57. CEUX QUI SE RENFERMAIENT

attention; je fais ici une toute petite note en début de chapitre - c'est rare - mais je préfère prévenir. le chapitre n'est pas super joyeux, j'aborde un sujet délicat, et même si je ne rentre pas dans les détails, je préfère prévenir. ainsi, les personnes étant mal à l'aise avec les agressions physiques, verbales et les attouchements ou autres peuvent potentiellement se retrouver mal à l'aise. je précise une nouvelle fois que je ne rentre pas du tout dans le détails, mais si comme moi, le sujet vous rend mal à l'aise ou quoi avec une simple évocation, ou témoignage qu'il soit fictif ou réel, je suis à votre disposition pour vous résumer le chapitre ou quoi par mp.

* * *


Le projet de la semaine de vacances au bord de l'océan avait fait du bruit. Nous étions tous d'accord pour nous y rendre une fois les examens des uns passés, une fois les résultats du baccalauréat de ma sœur fêtés dignement, et une fois mon job terminé. Et j'avais déjà hâte. 

– À quoi tu penses comme ça ? 

Inès avait la tête posée sur mon dos, et lisait un livre, les bras tendus au-dessus de sa tête. Je n'avais aucune idée du plaisir qu'elle éprouvait, allongé dans cette position pour bouquiner, mais puisqu'elle ne me dérangeait pas plus que ça, j'avais décidé de la laisser faire. 

– À nos vacances...
– J'ai tellement hâte... Il va falloir que je me trouve un maillot.
– Tu n'en a pas déjà un ?
– J'en ai trois, mais ça ne sera pas assez.
– Tu sais que nous partons seulement dix jours ?
– Et ?
– Je pense que trois, ça ira...
– Tu ne comprends rien Louis... Il faut que je m'adapte au bronzage que je vais avoir, puis parfaire au fil des jours !

Je soupirai, un sourire aux lèvres ; qui réfléchissait comme ça, vraiment ? Réponse : Inès, qui voulait avoir un éventail de couleurs suffisamment important pour aller avec les différentes teintes que sa peau prendrait au fil de notre séjour. J'entendais d'ici la voix de ma meilleure amie, se moquant de la garde-robe complète que Inès allait ramener pour deux petites semaines de vacances. Connaissant Maya, elle allait prendre le strict nécessaire, et piocher dans mes tee-shirt pour nos soirées, voir dans mes caleçons si elle oubliait encore son pyjama.


Son portable vibra, pour la cinquantième fois en une heure, et elle poussa un soupire agacé. Je lui tapotai la tête, et attrapai son portable pour qu'elle daigne au moins regarder ses notifications. 

– Tu devrais peut-être répondre, non ?
– C'est la discussion de groupe de ma classe.
– Et ?
– Et je dois t'avouer que j'ai la flemme d'aller faire une soirée ce soir, ils me gonflent à insister.

Je fronçais les sourcils, et me retournais tant bien que mal pour essayer de décrypter ses expressions.

– Inès, je peux savoir pourquoi tu ne sors plus ?
– Je sors.
– Oui, avec moi. Avec Eden. Avec Maya. Bref, avec tes potes de lycées, et uniquement pour aller chez l'un d'entre nous.

Elle haussa les épaules et referma son bouquin. Je n'aimais pas ce ton. De manière générale, quand Inès prenait un air aussi sérieux, c'est qu'elle en avait lourd sur la conscience. 

– Tu peux me dire, hein, si tu ne t'entends pas avec les gens de ta promo. Ça arrive.
– C'est pas ça.
– Parce que d'autant que je me souvienne, tu étais la première à rentrer le lendemain à la coloc, complètement explosé. Tu adorais sortir. 

Nouveau haussement d'épaule qui me fit froncer les sourcils. Elle se redressa et ferma son livre, abandonnant visiblement sa lecture en cours pour croiser les bras sur son torse, et me dévisager. Je n'aimais pas la voir ainsi. Voir Maya tirer la tronche, j'en avais l'habitude. Elle n'était pas ce qu'on appelait quelqu'un de très souriant au naturel, et avait la plupart du temps un air assez neutre sur le visage. Inès, elle en revanche, rayonnait en permanence. Quand son visage devenait plus sombre, ce n'était jamais plaisant à voir. 

– Je me suis faite emmerder. Et pas qu'une fois, me lâcha-t-elle d'un ton parfaitement détaché.

J'ouvris de grands yeux, et me redressais un peu plus, posant le portable que je tenais toujours entre les mains. J'espérais me tromper quant à la signification du mot « emmerder », mais je me doutais bien que je n'étais pas si loin de la vérité. Voyant que son expression ne changeait pas, et qu'elle me sondait toujours du regard, je me mis à me sentir mal à l'aise. Je n'avais aucune idée de quoi dire, de comment rebondir sur sa révélation, de si je devais le faire ou non ; j'avais l'impression qu'elle n'en avait pas terminé.

– Et j'ai pas envie que cela recommence.
– Merde mais... Inès, pourquoi tu ne m'as rien dis ! C'était quand ? Où ?
– L'an dernier. Vers mars. Ou avril. Ne t'en fais pas, j'en ai parlé. D'abord à Eden, qui m'a accompagné chez un professionnel pendant des mois.

J'ouvris la bouche, avant de la refermer immédiatement. Eden était au courant ? Et moi je... Je ne trouvais pas les mots. 

– Mais je...
– Ne lui en veux pas, je lui ai demandé de ne rien dire.
– Mmh...
– Tu vois, c'est ça que je ne voulais pas.
– Quoi donc ?
Ce regard.
– Mon regard ? Et Eden son regard il était mieux ?
– Ce que tu peux être bête parfois... Vous êtes deux personnes radicalement différentes. C'est lui qui est venu vers moi. Parce que... C'est Eden, et qu'en plus d'être premier dans tout ce qu'il entreprend, je le soupçonne aussi de lire dans les pensées. Il savait que quelque chose n'allait pas, il m'a décrypté en deux secondes. Avec toi... Je savais que j'allais avoir le droit à ce regard .
– Il a quoi mon regard...
– Tu as pitié.
– Pas du tout !
– Je sais que tu ne penses pas à mal, mais je te connais Louis... Tu es du genre à prendre toute la peine des autres sur tes épaules. Tu es mon colocataire, nous vivons ensemble toute l'année... Je ne voulais pas que tu en souffres.
– Tu aurais du... Non, tu aurais pu m'en parler.
– Je sais... Mais j'étais un peu dépassée, en colère aussi, et j'ai fait au mieux.

Je baissais les yeux sur ma couverture, un air peiné sur le visage. J'avais l'impression que, enfin, tout devenait plus lucide. Je me sentais atrocement bête de ne rien avoir relevé pendant des mois. 

C'était le genre de situations qu'on imaginait chez les autres, mais jamais chez nous. Que nous ne voulions pas voir chez nous. C'était le genre de situations surréalistes, qui nous faisait perdre foi en l'humanité. C'était le genre de chose que, au fond, nous redoutions tous. 

– Je ne sais même pas pourquoi je te racontes ça maintenant, j'aurais pu inventer un bobard. Je pense juste que j'en avais besoin.
– Je suis un pote en carton.
– Ne dis pas ça !

Elle me passa une main sur le dos, et me prit dans ses bras sans plus attendre. Mais ce n'était pas moi qui avait besoin d'être réconforté... 

– Ça va beaucoup mieux, et tu sais pourquoi ? Parce que j'ai des amis en or, qui m'ont aidé, à leur façon.
– Mais je... Moi je me plaignais de mes histoires de cœur, et toi tu...
– Eh, tu n'en savais rien, ok ?
– Et ça en est où ?

Inès haussa les épaules, un air las sur le visage.

– Oh, tu sais, la première fois, c'était un illustre inconnu. J'ai laissé couler, parce que c'était juste des paroles déplacées, et que sur le coup, j'ai estimé que ce n'était pas important. Je n'allais jamais le revoir... Bref, je ne voulais pas en faire tout un foin. 

Plus les mots sortaient de sa bouche, plus je m'interrogeais sur le comment j'avais pu passer à côté de cela aussi longtemps. Je me sentais atrocement mal de n'avoir rien dit, et d'avoir insisté à plusieurs reprises pour qu'elle aille en soirée.

– Mais la seconde fois, c'est allé un peu plus loin... Il a recommencé à deux soirées. Au début, j'ai cru que c'était à cause de moi, peut-être que je n'avais pas été assez explicite, qu'il pensait avoir une chance, tu vois ?

Je hochais la tête. Mais au fond de moi, la colère grouillait. Était-ce humain à ce point de vouloir croire que tout était d'abord de notre faute, et uniquement de notre faute ? Était-ce un réflexe que nous avions tous, dans ce genre de situation ? Du déni ? Je n'en savais rien. Mais j'étais en colère de voir que c'était qu'Inès avait pu penser d'elle à cet instant-là. Soudain, ses remarques sur ses habits, sur ce qu'elle portait le soir avant de sortir, ses interrogations quant aux tenues qu'elle essayait devant moi et Maya firent sens. Et cela me révolta au plus haut point. 

– J'ai eu peur. Je me suis sentie comme une merde, et pas soutenue par les gens qui étaient présents. Si j'ai réussi à me barrer avant qu'il n'aille trop loin, c'est uniquement parce que j'ai pris sur moi, et que je n'étais pas tétanisé.
– Quelle bande de...
– Je sais, me coupa-t-elle. J'ai coupé les ponts avec la plupart des gens qui étaient présents ce soir-là. Eden a gueulé qu'il irait lui casser la gueule, et honnêtement, j'étais à deux doigts de le laisser faire. Je le voyais tous les jours, et ce n'était plus possible... je me suis confié à un professeur, qui a été assez arrangeant, et qui m'a changé de groupe de TD, comprenant mon mal être, mais... même si je salue l'initiative, ça ne changeait pas grand chose, je continuais de le voir tous les jours. Pas de preuves, pas de témoins potentiels, mes plaintes sont tombées à l'eau. 

Inès haussa les épaules, une moue sur la figure.

– Je suis juste dépassée et en colère, rien de plus, rien de moins, Louis.

Je ne parvenais pas à comprendre comment elle pouvait me parler de ça de manière si détachée, mais je n'avais qu'une envie, retrouver ce gars – avec Eden si l'envie lui en prenait – et d'aller le jeter dans la Garonne. 

– Louis ?

Je ne répondis rien. Dans ma tête, j'essayais de formuler une phrase correcte, d'assimiler tout ce qu'elle venait de me confier, mais je n'y parvenais pas. C'était trop dur. Trop dur d'imaginer ce qu'elle avait pu traverser, ces moments où personne ne l'avait écouté, ou trop peu de gens avaient été avec elle...

– Tu sais, ce n'est pas si grave...
Ne dis pas ça !
– Mais c'est que...
– Oui, oui je sais ! Je sais comment tu es, Inès. Tu vas me dire que pire est arrivé à d'autres, que tu as eu « de la chance » – je mimais les guillemets – que cela ne soit pas allé plus loin... Mais je ne suis pas d'accord. À ton échelle, pour toi, c'est grave. Ça t'affecte.
– Eden m'a dit la même chose. Presque mot pour mot.
– Il a raison.
– Je m'en doute. Vraiment... C'est juste que... ça fait des mois, tu vois, et je n'ai toujours aucune idée de comment réagir. Je veux juste continuer de vivre sans y penser, de m'amuser sans y penser, bref, que tout redevienne comme avant. Et j'y arrive, Louis. Parce que j'ai consulté pendant des semaines, sous les conseils d'un ami. Parce que vous êtes là. Parce que je fais des études que j'aime. 

Les larmes me montèrent aux yeux. Je voulais être aussi fort que la femme en face de moi. Et affronter ma vie de cette manière. Je voulais moi aussi pouvoir passer par-dessus les obstacles avec bravoure. Je l'admirais. Aujourd'hui plus que n'importe quand. 

– Est-ce que... Est-ce que les autres savent ?
– Adel le sait, Maya s'en doute. Tu connais Maya, elle fouine partout, et découvre des choses improbables. Elle m'a souvent sous-entendu la chose, donc je suppose qu'elle sait, et qu'elle sera là si besoin. Et Adel... je ne sais pas si je devrais te le dire.
– Pourquoi ?
– Parce que c'est... Personnel.
– Tu ne peux pas me lâcher une bombe pareille et rien me dire...

Inès parut hésiter quelques instants, et j'eus soudain envie de revenir sur mes propos. Je ne voulais pas, une nouvelle fois, la mettre mal à l'aise. Ma curiosité n'avait pas que du bon. 

– Pour faire court, nous nous sommes retrouvés dans la même salle d'attente. Et le sujet de nos consultations respectives est arrivé tout seul.

J'ouvris la bouche en grand, surpris. D'accord, ça, je ne m'y attendais pas. Mais puisque Inès décida de ne pas approfondir le sujet, et que, de toute évidence, ce n'était pas une chose dont je devais être au courant, je préférais ne pas rebondir sur ce qu'elle venait de me dire. 

Un silence s'installa de nouveau dans ma chambre, et ni moi ni elle en prirent la parole pendant les minutes qui suivirent. Et puis, après une petite quinte de toux gênée, elle reprit son bouquin et entreprit de m'expliquer l'intrigue, comme si de rien était. Alors je l'écoutais, captivé par ses mots, essayant de mettre de côté de qu'elle venait de me confier. Je tentais de me focaliser sur le sourire de la jeune femme que j'avais en face de moi. Sur son engouement, quand elle me parlait de son récit. De sa passion pour les livres. Il fallait que je le fasse. Je refusais de la regarder différemment. De la faire se sentir mal à l'aise. Elle avait raison, j'avais toujours été du genre à pomper les émotions chez les gens.  Aujourd'hui, Inès me demandait d'aller à l'encontre de tout ça. 


*


Le reste de la soirée fut... Particulier. Pourtant, j'eus l'impression qu'Inès rayonnait plus que jamais. Plus tard, elle me remercia, de l'avoir écouté, et je ne sus quoi répondre. Elle ne m'en laissa d'ailleurs pas l'occasion avant d'aller commander des pizzas, et de me laisser en tête à tête avec Maya qui rentrait de cours, dans le salon.

Pendant une bonne partie de ma soirée, je ne pensais qu'à cela. Des images ignobles se succédaient dans ma tête, et me donnaient envie de vomir. Puis, dans un second temps, j'eus envie d'être en colère contre le monde entier. L'idée que cela ait pu arriver à l'une de mes plus précieuses amies me mettait hors de moi. Et puis, dans un dernier temps, je compris enfin sa réaction. Nous étions tous différents les uns des autres, et chacun avait sa manière de gérer ses problèmes. Inès se confiait peu, et gardait tout pour elle. Maya avait toujours tendance à exploser. Moi, je me lamentais dans mon coin, mentais pour me couvrir et m'enfonçais dans ses histoires sans fins. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne m'avoir rien dit. Mais je pouvais l'aider à oublier, comme elle le souhaitait. Je pouvais continuer à être ce coloc, cet ami, qui l'avait épaulé inconsciemment pendant des mois. Et je ne comptais pas m'arrêter. Nous étions un groupe, un ensemble. Je ne savais pas pour combien de temps, je ne savais pas si, dans dix ans, nous en serions toujours là, mais pour l'heure, nous étions une deuxième famille pour chacun d'entre nous, et nous progressions ensemble. Nous ne devions plus être de ceux qui se renfermaient, mais de ceux qui s'ouvraient d'avantage les uns aux autres. 



* * *

Nous n'étions clairement pas dans le chapitre le plus fun de la fic, je m'en excuse. ;-; Cependant, ne vous en faites pas, le retour de la fraîcheur est proche !

J'ai hésité très longtemps avant de garder cette facette du personnage de Inès, genre, vraiment. Au départ, dans ma tête c'était plus détaillé, mais clairement, je me suis rendue compte que le sujet me touchait trop pour en parler de la sorte. Puis, dans une seconde phase de réflexion, ce n'était pas Inès qui avait été agressé, mais l'une de ses proches amies, de la fac. Et puis finalement, je suis revenue sur mon schéma initial, en restant très soft. C'est un parti pris, ma fiction a un ton assez léger en général, mais même si je traite de sujet graves de temps à autres, je tenais à le garder. Pour moi de simples évocations, ou témoignages de la sortes sont tout aussi touchant que des récits détaillés, mais cela est propre à ma perception. Pour vous dire, j'avais même hésité à garder cette idée, de peur que cela fasse too much, ou je ne sais quoi, les gens reprochent si vite des choix narratifs qu'on fini par hésiter pour tout et n'importe quoi. Mais comme les soucis qu'à traversé Louis au lycée, non, de mon point de vue, ce n'est pas too much, c'est la triste réalité.

Je viens de me rendre compte que je viens de faire tout un pâté du pourquoi du comment j'ai tourné ça comme ça, alors que c'est ma fiction, bref xD Je tenais juste à vous tenir informer de ma réflexion, comme je le fais de temps en temps. J'espère en tout cas que ce chapitre vous éclaire un peu plus sur ce personnage, sur son évolution également dans cette deuxième partie de l'histoire. Je vous dis à la semaine prochaine pour la suite, portez vous bien ♥

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