66. CEUX QUI SE DISPUTAIENT
Ce n'est pas ce que tu crois était, et je le savais grâce à ma grande culture cinématographique, la pire des phrases à sortir dans ce genre de situation. Mais maintenant que je me retrouvais dans ce genre de situation parfaitement embarrassante, je comprenais son usage excessif dans les disputes en tout genre dans le milieu de l'audiovisuel. Ce n'est pas ce que tu crois était la phrase parfaite, en réalité, parce que ce n'était pas ce qu'il croyait. Pourtant, je me trouvais désormais comme un abrutit, à cligner des yeux devant Adel qui continuait de m'agiter le bout de papier sous le nez, en attente d'une réponse. Ses yeux me lançaient des éclairs, et j'étais tout bonnement effrayé par l'expression indéchiffrable qu'il arborait sur le visage. Mes pupilles étaient rivées sur le numéro de Simon, écrit à la va-vite, ainsi que le petit mot qu'il avait griffonné juste en dessous.
« Si jamais le garçon à l'autre bout du monde ne revient pas ! »
– Alors... Je... C'est le numéro de Simon.
– Sans blague.
Sa voix était sèche. Tranchante comme une lame de rasoir. Et moi, j'étais le steak qu'il allait découper en tranche très fine si je ne me dépêchais pas de lui expliquer la situation qui remontait à quelques semaines avant notre rupture.
– Où tu as trouvé ça ?
Loupé Louis, ce n'était pas du tout la bonne question à poser. Les yeux de Adel s'agrandirent, et j'eus envie de me planquer sous la couette. J'étais un abruti fini.
– Dans le tiroir de ta table de chevet. Je cherchais ton anti-moustique.
Et il avait fallu qu'il tombe sur ça. Je voulus lui reprendre des mains, mais Adel eut un mouvement de recul, et me fusilla à nouveau du regard.
– Oh, non, je ne crois pas... Tu comptais me dire quand, qu'avec Simon vous -
– Avez rien fait du tout. Je t'arrête tout de suite. Il m'a juste filé son numéro, le premier soir où nous nous sommes rencontrés à une soirée.
– Et tu l'as gardé.
– Et je l'ai gardé, oui. Il est où le souci ?
– Tu as rencontré Simon avant ou après m'avoir largué comme une merde ?
On y était. Adel rougissait à vu d'œil, et pas parce qu'il était gêné. On arrivait à la dispute que je tentais de repousser depuis qu'il était revenu de Corée du sud. Celle où il allait sans nul doute exploser pour de bon, et moi aussi. Celle que j'avais contenue, et que j'avais cru avoir enfin enterrée pour de bon. Et je n'avais pas du tout envie que Maya, Inès et Eden, qui dormaient (ou pas) non loin de là nous entendent.
Je pouvais lui mentir, lui mettre un peu de pommade pour adoucir le tout, mais depuis le temps, j'avais compris que cela ne servait à rien. De toute façon, Adel l'apprendrait tôt ou tard, et je préférais que cela soit tôt.
– Avant.
– Allons bon.
– Il n'a jamais été intéressé.
– Ah oui ? Vraiment ? Qui laisse son numéro quand il est pas intéressé, hein ? Avec ce genre de message ?
Maudit Simon, j'avais envie de le ramener ici par la peau des fesses. Évidement personne ne faisait ça ! Sauf lui. Simon était un être particulier, à part ! Il fonctionnait à l'envers ! J'avais envie de le lui hurler à la figure. Adel ne l'avait-il donc toujours pas compris ?
– Je me disais aussi qu'il était bien sympa avec moi.
– Je t'arrête de suite, il n'a jam-
– Ne le défends pas. La prochaine fois que je le vois, je lui met mon poing dans la figure.
– Ad...
– Il savait pour toi et moi, hein ? Alors quoi, tu te faisais chier tout seul, et tu t'es tellement plains qu'il t'a pris en pitié ? Sérieux, j'y crois pas... c'est... c'est...
– Adel stop !
– Oh non !
Il explosait, pour de bon. Le ton était monté. Trop haut. Trop vite.
– J'en ai plus qu'assez !
Il me jeta le papier au visage, que je rattrapais maladroitement, et attrapa son débardeur de la veille qu'il enfila de travers, avec des gestes précipités.
– D'abord, je me fais larguer à l'autre bout du monde, je l'accepte, je prends sur moi. Je suis vraiment un gentil garçon parfois. Puis je reviens, j'ai le droit à une ignorance totale ! Totale ! Et puis quand tu te décides à me parler, j'ai l'impression que plus rien n'est comme avant. Et puis tu me sautes dessus, tu me roules des pelles pour je ne sais quelle raison, puisque, de toute évidence, tu n'es pas intéressé du tout !
– Je -
– J'ai pas terminé ! Ferme la, et laisse moi finir !
– Les garçons ?
La voix de Maya, timide, se fit entendre de l'autre côté de la porte.
– Tout va bien ! beugla Adel.
– Vous...
– Tout va bien ! Laisse nous causer !
– Ne lui parle pas comme ça..., grondais-je.
– Sinon quoi ? Tu vas m'en foutre une ? Tu peux y aller, tu m'as assez fait mal comme ça. Une claque de plus ou de moins, honnêtement, je ne verrais pas une grande différence.
Mes joues étaient en feu. Mes poings serrés. Et mon corps... Mon corps tout entier tremblait. Je me sentais à deux doigts d'éclater moi aussi, tandis que mes yeux s'humidifiaient à vitesse grand V.
– J'te parle de partir pour mes études, pour une super opportunité qui ne se représentera pas et toi... Toi j'ai l'impression que tu veux que je reste ici, juste pour toi.
– Je ne -
– T'es un putain d'égoïste.
Pour la première fois, depuis que je le connaissais, j'avais envie de lui coller une claque. J'avais envie de lui hurler dessus que je n'y pouvais rien, moi, si la vie avait décidé de nous mettre des bâtons dans les roues. Si j'avais un caractère compliqué. Je faisais des efforts, en permanence, mais ce n'était jamais assez. Et je m'en rendais compte, maintenant qu'il explosait de rage sous mes yeux.
– Écoute moi bien, Louis.
– Non, toi ! Toi tu vas m'écouter !
Adel referma la bouche et croisa les bras sur ton torse, sur la défensive. Les mots s'agglutinèrent dans ma bouche, sans jamais en sortir. Il savait, pourquoi nous n'étions plus ensemble. Je m'étais excusé. Nous en avions parlé. Tout ce qui ressortait aujourd'hui n'était qu'une profonde frustration que lui et moi avions nourris à force de nous tourner autour sans jamais être honnête l'un avec l'autre.
Je détestais le voir comme ça. Nous ne nous étions jamais autant disputés tout deux, aussi violemment. Il n'y avait aucun dialogue, juste des ressentiments lâchés les uns après les autres nous nous blessaient tous les deux à tour de rôle. Il m'interrogeait du regard, se demandait bien quelle tirade j'allais lui sortir. De l'autre côté de la porte, les voix s'étaient tu. Il régnait subitement dans la chambre, et dans l'intégralité de l'appartement, un calme plat.
– Laisse tomber..., murmurais-je.
Et je baissais les bras, encore. Je n'avais plus envie de lui hurler dessus. Et je devais me rendre à l'évidence, j'en étais incapable. Mes yeux étaient toujours humides, et je disais adieu à la belle tirade que j'avais préparé.
– Ouais, je vais faire ça.
– Adel...
– J'espère que tu t'es bien amusé hier soir, parce que, écoute moi bien : c'était la der-
– Ne le dis pas.
Il eut un drôle de rictus, et leva un sourcil.
– Tu sais, je m'étais demandé si toi et moi, on aurait le droit à une autre chance.
J'avais envie de lui hurler que oui. Que moi, je le voulais. C'était limpide à présent.
– Parce que tu sais que je suis toujours amoureux toi, hein ?
Les mots me faisaient mal.
– Il y en a bien un qui a dû te le dire, c'est tellement évident, je n'arrive même pas à me mentir à moi-même !
Je ne répondais rien. Je restais en face de lui, un air interdit sur le visage.
– Mais peut-être qu'en fin de compte, je me suis trompé ? Nous ne sommes juste plus fait pour nous côtoyer comme ça. Tu sais quoi ? Je vais bien me tenir jusqu'à mon départ. Je vais être sympa et souriant. Et après, tu pourras tirer un trait sur moi, et tout le reste, une bonne fois pour toute. Tu feras ta vie de ton côté, moi du mien.
Il partait. Il partait et il venait de l'acter sous mes yeux. Je n'avais aucune idée de si sa décision avait été prise en amont, ou s'il venait de le décider sur l'instant, mais j'eus l'impression qu'on me planta un couteau dans le cœur.
– Je ne veux pas..., murmurais-je.
Adel ouvrit de grands yeux. Dans ma gorge, les sanglots s'accumulaient les uns après les autres, mais il était hors de question que je craque devant lui.
– Je suis désolé Louis, mais il va falloir respecter ce que je veux. Pour une fois.
Et Adel tourna les talons.
Il récupéra ses affaires, et sans un regard pour nos amis, restés dans le salon, il quitta les lieux. Maya se précipita dans ma chambre au moment où notre porte d'entrée claqua et se jeta dans mes bras avant que je ne fonde en larmes pour de bon. Je comprenais, maintenant. J'avais eut mal, il y a des mois de cela. Mais maintenant, je comprenais ce que cela lui avait fait.
* * *
Je n'avais plus de nouvelles de Simon ou Adel depuis deux jours à présents. Adel lisait mes messages, Simon également, mais aucun des deux ne répondaient. Dire que je me sentais mal était un euphémisme : la dernière fois que je m'étais retrouvé dans cette posture datait du lycée. Et jamais je n'aurais pensé un jour revenir à cet état. Maya et Inès n'osaient rien me dire, rien me conseiller. Elles restaient en retrait, à ma demande, même si je savais que Maya ne souhaitait qu'à rester à mes côtés. Eden semblait avoir abandonné toute idée de faire l'arbitre dans cette histoire, et je l'en remerciais. « Je ne l'ai jamais vu comme ça » était la phrase qu'il m'avait dite après que Adel ait claqué la porte de l'appartement. Il était décontenancé, moi aussi. À ce moment-là, j'avais remercié le ciel que Flora soit partie en vacances à l'autre bout du pays avec ses parents pour lui épargner cette ambiance franchement pourrie qui s'était instaurée dans le groupe.
Et soudain, comme s'il avait entendu mes prières, mon téléphone vibra. C'était un message de Simon. Mon cœur se mit à battre un peu plus vite quand je lus son message, me proposant de le rejoindre à place de la bourse. Je savais son aversion pour les discussions par messages ; Simon préférait voir les gens en face quand il s'expliquait ou parlait tout simplement avec eux.
Avait-il vu ou parlé avec Adel ? Je n'en savais rien. Son message ne précisait rien, juste une proposition pour se voir aujourd'hui, dans moins d'une heure. Du Simon tout craché. J'attrapai mes affaires, et sortis de ma chambre rapidement, sous le regard inquiet de mes deux colocataires. D'un signe de la main, je leur fis comprendre que tout allait bien, et leur expliquais brièvement la situation avant de claquer la porte.
Pourquoi avait-il mis autant de temps pour me répondre ? Est-ce qu'il allait m'en vouloir, lui aussi ? Je n'étais plus sûr de rien. J'étais de nouveau ce gosse au lycée qui marchait sur un fil, en essayant de ne pas chuter d'un côté ou de l'autre.
*
Simon attendait assis sur un banc, face à la fontaine, les mains jointes sur ses genoux. Il avait un air rêveur sur le visage, aussi, que je m'approchai de son banc, il ne réalisa pas immédiatement ma présence.
– Salut ?
Il releva les yeux et son visage se fendit en un large sourire, franc et honnête.
– Désolé pour ce message un peu soudain, j'étais de passage en ville, et je me suis dit que ce n'était pas plus mal que nous nous voyions maintenant.
– En effet.
Je m'installai à ses côtés, me demandant si je devais moi-même engager la conversation ou non. Simon était le roi des silences, il pouvait attendre durant de longues minutes que les gens prennent le pas.
– Je suis désolé..., murmurais-je.
– Oh, Adel t'a raconté ?
– Non, non, pas du tout ! Je me doute juste qu'il a dû te tomber dessus, et c'est de ma faute, alors je voulais m'excuser pour ça...
– Ce n'était pas judicieux de garder mon numéro, en effet., rigola-t-il.
Pourquoi avait-il cet air aussi léger sur le visage ? Une fois de plus, ce garçon me rendait perplexe. Et je comprenais pourquoi ma meilleure amie et lui s'entendaient si bien ; ils se ressemblaient sur bien des points.
– Je sais, j'ai été con... Pour être honnête, j'avais oublié sa présence dans ma table de chevet.
– Mmh, c'est ce que je lui ai dit. Que tu avais oublié.
– Il s'est passé quoi ?
– On a causé. J'avais jamais autant causé avec ton gars.
– Ce n'est pas...
– Ton ex, pardon.
Je levai les yeux au ciel ; Simon ne commettait jamais d'erreur de langage dans le genre. Avait-il juste envie de me charrier ? Adel lui avait-il raconté nos dernières interactions ensemble ? Il en était parfaitement capable, aussi, je me mis soudainement à avoir peur de la suite de notre discussion.
– J'ai eu peur, tu sais... Tu ne répondais pas à mes messages, et...
– Et il t'avait dit qu'il m'en collerait une, ouais, logique. J'aurais eu peur aussi. Mais rassure toi, il ne s'est rien passé. En réalité, il est même resté plutôt calme. C'est plus le genre de gars à se battre avec les mots, pas avec les poings. Il a de la répartie, c'est de ça dont il se sert pour blesser les autres, et c'est tout aussi douloureux.
Et je ne le savais que trop bien. En avait-il usé contre Simon également ? Étrangement, je n'en doutais pas. Adel savait être piquant quand il le fallait, c'était aussi l'un de ses moyens de défense, et je le savais pertinemment. Je le vis sortit une cigarette de son paquet et l'allumer, le visage concentré comme jamais. Comme à chaque fois, il jaugea la direction du vent avant de changer de place pour ne pas m'envoyer sa fumée dans la figure.
– Ça été compliqué de lui faire comprendre que je n'avais jamais eu d'intentions cachées avec toi. Sérieux, il est buté. Un peu comme toi. Parce que, comprend moi bien, lui dire que je t'avais approché parce que je te trouvais sympa, et que je pressentais que nous pouvions nous entendre... Ça a été complexe. Il a râlé, beaucoup, mais c'est un râleur, donc... Je m'y attendais. Ne lui en veux pas trop, mais il m'a raconté l'intégralité de la suite de votre soirée.
Oh mon dieu. Je me mis à rougir jusqu'aux racines, sous le regard amusé de mon ami. J'avais vu juste. Bon sang, Adel !
– C'était pour me contextualiser la dispute qui en a suivit. Sérieusement Louis... Je ne sais pas à quoi vous jouez, mais c'est vraiment à double tranchant.
– Je n'en sais rien non plus.
– Bref, il m'a dit qu'il avait fini par exploser, et par te balancer tout ce qu'il avait sur le cœur depuis des mois. Et tu sais quoi ? C'est une bonne chose. Maintenant il s'est libéré d'un poids, il sait qu'il ne s'est rien passé entre nous...
– Comment tu as réussi à lui faire entendre raison sur ça ?
Simon haussa les épaules.
– En étant honnête, c'est tout. Vous êtes mignons les gars, mais la gente masculine ne m'a jamais attiré plus que ça. Ne le prenez pas mal. Et je te vois venir, non, mon cœur n'est pas déjà prit par Maya.
– Que...
– On lit en toi comme dans un livre ouvert. On sait que tu t'imagines des choses.
– Vous êtes effrayants. Je n'aurais jamais dû vous faire vous rencontrer.
– Je t'en aurais voulu., rigola-t-il.
– Merci...
– Pour ?
– Pour tout.
– Oh, j'ai juste débroussaillé un peu le tout, à vous de faire le reste. On oublie souvent que dans une relation, les amis ont aussi leur rôle à jouer.
– Il ne m'a pas reparlé depuis ce jour...
– Ouais, je sais. Il est tendu. Ça, plus sa préparation pour son voyage...
Je baissais les yeux immédiatement. Son voyage. Son maudit voyage.
– C'est voué à l'échec, de toute façon ?
– De quoi donc ?
– Tu sais très bien.
– Je veux juste te l'entendre dire.
– Tu fais chier.
Simon rigola.
– Je vais pas me moquer, ou te dire que tu es versatile, tu le sais ça ? Vous n'étiez plus ensemble pour une raison, je ne vois pas pourquoi vous n'auriez pas le droit à une deuxième chance. Même après cette dispute ; elle était nécessaire.
– Merci...
– Je ne sais pas si je t'ai été d'une grande aide.
– Ô si, tu n'imagines pas.
Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette, les yeux rivés sur la vie bordelaise qui défilait sous nos yeux. Le silence s'installa progressivement, et rapidement, lui comme nous nous laissâmes bercer par le bruit des touristes et des habitants. Mes yeux se perdirent sur les détails de la fontaine imposante qui nous faisait face, et nous sûmes tous les deux qu'il n'y avait rien de plus à ajouter.
* * *
Après moult galère pour mettre en page ce chapitre, le voilà ! J'espère qu'il vous aura plus :D Et je vous dis normalement à demain pour la suite ~
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