48. CELUI QUI TOURNE UNE PAGE
L'ambiance au petit-déjeuner était glaciale. Ce matin-là, le hasard avait voulu que nous nous retrouvions tous les quatre dans la cuisine des parents d'Inès. Pour déjeuner, ensemble. Et jamais, entendez-moi bien, jamais, dans l'histoire des petits-déjeuners, on avait connu ambiance aussi moisie. Assit en face de moi, Inès touillait son café désormais froid en me lançant des regards insistants pour que je lance un début de conversation. À ma gauche, Adel buvait son chocolat chaud en silence, en prenant garde à faire le moins de bruit possible. En face de lui, Eden détruisait ses biscottes en appliquant du beurre salé dessus. Super. La vérité, c'était que je n'avais aucune idée de comment lancer aborder le sujet houleux d'hier soir. J'avais pu parler à Eden. Mais Adel n'avait pas décroché un mot depuis que je l'avais rejoint sous les draps, et ce matin, lui et Eden étaient muets comme des tombes.
– Bon.
Finalement, ce fut Inès qui brisa le silence.
– Les garçons. Je sais que ça ne va pas être simple, mais vous êtes encore tous les trois ici. Donc, il va falloir parler. Ça ne sert à rien de laisser traîner cette histoire. Plus vite vous vous expliquerez, plus vite... euh... bref. Vous m'avez compris.
Je soupirais, et fis mine de boire une nouvelle gorgée de ma boisson chocolatée pour ne pas prendre la parole en premier. Évidemment mon geste n'échappa pas à Inès qui soupira bruyamment. Adel ne leva même pas les yeux vers elle, et Eden lui lança un regard agacé.
– Ne m'obligez pas à énoncer les faits à voix haute pour vous faire parler.
– Bon, très bien, trancha Eden.
Oh non. Je ne voulais pas entendre ce qu'il avait à dire. Les mots qu'il avait eu hier soir résonnaient toujours dans mon esprit.
– On s'est fichu de moi pendant des semaines, et visiblement, je n'ai pas le droit d'être mécontent.
Et voilà, les hostilités commençaient. Adel avait relevé les yeux vers lui, les sourcils froncés, et reposa son mug sur la table d'un geste un peu précipité.
– Mécontent ? Je te trouve bien gentil. Après le câble que tu nous as pété hier soir.
– Tu te fous de moi Adel ? Tu t'attendais à ce que je réagisse comment ? Tu aurais dit quoi, toi, si tu avais surpris tes deux ex en train de se tripoter dans une chambre ?
Inès lâcha sa cuillère. Ah. Merde. Elle n'était pas au courant de ce léger détail. Elle nous dévisagea tous les deux, Adel et moi, avec des yeux ronds et je sentis mes joues chauffer immédiatement. Voilà, la connaissant elle devait être en train de s'imaginer la scène en détail, et je ne voulais pas savoir comment rendait le tout dans son esprit un peu trop imaginatif.
– Oses me dire que tu n'aurais pas été en colère tient, vas-y, fais moi rire.
– C'est pas ça... c'est juste que...
Je le sentais, Adel cherchait ses mots pour ne pas s'emporter et blesser Eden. Quant à ce dernier, il semblait bien partit pour balancer tout ce qu'il avait sur le cœur.
– Que tu aurais pu nous laisser le temps de t'expliquer.
– Oh, ça, c'est bon. Louis s'en est chargé.
Adel se tourna vers moi et j'ai envie de fuir son regard accusateur.
– Tu lui as dis quoi ?
Pourquoi je me sentais agressé là, d'un coup ? Et je ne pouvais pas compter sur Inès, toujours bloquée sur les mots d'Eden.
– Euh je... après qu'il soit parti je...
– Je sais que ça fait plusieurs semaines. Et que vous comptiez me le dire ce soir, me coupa Eden.
– Laisse le parler.
– Oh bordel, il commence à faire son chevalier servant...
– Tu peux parler !
– Comment ça ? Bordel Adel tu... Tu pouvais te taper n'importe qui. N'importe qui !
En face de lui, Adel se rembrunit.
– Et non. Monsieur jette son dévolu sur mon ex. Tu m'avais promis que...
– Je sais ce que j'ai dit, merde !
Je ne voulais pas entendre la suite. Je ne voulais pas les entendre se disputer à cause de moi. Et à cause d'une promesse à la con.
– Bah je ne suis pas parfait, incroyable, hein ? cracha Adel.
– Oh bah ça, je m'en étais bien rendu compte.
– Nous y voilà... Crache ton sel, Eden. Tu en meurs d'envie. C'est le moment de m'en mettre plein la figure, tu n'as jamais pris le temps de le faire.
Ok, j'avais comme l'impression qu'Inès et moi étions en trop désormais dans cette conversation. Et je pensais me tromper qu'à moitié en me disant que les deux autres garçons étaient en train de régler des soucis plus profonds entre eux.
– Pourquoi tu ne comprends pas que je puise être en colère ?
– Pardonnes moi. Je n'avais pas vu l'étiquette à ton nom sur le front de Louis.
Sinon, j'étais toujours là. Au cas où. Mais visiblement, les deux garçons avaient oublié ma présence.
– Quel sens de l'humour. Toujours aussi tordant.
– C'est pourtant ça qui te dérange, non ? Qu'on sorte ensemble ça te fous en rogne ?
Eden se leva d'un seul coup et posa ses mains à plat sur la table.
– C'est bon, on arrête là.
– Tu voulais en parler, non ? On en parle là. Tu me gonfles Eden à toujours te casser quand ça chauffe un peu. Merde à la fin ! Tu savais que Louis m'intéressait. Je n'ai même pas cherché à te le cacher quand tu me le l'as sous-entendu. Tu voulais que je fasse quoi de plus ? Que j'attende sagement dans mon coin ? C'était réciproque bordel, Louis et moi n'allions pas attendre que tu nous donnes ta foutue bénédiction ou je ne sais pas quoi ! C'est complètement con !
Le visage de Eden se ferma aussitôt. Adel venait de marquer un point. Un long silence s'en suivit, et je me grattais la gorge pour de nouveau attirer l'attention sur ma personne. Inès, elle aussi absorbée par leur échange, semblait aussi avoir oublié que j'étais là également.
– Oui, je suis toujours là. Je ne me suis pas transformé en chaise. Et j'entends parfaitement tout ce que vous dites, hein. Alors je... Je vais mettre les choses à plat, parce que soyons honnête, je ne compte pas quitter mon copain, ni mettre fin à notre amitié, Eden.
Je n'avais aucune idée de d'où me venait ce courage, mais tant qu'à faire, puisqu'il venait de faire son apparition, je n'allais pas me priver. J'avais bien vu Eden tiquer au mot « copain », mais je fis comme si de rien était.
– Le soir où je suis venu chez Adel, c'est moi qui l'ai embrassé. Pas parce que j'étais au fond du gouffre, triste ou je ne sais pas quoi. Enfin, si, il y avait un peu de ça, mais c'était surtout parce que j'en avais envie. C'est moi qui ai initié notre relation, pas l'inverse. Crois moi Eden quand je te dis qu'Adel n'était pas partant au départ, et qu'il m'a gentiment repoussé en me disant que c'était une énorme connerie.
Inès semblait retenir son souffle, et Eden s'était rassis sur sa chaise, visiblement enclin à m'écouter jusqu'au bout. Adel n'avait d'yeux que pour moi, et me redonnait confiance en moi, sans même le savoir. Mon dieu, si Maya avait été là, elle aurait sans nul doute agité des pompons en faisait des pirouettes pour m'encourager à continuer sur ma lancée.
– J'avais peur de te blesser. Et lui aussi. Nous... Nous n'avions aucune idée de comment te l'annoncer sans te faire de mal, voilà tout. Alors, d'un commun accord, nous avons convenu que nous te dirions tout après le BAC. Idée de Adel au départ, il voulait que tu passes tes épreuves sereinement. Ça te va comme explication ?
Eden hocha doucement de la tête et ferma les yeux un instant, comme pour assimiler toutes les informations qui venaient de lui tomber dessus. Adel me remercia du regard et sous la table, sa main effleura discrètement la mienne.
– D'accord, fini par lâcher Eden après un gros moment de blanc.
Puis, il se tourna vers Inès, les sourcils froncés.
– Tu étais au courant ?
– Non.
J'avais retenu mon souffle, et Adel aussi. Et Inès avait retenu son souffle, de bute en blanc. Et puis, je me souvins des paroles qu'elle m'avait glissé hier soir, avant que je ne regagne mon lit. Tu sais Louis, je finirais par lui dire la vérité. Dans quelque temps. Quand il aura accepté votre relation, et qu'on pourra rire de cette soirée. À ce moment-là, si mon petit mensonge me pèse toujours autant, je lui dirai. Il en rigolera, et moi aussi. Mais pour l'heure, il vaut mieux pour vous deux que je la ferme, non ? Je n'avais pas répondu, après tout, Inès avait fait son choix.
– Et Maya ?
– Oui.
– Et Louise ?
– Oui aussi.
– Foutues meilleurs amies, lâcha-t-il en souriant.
Eden passa une main dans ses cheveux clairs et lâcha un long soupir.
– Bon. Eh bien je suppose qu'une nouvelle journée commence dès à présent ? Toi, fit-il en pointant Adel du doigt., Ne t'attend pas à ce que je passe l'éponge si vite. Laisse-moi du temps.
Adel acquiesça.
– Et Louis, on en a déjà parlé.
Du fond du cœur, j'espérais que Eden pardonne rapidement à Adel. Parce que je n'avais pas pu m'empêcher de m'accrocher à son regard triste quand Eden quitta la table. Ni quand il nous salua d'un simple geste de la main, sans accolade ni rien. Adel était démoralisé. En une soirée, il avait l'impression d'avoir perdu l'une des personnes qui lui était le plus cher.
* * *
Maya revint dans la région bordelaise le premier juillet. À huit heures pétante. Je n'avais pas été tenu au courant, de mèche avec mes parents et ma sœur, elle avait tout organisé dans mon dos dans le but de me faire une surprise. La plus belle surprise de ma semaine sans doute. Maya était rayonnante, et elle me jura que désormais, elle ne bougerait plus d'ici. Elle avait littéralement déménagé toute son armoire chez nous. Son but était simple désormais, nous trouver une collocation bien sympathique. Et Maya, en fille très organisée qu'elle était, avait déjà fait de multiples recherches. Mon père, qui travaillait dans le milieu, avait été ravi de lui donner un coup de main.
– Tu m'as tellement manqué ! J'te jure, j'en pouvais plus de vivre aussi loin de toi. Et puis le lycée... J'en avais grave ma claque.
Je rigolais, le nez de Maya chatouillant mon cou dans lequel son visage était enfoui.
– J'ai quand même gardé contact avec deux personnes de ma classe. Des gens sympas.
– Je suis fier de toi Maya. Brave fille !
– C'est ça, moque toi...
Elle me donna une pichenette sur le front, et je me mis à râler.
– J'ai hâte de faire notre coloc, tu n'as pas idée...
– À ce propos, Maya, j'ai une idée à te soumettre.
Elle se redressa sur un coude et me jeta un coup d'œil intrigué.
– La coloc que tu as vu est assez grande...
– Oui, mais elle est si bien ! On a quand même vachement de place dedans, elle ne te plaît pas ?
– Si, si, évidement. Justement. Mais est-ce qu'on va gérer à deux ? D'après mon père, on sera sûrement un peu juste chaque mois...
– Oh.
– Mais, il se trouve que je connais quelqu'un qui veut faire une collocation. Enfin, qui en cherche une.
Elle allait me détester. Me zigouiller. Mais je me devais de proposer mon idée. Je l'avais promis.
– Dis-moi tout..., dit-elle d'un air suspicieux.
– Inès.
Gros silence dans ma chambre. Maya se redressa carrément, à genoux sur mon lit et fronça les sourcils.
– Attend, ta Inès ? Celle que je n'aime pas ?
– Oh, pitié, Maya... Vous vous entendez beaucoup mieux maintenant. Et je suis sérieux, oui.
– Mais elle n'habitue déjà pas sur Bordeaux ?
– Ses parent déménagent en début de l'an prochain. Et elle ne veut pas déménager en cours d'année. Alors elle cherche une coloc et...
– C'est d'accord.
J'ouvris de grands yeux. Elle venait de me dire quoi là ? Qu'elle était d'accord ? Oh, Maya, tu étais la meilleure !
– Elle sera tellement contente...
Elle n'imaginait pas la joie qu'elle venait de lui procurer.
– Mais je choisis ma chambre avant elle.
– Évidemment. Toi d'abord.
Clairement, une nouvelle page de ma vie se tournait. Jamais je n'aurais cru en arriver là un jour. Vivre avec Maya et Inès allait sûrement être très folklorique. Mais l'aventure me tentait, très sérieusement. Dès septembre, un nouveau chapitre de ma vie allait commencer, et j'étais prêt à affronter tout ça. Cependant, en y pensant, j'eus un léger pincement au cœur. Cet été, j'allais travailler pour la première fois de ma vie. Et ça, je me sentais qu'à moitié prêt. On allait me qualifier d'adulte dès lors que j'aurais soufflé mes dix-huit bougies sur mon gâteau d'anniversaire, et je n'en avais pas envie. J'avais tellement eu envie de grandir vite, que maintenant, je réalisais : être un gosse insouciant et loin de tous les problèmes de la vie d'adulte, c'était bien aussi. Et puis à la rentrée, Adel ne serait plus là. J'allais revoir mon petit ami des mois et des mois plus tard. Ça aussi, il ne me tardait pas. J'avais encore un bon mois pour profiter de lui à fond avant que son avion ne s'envole pour l'autre bout du monde.
* * *
Nous y étions. Aujourd'hui, sept juillet deux-mille dix-neuf. Nos résultats étaient accrochés là, sur l'immense baie vitrée de notre lycée. Maya attendait ses résultats en ligne, non loin de nous, qui nous pressions pour voir nos noms écris sur les feuilles. Dans la foule, je vis Eden se tourner vers moi, le visage radieux, et Inès l'imiter aussitôt. Et puis, cette dernière leva un pouce en l'air, et malgré moi, je me sentis soulagé. Un poids venait de s'envoler. Pour de bon. Quelques secondes après, j'arrivais près de la feuille sur laquelle mon prénom était écrit.
Louis Verbeeck. – Admis.
Sans mention, sans rien, mais je m'en foutais éperdument. J'avais ce foutu sésame en poche, à moi la liberté. Et puis, mes yeux se perdirent un instant sur la ligne juste en dessous de la mienne. Sur le nom juste en dessous du mien. Et l'espace d'un instant, je me revis, en septembre dernier. Découvrant le nom du nouvel élève qui allait bousculer ma vie pour de bon.
Eden Verdier. – Admis. Mention très bien.
Sans surprise. Et les larmes me montèrent aux yeux. Parce que l'espace de quelques secondes, le petit Louis que j'étais l'an passé réapparu juste là, mes côtés. Je me revoyais, froncer les sourcils devant ce nom inconnu. Je me revoyais, taper à la va-vite un message à Maya, pour lui dire que pour la première fois depuis des siècles, nous avions une nouvelle bouille dans ma classe. Je me revoyais, le guettant en cours. Lui faisant faire le tour de l'établissement en m'efforçant d'être le plus jovial possible.
– Ça va pas mec ?, me demanda Eden, me sortant de ma contemplation.
– Si si, ça va. Félicitation au juste, tu as tout explosé.
Mon cœur, ma vie, tout Eden. Tu bouscules tout autour de toi, pour le meilleur, que tu le veuilles ou non.
– J'ai mon bac les gars ! Ouah, c'est incroyable !
Maya revenait vers nous en agitant son portable sur lequel elle avait pu lire ses résultats. Elle semblait surprise, mais aussi, complètement euphorique. Je m'empressais d'envoyer un message à mes parents, qui devait mourir de stress dans leur coin, en attente de mes nouvelles. Eden me proposa de le faire aussi pour Adel. Il m'étonna, mais je m'exécutais. On ne parlait plus de lui depuis la fête chez Inès. Eden s'appliquait d'ailleurs consciencieusement à éviter le sujet. Mais aujourd'hui, il avait pris sur lui, et je lui en étais reconnaissant.
Non loin de là, Sixtine s'extasiait sur ses résultats, avec une Clara dépitée à ses côtés, qui passeraient une nouvelle année entre les quatre murs du lycée. Louis numéro deux également. Bon, deux redoublants dans ma classe, je trouvais que finalement, nous nous en tirions pas si mal, compte tenu des paris que nos professeurs avaient fais entre eux, et dont nous avions eut connaissance grâce à notre professeur d'économie. Julien avait l'air aux anges, à ses côtés un Blaise complètement blasé, visiblement à moitié satisfait de ses résultats. Et je m'en fichais. Moi, j'avais eu ce que je voulais, je quittais ce lycée tout moisi, j'en étais heureux comme jamais.
* * *
Enfin, le lycée est derrière eux ! Tout comme à moi, je ne pense pas que cette époque manquera tant que ça à Louis, mais ça, seul l'avenir nous le dira ! (enfin, mes futurs chapitres quoi.)
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