tu refuses, je lui proposerai...
– J'étais sérieusement ton premier choix ?
– Tu veux que je te le répète combien de fois ?
Il se redressa sur ses genoux et croisa les bras, un air méfiant sur le visage. Bon sang, pensait-il encore que j'étais en train de me moquer de lui ?
– Pourquoi pas Maya ?
– Et pourquoi pas toi ? Si tu n'en as pas envie, dis le moi tout de suite. Je voulais juste passer un maximum de temps avec toi avant que tu ne repartes pour une éternité !
J'avais un peu haussé le ton, agacé. Mais après tout, sa réaction n'était-elle pas justifiée par notre relation ambiguë depuis le début de l'été ?
– Ok. Vendu.
Il n'avait pas l'air plus emballé que ça, ce qui m'arracha une grimace. Je le vis se lever pour aller se changer, et revenir deux minutes après, un air pensif plaqué sur le visage. Entre temps j'avais disparu sous les draps pour bouder, et ruminer su sa réaction aussi plate que d'habitude. Bon sang ce qu'il était insupportable quand il était comme ça... Je le savais maladroit avec ses émotions, mais là, on atteignait des sommets. Le pire dans tout ça ? C'était que j'avais tout de même envie de m'y rendre avec lui.
– Louis ?
Il s'allongea au-dessus des draps et soupira.
– Je suis très content d'y aller avec toi.
– On aurait pas dit..., marmonnais-je.
– Ne le prend pas comme ça, j'étais juste surpris...
Il se rapprocha un peu et j'eus envie de le prendre dans mes bras. Les souvenirs de notre dernier baiser, chez moi, étaient encore bien présent dans ma tête, et refusaient de me quitter. L'envie de ses lèvres sur les miennes était bel et bien présente. J'avais envie de revivre encore une fois ce moment avant qu'il ne reparte à l'autre bout du monde. J'avais conscience que mon envie était purement égoïste mais..
– Louis ?
– Oui ?
– Puisque je n'ai pas eu mon cadeau ce soir... Je peux te demander une avance ?
Je me retournai vers lui, étonné. Qu'entendait-il par une avance ? Au vu de ce que j'avais prévu, cela me paraissait un peu compliqué. Je ne lui répondis pas immédiatement, aussi sentit-il le besoin de me préciser la chose.
– Est-ce que je peux t'embrasser ?
J'ouvris des yeux ronds. Venait-il sérieusement de me demander ça ? Je devais rêver. Pourtant Adel avait l'air tout à fait sérieux, et sacrément sûr de lui. Ses yeux en amandes étaient fixés tantôt sur les miens, tantôt sur mes lèvres. Avait-il lu dans mon esprit ? À quoi jouait-il ? Non, à quoi jouait-on ? Il allait repartir. Si je répondais oui, dans quoi est-ce que je m'engageais ? Est-ce que je m'engageais à quelque chose d'ailleurs ? Eden m'avait dit de ne pas me prendre la tête. Il m'avait ensuite sous-entendu à de nombreuses reprises de profiter. Et étrangement, je ne doutais pas un seul instant qu'il ait donné les mêmes conseils à Adel. Après tout, les deux restaient très proches, et je savais qu'Adel se confiait toujours autant à Eden. Enfin, sauf pour lui dire qu'il était toujours amoureux de moi, mais bon. Sauf si tu as bien caché ton jeu Eden...
– Louis ?
– Tu peux.
Adel ne devait même plus s'attendre à une réponse de ma part au vu de l'air surpris qu'il afficha. J'avais envie de lui demander pourquoi maintenant, pourquoi un baiser, mais je n'en eu pas le temps ; Adel m'embrassait déjà. Le baiser n'avait rien à voir avec celui de l'autre jour. Il n'était pas précipité et brouillon. C'était un baiser qui me rappelait sans peine ceux que nous nous échangions au début de notre relation. Ces baisers plein de douceur et de sentiments. Adel était toujours aussi tendre dans ses gestes, et moi, je le laissais jouer avec mon cœur volontiers. Je fermai alors les yeux, sentant sa main se glisser contre ma joue, son souffle si près du mien. Il ponctua son baiser d'une caresse légèrement sur mes lèvres et j'en redemandais. Encore. Je le sentis hésiter quelques instants avant de recommencer
– Je ne vais plus te lâcher après ça, tu le sais ? Jusqu'à que tu partes, chuchotais-je.
– Je crois que je peux le tolérer.
Il souriait, tout contre ma bouche, et j'avais envie de graver cette image dans ma tête.
– On fait quoi après ?
– On avise.
Et je ne sus pas quoi répondre à cela. Non, rectification, je n'eus pas envie de répondre à cela. Sa main vint jouer quelques instants avec la mienne, puis avec mon bracelet, avant que je ne m'endorme pour de bon.
* * *
Suite du chapitre anniversaire, le jour de l'anniversaire de ma meilleure amie, hé hé. J'espère que ce dernier vous a plu, je n'étais pas censé le poster, ni l'écrire, mais j'ai trouvé du temps dans le train pour le taper ~
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