53. CEUX QUI VOULAIENT OUBLIER

J'avais le numéro d'Adel sous les yeux. Et je n'avais aucune idée de pourquoi j'hésitais encore à lui répondre. J'étais disponible. Rien ne m'empêchait d'y aller. Et c'était bien dommage d'ailleurs, j'avais réellement eu envie d'avoir une excuse pour éviter de me rendre chez lui. Parce que j'avais peur des silences gênants, des regards en coin de notre part à tous les deux, et des œillades indiscrètes au possible de nos amis. Parce que oui, c'était exactement comme ceci que je m'imaginais la soirée. Et au-delà de cela, j'avais été gêné de le revoir dans la librairie. Je m'étais retrouvé coincé, comme un idiot, à chercher mes mots, et à me demander pourquoi il me traitait avec autant de distance, alors que la réponse était plutôt simple : nous n'étions plus ensemble.

– On ne touche pas les statues ! sifflais-je à l'attention d'un gosse encore trop curieux.

Le garçonnet me lança un regard noir, pensant sans doute m'intimider du haut de son un mètre vingt, et courra se réfugier dans les jupons de sa mère qui me lança un regard mauvais. Oui, j'avais peut-être l'air d'un surveillant de musée avec la tête dans les étoiles, mais les bêtises des nombreux visiteurs ne m'échappaient jamais. Je jetai un regard à ma montre, agacé. Le temps passait à une allure... Pour une fois. Adel devait attendre ma réponse, sa soirée était ce soir, et il était toujours dans le flou. Qu'est-ce qui m'empêchait de lui répondre un « non », tout simplement ? J'avais peut-être peur qu'il m'en veuille.

Oui, c'était sans doute ça. Et j'avais aussi dans la tête les paroles de Simon, qui revenaient encore et encore me rappeler que ce que j'étais en train de faire était loin d'être la bonne solution. Mais, j'avais le droit de ne pas être prêt, non ?

Et puis, comme s'il lisait dans mes pensées, Eden m'envoya un message.

« Hey Louis, je sais que tu bosses, mais je sais aussi que tu lis tes messages parce que tu as ton portable dans ta poche. Et que de toute façon, tu es trop curieux pour ne pas regarder les messages qu'on t'envoie. Et que tu n'es jamais en silencieux. Bref. Tu viens ce soir ? Je suis avec Adel là, et il est agacé parce que tu ne lui as pas répondu. Il est en train de se prendre le vent du siècle. »

Je clignais plusieurs fois des yeux devant son message, à la fois amusé et stupéfait. Premièrement, certes, j'étais trop curieux pour ne pas jeter un œil à mon téléphone après avoir entendu le son d'une notification. Et deuxièmement... Adel était agacé ? Pourquoi cette information me fit serrer les dents ? Et battre mon cœur un peu plus vite ?

« Désolé. Je lui réponds rapidement. »

« Ouais, s'il te plaît, parce que là, il va me péter une durite. »

Bon. Louis. Reste calme. Et réponds lui. Non, j'avais une meilleure idée, j'allais lui téléphoner. Il savait que j'avais horreur de ça. Que l'idée même de passer un coup de téléphone, même à un proche, me donnait des vertiges et me rebutait plus que tout. En lui téléphonant, je lui prouvais que je n'avais rien contre lui. Et puis... Je lui devais bien ça. J'avais bien vu tous les efforts qu'il avait fait depuis son retour pour me voir.

D'un pas pressé, je fis signe à un collègue que j'étais subitement pris d'une envie urgente, et allai m'enfermer dans les toilettes de l'étage, celle bien souvent désertée par les visiteurs. Respire Louis, ça va le faire, respire. C'est juste Adel. Il ne va pas te manger. Pourtant, je le sentais parfaitement bien, mon cœur : à deux doigts de lâcher en attendant qu'il décroche. 

« – Louis ?
– C'est moi, oui...
– Je le sais, idiot, ton nom est affiché sur mon écran, avec une photo fantastique de toi.
»

Je ne voulais pas savoir quelle photo il avait bien pu mettre pour moi. Pour ma part, avant que je ne l'efface, j'avais mis une photo de lui et ses petites barrettes plaquées sur son front. Il avait l'air d'un sacré abruti, mais ce cliché avait eut le mérite de me faire rire de nombreuses fois en voyant sa bulle s'afficher sur mon écran.

« – Je commençais à me dire que tu avais oublié.
– Non, non !
– Mmh.
»

Nouveau blanc. J''étais mal à l'aise.

« – Tu ne viens pas ce soir, c'est ça ? »

Je n'avais aucune idée de comment il avait pu deviner. Tout cela était-il si évident ?

« – Je m'en doutais un peu mais... J'avais quand même envie de tenter ma chance.
– Adel...
– Je comprends. Il n'y a aucun souci.
»

Et pourtant, je pouvais presque percevoir de la tristesse, dans le fond de sa voix. Je l'imaginais aisément, le téléphone à la main, le regard rivés sur ses pieds, sa main libre s'agitant toute seule pour combler le vide. Il faisait toujours ça au téléphone pour s'occuper.

« – Ce n'est pas contre toi...
– Oh. Me voilà rassuré alors. Ça vient de toi, du coup.
– Oui.
– Ok.
– Voilà.
– Bon.
»

J'avais envie de raccrocher, mais j'avais peur de mal faire. Peut-être voulait-il me dire quelque chose en plus ? Ou peut-être était-il vraiment temps de raccrocher, parce que nous ne savions plus quoi nous dire, et que le tout devenait vraiment trop gênant ? J'ouvris la bouche pour rajouter quelque chose, quand Adel me prit de court. Il raccrocha, sans plus de cérémonie. Et tout mon stress sembla s'envoler d'un seul coup. Cette conversation téléphonique était, et de loin, la pire que je n'avais jamais eu en dix-neuf années d'existence. La pire. J'avais très sérieusement envie de me donner des claques tant j'avais été pitoyable. Pourquoi étais-je incapable de me comporter normalement avec lui ?

J'en venais presque à me dire qu'avec Eden, tout avait été plus simple. Nous avions été en froid, avant de redevenir amis, et de se côtoyer parfaitement, normalement. Là, c'était différent. Il y avait quelque chose entre nous. Quelque chose que je ne parvenais pas à qualifier. C'était assez étrange en soi. Je n'arrivais pas à m'en vouloir d'avoir rompu, quelques mois plus tôt. Mais je n'aimais pas la situation actuelle. J'avais envie d'appuyer sur u bouton « avance rapide », et de zapper les prochaines semaines de ma vie pour arriver directement au point ou lui et moi aurions dépassé ce stade-là. Je sortis des toilettes un air dépité sur le visage avant d'aller me planter aux côtés de la statue de Jupiter, qui me fixait de ses yeux blanc et vide. 

– Me juge pas toi, avec ton bras en moins et tes fesses ridicules..., marmonnais-je.

Une touriste me lança un regard un peu bizarre avant de presser le pas, après m'avoir entendu. Je foudroyais Jupiter du regard, comme si cela était de sa faute avant de continuer ma ronde. Le reste de ma journée s'écoula dans une lenteur effroyable. Ma seule motivation était de rentrer chez moi, de m'affaler sur mon canapé, et de me mater une série toute la soirée. En essayant de ne pas penser à Adel, Eden, et les autres qui s'amuseraient bien sans moi. Après tout, c'était mon choix. 

* * *

Maya avait directement filé de son école à chez Adel. Et je pensais être totalement seul, jusqu'au moment où je vis Inès sortir de sa chambre, les yeux gonflés de sommeil. Visiblement, elle sortait d'une sieste un peu trop longue, et avait oublié de se réveiller pour se rendre chez lui. Du moins, c'est ce que je pensais jusqu'à qu'elle se pose à côté de moi, sur le canapé, et ne se glisse sous le plaid que j'avais sur les genoux. Nous avions beau être en juin, mon corps avait décrété qu'il ne faisait pas assez chaud, et que j'avais toujours besoin d'une petite couverture pour mater mes séries en paix. 

– Tu ne vas pas à la soirée ?
– Mmh ? Non, je ne suis pas en forme.
– Ah.
– Ça te gène si je regarde avec toi ?
– Non non, pas du tout !

À vrai dire, cela faisait belle lurette que Inès et moi n'avions pas partagé de moment rien que tous les deux. Elle attrapa mon poignet et joua quelques instants avec les bracelets s'y trouvant. 

– Tu l'as gardé ?
– Évidemment.

Je tenais à mon bracelet des dix-huit ans comme à la prunelle de mes yeux. Je me surprenais parfois à fixer le petit pendentif accroché à la chaînette en argent, et à me perdre dans mes souvenirs. 

– Je n'allais pas le mettre au fond d'une boite...
– Oh, je sais pas, certains se débarrassent de tout après une rupture.
– Je trouve ça idiot. Adel et moi sommes toujours en bons termes.

Inès leva un sourcil.

– Et j'aime ce bracelet, ajoutais-je.

Elle haussa les épaules, et, sans lâcher ma main, posa sa tête sur mon épaule. On reste un moment sans rien se dire, à fixer l'écran de la télévision devant nous. Je savais que Inès n'aimait pas la série que je regardais en ce moment, et je m'étais donc étonné qu'elle veuille rester la voir avec moi. Mais après tout, pourquoi pas.

Et puis, à la fin de mon épisode, je me rappelais d'un détail me chiffonnant déjà depuis quelque temps. Depuis l'an passé, en réalité. Et beaucoup plus depuis mars dernier. Puisqu'il n'y avait pas vraiment de bons moments pour parler de ce genre de chose, et que nous étions juste elle et moi, peut-être le moment était-il venu ? Je tournai la tête vers Inès, m'assurant qu'elle ne s'était pas assoupie à nouveau et cette dernière leva les yeux vers moi.

– Dis, Inès, j'ai une question.
– Je t'écoute ?
– Il s'est passé quelque chose avec les gens de ta promo ?

Elle s'écarta un peu et leva un sourcil, surprise.

– Non, pourquoi ?
– Je... Je me fais peut-être des idées, hein ? Mais je trouve que depuis le début de cette année euh... Tu sors moins.
– Ah.
– Oui, je sais, c'est idiot, je veux pas non plus te pousser à aller faire la fête ou quoi mais... Tu sais que si quelque chose ne va pas, tu peux nous en parler, hein ?
– C'est gentil Louis, ne t'en fait pas pour moi ! C'est juste que... J'ai décidé de me focaliser un peu plus sur mes études.
– Oh. d'accord.

Et je vis bien qu'elle n'était pas à l'aise. Et qu'elle venait de me débiter un énorme mensonge. Parce que depuis le début de cette année, ses notes étaient en chutes libres. Mais voyant qu'elle ne désirait pas aller plus loin dans ses explications, je ne cherchais pas à en savoir davantage.  

– Moi aussi j'ai une question Louis.
– À propos de Adel je présume ?
– Tu présumes bien.

Elle rigola doucement.

– Je sais pourquoi vous avez rompu, et même si au début j'ai fait celle qui ne comprenait pas, j'ai compris plus tard. Personne n'était à ta place, et je trouve ça con de t'avoir un peu jugé rapidement par rapport à ta décision. Mais je voudrais juste savoir... Tu penses que lui et toi vous... Vous pourriez de nouveau bien vous entendre ?
– Nous ne sommes pas en froid.

Inès se redressa dans le canapé, et me jeta un regard de travers.

– Non, non en effet vous n'êtes pas en froid. Mais quand tu es évoqué dans une conversation, et qu'il est là, je te jure que ça l'agace. Et toi qui refuses de le voir depuis qu'il est rentré sur Bordeaux...
– Je l'ai revu, l'autre jour, en ville.
– Ce n'était pas de ton fait.
– Certes.
– Je vous aimes tout les deux très fort, et ça me chagrine de vous voir dans cet état-là, c'est tout...
– Inès, je te promets que je vais faire des efforts, c'est juste que... Bah... Tu sais comment je suis...
– Complètement nul en relations sociales.
– C'est très bien résumé.

Elle éclata de rire, et je l'imitais presque aussitôt. Elle n'avait pas tort, si quelque chose n'avait pas changé, au fond, c'était bien ça. J'avais beau avoir fait des efforts considérables, je restais toujours le même garçon, qui se braquait facilement, qui perdait confiance en lui pour un rien. 

*

Ce soir-là, j'eus bien du mal à trouver le sommeil. Soyons clair, je dormais mal les soirs de pleine lune, c'était un peu comme une sorte de malédiction, mes migraines me donnait du fil à retordre de temps en temps mais ce soir... Ce soir, c'était autre chose. Je n'arrêtais pas de me retourner dans mes draps, me demandant comment la soirée chez Adel s'était passé. En me demandant si ce dernier m'avait évoqué au moins une fois, dans une discussion. C'était idiot, se posait-il les mêmes questions à propos de moi ? En était-il réduit lui aussi à se demander si oui ou non, je l'appréciais toujours ?

C'était trop dur. J'avais bien su gérer la situation alors qu'il se trouvait toujours à des milliers de kilomètres de moi. Et maintenant qu'il était de retour, je ne savais plus quoi penser de lui. Pourquoi tout devait-il toujours être aussi compliqué ? Pourquoi est-ce que mon cerveau devait toujours faire des siennes, se questionner de la sorte ? Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas tourner la page ?

Peut-être parce que tu n'en as pas envie, Louis.

Non, c'était idiot. C'était moi qui avais mis le point final à notre histoire. Et je ne le regrettais pas, encore aujourd'hui. Malgré la situation actuelle. J'avais ouvert les yeux, réalisé un tas de choses, et cela m'avait aidé à avancer. Je le savais. Alors pourquoi je n'arrivais pas à dormir ? Pourquoi est-ce que, ce soir, pour la première fois depuis des mois, je ressassais en boucle ce moment où tout s'était brusquement terminé ? Je me redressais dans mon lit, allumai la petite lampe de chevet à ma droite et attrapai mon ordinateur portable qui reposait sur ma table de chevet. Je l'allumai pour parcourir mes dossiers photos. J'avais besoin de ma dose de nostalgie, et puisque mon esprit semblait vouloir me torturer avec ça, j'allais lui donner ce qu'il souhaitait.

Si j'aimais prendre des photos, ce n'était rien en comparaison à Eden et Adel qui eux, photographiaient tout ce qu'ils pouvaient, dès qu'ils le pouvaient. Ainsi, j'avais bons nombres de dossiers photos de l'été où Adel et moi étions encore ensemble. J'avais des tonnes de souvenirs d'une sortie que nous avions fais chez les grand-parents d'Eden, à la campagne. Nous avions longtemps hésité avec une semaine au bord de la mer, mais les emplois du temps et budget de chacun étant serrés, nous avions dû revoir nos plans. Nous nous étions promis de faire la mer l'été prochain, ce qui n'était au final, jamais arrivé. 

Je chérissais chaque photo de ce séjour. À cette époque où Isaac et Eden se tournaient encore autour, et cela se voyait sur chaque photos où mes amis apparaissaient tous les deux. À cette époque ou Inès avait encore les cheveux violets, ce qui lui allait vraiment bien. Maya portait une salopette, ce qui me fis bien rire : elle ressemblait à une de ces petites créatures jaunes dans le film d'animation préféré de ma sœur. Et puis lui, était parfait. Avec sa casquette bordeaux, son débardeur noir qui m'avait donné des envies complètement folle et ses shorts qui n'avaient pas survécus à notre exploration des champs de vignes et des bois aux alentours de la demeure familiale.

Et puis je m'arrêtais sur cette photo. Clairement l'une de mes favorites, avec celle d'un baiser volé dans un champ. Que Eden avait pris en se pensant très discret. Et la suivante l'était tout autant. Oui, cette photo était magnifique. Parce que nous étions tous dessus. C'était le grand-père d'Eden, qui l'avait prise. Durant cette après-midi où Adel avait insisté pour cuisiner un plat coréen, pour faire découvrir les saveurs à nos hôtes. Maya coupait des oignons verts avec application, Inès était accoudé à la grande table en bois massif, faisait la discussion à Isaac qui pelait des carottes avec une lenteur effroyable. Eden était penché sur la recette, et à son regard, je me souvenais exactement qu'à ce moment-là, il remettait sérieusement en doute les proportions qu'Adel avait écrites sur le petit bout de papier. Il avait un doigt levé, comme pour lui signifier que tant de grammes de porc était un peu trop pour seulement huit personnes. Et Adel rigolait. Parce que je venais de me renverser de la sauce dessus, que j'avais une tête mi-crispée, mi-amusée. On avait mis un instant magique sur pause, et je pouvais replonger instantanément dedans en un seul coup d'œil.

Je refermais mon ordinateur, sentant une larme solitaire rouler sur l'une de mes joues. C'était ça, que je voulais retrouver. Je voulais de nouveau pouvoir rire dans la même pièce que lui. Retrouver notre groupe au complet. Et je n'y parvenais pas. Je n'arrivais pas à prendre mon peu de courage à deux mains, et à faire comme si... Comme s'il ne s'était jamais rien passé entre nous.

Tu ne pourras pas faire comme s'il ne s'était jamais rien passé. Ce qu'il faut que tu te dises, c'est que lui et toi, vous débutez un nouveau chapitre de votre histoire. Ne cherche pas à oublier votre passé, c'est idiot. Donnez-vous une nouvelle chance, pour de nouvelles histoires ensemble.

– Simon, tu es la voix de la sagesse.

J'attrapai mon portable sans réfléchir. Pourquoi ? Je n'en savais rien. Pour quoi dire ? Ça non plus, je n'en savais rien. Mais les mots de Simon venaient de me booster, à leur façon. Je n'avais même pas fait attention à l'heure qu'il était, que déjà, je cherchais son prénom dans mon répertoire. Il était bien minuit passé, sans doute n'allait-il pas décrocher... 


* * *

Me revoilààà ! J'ai réussi à poster, même si ce n'était pas gagné ;) Ca faisait longtemps que je ne vous avais pas laissé sur un petit suspens prévisible comme ça :o Il fallait y remédier. :) J'espère que le chapitre vous a plu ! On a passé la barre des 10K, et je suis super contente, merci mille fois à vous ! (même vous, les petits lecteurs qui ne font que passer sans laisser de traces !)

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