51. CEUX QUI NE POUVAIENT PAS

J'avais terminé. Enfin. Ma deuxième année de fac, mes examens, j'étais libre comme l'air. À condition de valider toutes mes matières, mais si mes calculs étaient bons, j'allais valider mon année sans trop de souci. À moi l'été, les vacances, mon taff au musée jusqu'à fin juillet, puis un mois de détente complet avant ma reprise. Maya en avait encore pour jusqu'à la fin du mois de juin, et je la plaignais vraiment : elle allait devoir supporter Inès (en vacances déjà depuis deux semaines) et moi deux fois plus de temps à la colocation. Je m'y voyais déjà : j'allais pouvoir retourner plus souvent chez mes parents et voir Sacha. Ma sœur allait passer son bac, et j'avais eu l'impression de prendre un horrible coup de vieux en réalisant ça. Étrangement, cette période me paraissait déjà si lointaine...

J'allais aussi pouvoir pratiquer d'avantage mon sport favori : je l'avais clairement mis à l'écart lors de ma deuxième année, avec beaucoup moins d'entraînement, et notre équipe avait manqué de ne pas survivre aux emplois du temps de chacun. Mais nous tenions bon la barre, et depuis qu'Isaac avait pris la place de mon capitaine – parti à l'étranger pour ses études – nous tentions de nous faire à ces nouveaux changements. J'avais également un emploi du temps de baby-sitting bien chargé, puisque j'étais toujours le baby-sitter attitré de la petite Ambre. Je n'avais pas perdu le contact avec ses pères, et j'étais bien trop heureux à chaque fois de me rendre chez eux et de passer du temps avec Joachim (qui ne voulait plus que je l'appelle « monsieur » comme au lycée). Ambre avait fait ses premiers pas, elle bafouillait ses premiers mots, et même si elle était encore incapable de dire mon prénom correctement, je l'adorais.

Et puis, de temps en temps, je voyais monsieur et madame Kang. J'aimais les parents d'Adel, et eux aussi m'appréciaient énormément. Et j'avais beau ne plus avoir adressé la parole à leur fils depuis mars dernier, ces derniers étaient toujours heureux de me recevoir. Ils savaient pour Adel et moi, mais avaient mis un point d'honneur à ne pas gâcher notre relation à cause de cela. Et je leur étais reconnaissant. La mère de Adel était une femme adorable, son père également, et clairement, leur fils leur manquait. Louise et moi, nous retrouvions de temps en temps chez eux, le temps d'un dîner. Je sentais bien qu'ils évitaient le sujet de leur garçon toujours à l'autre bout du monde, mais je ne leur en voulais pas d'aborder de temps en temps le sujet. Et c'était bien avec eux seulement que le sujet n'était pas tabous.

Louise était, étrangement, la seule à ne pas m'en avoir voulu. Je m'étais attendu à ce qu'elle soit la première à me hurler dessus, à me tourner le dos. Mais il n'en avait rien été. La pilule était étrangement bien passée. Et bizarrement, nous nous étions d'avantage rapproché après cet épisode-là. Eden m'avait fait la gueule, pour de vrai, mais Isaac avait fini par le raisonner. Maya avait été triste, et Inès... J'avais eu l'impression que c'était elle qui avait perdu son copain. Je ne m'étais jamais sentit aussi incompris. Sauf par Louise.

– Tu sais qu'il revient ce soir ?
– Mmh.

Non, j'avais oublié. Mon cerveau avait même fini par effacer complètement la date de son retour. J'avais longtemps été persuadé qu'il ne reviendrait pas, de toute façon. 

– Je vais le récupérer à l'aéroport. J'y vais avec Eden, Maya et Inès. Et ses parents. Enfin, bref...
– Tout le monde quoi.
– Ouais, voilà... Tu veux venir ?
– Je ne pense pas que ça soit une bonne idée.
– Je suis persuadée que ça lui fera plaisir.
– Je voulais dire, pour moi. Je ne pense pas que cela soit une bonne idée.
– Comme tu veux, mais si tu changes d'avis... Tu me dis. Je pars à dix-huit heures.
– Ok.

Je ne changerais pas d'avis, et je le savais. C'était plus fort que moi, et ça allait clairement finir par me jouer des tours : Adel et moi avions les mêmes amis en commun. Et je refusais qu'ils jonglent entre nous... Mais je ne voulais pas lui faire face. Pas encore. Je n'étais... pas prêt. Pourtant, si Adel et moi ne nous étions pas reparlé depuis cette soirée désastreuse, je n'avais pas cessé de prendre de ses nouvelles pour autant.

Je suivais son compte instagram avec application, ce qui me rappela mes gaffes et bévues du lycée. Ainsi, j'avais pu voir qu'il avait laissé tomber son blond clair pour un blond qui tirait vers le roux. Puis qu'il avait testé le bleu clair. J'étais tombé de ma chaise ce jour-là. Et à présent, ses cheveux étaient châtains clair, ce qui radoucissait son visage de manière vraiment étonnante. Il avait percé ses oreilles également. Il avait changé de coupe de cheveux, laissant tomber la longueur qu'il avait autrefois dans la nuque. Adel changeait sous mes yeux, de semaines en semaines, et je m'étais retenu tous les jours de lui envoyer un message pour le complimenter, ou même d'aimer ses photos. 

Pourquoi ? Parce que je l'avais largué, qu'il m'en voulait, et que je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie. Et parce que j'avais peur de ses réactions. Nous ne nous étions pas parlés depuis des mois, je n'avais aucune idée de s'il m'en voulait encore (c'était très probable) ou s'il avait fini par passer l'éponge. Alors ce soir-là, à dix-huit heures, je me retrouvais seul dans notre appartement.

Planté au beau milieu du salon, avec une poche de chips comme seul repas, car j'avais eu la flemme de me faire quelque chose de correct pour le dîner. Et qu'il était trop tôt pour manger, aussi. J'avais regardé les minutes s'écouler. Puis la première heure. Puis une seconde. Il devait être rentré. Il devait être chez lui à l'heure qu'il était. Et moi, j'étais seul dans mon salon, en attendant que ma meilleure amie revienne pour la serrer dans mes bras. 

*

Finalement, Maya et Inès rentrèrent tard. Je fis mine de dormir quand Inès entrouvrit la porte de ma chambre, et cette dernière annonça à Maya qu'elle allait se coucher à son tour. Il s'écoula au moins vingt bonnes minutes, pendant lesquelles je ne parvins pas à trouver le sommeil, avant que Maya ne se glisse dans mon lit.

– Je sais que tu ne dors pas, me chuchota-t-elle.

Elle me connaissait trop bien. Je haussais les épaules, et tirai un peu la couette vers moi.

– Ça va Louis ?
– On fait avec.
– Il va bien, il est en pleine forme. Je sais que tu me retiens de me demander, alors je te le dis.

J'esquissai un sourire. Discret, mais présent malgré tout.

– Il est claqué par le voyage, le décalage horaire.
– Mmh.
– Il a des tonnes de choses à nous raconter, et on a déjà prévu une soirée photo de voyage.
– Ok.
– Tu es convié.

Je me redressais dans mon lit, interloqué.

– Pardon ? Qui a eu cette idée à la noix ?
– Lui.
– Putain...
– Il nous a demandés de tes nouvelles, tu sais. Il s'est inquiété de ne pas te voir à son arrivée, il a cru que tu étais malade.
– Il sait que lui et moi on -
– Ce qui ne vous empêche pas de vous côtoyer, si ?
– Maya. Je ne lui ai pas parlé depuis mars.

Cette foi-ci, Maya ne répondit rien. Parce qu'elle n'avait jamais su. Que j'avais tout gardé pour moi. Que j'avais toujours évité le sujet. Elle soupira, passa une main dans mes cheveux et continua, d'une voix plus douce.

– Et lui ?
– Lui non plus.
– Bon sang...
– Alors vous irez faire votre soirée photo sans moi. C'est réglé.
– On en parle demain Louis, tu es fatigué.

Je ne cherchais même pas à protester, je savais que cela ne servirait à rien avec Maya. Quand elle avait une idée en tête, elle ne lâchait rien. Or, je savais très bien ce qu'elle avait en-tête : Adel et moi devions nous reparler. 

* * *

Je me félicitais de travailler le samedi. Ainsi, je pus échapper à la discussion avec Maya. Une fois planqué dans mon musée, derrière le bureau des vestiaires, je ne craignais plus rien. Ce jour-là était particulièrement calme. Cécilia, notre chef, était d'une humeur massacrante comme toujours, mais elle ne vis pas le roman que j'avais apporté en douce, pour pouvoir passer le temps plus vite. J'aimais l'ambiance au musée, mais mes collègues étaient de vraies langues de vipères, prêt à balancer le premier surveillant de salle sur son portable ou le nez dans un bouquin. Ils m'épuisaient, j'avais l'impression que je bossais avec une équipe d'enfant de dix ans, alors que dans la réalité, mes collègues étaient bien tous mariés et parents depuis un bail.

Mais j'étais toujours mieux ici, plutôt qu'en face d'Inès ou Maya qui tenteraient de me convaincre de venir demain soir à leur soirée photo. 

– Elle est plutôt mignonne, ta collègue.

Je levais à peine les yeux de mon bouquin. Elle a aussi quinze ans de moins que toi, avais-je envie de répliquer à mon collègue. Et accessoirement, l'homme devant moi était marié, à une splendide Italienne se plaisait-il à dire. Alors pourquoi loucher sur une de mes collègues, étudiante de surcroît ? Les gens me dégoûtaient tellement par moment. 

– Et toi Louis, comment ça va avec les filles ?

Ne voulait-il pas juste me fiche la paix ? N'avait-il pas une pièce de musée à surveiller ?  

– Ça va très bien, merci.

Voyant que, de toute évidence, il me tapait sur le système, mon collègue fini par battre en retraite. Je regardais son petit crâne chauve s'éloigner et réprimais un frisson. J'avais postulé pour de nombreux autres job étudiant : cela faisait bientôt deux ans que je bossais ici, et même si je vouais un amour véritable à ce musée, ses occupants me tapaient réellement sur les nerfs.

– Salut beau gosse !

Je levai les yeux au ciel, me demandant qui était encore l'abrutit ultime qui m'empêchait de finir mon chapitre, et relevai la tête. Ma mâchoire manqua de se décrocher. J'avais déjà vu cette tête quelque part.

C'était le garçon de la fête de Flora. Le même qui m'avait refilé son numéro qui dormait toujours quelque part dans un coin de ma chambre. 

– Je ne savais pas que tu bossais ici...

En même temps, nous n'avions pas réellement eu le temps de papoter et de faire connaissance ce soir-là. Je ne connaissais même pas son prénom.

– Mmh.
– Cette tenue te va bien.
– Merci.
– Tu vas bien depuis la dernière fois ? Ton copain à l'autre bout du monde est revenu ?
– Oui.
– Oh, je suppose que c'est pour ça que tu ne m'as jamais recontacté...

Ce gars était drôlement entreprenant. 

– Nous ne sommes plus ensemble. Si je ne l'ai pas fait, c'est que je n'en avais pas envie.

J'avais conscience que mes mots pouvaient le blesser, mais en avais-je quelque chose à faire ? Quelque chose chez ce gars me dérangeait. Il était trop sûr de lui, et ça me mettait mal à l'aise. 

– Oh, je vois... J'ai pas fait les choses correctement, pardonne-moi. Je m'appelle Simon, je suis étudiant en art.
– Louis.
– C'est déjà un bon début, Louis. Écoute, j'ai vraiment pas l'habitude de foncer tête baissée comme ça, mais j'ai vraiment envie qu'on apprenne à se connaître. Ça te dis de se faire un truc disons... demain soir ?
– Demain soir ? Je débauche à dix-huit heures...
– Ça veut dire oui ?
– Ça veut dire que je n'ai pas donné de réponse, encore.
– Tu as toujours mon numéro ?

J'opinais du chef, et il esquissa un sourire, visiblement ravi. Il me montra donc son ticket, et me lança un dernier clin d'œil avant de rentrer dans la première salle du musée.

Bon sang Louis, qu'est-ce qui te prend ?

Je n'en savais rien, de ce qui me prenais. Depuis que j'avais rompu avec Adel, je n'avais pas ressentit le besoin de recontacter ce garçon. Pas une seule fois. J'avais vécu ma vie comme je l'entendais, j'étais même partis une petite semaine en vacances avec ma meilleure amie en suisse (pour une raison qui m'échappait, Maya avait toujours voulu y aller), je m'étais consacré un peu plus à mes passions, et par dessus tout, j'avais arrêté de me dire « et si ? ». Et si Adel avait été là. Et si Adel te voyait. Et si Adel aurait aimé faire ça avec toi. Je m'étais senti coupable, au départ, de vivre toutes ces nouvelles expériences sans lui, avant de finalement me sentir aussi léger qu'une plume. J'avais besoin de recul, je l'avais pris. Et tout cela m'avais conforté dans ma décision, prise quelques mois plus tôt.

Je ne revis pas Simon à la fin de mon service aux vestiaires. D'ailleurs, je ne le vis même pas sortir du musée, et j'estimais que tout était mieux ainsi : je ne voulais pas me justifier de quoi que ce soit. 

*

Une fois de retour chez moi, Maya m'attendais au tournant. Évidement. Elle était prête à une petite discussion « entre meilleurs amis » et moi... je ne l'étais clairement pas. J'avais juste faim, et envie de me vautrer dans mon lit pour dormir. Mais Maya était tenace. Et Inès flaira la prise de bec arriver, et annonça qu'elle partait se doucher pour une durée indéterminé.  

– Alors, tu as réfléchi pour demain soir ?
– Oui, et je ne viens toujours pas, désolé Maya.
– Louis, il va bien falloir que vous vous voyiez à nouveau ! Il te tend une perche, saisit-la !
– C'est trop tôt.
– Alors éclaire moi, quand vas-tu accepter de le voir ?
– Je ne sais pas encore.
– Me voilà rudement bien éclairé sur la situation, merci Louis !
– Maya...
– Pardon c'est juste que... J'adore Adel. Et tu es mon meilleur ami. Je n'ai pas envie de choisir.
– Je ne te force pas à le faire.
– Conçois tout de même que te laisser tout seul ici, pendant que je vais m'amuser avec nos amis chez Adel... C'est un peu me forcer à choisir entre vous.
– Je suis occupé demain soir, en réalité. Donc ne t'en fais pas pour moi.

Maya leva un sourcil, surprise. Et moi, je n'avais aucune idée de la pente dans laquelle je venais de m'engager. 

– Oh, vraiment ? Tu fais quoi ?
– Je... Je sors voir un pote de la fac.
– Louis...
– Ok, c'est pas encore un pote, mais ça peut le devenir ! Je lavais croisé à une fête chez Flora.
– Mmh, dit m'en plus...
– Euh, il s'appelle Simon.
– Mais encore ?
– J'en sais rien Maya ! Il m'a juste filé son numéro !
– N'y vas pas.
– Pourquoi ?
– Parce que ce gars est clairement intéressé.
– Et ?
– Et ? Et ?! Allo, y'a quelqu'un là-dedans ? fit-elle me tapotant sur le sommet du crâne.
– Aïe, Maya... !
– Et Adel alors ! Ça ne va pas du tout, tu vas ramener tes fesses à cette soirée, et reconquérir l'homme de ton cœur.
– Arrête ça. J'en aucune envie.
– Tss, tss, je ne te crois pas. Et puis, c'est pas ce que tu diras quand tu l'auras revu.
– Laisse tomber, ok ? S'il te plaît, ne joue pas aux entrepreneuses avec nous...
– Mais....
– Promet le moi.
– D'accord..., finit-elle par dire en faisant la moue.

Je la remerciais d'un sourire, avant de me ruer dans la cuisine, avant qu'elle ne trouve un moyen détourné pour me ramener à la soirée photo souvenir de chez Adel. Je ne voulais pas, point barre. C'était peut-être gamin de ma part, idiot, ou je ne savais trop quoi, mais je n'en avais pas envie. Vraiment pas envie. Et je savais mieux que quiconque qu'il valait mieux s'écouter dans ces moments-là. 

*

Mine de rien, les mots de ma meilleure amie me firent réfléchir. Elle avait raison sur un point : j'allais devoir faire face à Adel un jour ou l'autre. Eden allait détester jongler entre nous deux, et il allait en être de même pour tous les autres. De plus, je ne pouvais pas l'éviter ad vitam aeternam. Je devais donc trouver le moyen de le voir à nouveau, sans qu'il n'y de malaise entre nous, sans que je me sente coupable de ma décision prise il y a quelques mois. Sans que je n'ai envie de partir en courant. Sans qu'il n'y ait pas de tensions entre nous. Parce qu'après tout, peut-être qu'Adel me détestait. Qu'il avait dit tout ça à Maya pour rester poli, mais qu'au fond, il n'avait aucune envie que je me pointe chez lui demain soir.

Ou bien, c'était moi qui avais envie de penser ça, parce que ça m'arrangeait drôlement. 


* * *

Je n'ai pas grand chose à dire, hormis le fait que je suis heureuse de vous retrouver pour la seconde partie de ma fiction, que nous sommes dans la dernière ligne droite, et que je suis excitée à l'idée de vous faire découvrir la suite

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