62. CEUX QUI REGARDAIENT LES VAGUES

Il se pourrait que je le sois toujours, oui. Mais rassure toi, hein, je ne compte pas t'emmerder avec ça. L'avantage, c'est que je sais me tenir.

Les mots de Adel m'étaient revenu un jour plus tard, alors que nous nous changions tous pour nous rendre une toute dernière fois à la plage. C'était le dernier jour de beau temps prévu lors de notre séjour, et nous avions tous l'intention d'en profiter un maximum. Et au moment où je m'étalais la crème solaire sur les épaules (que je mettais toujours à cet endroit-là avant de partir de la maison, craignant de choper un coup de soleil dessus pendant le trajet), la phrase d'Adel m'était apparue. Elle s'était occultée de ma mémoire depuis cette fameuse soirée où j'avais sérieusement dépassé les bornes, jusqu'à aujourd'hui.

Bien sûr, mon cerveau se focalisa sur ça toute la journée. Pendant que nous allions à la plage. Pendant que nous installions nos serviettes. Pendant que nous jouions dans les vagues. Adel voyait bien que, de temps à autre, je lui jetais de drôles de regards, et il m'envoya valser avec un regard mauvais que je n'eus pas la force de contrer. Depuis le quatorze juillet, je dormais tout au bord de notre lit double, nous nous adressions à peine la parole, bref, l'ambiance n'était pas au beau fixe. Et comme si le reste de la bande avait compris que quelque chose se tramait, personne n'avait voulu jouer les médiateurs. Pas même Maya ou Eden qui pourtant, étaient bien souvent les premiers à agir dans ce genre de cas.

J'avais moi-même semé les mauvaises graines, et, au fond, je le savais, je me devais de rectifier le tir avant qu'il ne soit trop tard. Adel avait sans doute du penser que je m'étais endormi en plein milieu de ses confessions, ce qui n'était pas totalement faux, mais, une chance pour lui, mon cerveau avait tout de même décidé de retenir l'information. 

– Louis, tu viens ! Il y a encore de la place !

J'avisais la balancelle ronde et large sur laquelle quatre de mes amis avaient élu domicile. Alors. Non. Il n'y avait pas assez de place pour moi sans dépasser le poids réglementaire, j'en étais certains. Et je voyais Eden, grand maniaque des règles qu'il était, se mordiller les lèvres, en priant sans doute très fort pour que la balancelle ne lâche pas. À l'intérieur, Maya, Inès, Flora et Isaac riaient de bon cœur. 

– Sans façon, je préfère sauvegarder ce moment à jamais !

Et pour illustrer mes propos, je brandis mon appareil photo avant de les mitrailler avec. Un peu plus loin, assis sur un banc, Simon était en grande discussion avec Adel, et je ne pus m'empêcher de me demander ce que ces deux-là avaient à se raconter.

Jaloux, moi ? Non. Juste curieux.

Je savais que Simon était du type sociable, à s'entendre avec tout le monde. Il suffisait de voir comment il s'était rapproché de moi, lors de cette soirée, pour comprendre. C'était un type étrange, dans son monde, qui me faisait grandement penser à ma meilleure amie la plupart du temps... Et au final, cela ne m'étonnait pas de le voir faire ami-ami avec Adel. Cependant, je connaissais sa faculté incroyable à se faire des films, à tout analyser, à retenir le moindre détail sur la vie de tous ceux qui l'entourait... Et cela ne me plaisait qu'à moitié.

– Ça vous dis qu'on aille au marché ? 

Eden avait craqué, voir les quatre zigotos se balancer un peu trop vite, un peu trop haut, sur cette balancelle pour enfants avait fini par lui donner des sueurs froides, et je le voyais d'ici. De toute évidence, la sécurité d'Isaac était sa priorité, et il ne parvenait pas à les regarder en ayant l'esprit tranquille. 

– Carrément !

Et à son grand soulagement, je le vis à ses épaules qui s'affaissèrent, Isaac accepta, ainsi que tout le reste de la bande. Je levais discrètement mon pouce en l'air, car après tout, moi aussi je commençais sérieusement à m'angoisser à propos de cette balancelle grinçante et de ses occupants. Maya me sauta sur le dos, me claqua le fessier pour m'intimer d'avancer, et nous nous mîmes en route. 

*


Quand nous fîmes le bilan de notre marché, il fut évident pour tout le monde que nous avions largement de quoi manger ce soir, mais aussi le lendemain, et aussi le surlendemain en produit frais. Eden avait acheté des petits bracelets pour compléter la collection qu'il avait déjà sur le poignet, et il en allait de même pour moi. Je portais toujours le même nombre de bracelets au poignet gauche, à savoir quatre, et puisque le dernier en date m'avait lâché dans l'océan quelques jours plus tôt...

Alors qu'Eden entreprenait de tout ranger dans notre petit frigo, je pris la direction du salon pour m'avachir dans l'un des fauteuils confortables, que j'avais clairement désigné comme étant le mien au début de notre séjour ici. J'attrapai mon portable, et me mis à faire défiler les photos prises avec ce dernier, de notre séjour. Bien vite, je retombais également sur quelques photos prises avant mon départ, de ma sœur et sa nouvelle coupe de cheveux, d'Ambre qui avait fêté son anniversaire, et qui, jour après jour, rendait ses pères de plus en plus fiers... J'avais déjà hâte que mon ancien professeur d'histoire m'appeler pour que je vienne la garder à nouveau. Le temps avait filé si vite, et j'avais encore l'impression que c'était hier, ce jour où je le rencontrais pour la première fois. Il m'avait donné envie d'enseigner à mon tour, mais plus important, il m'avait fait découvrir une matière comme jamais aucun autre professeur avait su le faire. 

* * *


Notre départ était demain, et j'avais décidé d'aller sur la plage une dernière fois, malgré le ciel gris et le vent qui soufflait assez fort. Je voulais profiter des vagues et de l'odeur marine seul, pendant que les autres étaient retournés au marché tous ensemble.

Je déposais ma serviette sur le sable, non loin des rochers qui bordait cette dernière. Devant moi, les surfeurs se pressaient pour profiter des bonnes vagues que leur offrait la météo, et je fus heureux de constater que peu de gens avait décidé de poser leur serviette sur le sable à une heure aussi matinale. Quelques couples faisaient leur petite promenade matinale, les pieds dans l'eau, d'autres sortaient leur chien, trop heureux et excité de pouvoir se rouler dans le sable... J'aimais vraiment cette ambiance. J'avais pour seuls voisins les crabes qui se terraient sous les rochers, et les minuscules crevettes grises qui barbotaient dans les flaques sous ces derniers.

J'en étais là de mes réflexions, me disant que vivre ici pour ma retraite serait un plan sympa, quand je sentis une présence non loin de moi. Adel se tenait là, sa serviette aux motifs pingouins ridicules sur les épaules, et un sourire timide aux lèvres. 

– Qu'est-ce que tu fais là ?
– Je me faisais chier au marché. Et j'avais envie de venir ici une dernière fois avant de retourner sur Bordeaux.

Je me contentais de hocher de la tête avant de reporter mon attention sur les vagues qui déferlaient loin de moi, et le cours de surfs qui avait lieu à une dizaine de mètres. Petit, je n'avais jamais eu le courage de demander à mes parents d'apprendre le surf en club, pendant l'été. Maintenant, avec le recul, je me disais que je n'avais pas raté grand chose : avec mes deux pieds gauches, je me voyais bien mal tenir debout sur ma planche, et surfer les vagues avec classe comme cette bande de blonds au bronzage parfait qui surfaient sous mon nez.

– Je peux me mettre à côté de toi ?
– Ouais.

Tout était étrange depuis la nuit du feu d'artifice et celles qui avaient suivis. Adel déposa sa serviette, qu'il plia en deux avant d'y poser ses fesses. Je m'attendais à ce qu'il dise quelque chose de plus, mais à ma grande surprise, je le vis sortir un manga de son sac en tissu, et commencer à le feuilleter, dans le plus grand des silences. Curieux, je ne pus m'empêcher de lire par-dessus son épaule. 

– Tu as continué ?

Il agita son manga et je secouais la tête.

– J'ai décroché. Mais, rassure moi...
– ... Oui, le héro à fini par se bouger le cul.

Un rire m'échappa. Parce qu'à ce moment-là le souvenir d'une rencontre imprévue, dans mon café préféré en centre-ville, avait ressurgit du fin fond de mon esprit. 

– Alors ça vaudra peut-être le coup que je m'y replonge.

Ce fut au tour de Adel de hausser les épaules.

– Oh, tu sais, au fond, ça reste méga cliché.
– Ce n'est pas ce qu'on aime avec ces sagas là ?
– Pas faux.

Je n'avais aucune idée de s'il se souvenait lui aussi cette discussion, l'une des premières que nous avions eu, ce jour-là à la Fnac. Il se replongea dans sa lecture, et je l'imitai malgré moi. J'avais une dizaine de tomes de retard, mais peu m'importais : je ne faisais que regarder les illustrations, et lire en diagonale. En même temps mon cerveau, lui, carburait à vive allure sur comment amener le sujet du quatorze juillet sans le braquer. Je tenais à m'excuser, tout simplement, mais... Comme d'habitude, l'être humain maladroit que j'étais avait mal de dire les choses de travers. Et je connaissais Adel, il se braquait rapidement, et souvent pour un rien. Finalement, ce fut au bout de plusieurs longues minutes que je décidais de me jeter à l'eau.

– Adel ?
– Mmh ?
– Je... Je voulais m'excuser. 

Il leva péniblement les yeux de son chapitre et détourna lentement le regard vers moi, les sourcils levés. Mince. Avais-je tenté une mauvaise approche ? J'étais une quiche en excuse. Mais l'avantage était qu'Adel aussi. 

– À propos de l'autre jour.
– Ah.

Merde. Je connaissais parfaitement ce petit air pincé qu'il venait de prendre. Il était en pleine recherche de répartie, chose qu'il faisait quand il était touché ou blessé, et qu'il ne voulait surtout pas que cela se voit. Manque de chance, je le connaissais. 

– J'avais un peu bu, je suppose que ça m'est monté à la tête et...
– Ok, ok.

Je serrais les dents ; j'avais horreur de ce genre de réponse. 

– Tu avais l'air au fond du trou, aussi.
– Ah oui. Vraiment ?
– Euh je.... Peut-être pas, il faisait un peu sombre, je me suis sans doute mépris...
– Tu m'as embrassé parce que je te faisais de la peine, Louis ?
– Non ! Non pas du tout !

Quand il se mettait à prononcer le prénom des gens en fin de phrase, c'était toujours un mauvais signe. J'avais agité mes mains en signe de protestation, ouvert de grands yeux, soudain un peu paniqué. 

– Grand bien. 

Je reportais aussitôt mon attention sur les vagues non loin de là, souhaitant fuir au plus vite le regard lourd du garçon à mes côtés. 

– C'est tout ?
– Oui. Enfin, non.... Je voulais savoir ce qui s'était passé, cette nuit-là...
– J'ai eu des nouvelles de la Corée.
– Oh.
– Enfin, de Moon plus précisément. Le professeur qui nous supervisait elle et moi avait une proposition à me faire.
– Tu vas y retourner..., murmurais-je.

Ce n'était pas une question que je lui posais, mais un constat que je me faisais. Mon cœur se serra si fort que je crus bien le perdre. C'était ça, alors ? Était-ce à cause de cela qu'il avait cette mine si triste quand je l'avais rejoint ? Avait-il voulu me dire ? Avais-je tout gâché ce soir-là ? Je n'en saurais jamais rien, car je me connaissais, j'étais bien trop trouillard pour oser lui poser la question. 

– Ouais. Enfin, rien n'est fait, mais j'ai potentiellement une proposition pour bosser là-bas en parallèle de ma dernière année de master.
– C'est... C'est super bien, non ?

J'avais mal. Si mal. Mais en même temps, je me sentais heureux pour lui. Tous mes sentiments se contredisaient, et je ne savais plus quoi en penser. J'avais l'envie égoïste qu'il reste avec moi. Qu'il ne me quitte plus du tout. Mais d'un autre côté... J'avais moi-même tout arrêté. Et j'y avais gagné tellement... Et, je le savais, je serais incapable d'endurer à nouveau une relation à distance de plus d'un an. 

– Il faut que je pèse le pour et le contre. J'ai encore un peu de temps avant de donner ma réponse définitive. 

J'eus une envie subite de le prendre dans mes bras, pour ne jamais le laisser repartir. S'il partait, en l'état actuelle des choses... J'avais peur de tout perdre avec lui. 

– Les autres... Enfin, quelqu'un est au courant ?
– Eden.

Toujours lui. Cela ne m'étonnait pas tellement, au final. Et puis, une autre question me vint en tête, mais peut-être était-il trop tôt pour en parler. Les mots d'Inès lors de notre discussion, quelques jours avant notre départ, me hantaient depuis. Non seulement à cause de son histoire, mais aussi de ce qu'elle m'avait confié à la toute fin. Cependant, je voyais bien que l'instant était mal choisis pour remonter le sujet à la surface, sujet dont je n'étais surtout pas censé être au courant. Je décidais donc de me taire, et de ne pas aborder le sujet pour le moment. 

– Je ne compte rien dire aux autres avant que quoi que cela soit officiel. Je peux compter sur toi ?
– Évidemment.

* * *

Notre dernière soirée à Biarritz fut parfaite. Malgré l'orage, malgré la pluie, l'incapacité d'aller boire un verre une dernière fois devant un couché de soleil. Malgré tout ça, nous étions tous réunis autour d'une partie de monopoly interminable, et nous nous éclations réellement. J'avais fait une alliance avec Maya et Isaac, mais je devais bien l'avouer : personne n'avait vu Simon venir. Lui, le joueur que tout le monde avait oublié, avait finalement fini par briller, déposer des hôtels un peu partout sur le plateau de jeu, et plumer tous ses adversaires. Eden était dévasté par sa défaite, et je voyais à ses yeux verts qui parcouraient le plateau d'un air affolé alors qu'il cherchait une explication rationnelle à sa défaite. Inès avait trop bu et rigolait au moindre lancé de dés, et Flora n'était pas en reste. Adel semblait près à manger le plateau à mesure que ses allers-retours en prison lui interdisaient de jouer.

Pour terminer, Isaac se retrouva à masser les épaules d'Eden qui semblait à deux doigts de la syncope, Adel déclara que Simon avait forcément triché, Inès et Flora ressemblaient à deux larves hilares, Maya ne manquait pas une seule seconde pour photographier tout ce beau monde, et moi, je m'évertuais à ranger le jeu avant qu'Adel en fasse avaler les pions à Simon. Il fut compliqué d'envoyer tout le monde au lit, à une heure aussi avancée de la nuit, et avec autant de débat en cours quant à la légitimité du vainqueur, mais une heure plus tard, le calme était revenu dans la maison, et nous étions chacun dans nos chambres respectives.

– Je suis sûr qu'il avait des billets dans sa manche..., marmonna Adel.

Je levai les yeux au plafond, exaspéré par son comportement de gamin, et je me retournais face à lui.

– Adel... Sérieux. Admets juste qu'il a gagné, que tu as perdu, que tu as fini pauvre, sans maison, et en prison. Ce n'est pas un drame.

Est-ce que j'en rajoutais ? Légèrement.

– Merci Louis. Tu es d'un réconfort... Incroyable. Je ne perds jamais à ce jeu, point barre.
– Oh, vraiment ? Pourtant, je me souviens de notre première partie...
– Nous n'étions que tous les deux, je voulais juste te faire plaisir.
– Ce jour-là, tu as fini à zéro pour me faire plaisir ?

Dans la semi-obscurité de la chambre, je vis ses sourcils se froncer. À ce moment-là, l'orage se rapprochait, et nous entendîmes son bruit sourd résonner dans toute la maison. Dehors, les éclairs éclairaient tant le ciel qu'il semblait faire jour dans notre chambre à chaque fois qu'il zébrait le plafond étoilé. 

– Exactement. Pour te faire plaisir.
– Mmh. Je vais te croire va...

Il gonfla les joues, visiblement agacé par ma répartie, et me donna un léger coup de poing sur l'épaule.

– Tu sais que j'ai horreur de ce genre de réponse...
– Ouais.

Dehors, un nouveau coup retentit et le fit sursauter. 

– Il est violent celui-là..., chuchota-t-il.
On a peur, Potter ?

Il rigola en entendant cette référence que nous avions tout les deux et écarta timidement les bras.

– Est-ce que ça te dérange si...

Je secouais la tête et m'approchais pour me nicher contre lui, les bras ramener contre ma poitrine.

– C'est pas que j'ai peur, c'est juste que j'ai toujours l'impression que les éclairs frappent...
– ... dans mon jardin avec ce bruit sourd. Je sais, le coupais-je d'une voix douce.

Ce n'était pas le premier orage que nous « affrontions » ensemble, je le connaissais par cœur. Et rien n'avait changé. Son cœur battait toujours aussi vite, et sa respiration était sifflante. Je le savais concentré, à compter les kilomètres qui nous séparaient de la tempête, avec ces techniques que l'on apprenait étant enfant. Il se cala tout contre moi, et je le laissais faire, trop heureux – je devais bien l'avouer – d'être également rassuré en cet instant.

Quand la tempête dehors se calma, je fus surpris de ne plus le sentir bouger contre moi. La tête dans le creux de mes épaules, les yeux clos et une jambe au-dessus des miennes, Adel avait fini par s'endormir. Il me serrait comme un doudou qu'il ne voulait surtout pas lâcher, et pour rien au monde, je n'eus pas envie de briser cet instant.



* * *

On touche à la fin des petites vacances entre potes à la mer, les amis ! J'espère qu'elles vous auront plu ! J'ai adoré écrire cette fin de chapitre, sans doute parce que je me visualisais parfaitement la scène du monopoly, j'espère qu'il en était de même pour vous, du coup xD 

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