67. CEUX QUI S'EXCUSAIENT

Dans quatre jours, Adel fêtait son anniversaire. Et cela faisait deux semaines que nous nous parlions à peine, à demi-mots, sans savoir où regarder quand nous nous retrouvions avec les autres. J'avais l'impression d'être revenu au point de départ, à une exception prêt : il n'y avait plus de colère ou de rancœur entre nous. Juste une timidité sans borne à propos de comment faire le premier pas.

La première fois après notre dispute que nous nous étions retrouvés, cela avait été chez Eden. Le malaise avait été présent, avant que Maya, fidèle à elle-même, brise la glace. Nous nous étions assis l'un à côté de l'autre pendant une partie de loup-garou, mais sans oser vraiment se regarder en face. Au fil de la soirée, nous avions bien échangé quelques mots, mais sans plus. De mon côté, j'avais compris que l'abcès avait été crevé. Qu'il fallait maintenant passer la pommade, mais cette étape était la plus complexe. 

– Louis, j'ai une question de la plus haute importance, lança Eden de l'autre côté de la table sur laquelle j'étais appuyé.
– Mmh ?

Eden avait l'air très concentré, comme toujours. Un stylo coincé derrière l'oreille, les mains plantées sur les hanches, et un regard inquisiteur sur le visage. Cela faisait depuis le début de la semaine qu'il s'agitait dans tous les sens pour préparer l'anniversaire surprise de Adel. Évidemment, ce dernier se doutait de quelque chose, il me l'avait vaguement fait comprendre. Mais Eden n'en démordait pas, et continuait sur sa lancée, comme si de rien était. À côté de moi, Inès releva la tête de la liste des courses pour ladite soirée surprise, et reporta son attention sur notre chef de groupe.

– Bleu ou blanc ?
– Pardon ?
– Pour les serviettes ! Bon sang, tu ne suis rien...
– On s'en fou, c'est des serviettes...

Je me mangeais immédiatement un regard mauvais de la part de Eden, qui chercha aussitôt du réconfort auprès d'Isaac. Ce dernier lui lança un regard désolé, avant de retourner sur son portable, visiblement bien loin lui aussi des « premières » préoccupations de son petit ami. 

– Non non ! Tu ne comprends pas !
– Chéri...

Heureusement pour moi, la voix sereine d'Isaac le calma et il inspira profondément.

– Louis n'a pas les mêmes priorités que toi, il se fiche totalement de la décoration., continua d'expliquer calmement Isaac. 

Inès opina du chef et Eden fronça les sourcils. 

– Alors fait comme tu l'entends, tu connais aussi les goûts de Adel.
– Bien. Pfft.

Et Eden tourna les talons pour rejoindre Maya dans son jardin, qui était occupé à bouquiner avec Simon. Eux aussi n'étaient d'aucune aide, et cela en était affligeant. Mais eux ne se prenaient aucune remarque, cela était parfaitement injuste. 

– Merci Isaac...
– De rien. Il est juste un peu sur les dents, il veut que ça soit parfait...
Comme toujours ! complétais-je avec Inès en cœur.

Et, une chance pour nous, Isaac et Eden semblaient avoir dépassé leur petit consensus, et à présent, Eden était d'humeur plus sympathique. Isaac rigola avant de se pencher à nouveau sur son téléphone.

Je me laissais choir aux côtés de Inès, qui passa une main dans ses cheveux bleus.

– T'as une idée de cadeau ?
– Ouais.
– Ooh, qu'est-ce que c'est ?
– Vous aurez la surprise en même temps que lui.
– Tu n'es pas drôle..., bougonna-t-elle.

À la vérité, je n'avais pas d'idée, hormis quelques trucs bateau, qui lui ferait très certainement plaisir, mais qui ne marqueraient pas spécialement le coup. Et je ne voulais pas de cadeaux comme ça. C'était idiot, mais Adel m'avait offert un bijou auquel je tenais comme à la prunelle de mes yeux, et je voulais quelque chose de tout aussi fort symboliquement pour lui. Le hic, c'était notre situation actuelle. Je me sentais mal placé pour lui faire un cadeau empli de souvenir, symbolique et nostalgique. 

Ma sœur avait bien tenté de me rassurer sur le sujet, je n'étais toujours pas convaincu. J'avais l'impression de à nouveau de marcher sur des œufs avec Adel. Et cela me rappelait sans mal les premières semaines où nous avions réellement commencé à nous apprécier. En un sens, nous repartions de zéro, à la différence que cette fois-ci, nous n'étions plus les deux garçons qui avaient rompu avec leur petit ami respectif, nous étions le couple qui s'était séparé.

Dans la poche arrière de mon jean, mon portable vibra, et je fus surpris d'y lire un message du principal concerné. Jusqu'à maintenant, j'avais ouvert toutes nos discussions, et j'avais toujours eu l'impression de forcer un peu la main. 

« Hey, tu fais quelque chose ? »

« Rien, pourquoi ? »

« Tu n'es pas chez Eden ? »

« Depuis quand tu es voyant toi ? »

« Laisse tomber, le connaissant, il a dû mobiliser tout le monde pour préparer mon anniversaire surprise. »

« Effectivement. Sauf Flora. Elle a de la chance d'être encore loin de tout ça ! »


« Tu peux bouger ou il va râler ? »

« Je peux bouger, et il va râler. Pourquoi ? »

« J'ai envie de te voir, besoin d'une autre raison ? »

Je fronçais les sourcils, intrigué. 


« D'accord, j'arrive. »

« Grand théâtre, ça te va ? »

« Nickel. »

*

 Quelques minutes plus tard, j'étais dehors. Eden m'avait fait les gros yeux, avant de me rappeler que je n'avais été d'aucune aide, et qu'il ne compterait plus sur moi à l'avenir pour ce genre de chose. Je lui avais tiré la langue dans un geste puéril, complètement enfantin, avant de partir, un étrange sourire aux lèvres. La chance était de mon côté, puisque j'attrapais un bus rapidement, avant de me diriger vers le centre-ville. En chemin, je ne reçus aucun message de Adel, mais plutôt une tonne de Maya. Ils allaient du « vous allez faire quoi ? » au « soyez raisonnable » pour finir par un « ne vous tapez pas dessus, restez mignons ». Concrètement, personne dans notre groupe d'ami ne savait plus quoi penser de notre étrange duo. Nous en étions tous au même point.

La place de la comédie semblait avoir été désertée par les Bordelais et les touristes à cause de la grande chaleur ce jour-là, et je plissais immédiatement les yeux descendant de mon tram. J'avais encore oublié mes lunettes de soleil, et je le regrettais déjà. Et puis je le vis, assis sur les marches devant l'un des plus beaux bâtiments – à mon goût – de notre ville. Adel pianotait sur son portable, ses écouteurs dans les oreilles. Je traversais la dizaine de mètres nous séparant avant de me planter sous son nez, agitant l'une de mes mains sous ses yeux pour capter son attention. Il releva le nez, et esquissa un sourire avant de fouiller dans son sac, et d'en sortir une paire de lunettes de soleil.

– J'en étais sûr, rigola-t-il.

Je mis les lunettes sur mon nez, touché par cette attention. Une fois de plus, j'étais prévisible comme jamais, et Adel, beaucoup trop prévoyant. 

– Dis moi tout, ils en sont où ? Louise n'a rien voulu me dire.
– Je ne te dirais rien non plus. Et... Tu étais avec Louise ?
– Ouais, mais elle devait filer, elle devait aller bosser. Tu veux pas t'asseoir ? Tu m'angoisses à rester planté debout devant moi.
– Oh, euh, oui, oui...

Et je m'exécutais, sans rien rajouter de plus.

– Je me doute bien que Eden a bien avancé dans son organisation, c'est Eden après tout. Il a dû prévoir jusqu'à la couleur des serviettes de table.

Oh, s'il savait... 

– En réalité, je t'ai fait venir pour une raison bien précise.
– Ah ?

Et venant de lui, je pouvais m'attendre à tout. Vraiment à tout. Avec Adel, ce n'était jamais simple.

– Je voudrais m'excuser, à propos de l'autre jour. Je sais que ça fait deux semaines, que j'aurais pu te le dire plus tôt, mais... Voilà. Je m'excuse. Sincèrement.
– Adel...
– Je suis un peu lent, et carrément trop rancunier, mais...
– Tu ne me dois pas d'excuses...
– Tu rigoles ? Ce matin-là, Louis, j'étais vraiment à deux doigts de t'en mettre une. Alors si.
– De m'en mettre une ?
– Ok, j'exagère un peu... Mais je me suis emporté. Et ça, je m'en suis voulu, vraiment. À la seconde où j'ai commencé à hausser le ton. Et en plus, je suis passé à ça d'insulter Maya.
– Là, c'est moi qui t'en aurais collé une.
– J'ai discuté avec Simon, et après, je me suis rendue compte que je n'étais pas revenu vers toi et... Bref. Maintenant, c'est fait.
– Excuses acceptés. Tu acceptes les miennes également ?
– Tu me roulerais dessus que je l'accepterais Louis, évidemment...
– Tu as un don pour choisir tes métaphores...
– Que veux-tu ! Tu es mon talon d'Achille !
– On va arrêter là, je vais finir gêné...
– Tu l'es déjà, tes oreilles sont super rouge., rigola-t-il.

Immédiatement, je plaquais mes mains sur ces dernières, non sans esquiver son regard amusé. Pourquoi fallait-il toujours que mon corps se réveille au mauvais moment ?

Nous restâmes quelques secondes sans rien oser rajouter, juste à regarder les passants et le grand hôtel juste devant nous. Cet endroit était le favoris d'Inès. Je ne comprenais toujours pas pourquoi, je préférais amplement les petites rues de ma ville, coins reculés loin de toute l'agitation touristique, ou encore, le pont de pierre. Mais Inès m'avait dit une fois qu'elle aimait se poser là pour dessiner un peu. Quelques années plus tard, Maya l'avait rejointe dans son loisir, après tout, c'était elle l'élève en art. 

– Je pars en octobre, au fait. Le premier.

Je devais m'y attendre, tôt ou tard, Adel aurait bien fini par me l'annoncer. Par remettre le sujet de son départ sur la table. Je pris sur moi pour ne pas souffler. 

– Ce qui te fait encore un mois et deux semaines à me supporter, lançais-je.

Il haussa les épaules.

– Tu pars un an, c'est ça ?
– Ouais. Sauf si entre temps la situation évolue. Mais c'est le plan ouais...
– Tu vas me manquer.
– Je sais, je suis un mec aimé de tous ici, je vous tous vous manquer !
– Sois sérieux deux minutes veux-tu...
– Je le suis !
– T'es pas croyable...
– Pardon, pardon... 

Je secouais la tête, mi-amusé, mi-agacé. Je savais mieux que quiconque que son humour lui permettait de dédramatiser bien des choses, et de rendre plus légère des situations difficiles. Son humour, bien que douteux, et ses réparties, parfois bien piquantes, était une barrière à tout ce qu'Adel avait du mal à gérer. 

– Tu vas me manquer aussi..., murmura-t-il.

Sa main effleura la mienne, et pour une fois, je le laissais faire. Pourtant, je n'étais pas friand des contacts physiques en public, après tout, nous ne savions jamais à côté de qui nous étions installés, mais pour une fois, je décidais de faire taire cette petite voix peureuse dans ma tête.


Parce que tu sais que je suis toujours amoureux toi, hein ?


Ses mots me revinrent en tête à ce moment-là. Bien sûr que je savais. Bien sûr que je l'avais gardé pour moi. Parce que j'avais eu peur de recommencer quoi que ce soit avec lui, mais aussi, d'enfin m'avouer que moi, je l'étais toujours. Pas à nouveau, non, toujours. Et ça me crevait le cœur de me l'admettre.

– Et je voudrais profiter de mes dernières semaines à Bordeaux. Je ne pouvais pas les passer à te bouder, ou à être mal à l'aise... Je veux juste qu'on profite tous les deux avant que je parte.

Je hochais doucement de la tête, les yeux rivés sur mes baskets. Tous les deux. Mon cœur se serra lentement. J'avais l'impression, une fois de plus, d'être un être privilégié à ses yeux. D'avoir une place spéciale dans son cœur. 

– Tu peux me promettre un truc Louis ?
– Oui ?
– Le vingt-quatre, pour ma surprise... Empêche-les de chanter à tue-tête quand je franchirais le pas de la porte. 

Ce fut plus fort que moi, j'éclatais de rire.

* * *

– Je n'arrive pas à savoir ce que vous êtes.
– Moi non plus, nous sommes deux.

Maya releva les yeux de son carnet à dessin et m'intima de rester en place. Il n'y avait bien que pour elle que je servais de modèle vivant pour dessiner le mouvement. 

– Il va se passer quoi en octobre ?
– Je ne sais pas. Et je ne veux pas y penser.

Maya releva son fusain et leva un sourcil.

– Moi je sais.
– Toi, tu sais toujours tout. Et tu ne me donnes aucun indice.
– Parce que ça serait changer le cours de ton destin !
– Je suppose que Simon aussi, sait ?
– Tu es marrant, quand tu es jaloux, rigola-t-elle.

Je gonflais les joues, agacé. Oui, j'étais carrément jaloux de ce type quand il s'agissait de Maya et de lui. C'était ma meilleure amie après tout. Et... Avec elle, je n'avais pas honte de l'admettre. 

– C'est ça, marre toi...
– Ta position !
– Pardon, pardon...

Je me remis en place et elle pouffa, amusé par mon comportement. 

– Il te l'a dit, il voudrait profiter de ces dernières semaines avec toi. Alors fonce. Oublie vos antécédents de couple, veux-tu ? Fais comme si vous repartiez de zéro.
– Tu veux pas que je lui propose un rendez-vous galant aussi...
– C'était mon idée. 

Je soupirai.

– Position.
– Pardon, pardon.
– Tu vas te bouger les fesses Louis. Tu vas prendre ton tel, et l'inviter à un ciné ou je ne sais quoi.
– Tu ne serais pas en train de forcer le destin toi par hasard ?

Elle me tira la langue en m'intimant une nouvelle fois de rester en place.

– Pas du tout. Fais-moi confiance.
– À quoi ça sert de tenter quoi que ce soit maintenant alors que -
– Tss ! Oublie son départ !
– Mais...
– Il n'y a pas de mais qui tienne. Arrête de te bloquer à cause des échéances, ok ? Vis dans l'instant, où tu n'avanceras jamais. 

Elle fronça les sourcils, avant de relever la tête de son carnet.

– J'ai fini !

Et moi, j'avais désormais un million d'idées et d'envies en tête. 

Maya avait toujours su lire en moi. Mais bien plus encore, en nous. Dans notre groupe, et cela, même à des kilomètres de moi ; alors une fois de plus, je décidais de lui accorder toute ma confiance. Maya avait toujours était celle sur qui j'avais pu m'appuyer, depuis des années. Souvent, je m'en voulais de ne jamais lui rendre la pareille. Et puis, Maya me souriait, et dans une étreinte chaleureuse me rappelait que j'étais tout ce dont elle avait besoin pour se sentir heureuse. 

* * *

Maya était-elle véritablement une madame Irma ? Réponse à la fin de l'histoire ! (¬‿¬ ) En attendant je vous souhaite une bonne semaine ! On se retrouve lundi ou mardi prochain pour la suite ! (normalement hé hé)

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